Déclaration de M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur la nécessité de réguler la mondialisation du progrès pour éviter le dumping social, la croissance des inégalités et la perte des identités culturelles, Mexico, le 3 mai 2001.

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Circonstance : Rencontre avec les étudiants mexicains à l'université de Mexico, le 3 mai 2001

Texte intégral

Chers amis mexicains,
Je suis à la fois très heureux et très fier de vous rencontrer aujourd'hui à Mexico.
Heureux et fier de cette occasion qui m'est donnée aujourd'hui de débattre avec vous, étudiants mexicains, de la mondialisation et de partager avec vous quelques pistes de réflexion sur cette mondialisation dont vous êtes d'ores et déjà des acteurs importants.
Le Mexique, en effet, apparaît aujourd'hui comme le pays-carrefour de la mondialisation. Carrefour entre le Nord et le Sud, carrefour des deux Amériques entre lesquelles il jette littéralement un pont. Membre de l'ALENA, il est le partenaire actif de cette grande zone de libre-échange nord- américaine sans cesser d'être le champion de l'Amérique latine et hispanophone. Au récent sommet des Amériques de Québec, le Mexique est d'ailleurs apparu comme le promoteur de cette Zone de libre-échange des Amériques, de la Terre de Baffin à la Tierra del Fuego.
Pays-carrefour, le Mexique l'est également entre l'Est et l'Ouest, entre deux océans, entre deux continents, l'Europe et l'Asie. Votre pays a signé le 23 mars de l'année dernière, un accord de libre-échange avec l'Union européenne, devenant ainsi le seul pays au monde, avec Israël, à être lié de la sorte à la fois avec les Etats-Unis et l'Europe. Et par ailleurs, vous accueillerez l'année prochaine le forum de coopération économique Asie-Pacifique.
Oui, nous en sommes tous ici convaincus : la mondialisation constitue un tournant historique et certainement une chance formidable pour l'humanité toute entière. Au 19ème siècle, la mondialisation a été celle de la colonisation et de la domination. Au 20ème siècle, la mondialisation a d'abord été celle de la guerre et de la crise. Puis le monde a longtemps été figé dans un affrontement idéologique stérile et coûteux.
A l'aube du 21ème siècle, le vôtre, une chance unique et inédite est donnée à l'humanité de fonder la paix sur de nouvelles relations internationales stables et civilisées. Une chance unique et inédite nous est donnée de faire reculer vraiment la pauvreté quand la moitié des habitants de la planète vit avec moins de 2 dollars par jour ; quand 800 millions d'entre eux, souffrent de la faim et de la malnutrition comme vient de le rappeler la FAO le 18 avril dernier.
Aujourd'hui, le développement spectaculaire des échanges de biens et de services crée des richesses et favorise la croissance.
Aujourd'hui, l'extraordinaire accélération du progrès technologique, en particulier dans le domaine de l'information et de la communication, rend moins utopique que jamais le sentiment d'un destin commun à tous les citoyens du monde. Les valeurs de la démocratie, des droits de l'homme se propagent sur tous les continents. Au cours des vingt dernières années, l'Amérique latine a été aux avants-postes de cette révolution pacifique et les dictatures militaires ont laissé la place à des gouvernements élus par leurs peuples. L'année dernière, le peuple mexicain a fait le plein usage de sa souveraineté en pratiquant l'alternance démocratique qui a porté Vicente Fox Quesada à la présidence. Cette pratique apaisée de la démocratie, le gouvernement et les habitants de Mexico en ont encore fait la démonstration en accueillant, début mars, la marche pacifique pour la dignité des Indiens du Chiapas.
Cette mondialisation du progrès et de la démocratie constitue une chance historique que nous ne devons pas laisser passer; mais il y a une condition impérative : que ce progrès soit partagé, que le commerce soit plus équitable, que les richesses nouvelles ne soient pas confisquées par les plus riches, que les idées, les connaissances et les savoirs circulent librement. En un mot, que la mondialisation soit maîtrisée et organisée et non livrée à elle-même, c'est à dire à la loi du plus fort.
Cette ambition, c'est celle que je voudrais partager avec vous ce matin.
*
A. Le Marché-Monde : la mondialisation aux dépens de l'Etat.
1. Genèse de l'intégration économique planétaire.
La mondialisation est un processus historique complexe, fruit de l'innovation et du progrès technologique, de la révolution des transports et des communications comme de différentes vagues de la libéralisation économique. Les grands traits en sont maintenant bien connus : intégration croissante des économies, à travers les échanges commerciaux et les flux financiers, transferts internationaux de main d'uvre et diffusion des connaissances, amplifiée par l'avènement de l'e-économie.
Pour être spectaculaire, le phénomène de la mondialisation n'est pas pour autant inédit. La fin du 19ème siècle a connu semblable expansion des échanges et du commerce entre les nations. En proportion de la richesse produite, les flux financiers entre l'Europe, l'Amérique du nord et le Japon étaient sensiblement supérieurs dans les années 1870 à 1914 qu'entre 1970 et 1996.
Nous avons, malgré tout, aujourd'hui le sentiment d'une rupture historique, d'une formidable accélération du progrès technologique et des échanges, d'un rétrécissement subit des durées comme des distances.
Peut-être est-ce le miracle de l'Internet qui définit le mieux l'originalité historique du phénomène. Il vous est presque plus facile aujourd'hui d'échanger une nouveauté musicale avec un étudiant de Chicago ou d'Helsinki croisé sur le Net que de vous faire prêter le même CD par un camarade de fac. Cette convivialité planétaire est peut-être le visage le plus spectaculaire de la mondialisation, le plus sympathique aussi.
Mais au-delà de ces aspects ludiques, les avancées de la technologie ont formidablement accru le potentiel d'échanges, de biens, de services et d'informations: depuis 1950, les exportations de marchandises ont été multipliées par 18 et les investissements directs à l'étranger par 2500 ( ! ) quand le PIB mondial a été, si j'ose dire, seulement multiplié par 5. Les échanges internationaux ont encore augmenté de plus de 11 % en volume l'année dernière.
Selon les économistes, le commerce international est positif. La spécialisation permet une meilleure allocation des ressources et entraîne des gains d'efficacité, et donc une augmentation du bien-être national : les consommateurs ont accès à des gammes de produits plus larges et à des prix inférieurs, en comparaison d'une situation d'autarcie. Serions-nous prêts à payer le prix de l'autarcie : moindre pouvoir d'achat, moindre choix pour les consommateurs que nous sommes, moindre bien-être collectif et moins de croissance ?
La réponse est bien sûr négative. Nous, Européens, en avons eu l'expérience avec les pays de l'Europe de l'Est avant la chute du mur de Berlin : une économie protectionniste offre des biens et des produits moins nombreux, de moins bonne qualité tout en étant moins respectueuse de la nature. Faut-il pour autant passer de la pure théorie économique des Ricardo, Samuelson ou Krugman à des politiques brutales de déréglementation et de dérégulation internationales ? Je ne le crois pas davantage. Entre un bien théorique et la réalité, il y a tout l'espace propre à l'action politique qui doit définir le rythme et les moyens pour parvenir à une ouverture économique appropriée, ni trop rapide, ni toujours reportée à plus tard.
2. Les imperfections de la mondialisation capitaliste.
Pourtant, bien loin de susciter un enthousiasme unanime, et la confiance dans l'avenir, la mondialisation fait peur. L'efficacité économique du marché n'est plus guère contestée - croissance, émulation technologique, création de richesses, etc. - mais le prix à payer peut légitimement apparaître exorbitant. J'étais présent cet hiver au forum social mondial de Porto Alegre au Brésil qui se voulait le miroir critique de Davos, et je peux témoigner des inquiétudes très fortes, et même parfois des angoisses, souvent légitimes je dois dire, qui s'y sont exprimées.
La mondialisation est aujourd'hui perçue par beaucoup comme une menace pour les emplois, une menace pour la qualité de l'environnement et pour nos identités culturelles respectives.
Or, les réseaux de communication instantanée, la proximité médiatique posent les prémices d'une intimité planétaire. Une société civile mondiale se dessine et prend vie à travers un grand nombre d'organisations non-gouvernementales. Le sentiment d'un destin commun à tous les peuples est en train d'émerger. La nature inégalitaire de la mondialisation n'en apparaît que plus insupportable.
Insupportable de savoir que la ville de New York compte plus d'internautes que tout le continent africain.
Insupportable de savoir qu'au rythme actuel de déforestation illégale, les forêts tropicales d'Indonésie auront complètement disparu dans moins de dix ans.
Insupportable de savoir que chaque semaine en Inde plus de femmes meurent en accouchant que chaque année en Europe.
Ces inquiétudes que la mondialisation suscite, ces inégalités qu'elle semble creuser, les défis sociaux, environnementaux qu'elle pose, tout ceci peut être ramené à la relation fondamentale entre l'Etat, la société et le marché, entre l'économique, le social et le politique. En permettant la mobilité des capitaux, c'est à dire des entreprises, de l'épargne, mais aussi des travailleurs qualifiés, la mondialisation a rompu un certain équilibre.
Le mécanisme du dumping social.
L'un des effets les plus pernicieux de la mondialisation est bien ce que l'on appelle le " dumping social ", expression qui recouvre les problématiques des normes du travail dans le monde et de la concurrence fiscale et sociale entre Etats.
Privées du cocon protecteur des barrières douanières et des politiques économiques et industrielles propres à chaque Etat, les entreprises sont soumises à la contrainte concurrentielle globale. Cette mise en concurrence universelle par le marché a pour conséquence d'amplifier les inégalités de revenus, d'accentuer les exclusions. Dans les anciens pays industriels, les travailleurs peu ou pas qualifiés entraînés dans une course à l'abîme social. De l'autre, des travailleurs dont le savoir-faire ou la compétence raréfiée (" les manipulateurs de symboles " de Robert Reich) sont valorisés à l'échelle démultipliée du marché mondial. De façon pernicieuse, ce dumping social ne creuse pas les inégalités entre les pays mais bien au sein de chaque pays, entre les groupes sociaux qui ont accès aux savoirs valorisés et les autres.
Dans les pays en développement, la nouvelle division internationale du travail permet à ces pays de bénéficier de leurs avantages comparatifs naturels mais dans des conditions souvent trop précaires et dans une logique de court terme. Certaines régions des pays du sud où sont regroupées les industries tournées vers l'exportation finissent par connaître les effets négatifs d'une trop grande concentration en termes de transports, d'approvisionnement en eau et en électricité, en termes de pollution aussi.
Que ce soit au Nord ou au Sud, ces inégalités doivent être contrebalancées par une politique forte de redistribution des chances ; une politique de solidarité qui permette de limiter les inégalités inhérentes au capitalisme. La coexistence de l'économie de marché et de la solidarité a été une invention du XXème siècle. Ce modus vivendi doit être préservé au Nord et mis en place au Sud.
Le potentiel inégalitaire de la concurrence sociale et fiscale n'est pas le seul défi posé par la mondialisation. Les manifestants de Seattle ou de Québec insistent, non sans raison, sur les dangers pour l'environnement ou la diversité culturelle d'un marché étendu aux dimensions du monde dont les acteurs en position de force seraient les firmes transnationales.
La croissance exponentielle des échanges a, par exemple, entraîné celle du transport maritime, qui constitue justement un exemple probant des imperfections et des impérities du marché. Les us et coutumes d'une marine marchande qui exploite les législations factices et les régimes fiscaux avantageux des pavillons de complaisance, comme elle exploite ses matelots sri-lankais ou philippins, apparaît comme une inquiétante métaphore d'une mondialisation purement capitaliste. L'Organisation Maritime Internationale réunie à Londres la semaine dernière, a établi un calendrier pour éliminer progressivement tous les pétroliers à simple coque, au profit des bateaux à double coque, plus sûrs, d'ici à 2017. Mais beaucoup reste à faire, notamment sur l'entretien des navires, les conditions de recrutement et de travail des équipages et les normes de sécurité.
Diversité culturelle.
Autre défi, non moins crucial que celui de la biodiversité, posé par ce marché-monde en voie d'unification, est la menace, réelle ou supposée pour la diversité culturelle. Il existe aujourd'hui une crainte réelle que la domination économique et linguistique de l'Occident en général, et des Etats-Unis en particulier, la puissance de ses médias, de ses entreprises multinationales, son contrôle des réseaux de l'information et de la communication, ne soient les vecteurs d'une hégémonie culturelle.
La conséquence la plus grave de cette hégémonie culturelle, de ce " soft power ", serait un appauvrissement de la diversité culturelle de la planète. Les cultures locales traditionnelles qui fondent souvent notre identités seraient donc gravement et directement menacées d'effacement. Pour reprendre le mot de Claude Lévi-Strauss : " une humanité unifiée serait une humanité ossifiée. ".
En vérité, la France et le Mexique partagent sur ce point le même souci de promouvoir ce bien commun, celui de la diversité des cultures. Vous le savez peut-être, nos deux pays ont signé en novembre 1998 une déclaration commune sur ce thème. Puis en 1999, le Mexique a accueilli à Oaxaca, une réunion de ministres de la culture représentant de pays opposés à ce qu'on appelle désormais la " marchandisation " de la culture.
Je reste toutefois persuadé que la défense de la diversité culturelle ne doit donc pas s'égarer et devenir le paravent vertueux des de toutes les dérives identitaires. Les efforts menés pour la diversité culturelle ne doivent pas l'être aux dépens du dialogue des cultures. Je vois moins dans la mondialisation une machine à étouffer la créativité propre à chaque peuple, à chaque région, à chaque pays, qu'un formidable outil de dialogue et pourquoi pas de métissage tant il est vrai que dialogue et métissage sont, à mes yeux, consubstantiels de l'idée même de culture.
Je suis pour ma part très heureux d'avoir inauguré hier dans votre ville une exposition consacrée au grand photographe français Raymond Depardon. L'été dernier, les rencontres photographiques d'Arles, dans le sud de la France, avaient présenté une exposition intitulée " Tina Modotti et la renaissance mexicaine ", la première en France consacrée à cette grande artiste, qui fut une révolutionnaire, une observatrice hors pair du peuple et des paysans mexicains des années 1920, une amie enfin de Diego Rivera et de Frida Khalo.
Ces images échangées, ces expositions croisées entre nos deux pays me persuadent que la mondialisation porte en elle une ouverture et un dialogue culturel précieux. A cet égard, faut-il déplorer que la firme Miramax s'empare du mythe de Frida Khalo et lui donne le visage de Salma Hayek ou bien se féliciter que le film fasse connaître le peintre de par le monde ?
Devons-nous vraiment dramatiser ces phénomènes paradoxaux ? Certains penseurs critiques, que la France, depuis Jean-Paul Sartre, exporte assez bien dans les universités américaines, y verraient le symbole de la récupération capitaliste des formes authentiques de la création. Un peu comme ces T-shirts de Che Guevara que l'on trouve dans toutes les boutiques pour touristes.
Le phénomène n'est pas nouveau : Van Gogh a bien été interprété par Kirk Douglas et Michel-Ange par Charlton Heston! Inversement, il ne faut pas négliger que cette forme populaire de culture qu'est le cinéma permet de diffuser à vaste échelle des créations esthétiques qui resteraient sans cela confinées à une élite intellectuelle.
B. Retrouver la maîtrise de la mondialisation : une mondialisation politique qui reste à construire.
Les risques, les défis et les dangers que je viens d'évoquer ne doivent pas pour autant déboucher sur une condamnation sans appel de la mondialisation. Votre pays donne l'exemple que la mondialisation fondée sur le libre-échange offre des opportunités de croissance importantes. Soyons-en persuadés, " si nous savons la maîtriser, la mondialisation peut être une nouvelle étape dans le progrès de la civilisation. " C'est le message que le premier ministre français Lionel Jospin a fait passer au Brésil le mois dernier. C'est le message de confiance dans l'avenir et dans la capacité que nous avons d'agir sur les événements que je veux à mon tour vous adresser.
Les inégalités, les dérapages que je viens de rappeler constituent en effet à mes yeux un appel à agir.
Demandons-nous plutôt ce qui manque au progrès pour qu'il soit véritablement, selon le mot de Victor Hugo, " un pas collectif pour le genre humain " ?
Ce qui manque, c'est bel et bien une mondialisation politique qui accompagne la mondialisation des marchés.
Le progrès juridique :
Cette mondialisation politique que la France appelle de ses vux passe par un rééquilibrage de la relation entre le marché et l'Etat, entre l'économique et le politique, non pas au nom d'un attachement nostalgique ou sentimental de la France à la souveraineté de l'Etat, à cet Etat-nation " inventé " par la Révolution de 1789. Bien au contraire, notre pays a montré dans son engagement européen sa volonté de s'inventer un nouveau destin avec ses voisins et ennemis d'hier. Si nous appelons à ce rééquilibrage en faveur du politique, c'est d'abord au nom du développement et, en dernière instance, de l'efficacité économique elle-même. La misère, l'exclusion et les inégalités se nichent trop souvent dans les absences de l'Etat.
Les crises financières récentes, en Asie ou actuellement en Turquie, ont mis en lumière les déficiences structurelles propres aux Etats, à commencer par les béances ou les imperfections du droit. Ce sont bel et bien des défaillances juridiques qui ont déclenché la crise économique et financière. Ce sont ces même défaillances qui menacent la pérennité du progrès économique. Elles permettent en effet, le développement du " crony capitalism ", ce capitalisme de larrons dans lequel l'allocation du capital n'obéit plus à des données objectives mais à des jeux d'influences.
L'urgence est donc de renforcer les droits bancaires ou boursiers, le droit de la concurrence et celui des faillites. Or qui dit règle de droit dit juge qui l'interprète et la fait respecter. Le progrès juridique est donc indissociable du progrès institutionnel qui dote l'Etat de tribunaux honnêtes et compétents, et d'une administration qui ne l'est pas moins. En un mot, il d'établir partout les bases de l'état de droit économique.
Tous ces aspects juridiques et institutionnels concourent à fonder ce qu'on appelle désormais la bonne gouvernance. On comprend bien comment une action efficace de lutte contre la corruption peut rassurer les investisseurs étrangers. Dans le contexte de concurrence globalisée, cette bonne gouvernance, la qualité du droit et des institutions, devient un élément décisif dans l'allocation des capitaux à l'échelle mondiale. Le progrès juridique est une condition du progrès économique et reste sous-tendu par un progrès démocratique.
La réponse au sous-développement ne réside donc pas uniquement, comme on l'a longtemps affirmé, dans les aides publiques massives et l'ouverture commerciale. Nous devons surtout, je crois, aider les pays en développement à sortir du sous-équipement juridique. Les aider aussi à supporter les coûts de ces superstructures nouvelles.
Mais il n'y pas que le droit économique ; il y a aussi le droit social au sens large, le droit du travail, le droit de la sécurité sociale, le droit fiscal. Dans ces domaines, il ne peut être question seulement de compétitivité : il faut prendre en compte également les impératifs de solidarité et de cohésion sociale. Les formes traditionnelles de la solidarité construites autour de la famille ou du village font place, avec l'industrialisation et l'urbanisation, à des formes organisées par l'Etat ou les collectivités publiques. Il y a là des choix complexes, des arbitrages entre le court et le moyen terme, que chaque pays doit assurer lui-même, en fonction de ses besoins, de ses traditions et du souhait collectif de ses habitants. La leçon universelle en ce domaine est que seul le jeu de la vie politique dans des institutions démocratiques doit permettre de définir le niveau et les moyens d'une juste redistribution.
Certains pensent qu'avec la mondialisation, les Etats sont périmés : je crois au contraire que sans l'Etat, les individus seraient réduits à leur seule valeur sur le marché.
Ce progrès juridique doit également progresser au niveau international, non pas au profit d'Etats-nations jaloux de leurs prérogatives, mais dans l'élaboration de nouveaux cadres, supranationaux ou multilatéraux, qui redonnent aux Etats le pouvoir d'influer sur le cours de la mondialisation, le pouvoir de la maîtriser, de lui donner des règles, d'en maximiser les profits pour le plus grand nombre, d'en redistribuer les richesses pour faire reculer la pauvreté et de construire un monde plus sûr et plus stable.
Pour y parvenir, les Etats doivent construire ensemble une architecture internationale de régulation.
Les crises financières que connaissent actuellement l'Argentine et la Turquie nous rappellent que l'intégration financière croissante est aussi facteur d'instabilité. Elles mettent en évidence un certain nombre de failles évidentes du système monétaire et financier international. Toutefois, depuis trois ans des progrès significatifs ont été accomplis.
Le forum de stabilité financière a édicté des recommandations utiles pour la régulation des hedge funds et la supervision bancaire dans les centres off-shore. Ces recommandations doivent maintenant déboucher sur un renforcement de la législation des Etats concernés et une meilleure coopération internationale. De même, le blanchiment d'argent, les pratiques fiscales dommageables des territoires et pays non-coopératifs mettent en danger la stabilité du système. Le Groupe d'action financière internationale a identifié 15 de ces paradis fiscaux, dont certains ont d'ores et déjà adopté des mesures efficaces. Autant d'efforts de régulation qui doivent se poursuivre avec énergie.
La responsabilité des acteurs économiques, en particulier celle des entreprises transnationales, est fondamentale. Ces entreprises ont certainement des droits, mais elles ont aussi des devoirs, dont celui d'adopter un comportement social et environnemental responsable dans tous leurs pays d'implantation.
La France attache une grande importance aux principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, qui ont été révisés l'an dernier afin de permettre une meilleure mise uvre. Je me réjouis que le Mexique se soit rallié à la révision de ces principes directeurs.
Mais trop de pays restent encore en margé des réseaux de l'économie mondialisée . leur permettre de s'intégrer et de bénéficier pleinement du développement des échanges doit être une des priorités de la prochaine conférence de l'OMC qui va se tenir au Qatar à l'automne.
D'ores et déjà, et pour contredire ceux qui décrivent l'Europe comme une " citadelle assiégée ", l'Union a décidé d'ouvrir son marché à l'ensemble des produits en provenance des pays les moins avancés et appelle les autres pays industrialisés ainsi que les grands pays émergents comme le Mexique à s'engager dans cette voie.
Pour importante qu'elle soit, cette décision n'épuise pas nos engagements envers les pays les plus pauvres. Ceux qui ne peuvent encore tirer du commerce des ressources suffisantes ont besoin de l'aide publique au développement. La France continuera d'y consacrer un effort majeur. Pour ces pays, le premier obstacle au développement reste le poids de la dette. La France était l'hôte du sommet de Lyon où a été proposée, en 1996, l'initiative d'allègement de la dette des pays pauvres très endettés et participe pleinement à cet effort. Nous devons maintenant veiller à ce que les sommes libérées par la réduction de la dette soient bien utilisées pour réduire la pauvreté, dans un cadre d'action concerté entre les grandes institutions internationales : FMI, Banque Mondiale, OMC et CNUCED.
Un exemple concret de ce dialogue qui peut se nouer entre le politique et l'économique vient d'être donné par les négociations entre l'Afrique du Sud et les entreprises pharmaceutiques autour de la question de "s médicaments génériques. Vous le savez, la pandémie de SIDA qui touche le continent africain est un désastre sanitaire, mais aussi social et économique pour ces pays. Au Botswana par exemple, un jeune de votre âge a deux chances sur trois de mourir du SIDA.
On ne peut pas attendre que les populations du sud soient solvables pour qu'elles aient le droit de se soigner et on ne peut s'en remettre au seul fonctionnement du marché, incapable de fixer spontanément un prix équitable pour ces traitements.
Sous la pression des ONG et de l'opinion publique, il faut bien le dire, plusieurs entreprises pharmaceutiques ont déjà pris l'engagement de fournir les médicaments à prix réduits.
La communauté internationale doit accompagner cet effort et mettre en place un système de prix différenciés tout en évitant que les traitements fournis à prix réduits dans les pays en développement ne fassent l'objet d'un trafic pour retourner vers le Nord. C'est l'esprit de la coopération entre l'OMS et l'OMC.
Conclusion :
J'ai bien conscience d'avoir évoqué plus de problèmes que de solutions. Mais, vous devez en être convaincus, la régulation internationale cherche sa voie et progresse régulièrement. Les progrès réalisés ces dernières années ont souvent été suscités par les interrogations et les questionnements de la société civile. C'est aux Etats, qui bénéficient de la légitimité démocratique, d'apporter des réponses à ces interpellations. C'est à eux de trouver les bons équilibres des intérêts, des besoins et des aspirations souvent contradictoires.
Pour l'ouverture du Congrès de la paix en 1849, Victor Hugo a écrit : " Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits aux idées. ".
Ce jour est peut-être enfin arrivé si nous parvenons à maîtriser la mondialisation ; si nous parvenons, ensemble, à lui donner ces règles qui garantissent que la pure tentation du profit ne l'emporte pas sur le respect de la justice sociale ou de l'environnement.

(Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 29 mai 2001)