Interview de M. Thierry Mariani, secrétaire d'Etat chargé des transports, à Canal Plus le 3 décembre 2010, sur la gestion des transports lors de l'épisode neigeux, l'application transfrontière de sanctions aux infractions en matière de sécurité routière et la représentation du centre dans le remaniement gouvernemental.

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Texte intégral

M. Biraben et C. Roux.- M. Biraben : Le secrétaire d'Etat aux Transports, T. Mariani, est sur le plateau de « La matinale », et il va répondre à nos questions. La dernière fois que nous l'avons reçu, il promettait qu'être ministre n'était pas sa priorité, il avait bien d'autres choses à faire. Raté ! Il est ministre, et il doit gérer un dossier récurrent en France : quand vient l'hiver, il neige, donc le pays est bloqué. Un grand classique ! T. Mariani, bonjour.
 
Bonjour.
 
M. Biraben : Soyez le bienvenu.
 
Merci.
 
C. Roux : Bonjour. Alors, classique, dit Maïtena. On se dit, l'année prochaine, il va sans doute neiger et l'année prochaine encore la France sera sans doute bloquée. La question qui se pose ce matin c'est : est-ce que vous tirez des leçons de ce qui est en train de se passer ?
 
Absolument ! Il faut savoir que chaque année à la mi-novembre on lance le plan pour prévoir l'hiver. Et en réalité, qu'est-ce qu'on fait ? On tire les leçons de ce qui s'est passé les années précédentes et on essaie d'anticiper. Regardez par exemple ce qui s'est passé sur l'A7 : plus d'un millier de poids lourds ont été bloqués à Mornas. Ils ont été bloqués pour justement ne pas rentrer sur l'autoroute et ne pas se retrouver dans des situations impossibles. Alors, je comprends qu'il y ait une certaine exaspération, mais là je constate par exemple que les choses ont bien fonctionné, c'est-à-dire qu'on a anticipé. Il y a effectivement en Bretagne, aujourd'hui, des problèmes.
 
C. Roux : Oui, il y a 300 poids lourds qui ont été bloqués en Bretagne.
 
Absolument, en Bretagne la route a été bloquée trop tard, mais dans les autres régions les choses ont bien été anticipées. Les 6 000 hommes des directions interdépartementales des routes, qui sont au service, j'allais dire 24 h/24, de nos concitoyens, font un boulot excellent et je crois qu'on doit leur en être reconnaissant.
 
C. Roux : Alors, en gros, vous nous dites : tout va bien.
 
Non.
 
C. Roux : Ca s'est bien passé, on a bien géré, on n'a pas de leçon à tirer ? Je vous rappelle qu'à Lamballe - on a été en direct tout à l'heure à Lamballe, dans les Côtes d'Armor - il y avait des naufragés de la route, naufragés des trains, qui n'ont pas pu terminer leur voyage. Qu'est-ce que vous pouvez améliorer malgré tout ?
 
Je ne dis pas que tout va bien, loin de là.
 
C. Roux : Ah !
 
Je dis simplement, on a tiré... chaque année, on tire les leçons des expériences de l'année d'avant. Je dis, par exemple, qu'effectivement dans la Vallée du Rhône les choses ne se sont pas trop mal passées, on a pu anticiper. Il vaut mieux stocker des camions, même si par moment les sandwichs mettent un peu de temps à arriver et que les gens râlent, ce que je comprends, que de les laisser rentrer sur l'autoroute et après avoir des naufragés sur une autoroute avec par moment des drames. Dans l'Ouest, par exemple, effectivement, la route a été bloquée un peu tard. Donc, ce qui prouve qu'on a toujours à apprendre.
 
C. Roux : Qu'est-ce qu'il faut améliorer pour les années suivantes ?
 
Qu'est-ce qu'il faut améliorer ? Il faut d'une part toujours pouvoir mieux anticiper, et d'autre part aussi il faut que tout le monde ne se sente pas, j'allais dire l'âme d'un aventurier quand il y a des conseils de prudence, qu'on dit aux gens, ne pas prendre la route. C'est peut-être le jour où il faut respecter ces conseils.
 
C. Roux : On a vu que Lyon s'était retrouvé dans une situation assez dramatique avec une grande ville paralysée la moitié de la journée de mercredi. Est-ce que les municipalités ont également des efforts à faire ?
 
Ecoutez, les municipalités font des choix. Moi, j'ai été maire seize ans dans une commune du sud de la France où il tombait de la neige, j'allais dire tous les quatre ans. C'est vrai que certaines municipalités sont moins préparées à ce type d'évènement. Après, chaque maire donne ses priorités et souhaite oui ou non s'équiper de certains, j'allais dire équipements nécessaires pour la neige. Mais, en tout cas, je le répète, pour les 20 000 km de routes qui sont sous la responsabilité de l'Etat, je pense que les 6 000 agents font un travail considérable, et à deux ou trois exceptions près, qui sont de trop, à deux ou trois exceptions près, les choses ont été anticipées et les enseignements de l'année dernière ont été tirés.
 
C. Roux : Ces polémiques vous agacent ou pas ?
 
Non, ces polémiques sont normales.
 
C. Roux : Est-ce que vous dites : bon, c'est la neige, on est bloqué ?
 
Mais non ! Ces polémiques sont normales. Attendez, chaque Français quand il a envie de sortir, qu'il prend sa voiture et qu'il y a de la neige, trouve que ce n'est pas normal que sa portion de route qu'il emprunte n'ait pas été déneigée. J'ai été comme ça et je serai comme ça à nouveau.
 
C. Roux : Alors, pour la ville de Lyon encore, le maire de Lyon, G. Collomb, évoquait entre 1 et 1,5 million d'euros pour le coût de l'épisode neigeux, comme disent les spécialistes de la météo. Est-ce que vous avez le coût global de cette semaine ? Est-ce que ça déjà été calculé par vos services et par les services de Bercy ?
 
Non, non, c'est beaucoup trop tôt. C'est beaucoup trop tôt pour citer le moindre chiffre, franchement.
 
M. Biraben : On passe aux transports purs et durs.
 
C. Roux : Ben oui ! Les transports, parce que c'est fini, on ne pourra plus aller essayer sa grosse voiture sur les autoroutes allemandes ou belges. Désormais, il y aura des sanctions au niveau européen. Plus personne ne pourra passer entre les mailles du filet. Ca été décidé, hier, par les Vingt-Sept. Qu'est-ce que ça va changer concrètement pour les automobilistes ?
 
Concrètement, je crois que ça nous est tous arrivé un jour ou l'autre de respecter la limitation de vitesse et d'être doublés par une voiture immatriculée dans les pays que vous venez de nommer, et se dire « pourquoi lui il n'est pas sanctionné ? ». Concrètement, c'est quoi ? C'est la fin d'une injustice et d'une impunité. Concrètement, ça signifie que cette directive européenne qui va être adoptée d'ici l'année prochaine, eh bien permettra à chaque pays où a été commis l'infraction d'avoir l'adresse du contrevenant, même s'il est immatriculé à l'étranger. Ce n'est pas un détail. Ce n'est pas un détail, pourquoi ? Il faut savoir que 25 % des contraventions, des infractions au code de la route en France sont commis par des voitures immatriculées à l'étranger. Ca monte jusqu'à 50 % en période estivale, et le pompon c'est pour les zones frontalières puisque 75 % des infractions commises dans les zones frontalières le sont par des véhicules immatriculés à l'étranger.
 
M. Biraben : C'est la même chose quand ce sont les Français qui sont à l'étranger.
 
Absolument ! Non, non, mais la même chose. Il est évident que les Français qui ne respectent pas le code de la route en Italie ou en Allemagne pourront être sanctionnés. Mais, vous savez, on est le pays le plus touristique, on est un pays qui géographiquement est au centre des grandes routes de l'Europe. Il y a aussi beaucoup d'étrangers qui ne respectent pas le code de la route en France et qui désormais seront traités comme les Français. C'est la fin d'une injustice.
 
C. Roux : Alors, les sanctions qui seront appliquées seront celles du pays dans lequel l'infraction est commise ou le pays d'origine du conducteur ?
 
Non, le pays dans lequel l'infraction a été commise.
 
C. Roux : Et est-ce que vous garantissez que tous les conducteurs européens seront logés à la même enseigne, parce que les règles ne sont pas les mêmes selon les pays ?
 
Écoutez, si vous commettez un excès de vitesse, vous grillez un feu rouge en France, que vous soyez Français, Belge ou Tchèque, vous aurez exactement la même amende, c'est-à-dire, en clair, le code de la route s'appliquera de la même manière pour tout le monde. Il nous faut encore quelques mois mais c'est un pas dans la bonne direction.
 
C. Roux : C'est lourd, quand même, d'aller retrouver un conducteur à l'étranger. Ca, ce sont des procédures qui vont prendre du temps, non ?
 
Concrètement, c'est très simple : si c'est une voiture immatriculée en Allemagne, par exemple, la France enverra la copie du PV, et l'Allemagne doit nous communiquer l'adresse et l'identité de la personne, et vice-versa si c'est un Français qui commet une infraction en Allemagne.
 
M. Biraben : Donc, ça rapportera plus que ça ne coûtera, c'était la question de Caroline.
 
Ce n'est pas une histoire de rapporter ou de coûter.
 
M. Biraben : Ah !
 
Ce qui rapporte en tout cas c'est l'effort qui a été accompli sur l'insécurité routière. C'est agaçant, ça ennuie, mais c'est des milliers de morts économisés.
 
M. Biraben : Un petit peu de politique maintenant.
 
C. Roux : Oui, je vous cite une phrase de J.-P. Raffarin qui dit que « Le Gouvernement a une base rétrécie », et il dit « Je crois que N. Sarkozy corrigera ce déséquilibre ». Est-ce que le Gouvernement est déséquilibré et mérite d'être rééquilibré au centre ?
 
Quand on fait un gouvernement réduit - aujourd'hui il n'y a que trente ministres, c'est, je crois, un record - il y a toujours plus de déçus que de satisfaits. Est-ce que le Gouvernement est déséquilibré ? Je ne pense pas. Ecoutez ! Franchement, quand je vois la présence de M. Mercier à la Justice, quand je vois P. Richert, quand je vois M. Leroy, ou par exemple L. Wauquiez, qui est l'hériter de J. Barrot, j'ai quand même l'impression que les centristes sont bien représentés dans ce Gouvernement. Après, il y a des déceptions légitimes quand on n'est pas dans un gouvernement, j'ai vécu ça, je connais.
 
C. Roux : Oui, parce qu'on a rappelé en commençant l'émission que vous nous aviez dit la dernière fois que vous êtes venu que ça n'était pas votre priorité d'être ministre. Bon, vous êtes ministre, comment vous allez faire ?
 
Ben écoutez, ce n'était pas ma priorité. Je vais même vous confier un secret : c'est que le dimanche matin je rentrais d'un meeting à l'étranger avec des Français, que l'après-midi je faisais la sieste. Enfin, je faisais la sieste, je m'étais levé tellement tôt que j'ai dormi jusqu'à 18 h et à 18 h j'ai allumé mon répondeur, et je me suis aperçu qu'il y avait certains messages qui nécessitaient qu'on rappelle vite. Donc, ce n'était pas mon obsession.
 
C. Roux : Mais quand vous avez appelé, vous n'avez pas dit c'est pas ma priorité.
 
Vous réfléchissez et puis vous dites que, finalement... Je pense qu'il y a dix-huit mois, il y a un formidable défi pour la France, on a un président de la République, N. Sarkozy, qui décide de faire bouger ce pays. Et puis, quand on m'a proposé par exemple de travailler avec quelqu'un comme N. Kosciusko-Morizet, où on n'a pas la même culture, eh bien je me dis aussi que c'est intéressant de travailler en équipe, et je pense que dans ce ministère où il y a des préoccupations en ce qui me concerne, concernant les transports mais aussi où il faut réaliser ce grand Grenelle de l'environnement, eh bien on peut faire ensemble une bonne équipe, on peut travailler dans le bon sens.
 
M. Biraben : Ca s'appelle le grand écart.
 
Non, ce n'est pas le grand écart ! (.../...)
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 7 décembre 2010