Déclaration de M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, sur les pistes de réforme de la fiscalité du patrimoine, la refonte ou la suppression du bouclier fiscal et de l'impôt sur la fortune, Paris le 3 mars 2011.

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Circonstance : Colloque fiscalité du patrimoine, à Paris le 3 mars 2011

Texte intégral

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d’avoir assisté à cette passionnante journée de débats qui, je le crois, était nécessaire pour initier un élan de réflexion sur les évolutions de notre fiscalité du patrimoine.
Je salue encore une fois les élus, les représentants d’organisations professionnelles, les économistes et les experts qui nous ont fait l’honneur de partager avec nous leur réflexion, et nous ont permis d’avancer sur un sujet d’une importance capitale pour la compétitivité de notre pays.
Je tiens à saluer plus particulièrement les parlementaires qui ont accompagné la réflexion du Gouvernement au cours de ces dernières semaines, certains d’entre eux ont participé sur la tribune à nos débats de la journée. Leurs idées, leur esprit d’ouverture ont nourri de longues séances de réflexion collective, Christine LAGARDE en a été avec moi le témoin, d’une qualité et d’une intensité rares.
Le Président de la République et le Premier ministre m’ont confié le pilotage de cette réforme majeure. Conformément à son souhait, nous avons fixé un calendrier resserré, avec pour objectif de parvenir à un projet de loi examiné au Parlement avant l’été 2011.
Nous avons souhaité dès l’origine que ce projet soit le fruit d’une réflexion collective, car la question qui nous est posée est au cœur du consensus démocratique : c’est bien autour du consentement à l’impôt que se sont construit les Parlements. C’est sur l’idée de sa juste répartition en fonction des capacités contributives de chacun que s’est construit notre pacte républicain.
C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous accueillir aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité mobiliser le plus grand nombre d’acteurs d’horizon divers : pour faire vivre ce débat.
Je ne reviendrai pas sur les raisons qui nous ont conduit à ouvrir cette réflexion : Christine LAGARDE avant moi a montré les limites d’un système au bord de l’implosion, et l’urgence qui s’attache à sa réforme.
Il me revient à présent, non pas de clore prématurément le débat, mais d’évoquer devant vous certaines lignes directrices qui nous apparaissent clairement et qu’il me paraît utile de partager pour organiser notre réflexion collective. Je le ferai en deux temps : d’abord pour tracer les exigences attachées à cette réforme, ensuite pour esquisser avec vous quelques pistes de réflexion.
I – LES EXIGENCES DE LA REFORME
Première exigence : la réforme devra se faire dans le respect de l’équilibre de nos finances publiques. Le Gouvernement s’est engagé avec détermination dans un programme de maîtrise des déficits publics, qui exige de contenir les dépenses de l’État, mais aussi de ne pas saper ses ressources. Il ne déviera pas de la route qu’il s’est tracée.
Mais au-delà même de cet impératif, financer la réforme par le déficit reviendrait à en faire peser le poids sur les générations futures. Ce n’est pas une option. Toute réforme de la fiscalité du patrimoine devra être opérée à recettes constantes.
Deuxième exigence : la réforme ne devra être financée que par des contribuables aujourd’hui à l’ISF. Si par nature toute réforme fiscale équilibrée conduit à des transferts de charge, il ne serait pas acceptable que ces transferts conduisent à faire porter aux classes moyennes un allègement d’impôt qui profiterait aux plus aisés.
Notre responsabilité, c’est de trouver une manière plus équitable et plus efficace au plan économique d’appeler la contribution aux charges collectives des plus fortunés de nos concitoyens. Cela nous conduira peut être à réviser la manière dont nous apprécions leur capacité contributive et leur participation au bien-être collectif.
? Cela signifie que nous ne pouvons financer la suppression de l’ISF en augmentant la tranche marginale de l’impôt sur le revenu ou en créant une nouvelle tranche. Je sais que la tentation existe, mais il faut bien comprendre ce que cela signifie : ce serait en réalité faire porter à 300 000 actifs (53 ans de moyenne d’âge), dont seulement un tiers paie l’ISF - car ils sont dans une phase d’accumulation de leur patrimoine - un allègement bénéficiant à 600 000 personnes majoritairement inactives (66 ans de moyenne d’âge) et dont 20% seulement sont à la tranche marginale de l’IR. En un mot, transférer l’impôt de ceux qui ont accumulé de la fortune vers ceux qui tentent de s’en constituer une par leur travail. Ce n’est pas le projet de société que porte ce Gouvernement.
? Cela signifie que le Gouvernement n’imposera pas les plus-values réalisées sur la résidence principale. Ce n’est pas un scoop : la résidence principale, vous le savez, n’est pas un bien comme un autre. Le Gouvernement s’engage à ne pas faire peser sa réforme fiscale sur la résidence principale, car cela reviendrait à organiser un transfert de charges vers les classes moyennes qui sont propriétaires de leur logement.
? Cela signifie également que nous ne reviendrons pas sur les mesures d’allègement sur la transmission du patrimoine votées dans le cadre de la loi TEPA.
Dernier point : j’exclus d’intégrer les impôts locaux au périmètre de notre réforme. Cela ne signifie pas que nous interdisons toute réflexion sur la fiscalité locale. Mais outre le fait que celle-ci a déjà connu un bouleversement majeur avec la réforme de la taxe professionnelle, la fiscalité locale charrie des enjeux différents de ceux que nous examinons actuellement, et qui ont par ailleurs un lourd impact financier sur les collectivités. Ne nous compliquons pas inutilement la tâche.
II – LES PISTES DE REFLEXION
Ces jalons étant posés, comment trouver la voie qui concilie toutes ces exigences ?
A/ Certains ont caressé l’idée de supprimer le bouclier fiscal et la première tranche de l’ISF, tout en maintenant un plafonnement de l’ISF et de l’IR à 70% des revenus.
Ce serait en quelque sorte une forme de « retour aux sources », à une époque, celle de la création de l’ISF, où le plafonnement n’était pas plafonné, où le taux marginal de l’ISF était de 1,5%, contre 1,8% aujourd’hui.
Certes, cette solution conservatrice ne manque pas d’attraits quand on est confronté à une équation complexe : elle a l’avantage de limiter les effets de transfert, de supprimer le bouclier dans sa forme actuelle et de régler à court terme le problème de l’imposition de la résidence principale.
Mais cette logique de court terme est-elle réellement à la hauteur de nos ambitions ? Maintenir un mécanisme de plafonnement, n’est-ce pas reconnaître qu’au fond, nous n’avons pas su éradiquer les vices de conception de cet impôt ?
L’inclinaison naturelle de ce Gouvernement n’est pas de regarder dans le rétroviseur, mais plutôt de construire un système moderne et pérenne, adaptée aux exigences de notre temps.
B/ Deux scénarios émergent de nos réflexions :
Ces deux scénarios de vraie réforme ont un point commun : parce qu’ils reposent sur des réformes ambitieuses, ils rendent possibles la suppression pure et simple du bouclier. Ils concilient ainsi les deux objectifs majeurs de toute réforme de la fiscalité du patrimoine : l’exigence de compétitivité et l’exigence d’équité.
1)Le premier scénario est radical : il consiste en une suppression du bouclier fiscal et de l’ISF, qui seraient remplacés par une imposition sur la richesse tirée du patrimoine.
Ce scénario offre la possibilité de moderniser l’imposition du patrimoine, en taxant uniquement les flux plutôt que les stocks. Mais sans le faire au détriment de ceux qui créent de la richesse, et sans alourdir le poids d’impositions qui sont déjà très lourdes – vous l’avez vu dans la présentation qui m’a précédé – par comparaison avec les pratiques internationales.
La philosophie d’un tel scénario reposerait sur 3 piliers :
1 - Premier pilier : seuls les hauts patrimoines aujourd’hui à l’ISF seraient concernés. L’imposition ne concernerait que les foyers qui sont aujourd’hui soumis à l’ISF, ou qui le seraient demain si cet impôt était maintenu. Il y a donc une identité de redevables entre ceux qui sont soumis à l’ISF et ceux qui seraient soumis à la nouvelle imposition.
L’imposition nouvelle ne concernerait cependant que les plus hauts patrimoines, c’est-à-dire ceux supérieurs à 1.3 M€, seuil qui resterait calculé, par souci de simplicité, selon les modalités actuelles et connues de tous les redevables de l’ISF.
2 - Le second pilier : seul l’enrichissement net serait imposé.
Le nouveau régime consiste à taxer au taux unique de 19% non plus la richesse elle-même, comme actuellement avec l’ISF, mais l’enrichissement. Cet enrichissement s’apprécierait en comparant la valeur d’ensemble du patrimoine au 1er janvier et sa valeur au 31 décembre de l’année d’imposition.
Le dispositif est donc très simple et équitable :
i)Celui qui s’enrichit restitue à la collectivité 19% de cette richesse supplémentaire ;
ii)Celui qui s’appauvrit, car la valeur de son patrimoine a diminué, ne supporte pas d’imposition. C’est là une différence fondamentale avec l’ISF. En outre, dans l’hypothèse d’un appauvrissement, cette perte de valeur viendrait en déduction des enrichissements réalisés au cours des dix années suivantes.
Deux actifs feraient exception :
La résidence principale, je l’ai déjà évoqué.
Les titres de PME non cotées, parce que leur valorisation est complexe et parce que le Gouvernement veut encourager l’investissement dans ces entreprises, comme le fait aujourd’hui l’ISF.
Des outils simples et sécurisants seraient mis à la disposition des contribuables pour évaluer la valorisation de leurs biens immobiliers. Dans le même souci de simplicité, cet impôt pourrait, dans de nombreuses situations, être prélevé à source.
3 – Le troisième pilier : la neutralité
Il n’est pas question, comme aujourd’hui pour l’ISF, de taxer deux fois les mêmes actifs : pendant leur détention et au moment de leur cession. La nouvelle imposition viendrait donc en déduction de l’impôt dû en cas de cession. On supprimerait ainsi les doubles impositions en même temps que l’on supprimerait tous les dispositifs qui permettent aujourd’hui à certains patrimoines d’accumuler des revenus parfois considérables en échappant à toute imposition.
Vous le voyez, l’esprit d’une telle approche, c’est bien de taxer un flux plutôt qu’un stock.
C’est une réforme de compétitivité économique car elle finance la suppression de l’ISF, en élargissant l’assiette plutôt qu’en augmentant des taux déjà élevés. Parce qu’elle neutralise, en appliquant un taux transversal, un biais curieux de notre fiscalité, qui favorise le placement dans des fonds sans risques plutôt que le placement en actions.
C’est aussi une vraie réforme de justice fiscale : là ou l’ISF pouvait appauvrir celui dont la fortune restait inchangée, voire diminuait, c’est bien l’accroissement de la fortune qui serait ainsi taxée. Surtout, cette taxation se ferait de manière simple, globale et sans échappatoire.
2) Le second scénario consisterait à supprimer non seulement le bouclier fiscal mais aussi les causes du bouclier fiscal, c’est à dire à refondre profondément l’ISF.
Sans faire disparaître l’ISF, il s’agit d’en corriger ses principaux défauts :
L’ISF souffre d’abord d’une dynamique absurde, qui a fait entrer en une décennie 300 000 ménages dans son champ, sous le seul effet de la flambée des prix de l’immobilier. Est-on plus riche quand on n’a jamais quitté sa résidence principale mais que le marché s’emballe autour de soi ? Le même ménage dans la même maison et avec le même revenu est-il plus riche en 2011 qu’il ne l’était en 2000 ?
Exclure la résidence principale de l’assiette de l’ISF est assurément une voie tentante, mais elle peut créer d’autres iniquités, entre la maison à 300 000 € et l’hôtel particulier à 15 M€, entre les grandes villes et les moins grandes villes, entre le cadre qui déménage temporairement pour son emploi et les autres.
A ce stade de la réflexion, le Gouvernement dans cette hypothèse privilégie la suppression de la 1ère tranche de l’ISF.
L’ISF souffre ensuite d’un barème absurde, déconnecté des réalités économiques. En 1982, le rendement des obligations d’Etat était de 15%. Fixé à 1,5%, le taux marginal de l’ISF appréhendait, en sus de l’impôt sur le revenu, 10% de ce rendement.
En 2010, avec un rendement de l’ordre de 3.6%, le taux marginal appréhende la moitié de ce revenu ! Il ne faut pas s’étonner qu’on ait été obligé d’appliquer des mécanismes de plafonnement, qui en réalité tuent la progressivité de l’ISF : par leur effet, le taux réel d’ISF supporté par les grandes fortunes est très éloigné du taux apparent.
C’est pourquoi le Gouvernement réfléchit à un barème rénové, simple, lisible, applicable à l’ensemble du patrimoine, autour de 2 taux qui pourraient être de 0,25% et 0,5%. A 0,5%, le rapport entre l’ISF et le rendement réel des actifs resterait supérieur à ce qu’il était en 1982 et ce taux serait supérieur au taux réel supporté aujourd’hui par de nombreuses fortunes par l’effet de divers plafonnements, bouclier et réductions d’impôts.
L’ISF souffre enfin de son excessive complexité et du caractère parfois inquisitorial des déclarations qu’il impose à ses assujettis. Pour pallier ces défauts, le Gouvernement réfléchit à une simplification de l’impôt.
Les redevables assujettis au taux de 0,25% se contenteraient de déclarer globalement leur patrimoine sur leur déclaration d’impôt sur le revenu. Leur ISF serait intégré à l’avis d’imposition d’impôt sur le revenu. Ces simplifications pourraient concerner plus de 200 000 contribuables.
En résumé, n’est-il pas possible de créer un impôt simple ? Un barème réaliste ? Une imposition sans plafonnement, sans niches et sans détours ? Voici l’axe de réflexion que vous propose le Gouvernement.
Pour en terminer sur ces scénarios, je veux dire qu’ils n’épuisent pas le débat.
D’autres réflexions ont cours, au Gouvernement comme dans la majorité :
Comment par exemple mettre à contribution les non-résidents qui bénéficient des services publics français sans toujours contribuer à leur financement à la hauteur de leur capacité contributive ?
Comment appréhender le revenu de celui qui s’expatrie, non pour des raisons professionnelles, mais seulement le temps d’échapper à la taxation de sa plus-value ?
Nous réfléchissons à des mesures qui permettraient d’inclure ces cas de figure dans notre fiscalité. Bien entendu, cela ne vise pas les Français qui travaillent à l’étranger et qui contribuent par leur activité au rayonnement international de notre pays.
Le Premier président de la Cour des comptes remettra demain au Président de la République un rapport sur la convergence fiscale franco-allemande : le système allemand peut être, en ce domaine, une source d’inspiration. Voici des questions auxquelles nous devrons répondre d’ici le printemps.
Mesdames et Messieurs,
Vous le voyez, les deux grandes pistes de réformes qui émergent de cette journée de réflexion sont très différentes les unes des autres.
Elles ont en commun de mettre tous les termes du débat sur la table : quel type d’impôt voulons-nous ? Faut-il aller vers la suppression de l??ISF, comme la plupart de nos voisins européens, ou simplement l’aménager ? Dans cette dernière hypothèse, comment faire de l’ISF un impôt moderne et juste ?
Pour conclure cette journée, je souhaiterais rappeler que le Gouvernement n’a pas pris de décision à ce stade.
Il souhaite faire vivre le débat en fixant simplement un cap : l’ambition de construire un système juste, efficace économiquement, simple et lisible pour tous. Ce n’est pas avec des demi-réformes que nous serons à la hauteur du mandat que nous ont confié les Français.
Je vous donne rendez-vous aux prochains débats sur la fiscalité du patrimoine et souhaite que le projet de loi que nous porterons au début de l’été soit le reflet de ce travail de concertation et de réflexion.
Je vous remercie.
Source http://www.budget.gouv.fr, le 4 mars 2011