Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à France 2 le 15 septembre 2011, sur l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire et l'accident intervenu dans un site de retraitement de déchets faiblement radioactifs à Marcoule (Gard).

Prononcé le

Média : France 2

Texte intégral

ALEXANDRE KARA Bonjour Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Bonjour.
 
ALEXANDRE KARA Merci d’être avec nous ce matin et tout de suite une petite phrase qui fait choc ce matin, une interview que vous avez donné au Parisien, où vous dites à propos de la SNCF, que vous êtes sans a priori sur le statut des cheminots. Ca veut dire quoi, que désormais on pourrait aligner le statut des cheminots sur celui du privé ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non, ça veut dire que je veux éviter que l’ouverture à la concurrence qui va avoir lieu en 2019 sur les lignes régionales, se fasse en fait par une concurrence qui aboutirait à du dumping social. Voilà. Et j’ai demandé au vice-président du conseil d’Etat de la section sociale de travailler sur un cadre harmonisé, qui engloberait à terme, la SNCF et les nouveaux entrants, un cadre social harmonisé pour que l’ouverture à la concurrence, elle se fasse le jour venu sur des bases saines et pas sur du dumping social. Le dumping social, ça ne profiterait à personne, ni aux usagers qui ne trouveraient pas de bénéfice à l’ouverture à la concurrence, ni naturellement aux cheminots.
 
ALEXANDRE KARA Enfin la SNCF aujourd'hui se plaint justement de ne pas pouvoir lutter contre la concurrence, justement parce que quelque part ses employés lui coûtent trop cher.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET La concurrence aujourd’hui elle est encore modeste. Là, on va avoir deux trains VEOLIA TRENITALIA entre la France et l’Italie qui vont être mis en place. C’est un mouvement qui vient, mais je crois que plutôt que d’être défensif sur ce mouvement, il faut prendre les devants et donc s’organiser pour que ce ne soit pas un dumping social qui gagne. Par ailleurs, moi je pense qu’on peut le voir comme une opportunité parce que c’est aussi des marchés ailleurs en Europe qui s’ouvrent et on a des avantages compétitifs formidables. En France on aime le train, on a une vraie passion pour le train, on a des industries dans le train, transformons tout ça en opportunité.
 
ALEXANDRE KARA Alors vous dites quoi ce matin aux cheminots qui nous regardent ? Vous leur dites n’ayez pas peur ou vous leur dites, rien ne va changer, ou vous leur dites, il faut évoluer quoi qu’il arrive ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi, je ne leur dis pas n’ayez pas peur, je leur dis n’ayons pas peur. Je veux dire, ils ne sont pas seuls concernés, derrière il y a des emplois industriels chez ALSTOM, n’ayons pas peur de l’ouverture à la concurrence, mais ne soyons pas naïfs non plus, organisons nous pour qu’elle se fasse sur des bases saines, des bases qui ne seront pas déloyales et pour ça regardons les questions sociales en face. Et je pose toutes les questions sur la table dans les instituts ferroviaires et de manière très ouverte. C’est la société civile qui est là, il y a des groupes de travail avec des personnalités à fort tempérament, venues de tous les horizons, pour pouvoir… c’est une forme de grenelle du ferroviaire.
 
ALEXANDRE KARA Donc vous dites, je n’ai pas de tabou, mais vous dites en même temps, le statut ne changera pas dès maintenant autoritairement.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais rien ne changera autoritairement, simplement tout le monde convient, je suis allée en parler avec les représentants des cheminots et le monde du train au conseil économique et social, et environnemental, tout le monde convient que si on ouvre à la concurrence en l’état et de toute façon l’ouverture à la concurrence, elle va se faire, ce qu’il risque d’y avoir, c’est une concurrence par le bas et du dumping social, en fait, une concurrence par le social, on ne veut pas de concurrence par le social. On veut la concurrence sur des bases saines, la concurrence sur la qualité. On ne refuse pas la concurrence, moi je pense qu’on est bon en train, on pourrait toujours être meilleur, mais je pense qu’on a les avantages à faire valoir, on ne refuse pas la concurrence, mais on veut l’organiser sur des bases saines, qu’elle ne soit pas déloyale.
 
ALEXANDRE KARA Alors vous lancez aujourd’hui les assises du ferroviaire, autrement dit une sorte de grenelle du ferroviaire, est-ce qu’aujourd’hui la France n’est pas malade de son TGV, est-ce que le TGV ne coûte pas trop cher et est-ce que finalement il ne met pas en cause le reste des lignes françaises et n’est pas en fait l’arbre qui cache la forêt, d’un système ferroviaire qui serait en difficulté et dont on ne verrait que le TGV ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je crois que le TGV, c’est une formidable réussite, donc ne pleurons pas sur le TGV, au contraire on fête ses 30 ans là à la fin de la semaine, pour moi c’est une formidable réussite. En revanche on aurait tort de penser que le TGV est la solution à tout le système ferroviaire français. Peut-être que pendant des années, on a trop longtemps vu le TGV comme une espèce de vache à lait qui allait financer tout le reste. Chaque mode de train doit aussi réussir à trouver son équilibre, on réinvestit fortement dans le TGV parce que par le passé on construisait une ligne à la fois. Là en ce moment on en construit quatre, mais ça ne doit pas…
 
ALEXANDRE KARA Des lignes qui ne seront pas forcément d’ailleurs qui risquent d’être déficitaires, on le sait déjà.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Des lignes qui sont forcément, enfin qui ont un risque d’être un peu moins rentables que les premières parce que c’est vrai qu’on a tendance à construire, quand on construit le Paris-Lyon, c’est totalement rentable. On construit d’abord ce sur quoi il y a la plus grande urgence, donc potentiellement la plus grande rentabilité. Ca ne veut pas dire que ce sera par nature des lignes déficitaires, mais surtout ça veut dire qu’il ne faut pas parler que du TGV et s’intéresser qu’au TGV, qui est une réussite formidable, mais les trains du quotidien, ce n’est pas ça, les trains du quotidien, c’est le RER, c’est le Train Express Régional, c’est le Corail, et donc en même temps on réinvestit fortement dans tout ce qui est travaux, rénovations. Je le dis aussi pour les Français qui nous écoutent, parce que je sais que parfois ça pose des gros problèmes de régularité. Une partie des problèmes de régularité sont liés aux travaux, mais il faut savoir que par le passé, on faisait 400 kms de rénovations par an. En ce moment on en fait 1 000, et en faire 1 000, c’est préparer, c’est s’organiser pour la qualité, pour demain pour pouvoir maintenir les voies ouvertes. Donc je dirais que, oui on avance fort sur le TGV, mais le réinvestissement, il est dans tous les modes de train.
 
ALEXANDRE KARA Oui, mais tout ça coûte de l’argent et vous donnez plus de latitude tarifaire à la SNCF, ça veut dire quoi, que les prix des billets vont augmenter pour les usagers ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET D’abord quand vous dites cela coûte de l’argent, on cherche aussi des nouveaux modes de financement. Avant les TGV, ils étaient financés à 100 % par l’Etat, maintenant on va chercher la participation du privé, la participation des régions. On organise aussi des transferts, ce que l’on appelle les trains d’équilibre du territoire, des trains en quelque sorte d’aménagement du territoire qui ne sont pas rentables en eux mêmes, on les fait maintenant pour partie financer par l’autoroute. Il y a une taxe sur les autoroutes qui financent…
 
ALEXANDRE KARA C’est les automobilistes qui vont payer pour le train ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il y a une taxe sur l’autoroute qui finance ces trains là, je l’assume, dans l’esprit du grenelle de l’environnement, il y a un réinvestissement sur les modes alternatifs à la route, le ferroviaire et le fluvial par exemple avec le canal Seine-Nord Europe. Sur la question des tarifs, il y a un décret qui est sorti cet été, qui a été très mal interprété, j’en prends toute la responsabilité, la communication sur ce sujet a été très mauvaise. Ca s’est fait au coeur de l’été, voilà il n’y a pas eu d’explication. Il n’y a pas de dérégulation des tarifs SNCF. Les tarifs, ils vont restés encadrés, un prix minium, un prix maximum et même on va rendre ça beaucoup plus lisible, beaucoup plus transparent. Avec Thierry MARIANI, on va rendre public ce tarif minimum, ce tarif maximum pour toutes les liaisons. Vous faites une liaison seconde classe, vous saurez quel est le prix minimum, quel est le prix maximum hors promotion qui a pu être payé par les gens qui sont dans le train, aujourd'hui vous vous demandez qui a payé quel tarif et quels étaient les cadres de référence. Et on va demander, et on va contrôler, à ce que la moitié au moins des billets soit à un prix égal ou inférieur au prix de référence. Ce qui change, c’est la possibilité pour la SNCF de faire des offres commerciales pour remplir les trains notamment au dernier moment. Aujourd'hui vous avez des trains qui roulent aux trois quarts vides, parce qu’en fait le système tarifaire est très rigide. Il ne va pas changer pour le prix plafond et le prix plancher, l’encadrement des prix va rester le même, mais il va y avoir plus de souplesse. Avant c’était un système jour de pointe, jour creux, mais est-ce que les Français savent que c’est la SNCF qui choisit ce qui est jour de pointe, jour creux, en fait c’est une façon de faire du commercial sans le dire, on change ce système là, on le rend en fait moins hypocrite, et plus transparent.
 
ALEXANDRE KARA Très vite sur un autre sujet, il y a quelques jours, il y a eu un grave accident dans une centrale nucléaire dans le Gard, à Marcoule, il y a eu notamment un mort, plusieurs blessés, vous avez déclaré, il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Est-ce qu’il y a vraiment aucune raison de s’inquiéter aujourd'hui sur le nucléaire français ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET D’abord ce n’était pas dans une centrale nucléaire, c’était dans un site de retraitement des déchets faiblement radioactifs et c’est un grave accident. Il y a un ouvrier qui est mort, il y en a un qui est très gravement blessé. Il y en a trois qui ont été très choqués. C’est un très grave accident, mais c’est un accident qui n’a pas eu de conséquence radioactive, c’est la raison pour laquelle j’ai dit ça et je le redis, parce qu’en fait il y a eu beaucoup d’émotions, comme c’était un accident…
 
ALEXANDRE KARA Normal après Fukushima les Français s’inquiètent.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET C’est bien normal, mais comme c’était un accident industriel mais sur un site nucléaire, il y a eu beaucoup d’émotions et d’inquiétudes, c’est la raison aussi pour laquelle je me suis rendue sur place tout de suite.
 
ALEXANDRE KARA Comment on fait aujourd'hui pour répondre aux inquiétudes des Français, pour les rassurer ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Eh bien pour moi l’essentiel ce sont les audits post Fukushima, les suites de la catastrophe de Fukushima, c’est une initiative qui a été lancée par le Premier ministre dès les semaines qui ont suivi la catastrophe de Fukushima. C’est justement aujourd'hui que les opérateurs doivent rendre leurs rapports, ces rapports vont être rendus publics, ça a été annoncé dès l’origine. C’est un exercice de totale transparence, il va y avoir un travail avec l’Autorité de Sûreté Nucléaire, et à partir du 15 novembre, des décisions pourront être prises. Moi, je trouve qu’il y a d’ores et déjà des questions qui se posent. Je vous donne juste un exemple, la sûreté nucléaire en France, elle est conçue à partir d’un site, il faut que le site soit autonome en terme de sûreté. Il y a de la redondance… mais si le site est entièrement dévasté comme à Fukushima, qu’est-ce qui se passe ? Eh bien je pense que la question de moyens extérieurs à un site qui puissent apporter sur un site en cas de détresse sur ce site, est posée et doit être posée par ces audits, c’est le cas, ce sont des sujets en discussion aujourd'hui.
 
ALEXANDRE KARA Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, merci d’être venue ce matin. Bonne journée à tous.
 
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 15 septembre 2011