Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur les orientations préconisées pour la politique de la montagne, Bonneville le 7 octobre 2011.

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Circonstance : 27è Congrès de l'Association nationale des élus de montagne (ANEM), à Bonneville du 6 au 8 octobre 2011

Texte intégral

J’ai tenu absolument à venir à ce Congrès des élus de la montagne afin de marquer mon attachement à une politique ambitieuse pour la montagne. La montagne est un atout considérable pour notre pays. Chacun connaît l’attachement de tous les Français aux zones de montagne. Chacun connaît les atouts que représentent les productions de la montagne. Je le dis comme ministre de l’agriculture : je pense aux AOP fromagères, je pense aux productions montagnardes, aux vins de la montagne. Chacun connaît aussi l’attachement de tous les Français à la beauté des paysages qui représente une source d’attractivité majeure pour notre pays. Chacun sait aussi quelles valeurs véhicule la montagne française, l’authenticité et la droiture de ces valeurs. C’est un territoire auquel l’ensemble de la France est attaché.
Je suis ici comme ministre de l’agriculture, comme ministre de la ruralité, comme ministre de l’aménagement du territoire, comme ministre de la pêche aussi. Chacune de ces compétences correspond aussi à une compétence et à un atout particulier de la montagne. Et chacune mérite d’être valorisée.
Je connais parfaitement vos inquiétudes concernant le bilan de la Loi Montagne. Patrick Ollier qui est au gouvernement avec moi sait que j’essaye de faire mon travail avec le plus de sérieux possible. Donc, avant de venir, j’ai lu ce bilan de la Loi Montagne. J’ai regardé attentivement la Loi qui date maintenant de 25 ans. J’ai regardé le rapport. Je l’ai lu.
Il y a en matière administrative, en matière législative, des bons rapports et des mauvais rapports. Ce rapport, je le dis comme je le pense, est un mauvais rapport.
Il ne correspond pas à nos attentes en faveur de la montagne. Je dis bien nos attentes, pas spécialement les attentes des élus de la montagne. Je suis élu en Haute-Normandie qui est une région absolument magnifique mais qui n’a comme seul défaut que d’être assez peu montagneuse. Mais il n’empêche que j’ai un attachement, comme n’importe quel citoyen français, à la défense de la montagne. Et lorsque je vois que ce rapport commence par mettre en avant des notions de ruralité, à essayer de nous expliquer que l’on peut confondre la ruralité normande avec la ruralité savoyarde par exemple, ou la ruralité pyrénéenne, je me dis que tout cela n’a pas de sens. Ce sont des réalités différentes. Ce sont des économies différentes. Et il n’est pas question de diluer l’identité de la montagne dans une notion beaucoup plus vaste de ruralité.
J’ai vu aussi la manière de mettre en avant les idées de massifs. Bien sûr que les massifs correspondent à une réalité géographique, à une réalité économique, peut-être même d’ailleurs à une réalité sociale ou identitaire. Il faut en tenir compte mais le message principal que je viens passer ici est qu’il y a une seule montagne, qu’il y a une solidarité de la montagne, qu’il y a un fait de la montagne, qu’il y a une vérité de la montagne et cela doit être défendu.
Alors on a tous à regarder ce qui n’a pas fonctionné pour relancer cette Loi Montagne. Relancer aussi les instruments qui ont été créés. Je pense, en particulier, au Conseil national de la montagne dont je reconnais bien volontiers en y prenant toute ma responsabilité qu’il n’a pas fonctionné comme il aurait dû fonctionner. Par conséquente, je vous l’annonce à la demande du premier ministre : je réunirai le Conseil national de la montagne le 17 novembre pour nous permettre de discuter dans le détail du bilan de la Loi Montagne en associant tous les élus concernés et en essayant de mettre en place un calendrier de réunions du Conseil national de la montagne beaucoup plus régulier que ce qui existait auparavant. C’est ce qui nous permettra de relancer une politique unitaire, une politique coordonnée en faveur de la montagne.
Cette politique, je souhaite qu’elle avance dans trois directions qui correspondent, je crois, aux intérêts des élus de la montagne et des habitants de la montagne.
Le premier point, c’est la garantie de l’égalité d’accès à un certains nombre de technologies, à un certain nombre d’avantages la modernité pour tous les territoires français, y compris les territoires de montagne.
Je donne juste un exemple qui est celui de l’accès au numérique. Bien entendu qu’y accéder dans les zones de montagne sera toujours plus difficile que d’y accéder dans les zones de plaine. Raison de plus pour continuer à se moderniser fortement afin que vous ayez un accès égalitaire à ces technologies modernes. C’est une des conditions majeures du développement des zones de montagne.
Nous avons avancé sur la télévision numérique terrestre. Les Vosges et le Jura ont été équipés en 2010, la région Rhône-Alpes et le Massif Central début 2011. Je souhaite que nous accélérions le mouvement pour les Alpes du Sud et pour les Pyrénées où les opérations de déploiement ont commencé. Elles doivent être achevées dans les meilleurs délais.
S’agissant de la téléphonie mobile dont personne ne peut se passer, y compris dans les zones de montagne, où je fais régulièrement le constat qu’il reste encore trop de zones blanches. Même si leur plan de résorption touche à sa fin, il faut que nous continuions à accélérer ce déploiement et que pour la 4 G où la vente des licences a déjà été organisée de façon à bénéficier en premier lieu aux zones de massifs, là où les communes sont le mieux regroupées, nous continuions aussi nos efforts afin que la résorption soit totale dans les meilleurs délais possibles.
Troisième orientation sur ces technologies modernes : les investissements en faveur des travaux de couverture numérique de l’accès au très haut débit. C’est une priorité absolue. Vous ne ferez pas venir des médecins ou des activités d’emplois, vous ne ferez pas le maintien d’un certain nombre d’activités économiques si vous n’avez pas dans les zones de montagne un accès au très haut débit.Je sais que c’est un défi considérable à relever mais c’est un défi dont dépend l’avenir de toutes les zones de montagne en France. Il faudra donc que nous retroussions les manches et que nous poursuivions les efforts qui ont été engagés.
Nous avons décidé avec le président de la République et le premier ministre deux milliards d’euros des investissements d’avenir pour le lancement des premiers travaux de couverture numérique. Nous avons décidé de faire un effort pour les zones les moins denses dont font partie naturellement les zones de montagne.
Sur ces deux milliards d’euros, neuf cent millions d’euros vont être affectés au soutien des projets de collectivité dans des communes sur lesquelles les opérateurs n’ont pas pris d’engagement de déployer leur propre réseau.
L’Etat soutiendra par ailleurs, pour cent millions d’euros, les projets complémentaires. : montée en débit, déploiement de réseaux hertziens ou satellitaires susceptibles de couvrir les zones les moins denses.
Enfin, l’Etat fera en sorte qu’une fois la majorité de la population couverte par le très haut débit, une démarche systématique soit engagée pour la couverture des zones récentes en très haut débit fixe et/ou en débit mobile.
Qu’est-ce que cela veut dire au-delà des éléments techniques ? Les choses sont très simples. Les opérateurs privés ont évidemment moins d’intérêt à aller investir dans des zones où la population est moins nombreuse et les coûts d’installation plus élevés. C’est la responsabilité de l’Etat de garantir la solidarité et l’égalité dans l’accès à la couverture au très haut débit. C’est la responsabilité de l’Etat de faire en sorte que dans les zones où les populations sont moins nombreuses, où l’accès est plus difficile, où les voies de communication sont plus compliquées à mettre en oeuvre, tout soit fait pour que vous ayez accès au numérique et au très haut débit. C’est à nous de faire en sorte que les réseaux soient aussi efficaces dans les zones de montagne qu’ailleurs.
Les zones de massif doivent accéder dans les mêmes conditions que les autres à l’information en ligne et au développement en ligne.
Le programme national très haut débit augmentera donc le taux d’aide en fonction de la ruralité des territoires et des nombres d’habitants. Vous savez que le plan national très haut débit court jusqu’en 2025. Nous sommes tous parfaitement conscients que les neuf cents millions d’euros consacrés en priorité aux zones où la population est moins dense ne suffiront pas à couvrir tous les besoins. Il est donc nécessaire que nous définissions rapidement les modalités de financement du fonds d’aménagement numérique des territoires. Nous avons un appel à projets qui permet de couvrir les premières difficultés. Nous allons regarder ensuite comment financer ensuite ce fonds d’aménagement numérique. Mais je le redis : l’Etat a vocation à compléter ce que les opérateurs privés ne pourront pas faire pour des raisons d’intérêt économique.
Deuxième élément de cette politique de la montagne que je souhaite pouvoir développer dans les mois qui viennent : la valorisation d’un certain nombre d’activités économiques qui correspondent aux intérêts de vos territoires. Pour ce qui me concerne, je citerai uniquement la question du potentiel forestier des territoires de montagne qui doit faire partie impérativement des grandes orientations de notre pays. Avoir une forêt qui couvre le tiers du territoire français, avoir une forêt qui pour les territoires de montagne est un atout considérable, avoir des dizaines de milliers d’emplois dans cette filière bois dans les zones de montagne comme dans les autres zones en France ;et de l’autre côté avoir cinq ou six milliards d’euros chaque année de déficit commercial sur la filière bois, c’est qu’il y a un problème. C’est que nous n’avons pas su tirer partie de nos atouts. C’est que nous n’avons pas sur valoriser nos territoires comme nous devrions les valoriser.
Avec la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous avons mis en place un plan pluriannuel régional de développement forestier. Il doit permettre de cibler les aides sur les massifs prioritaires. Le Conseil national de la montagne a d’ailleurs proposé l’instauration d’une aide à la mobilisation du bois en montagne. Je souhaite qu’on étudie cette possibilité. Nous devons repartir à la conquête de la filière bois dans la montagne. Il n’est pas question que nous laissions cet atout économique de côté.
Se pose la question des frais de garderie. Afin d’assurer le financement de l’ONF, les communes forestières se sont engagées à apporter une contribution de deux euros par hectare de forêt. C’est la contrepartie du maintien du régime forestier et de la mission de service public qu’assure l’ONF au bénéfice de nos communes. Je pense notamment à son action au niveau du service de restauration des terrains de montagne. Je tiens à vous confirmer que nous maintiendrons un taux de garderie réduit pour les zones de montagne de façon à ne pas grever davantage les finances de leurs communes.
Troisième grande orientation qui est peut-être la plus importante aux yeux du ministre de l’agriculture : le soutien à l’agriculture de montagne. C’est un choix politique, comme le numérique, comme le développement de la filière bois, comme le développement de filières économiques particulières pour les zones de montagne.
Nous ne maintiendrons pas naturellement l’agriculture dans la montagne. Nous la maintiendrons si nous en faisons tous le choix : les élus, les citoyens, les Etats européens, la commission européenne. C’est un choix politique. Il serait beaucoup plus facile et en même temps ce serait une faute politique majeure de dire que nous allons concentrer toutes les exploitations agricoles dans des grandes zones de plaine en faisant des exploitations gigantesques, produisant à des coûts réduits des produits agricoles standards. Ca c’est la solution de facilité. C’est la solution qui est contraire à l’identité française. C’est la solution qui est contraire aux intérêts de nos régions. C’est la solution qui est contraire aux intérêts de la montagne. Et c’est la solution que veulent nous imposer certains Etats et contre laquelle je me bats depuis plus de deux ans que je suis ministre de l’agriculture.
Il y a une autre voie qui est une voie, à la fois beaucoup plus difficile, beaucoup plus exigeante et en même temps beaucoup plus rentable pour les intérêts français, qu’il s’agisse d’intérêts économiques, d’intérêts sociaux, ou simplement de la préservation de notre caractère national.
Cette voie, c’est le maintien d’une agriculture dans tous les territoires français sans exception. C’est le maintien d’une agriculture diversifiée. C’est le maintien d’une agriculture attachée à la réalité et aux caractéristiques propres des territoires. C’est une agriculture qui n’est pas simplement la production d’un produit standardisé au prix le plus bas mais qui est liée à une qualité particulière des produits. Je dirai même à une qualité particulière des hommes et des femmes qui réalisent ces produits, à leur tradition, à leur culture, à leur savoir-faire ancestral. Je défends une vision de l’agriculture française. Et c’est dans ce cadre là que je défends l’agriculture de montagne.
J’ai mis en place des mesures structurelles : la taxe sur la consommation du foncier agricole, enjeu essentiel pour le maintien de l’agriculture de montagne car les terres agricoles diminuent à un rythme excessif en France. C’est l’équivalent d’un département que nous perdons tous les deux ans. Et dans les zones de montagne le rythme est encore plus rapide. Il y a donc urgence à ralentir ce rythme de pertes de terres agricoles. Et si j’ai tenu à taxer la spéculation sur les terres agricoles, c’est parce que je souhaite que les jeunes agriculteurs puissent continuer à s’installer dans de bonnes conditions.
Même logique pour le décret sur les circuits courts de commercialisation. Il consiste à dire très simplement que les collectivités locales doivent avoir le droit de choisir un produit local pour leur cantine scolaire, pour la restauration collective, plutôt qu’un produit qui aurait parcouru 2.OOO ou 3.000 kms mais qui serait moins cher. Le prix ne doit pas être le seul critère. Il faut que vous tous, élus locaux, élus nationaux, vous puissiez choisir un produit qui a été réalisé à proximité de votre commune de façon à valoriser votre production locale.
C’est la première fois que la Commission européenne a accepté de modifier le droit à la concurrence pour valoriser les circuits courts.
Le plan de développement par filière avec un soutien spécial à la modernisation des bâtiments (300 millions d’euros sur trois ans) est absolument essentiel aussi pour les zones de montagne où mettre aux normes une installation revient à 30 % plus cher qu’ailleurs. Cela mérite soutien à partir du moment où on fait ce choix du maintien d’une agriculture en montagne.
Avec le bilan de santé de la PAC, nous avons revalorisé l’agriculture de montagne. Je rends hommage à mon prédécesseur, Michel Barnier, qui a obtenu la réorientation de plus de 700 millions d’euros d’aide en faveur des élevages à l’herbe. Je soutiens cette décision particulièrement opportune.
Nous avons revalorisé l’indemnité compensatrice de handicap naturel à hauteur de 50 % pour les 23 premiers hectares. C’est là aussi un choix très clair en faveur de l’agriculture de montagne.
45 millions d’aide ont été consacrés au lait de montagne depuis 2010 avec une aide de 20 euros par 1000 litres de quotas. C’est aussi un signe très tangible du soutien que je tiens à apporter à l’agriculture de montagne.
Pour pouvoir maintenir ce montant d’aide, priorité absolue au maintien du budget de la politique agricole commune qui était pourtant menacé d’une diminution de l’ordre de 30 à 40 % lorsque je suis arrivé au ministère de l’agriculture.
Ce qui aurait voulu dire pour toutes les aides à l’agriculture de montagne 20, 30 ou 40 % d’aides en moins. C’était la fin de l’agriculture de montagne.
J’ai fait le tour des pays européens. J’ai construit une position commune avec l’Allemagne. Et nous avons obtenu que la base de négociation qui est aujourd’hui sur la table de tous les Etats européens, ce soit un budget de la PAC maintenu à un euro près. En ayant cette base, nous avons la possibilité de maintenir les aides de montage à l’euro près.
Je continuerai à me battre afin que dans la future PAC tous les instruments, je dis bien tous les instruments, de soutien à l’agriculture de montagne soient maintenus à l’euro près.
L’ICHN est indispensable au maintien de l’agriculture de montagne. Elle représente 520 millions d’euros. Si nous perdons cette indemnité compensatrice, ce sont des milliers d’exploitations qui fermeront. Eh bien je trouve que ça vaut le coup de se battre pour ces 520 millions d’euros.
Je souhaiterais que derrière les enveloppes, derrière les budgets, chacun voit bien le travail des hommes et des femmes qui se battent pour maintenir leur exploitation, qui travaillent sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre à élever leurs bêtes ou à produire leur lait pour faire en sorte que nous gardions une production agricole de montagne.
Défendre l’agriculture de montagne, c’est défendre une certaine idée du modèle agricole européen.
L’Europe a un choix très clair à faire en matière agricole. Est-ce qu’elle se réoriente vers un modèle qui est le modèle du Brésil, de l’Argentine, d’un certain nombre de grands pays agricoles qui visent à concentrer de plus en plus les exploitations jusqu’à ce qu’elles atteignent des tailles démesurées, sans respect de l’environnement, sans respect du bienêtre animal, sans respect de la qualité des produits pour essayer de produire une alimentation au prix le moins cher possible quitte à sacrifier la qualité et la diversité des produits ?
Ou est-ce qu’au contraire l’Europe se bat pour maintenir une agriculture de qualité, respectueuse de l’environnement, développant les élevages à l’herbe, respectueuse de la diversité des produits, attachée au goût et à la singularité des produits agricoles ? C’est cette bataille que je livre depuis plus de deux ans. C’est cette bataille que je veux continuer à livrer et je veux la livrer avec tous ceux qui sont les plus concernés : vous-mêmes les élus de la montagne, les représentants des citoyens de la montagne.
Je suis de tout coeur avec vous. Nous ferons reconnaître encore davantage la singularité de la montagne et l’Etat sera à vos côtés pour maintenir la qualité et la vérité de cette montagne française.
Source http://www.anem.org, le 25 novembre 2011