Interview de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer, dans "L'Express" du 20 avril 2011, sur les mesures adoptées pour lutter contre la crise sociale aux Antilles, les évolutions institutionnelles de la Martinique, de la Guyane et de Mayotte, et le "coup de rabot" sur les niches fiscales.

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Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express

Texte intégral

- Deux ans après la crise sociale qui a touché
les Antilles, quel bilan tirez-vous, sachant que
de nombreuses voix se sont élevées pour dire
que, finalement, rien n'avait vraiment changé ?
L'Express publie des chiffres toujours aussi
lourds sur la précarité et le chômage, tandis
que les écarts de prix entre les DOM et la
métropole sont toujours aussi élevés.
Depuis la crise sociale, il y a eu des états
généraux, puis un conseil interministériel de
l'outre-mer qui ont mis en place des outils de
régulation et de contrôle pour aller vers plus de
concurrence, synonyme de baisse des prix.
Dans le secteur alimentaire, cela s'est traduit
par un meilleur encadrement pour limiter la
concentration des entreprises et inciter l'arrivée
de grandes marques de la distribution [NDLR :
E. Leclerc à la Martinique].
De même, dans le secteur des
télécommunications, un opérateur a été
contraint de payer une lourde amende [NDLR :
63 millions d'euros pour France Télécom] pour
avoir freiné le développement de la
concurrence. Et on a obtenu à l'échelon
européen le maintien de l'aide au fret afin de
pallier les contraintes liées à l'éloignement des
outre-mer. Grâce au soutien financier de l'Etat,
le programme Défi à la Réunion a permis en
janvier dernier une baisse de 8 à 20 % sur plus
de 80 produits issus de l'agriculture "pays".
Toutefois, ce n'est pas l'Etat qui fixe les prix
mais la loi de l'offre et de la demande. En ce
sens, il y a aussi un changement des
comportements à encourager : le
consommateur est aussi un régulateur. Il vaut
mieux parfois acheter des yaourts fabriqués sur
place plutôt que ceux produits en métropole.
- En 2010, l'une des actualités majeures de
votre ministère a porté sur l'évolution
institutionnelle de la Martinique et de la Guyane
vers une collectivité unique, en lieu et place du
conseil régional et du conseil général.
Qu'attendez-vous exactement de cette réforme
et a-t-elle pris du retard ?
Il n'y a aucun retard dans le processus de mise
en œuvre des collectivités uniques. Un an
après le référendum, deux projets de loi ont
été adoptés par le Conseil des ministres. Ils
seront examinés par le Sénat au début du mois
de mai. Une fois le texte voté par le Parlement,
dès élections seront organisées pour désigner
chaque assemblée. Et le 31 décembre 2012 au
plus tard, la Martinique et la Guyane
disposeront de leur propre collectivité unique.
Je rappelle que le rôle du gouvernement
consiste à accompagner cette réforme, initiée
par le président de la République, qui s'est faite
à la demande des élus locaux, avant d'être
acceptée par les électeurs. Elle vise à simplifier
la gestion politique avec plus d'efficacité : la
collectivité unique possédera les compétences
de la région et du département, mais il n'y aura
plus qu'un seul budget et une seule assemblée
décisionnaire. D'un côté, on simplifiera le
fonctionnement et le coût de la collectivité, de
l'autre, on gagnera en rapidité et en lisibilité
politique.
- Que va-t-il se passer pour les élus en
Guadeloupe et à la Réunion ?
Ce que les élus souhaiteront… Il ne s'agit pas
de décider à Paris ce qui est bon ou non pour
les DOM-TOM. Notre Constitution prévoit les
outils nécessaires pour décider de la nature des
relations qu'ils veulent avoir avec la métropole.
La Guadeloupe n'était pas prête à une telle
évolution et la Réunion n'en voulait pas.
Maintenant, la balle est dans le camp des élus,
mais il n'y a aucun désir de l'Etat d'aller vers un
changement institutionnel à tout prix : Notre
seule volonté, c'est de tendre vers un statut à la
carte. Demain, nous aurons peut-être autant
d'organisations institutionnelles que de
territoires, parce que chacun d'eux a une
histoire différente avec la métropole et des
besoins propres. C'est pourquoi nous parlons «
des » outre-mer.
- Dans les rapports métropole-DOM, il est une
notion que vous souhaitez voir s'étendre, celle
du "développement endogène", De quelle façon
?
Longtemps, on a laissé penser que le
développement des territoires d'outre-mer
reposait essentiellement sur les apports
extérieurs. C'était le sens des premières lois de
défiscalisation.
Aujourd'hui, on constate que cela n'est pas
suffisant. Il existe une autre voie, qui consiste à
développer ces territoires à partir de leur
potentialité : la Guadeloupe et la Martinique
peuvent faire plus en matière d'élevage et
d'agriculture, tout comme la filière bois en
Guyane laisse augurer d'extraordinaires
possibilités de développement, notamment à
l'exportation. Il faut se battre dans les secteurs
à forte valeur ajoutée. On ne peut pas rester
avec un niveau d'importations de 80%. Nous
avons un marché intérieur à reconquérir tout
en créant au niveau régional- la Caraïbe pour
les Antilles - des produits que l'on pourra
exporter en direction des pays voisins. Mais ces
développements ne doivent pas non plus se
faire au détriment des activités traditionnelles
comme la canne à sucre et la banane.
- Dans sa politique de réduction des dépenses
publiques, le gouvernement s'est lancé dans
une chasse aux niches fiscales. Celles
concernant les DOM ont-elles été
particulièrement visées (lois Scellier, aide au
photovoltaïque, etc.) ?
Le "coup de rabot" sur les niches fiscales a
préservé le domaine essentiel du logement
social. Idem dans l'investissement productif (loi
Girardin industriel) où l'effort porte non sur
l'opérateur ultramarin mais sur celui qui
défiscalise. En ce sens, les investissements
productifs ne devraient pas subir de coup
d'arrêt. Maintenant, concernant le
photovoltaïque, il y a eu par le passé des effets
d'aubaine : outre la défiscalisation sur le
matériel photovoltaïque, EDF doit racheter
l'électricité à un prix précis qui fait que le
dispositif était extrêmement rentable.
Le gouvernement a souhaité mettre de l'ordre.
Pour autant, en l'absence d'alternative, une
réflexion est engagée pour soutenir le
développement des énergies renouvelables
indispensables pour tendre vers l'autonomie
énergétique des outre-mer.
- Toujours dans le domaine des avantages, le
sursalaire des fonctionnaires, stigmatisé,
notamment par les acteurs économiques
ultramarins qui y voient une déstabilisation du
marché du travail, peut-il être remis en
question ?
Vous le dites : ce n'est pas le gouvernement
qui a mis ce sujet sur la table, mais les élus,
puis le monde économique, d'abord à la
Réunion, ensuite en Guadeloupe. Pour nous, ce
n'est pas un sujet tabou, mais on ne peut pas
tout aborder de front lorsqu'on a en
responsabilité des territoires aussi fragiles, avec
des marchés étroits et dont l'économie est à ce
point soutenue. Les Antilles ont traversé une
lourde crise en 2009. Ce n'est pas au moment
où l'on s'en remet qu'il convient d'aborder ce
dossier, surtout dans un climat aussi
passionnel. La question du sursalaire n'est donc
pas une priorité.
- Le 31 mars dernier, Mayotte est devenu le
1O1e département français. Après la liesse des
cérémonies, quelles vont être les difficultés
pour intégrer ce territoire à la République ?
L'Etat porte une attention particulière à
Mayotte. Le gouvernement a anticipé cette
intégration : depuis 2007, 3 lois et 17
ordonnances ont été publiées et nous en avons
23 en préparation. On a interdit toute nouvelle
union polygame, supprimé la justice cadiale
(tribunaux coutumiers), relevé l'âge légal du
mariage (18 ans au lieu de 15), revalorisé
certaines allocations et mis en place les
premières prestations sociales (à un niveau
adapté pour ne pas déstabiliser l'économie
locale). Certains trouvent déjà que cela ne va
pas assez vite ? Mais il a fallu un demi-siècle
pour faire la départementalisation de la
Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane ou
de la Réunion ! On s'est donné vingt-cinq ans
pour Mayotte, ce qui, déjà, me semble
particulièrement ambitieux.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 9 mai 2011