Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordé à "La Croix" le 4 avril 2000, sur les priorités, la représentativité de l'Union européenne et l'influence de la France au sein de l'ensemble communautaire.

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Média : La Croix

Texte intégral

Q - L'Europe se veut un pôle fort dans un monde multipolaire. Quelles sont ses priorités vis-à-vis de ses voisins ?
R - Pour devenir un pôle fort, l'Union européenne doit à la fois réformer ses institutions, poursuivre l'élargissement en le maîtrisant, développer sa Politique étrangère et de sécurité commune, devenir un continent exemplaire pour l'emploi, mener de front ses diverses politiques. En même temps, elle veut conforter la stabilité chez ses voisins de l'Est, du Sud-Est et du Sud : partout, cela est nécessaire, mais on ne mène pas une politique de la même façon dans les Balkans ou au Proche-Orient. L'Union européenne est déjà un ensemble très fort. Elle n'a pas à choisir entre les problèmes qui se posent à elle et doit mener toutes ces politiques de front.
Q - L'Europe est perçue, à l'Est comme au Sud, comme un eldorado. Devra-t-elle continuer à geler l'immigration ?
R - Geler l'immigration ou au contraire la rendre plus facile dépend de nombreux éléments : la situation économique et sociale, les besoins, la capacité à accueillir correctement les nouveaux immigrants... En revanche, ce qui doit continuer, c'est la maîtrise de l'immigration et la coordination croissante entre les Quinze, et surtout entre les membres de Schengen (Groupe de pays européens rassemblés dans une même politique d'immigration et de sécurité), des politiques d'immigration et d'asile.
Q - L'Europe se veut un pôle de référence, un exemple de stabilité. Y a-t-il un modèle européen dont les pays du Sud peuvent s'inspirer ?
R - Il n'y a jamais de modèle. Il y a des expériences, des politiques qui réussissent et d'autres non, des valeurs qui tendent à devenir universelles. Mais il y a aussi des contextes et des particularités. Le seul exemple que l'Europe a donné en propre au monde, c'est celui du dépassement des nationalismes réputés inconciliables. C'est aux pays du Sud de voir de quels aspects de l'Europe d'aujourd'hui ils peuvent utilement s'inspirer.
Q - Les intérêts de la France coïncident-ils parfaitement avec ceux de l'Union européenne ?
R - Stratégiquement et globalement, oui. C'est le postulat qui fonde l'engagement de la France dans la construction d'une Union européenne forte. Cela n'empêche pas que les désaccords entre membres de l'Union européenne sont nombreux et que, dans tel ou tel cas, la majorité des membres de l'Union peut vouloir imposer une décision contraire à nos intérêts. D'où les précautions à prendre, dans le cadre de la prochaine réforme des institutions de l'Union européenne, pour assurer la repondération des voix au sein du Conseil européen avant d'élargir le champ de la majorité qualifiée. La solution, c'est l'influence française qui reste la plus forte possible, même avec l'élargissement, dans l'Europe la plus forte possible.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2000)