Interview de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer, dans "Le journal de l'Ile de la Réunion" du 20 mai 2011, sur le développement régional, la réduction des niches fiscales et la hausse des prix, notamment des carburants.

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Média : Journal de l'Ile de la Réunion

Texte intégral

- Avec la polémique sur le RSA et le débat récurent sur l'assistanat, les politiques développées dans l'île ces vingt dernières années sont elles toujours tenables dans le contexte budgétaire actuel ?

La France, en métropole comme à La Réunion, s'honore de protéger ses concitoyens lorsque ceux-ci traversent des accidents de la vie. Protéger n'est pas assister. Le Président de la République et ce Gouvernement ont toujours voulu valoriser le travail et l'effort. C'est le sens du remplacement du RMI par le RSA. Le RSA est une avancée sociale majeure de ce quinquennat qui apporte, je le rappelle, une réponse véritable aux travailleurs qui tirent de faibles ressources de leur activité. Comme toute réforme d'importance, il faudra l'évaluer le moment venu pour vérifier que ce système répond efficacement aux objectifs fixés. La solidarité nationale joue sur l'ensemble du territoire et il n'est pas question d'en réduire la portée à La Réunion ni nul part ailleurs.

- Récemment, le Premier ministre mauricien a laissé entendre que les Réunionnais étaient des assistés, contrairement aux Mauriciens qui avaient le culte de l'effort. Qu'en pensez-vous ?

Je ne vais pas éluder votre question car je sais comment elle a été vécue à La Réunion. J'y répondrais, si vous le permettez, en trois points : d'abord pour dire qu'à mes yeux, les Réunionnais possèdent des valeurs de tolérance unanimement reconnues, des valeurs républicaines : il y a une volonté d'entreprendre que nul ne peut contester. J'en veux pour preuves les performances de nombre de filières de l'économie réunionnaise. Les Réunionnais sont aussi porteurs de valeurs patriotiques, comme le démontre le lourd tribut qu'ils paient pour défendre la paix dans le monde, et singulièrement en Afghanistan. Ensuite pour rappeler que La Réunion c'est la France et c'est aussi l'Europe. Nos Lois s'y appliquent, et les règles européennes également. On peut les trouver très protectrices. Mais notre modèle de société, c'est aussi notre fierté.

- La coopération risque-t-elle d'en pâtir ?

Je n'ai aucun doute sur la volonté des Mauriciens de coopérer avec la Réunion, notamment dans le domaine du tourisme, de l'énergie, de la sécurité alimentaire et de la recherche médicale. Pour concrétiser cette volonté commune, j'ai annoncé à l'occasion du présent déplacement que nous allons ensemble offrir, dans le cadre du programme "îles vanille", la possibilité aux ressortissants chinois, russes, indiens et sud-africains de se voir délivrer, dans un premier temps à titre expérimental, des visas à l'arrivée à l'aéroport de Gillot, s'ils viennent de Maurice. Je n'ai pas non plus de doutes sur notre souhait partagé de voir nos entreprises travailler ensemble, dans une optique gagnant-gagnant. Nous en sommes convaincus avec le Premier ministre mauricien : Maurice et la Réunion sont des "iles sœurs" qui ont vocation à s'unir sur des projets communs, pour leur profit mutuel et celui de toute la famille des Etats insulaires de l'océan indien qui les environnent. Tournons-nous vers l'avenir. La Réunion et Maurice peuvent et doivent devenir le "couple moteur" de cette partie du monde. Concentrons-nous sur ce qui nous réunit et sur ce qui nous rassemble. Et faisons des affaires ensemble.

- A un an de la présidentielle, la majorité des acteurs économiques considère que vos différentes mesures (rabotage de la défiscalisation, remise en cause du photovoltaïque et de l'immobilier) ont cassé la croissance de l'île. Quel est votre sentiment ? Que leur répondez-vous ?

D'abord je suis en contact permanent avec les acteurs économiques de La Réunion, que ce soit la CCI ou le Medef par exemples. Je peux vous dire que ces derniers ne considèrent pas l'Etat responsable de tous leurs maux, bien au contraire : tout le monde admet que la défiscalisation dans l'immobilier libre avait atteint sa limite et provoqué des effets pervers, en particulier au détriment du logement social. Il y a une reconnaissance partagée de l'impact très positif de la défiscalisation du logement social, qui a été totalement préservée à ma demande au moment du "rabotage". Il faut savoir que La Réunion en bénéficie pleinement, que ce soit le secteur du BTP, l'emploi et, en définitive, les ménages qui cherchent à se loger dans le parc social. En 2010, la défiscalisation du logement social a représenté l'équivalent de plus de 100 millions d'euros de subvention pour La Réunion. 100 millions qui s'ajoutent aux 93 millions d'euros accordés par l'Etat au titre de l'aide à la pierre. Ainsi, ce sont 3 563 logements neufs qui ont été ainsi financés en 2010, en progression par rapport aux trois dernières années. Ensuite, s'agissant de la réduction des niches fiscales engagée par le Gouvernement, il convient de souligner qu'on s'est attaché à faire porter l'effort de rationalisation sur les contribuables qui défiscalisent et non sur les entrepreneurs situés à La Réunion : en effet, nous avons fait valoir la spécificité de la défiscalisation outre-mer dont une part significative n'est pas conservée par le contribuable mais est rétrocédée aux opérateurs économiques. Rien n'indique aujourd'hui que cette réforme a conduit à une remise en cause de l'attractivité de la défiscalisation au détriment des projets portés localement.

- Et le photovoltaïque ?

Les acteurs économiques réunionnais ont été les premiers a dénoncé la bulle spéculative qui s'était constituée dans ce domaine. La réforme était donc justifiée dans son principe ; comme vous le savez, une commission doit nous rendre ses conclusions dans les prochaines semaines sur les aménagements qui pourraient être effectués. Alors, il faut être sérieux, ce n'est pas la politique du gouvernement qui a affecté la croissance à La Réunion, mais ce sont la crise financière internationale et la fin d'un cycle de grands chantiers. La politique du Gouvernement, au travers de la LODEOM, est venue au contraire dynamiser les outils disponibles pour la croissance et l'emploi. Je pense aux exonérations de charges sociales et aux zones franches d'activité. Ceci dit, il faut savoir que La Réunion est entrée dans la crise plus tardivement que la métropole et que de nombreux pays, et il est probable également que la sortie de crise soit un peu décalée. C'est pourquoi je m'attache à renforcer le soutien à l'activité en ce moment, en particulier dans le domaine du logement social où les besoins des Réunionnais sont très importants.

- A la Réunion, le prix des carburants est aujourd'hui supérieur à la moyenne nationale. Les transporteurs, les professionnels réclament un gel des bénéfices réalisés localement par les compagnies pétrolières. Y êtes-vous favorable ?

Il n'est pas exact de dire que les prix à la Réunion sont tous supérieurs de ceux en métropole. Le prix moyen constaté en métropole est actuellement de 1,55€/l sur le sans plomb (3 centimes de plus à La Réunion) et 1,33€/l sur le gazole (8 centimes de moins à La Réunion). On peut donc dire qu'on est au même niveau de prix et même à un niveau légèrement inférieur pour La Réunion compte tenu de l'importance du parc de véhicule diesel. Ceci dit, c'est vrai que les prix se situent, Outre-mer comme en métropole et dans le monde entier, à un niveau très élevé. Le Gouvernement a donc pris la décision début avril de revaloriser de 4,6% le barème kilométrique, qui concerne les professionnels utilisant leur véhicule dans le cadre de leur travail, y compris bien-sûr à La Réunion. Cette mesure est financée à hauteur de 115 millions d'euros par les compagnies pétrolières, qui voient donc leurs bénéfices réduits d'autant. Il faut enfin rappeler que grâce à la réforme que j'ai engagée sur l'administration des prix des carburants, les marges sont fixées de manière transparente, après consultation de l'observatoire des prix et des revenus, et ce, une fois par an. A La Réunion, les marges sont réglementées par l'Etat, ce qui n'est pas le cas en métropole.

- Depuis les états généraux de l'Outre-mer, le gouvernement s'est déclaré partisan d'un développement endogène. A l'exception de quelques mesures prises ici en faveur de la filière bovine, où en est aujourd'hui ce concept ?

Le développement endogène est une orientation majeure que ce gouvernement entend insuffler dans sa politique économique vis-à-vis des Outre-mer. Pourquoi ? Parce que nous pensons que le développement des territoires ultramarins doit prioritairement passer par la valorisation des productions locales et l'exportation de ces productions vers les pays environnants. Le Conseil interministériel de l'Outre-mer a arrêté dans cet esprit une série de mesures destinées à favoriser l'émergence de ce nouveau développement. Le gouvernement a ainsi nommé trois commissaires au développement endogène dont un pour Mayotte et La Réunion. Ses objectifs sont clairs : il s'agit de structurer les filières pour créer des synergies et aider à être plus compétitif à l'export. Le programme DEFI dans la filière viande est particulièrement exemplaire à La Réunion. Nous allons désormais nous atteler à suivre la même logique avec la filière des fruits et légumes. J'ai confiance dans l'agriculture et dans l'élevage à La Réunion et j'ai confiance dans les capacités des réunionnais à conquérir des parts de marché à l'export !

- En quoi la réforme territoriale vous semble un bon choix pour la Réunion au regard des autres voies institutionnelles choisies par la Guyane et la Martinique ?

Ce gouvernement a toujours indiqué qu'une évolution institutionnelle pouvait être envisagée dans un territoire en Outre-mer à partir du moment où la Constitution le permet. Dans cet esprit, les élus de la Guyane et de la Martinique ont exprimé le souhait de proposer une évolution statutaire aux électeurs. Une collectivité unique sera donc installée dans ces départements conformément au vote des guyanais et des martiniquais. Mais l'Etat a également indiqué qu'il ne solliciterait pas les élus sur ce point. Ce sont ces derniers qui doivent en faire la demande à l'Etat. Jamais les élus de La Réunion n'ont formulé de demande de consultation au Président de la République pour soumettre au vote des réunionnais la possibilité d'une évolution institutionnelle. Donc, c'est le droit commun qui s'applique à La Réunion.

- Que pensez-vous de l'affaire DSK qui apparaît comme un coup de tonnerre politique, jusque dans les outre-mer ?

Comment ne pas dire sa stupéfaction en effet ? Pour l'heure, mon devoir est de m'en remettre à la présomption d'innocence et, je n'oublie pas, en tant que femme, la victime présumée de cette affaire. Une procédure judiciaire est en cours : ne comptez pas sur moi pour que je commente plus avant cette affaire.

Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 20 mai 2011