Texte intégral
Myriam Hertz : Alain Madelin, bonjour.
Alain Madelin : Bonjour.
MH : A mes côtés, pour vous interroger, Arnaud Fleury qui vous pose la première question.
Arnaud Fleury : Alain Madelin, bonjour. Samedi, vous avez signé une tribune libre dans le Figaro pour dire tout le bien que vous pensiez du modèle de Berlusconi. Est-ce que vous pensez que son programme est adaptable en France ?
AM : J'en fais cet article pour souligner le décalage entre la France et l'Italie. Mais en réalité, le décalage est entre la France et l'ensemble de l'Europe. Ce qui me frappe c'est que partout les sociétés sont en mouvement vers le nouveau siècle, le nouveau monde et que la France se caractérise par son immobilisme.
L'Italie, voyez-vous, c'est au cours des dernières années une formidable révolution : 300.000 fonctionnaires en moins, 10 points de prélèvement obligatoire en moins en 10 ans, la réforme du ministère des Finances, la réforme des chemins de fer, la fin du statut de la fonction publique pour passer sous des contrats de droits privés, la flexibilité du travail, les privatisations massives, la décentralisation. Ca c'était avec un gouvernement de gauche dirigé par un ancien communiste, M. d'Alema.
Là-dessus vous avez une compétition entre M. Rutelli à la tête de la coalition de gauche - je connais bien M. Rutelli, il est membre comme moi de l'Internationale libérale - contre M. Berlusconi que je connais bien aussi, qui est un ami et qui est membre du Parti Populaire Européen. Et M. Rutelli avait un programme audacieux déjà. Juste un exemple, réforme fiscale : baisser à 40% l'impôt sur le revenu, maximum, 4 tranches et 4 points de prélèvements obligatoires en moins en 5 ans. Eh bien Berlusconi a été mieux disant et il a proposé : 3 tranches, 33% et un ensemble de réformes encore beaucoup plus audacieuses. Bref, les Italiens qui ont été déjà pas mal audacieux au cours des quelques dernières années ont choisi d'en remettre avec encore davantage d'audace dans les réformes.
Et ces réformes sont en oeuvre en Angleterre avec Margaret Thatcher, John Major et avec toujours Tony Blair, en Belgique avec Guy Verhofstadt, en Allemagne avec la nouvelle CDU et Gerhard Schroder, en Espagne avec Aznar, maintenant en Italie avec Berlusconi. Reconnaissez qu'il y a de quoi s'inquiéter sur l'immobilisme français.
AF : Alors, Alain Madelin, ce qui est à noter, c'est que sur le site internet de Démocratie libérale, vous faites même une simulation de ce qu'un Français avec le système italien... Est-ce que tout de même vous pensez que ce programme de Berlusconi pourrait servir d'ossature à votre programme présidentiel, l'an prochain ? Est-ce que ce serait populaire ?
AM : D'abord nous ne sommes pas vraiment encore en campagne. Et je crois que la campagne présidentielle est extrêmement ouverte et que son enjeu sera de sortir de l'immobilisme et de faire à notre tour les grandes modernisations. Tous les pays autour de nous ont accompli ou sont en train d'accomplir 4 révolutions.
La révolution fiscale, celle de la nouvelle croissance du plein emploi. Et c'est pour cela que pour ma part je suis aussi partisan de la suppression de l'impôt sur les donations, d'un certain nombre d'impôts imbéciles et d'abaisser le maximum d'impôt sur le revenu à 33%.
La révolution de l'Etat : l'Etat du nouveau monde ce n'est pas l'étatisme du 20ème siècle. Il faut recentrer l'Etat sur ses missions essentielles : la sécurité, la justice, et l'alléger dans toutes les fonctions inutiles, en commençant par alléger le maquis des lois et des règlements.
La révolution de l'école et là il y aurait beaucoup à faire quand on voit l'immobilisme français. Partout on va vers la liberté de choix totale des parents de l'école de leurs enfants et l'autonomie la plus grande des établissements scolaires pour faire confiance aux enseignants afin de réaliser une meilleure école.
Enfin, c'est un sujet d'actualité, la révolution régionale. On décentralise massivement. On inscrit le principe de subsidiarité. Vous savez c'est le principe qui consiste à dire : tout ce qui peut être fait en bas doit être laissé en bas. On l'inscrit dans la Constitution et on transfère massivement les pouvoirs, les ressources fiscales vers les régions.
Eh bien ces 4 révolutions, ce sont les 4 révolutions que je veux porter au coeur du débat des élections présidentielles. Partout ce choix est proposé, il est choisi. Et je en vois pas pourquoi il n'en serait pas de même en France. On dit qu'il y a une exception française. L'exception française c'est le manque de courage des politiques qui n'ont jamais osé proposer cette politique-là.
MH : Alors, justement, la Corse, vous venez d'en parler on va y revenir. Je vous écoutais parler et j'ai eu un flash. Je me suis souvenu de vous avoir aperçu il y a quelques années dans un grand hôtel parisien devant un parterre très prestigieux de chefs d'entreprise.
AM : Oui, je vois de quoi vous allez parler.
MH : Vous étiez avec énormément de fougue et d'enthousiasme...
AM : Je n'étais pas tout seul.
MH : ... défendre le programme économique du candidat Chirac. C'était en 1995. Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous aviez eu l'air d'avoir une telle foi dans son programme économique.
AF : C'est parce qu'il n'y a plus de fracture sociale...
AM : Eh bien disons que j'ai effectivement contribué à la rédaction de la profession de foi de J. Chirac. Il a pris la profession, j'ai gardé la foi.
AF : Tout de même, vous êtes crédité de 5%. François Bayrou est crédité de 6%. Est-ce qu'on n'est pas là en train de voir l'émergence d'une droite plurielle, mais bien singulière tout de même ? Vous iriez jusqu'au bout ?
AM : Oui, parce qu'en réalité, ça ce sont des chiffres de départ pour l'ensemble des candidats. J'ai même quelques sondages heureusement un peu plus flatteurs. Mais je suis persuadé qu'il y a une majorité de Français sur les quelques propositions que je viens d'esquisser, une majorité potentielle, et qu'il ne faut pas se fier à la photographie de départ. Une campagne électorale c'est un film. Et on va beaucoup réfléchir en France : quel est l'enjeu de cette échéance ? Manifestement c'est un ensemble de réforme. Et qui peut mieux porter ces 4 révolutions que je viens d'évoquer ? Ces 4 révolutions, les porter avec conviction ? Je crois que je suis qualifié pour cela parce que je les porte depuis longtemps. Les porter avec détermination, je crains d'être le seul à proposer ces réformes nécessaires au pays.
MH : Vous craignez d'être le seul. Il y a un instant concernant J. Chirac, vous avez dit : " il a pris la profession, j'ai gardé la foi ". Ce qui est tout de même une formule assez cruelle. Est-ce que lui ne pourrait pas demain porter vos convictions ?
AM : Ecoutez, la modernité beaucoup de gens vont bien évidemment s'en réclamer mais il y a un problème de crédibilité. Toutes ces grandes réformes qui sont entreprises autour de nous, cela fait des années et des années et des années que je les ai proposées dans le détail en France. Eh bien nous en débattrons et puis les Français regarderons qui est celui qui est le plus convaincu.
MH : A vous entendre, la modernité, Chirac n'est pas crédible.
AM : Ecoutez, moi je crois qu'il faut sortir de ce prêchi-prêcha, de ces solutions chèvre-chou, de ces côtés un peu mollo-mollo. De temps en temps on fait preuve d'un petit peu d'audace mais immédiatement on recule. Je crois que les Français en réalité sont beaucoup plus prêts aux réformes que les élites qui les dirigent jusqu'à présent et que l'échéance de 2002 est une échéance tout à fait exceptionnelle puisque manifestement c'est elle qui va déterminer notre entrée dans le nouveau monde. Est-ce qu'on va entrer petits bras ? Ou est-ce qu'on va entrer en force dans le nouveau monde ? Est-ce qu'on va avoir le courage de faire les réformes que, partout autour de nous, je le répète, on a entreprises et qu'il faudra bien entreprendre un jour ?
MH : Alors, justement, à propos de réforme, demain vote solennel sur la Corse. Vous votez dès demain ?
AM : Avec un peu d'hésitation parce que cette réforme n'est pas terrible et ce que je regrette c'est qu'il y ait juste une réforme pour la Corse et qu'on ne l'ait pas étendu à l'ensemble des régions françaises. Et puis qu'on n'est pas été beaucoup plus audacieux dans le sens de l'instauration de vrais pouvoirs régionaux. Mais je crois manifestement que c'est un premier pas et que dès lors qu'on l'aura fait, tous les gouvernements quels qu'ils soient, sauront bien obliger d'en effectuer un second au profit de l'ensemble des régions français.
AF : Mais Alain Madelin, vous voilà régionalisant, à Redon, vous n'étiez pas tellement régionalisant, vous n'étiez pas souvent là d'ailleurs, c'est ce qu'on avait dit.
AM : Attendez si vous voulez dire qu'il n'est pas facile parfois de cumuler les mandats et d'en tirer des leçons de non cumul des mandats et de s'appliquer à soi-même cette leçon. C'est ce que j'ai fait.
Cela étant, pardon, s'agissant de Redon, je défends le bilan exemplaire qui a été ratifié par les électeurs pour mes successeurs puisque nous avons diminué le nombre de fonctionnaires. Nous avons diminué les impôts. Nous avons augmenté les investissements. Nous avons réduit l'endettement. Franchement, qui dit mieux dans une conjoncture assez difficile ? Je trouve au contraire que le bilan de Redon est tout à fait exceptionnel.
AF : Et Redon et l'Ille-et-Vilaine ont besoin de plus régionalisation et notamment peut-être une réforme de la loi sur le littoral. Qu'est-ce que vous en pensez ?
AM : Attendez, juste un mot. On a besoin d'élus à plein temps et quand vous êtes maire, les gens veulent vous voir. Ils ne veulent pas seulement que vous fassiez votre travail à la mairie, ils veulent vous voir sur le terrain. C'est la raison pour laquelle je ne me suis pas représenté.
La loi littoral, écoutez, laissez un peu respirer les régions. La Bretagne comme la Corse sont parfaitement capables de défendre leur littoral.
MH : Donc pour la Bretagne, vous seriez plutôt là aussi pour un aménagement de la loi littoral ?
AM : Ecoutez, ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire. JE ne suis pas pour un aménagement de la loi littoral. Je suis globalement pour le fait de laisser les collectivités locales décider de leur urbanisme. Et si vous voulez aller un tout petit peu plus loin pour essayer de comprendre ce qui s'est passé dans la loi Corse, les Corses n'ont pas bétonné leur plage, eux. A La Baule on a bétonné. Sur la Côté d'Azur on a bétonné. Les Corses eux ont préservé leur environnement. Mais il est vrai que c'est un peu au détriment de leur développement puisque non seulement ils ont la loi littoral, mais ils ont la loi sur la montagne qui s'applique et cela rend franchement tout développement économique. Il y a besoin d'un petit peu de souplesse. On ne fixe bien les règles que d'en haut à Paris. Mais on n'applique bien les choses, on ne règle bien les choses que d'en bas. Et c'est pour ça que je suis régionaliste, de grandes règles nationales. Il ne s'agit pas de défaire la République comme on le raconte souvent. On a besoin de grandes règles nationales. Mais laisser un petit peu de souplesse aux partenaires sociaux pour adapter ces règles au travers du contrat collectif et on a besoin de pouvoir les laisser adapter également aux collectivités locales.
MH : Rapidement, avant de terminer, Alain Madelin, demain, Elisabeth Guigou présente ses mesures anti-licenciement dans l'hémicycle. Un premier regard ?
AM : Loi de circonstance qui dénature ce que doit être une loi. C'est du cinéma. Bien évidemment on n'arrête pas les licenciements par la loi.
MH : Et vous face à un salarié de Danone, vous auriez envie de lui dire quoi ?
AM : Ecoutez, j'ai déjà eu l'occasion de répondre. La responsabilité sociale des entreprises est grande. Et une entreprise comme Danone a toujours pratiqué la responsabilité sociale et va s'efforcer de faire zéro licenciement sec. Maxi reclassement, zéro licenciement. Mais ce que peut faire Danone, la petite entreprise à côté de chez moi ne pourra pas le faire. Donc la question qui se pose pour l'avenir - et si j'étais à la place du gouvernement c'est ce que j'aurais fait - c'est d'imaginer un système de mutualisation du risque de reclassement industriel. On a mutualisé le chômage depuis 1958, le chômage individuel. Je crois que pour éviter une distorsion trop grande entre le reclassement 1ère classe que pourra faire l'entreprise Danone et le reclassement un peu abandonné d'une petite entreprise, il y aura intérêt pour les partenaires sociaux et pour le gouvernement à réfléchir à un mécanisme de mutualisation des risques de façon à ce que l'efficacité de Danone soit aussi au service de toutes les petites entreprises et de tous les licenciés économiques.
AF : Un mot pour conclure, Alain Madelin, la modernisation c'est aussi plus de transparence. Qu'est-ce que vous pensez quand même du climat des affaires, de la mise en examen de Gérard Longuet ? Vous avez été vice-président du Parti Républicain.
AM : Ecoutez, la transparence bien évidemment, la transparence financière et la formation que je dirige en assume totalement la responsabilité, c'est Démocratie Libérale. Et pour assurer cette transparence, j'ai demandé - et ce n'est pas simple - à Thierry Jean-Pierre, l'ancien juge, au-dessus de tout soupçon, d'en assurer la trésorerie. Cela étant, je ne connais pas les détails de l'affaire dans laquelle est impliqué Gérard Longuet, mais je me permets simplement de vous rappeler ce qui s'était passé il y a quelques temps : il avait été impliqué dans une affaire. Il avait dû démissionner de son poste du gouvernement. On en avait beaucoup parlé. On a un peu moins parlé du fait qu'il avait été blanchi par les tribunaux.
MH : Alain Madelin, merci.
(Source http://www.demlib.com, le 22 mai 2001)
Alain Madelin : Bonjour.
MH : A mes côtés, pour vous interroger, Arnaud Fleury qui vous pose la première question.
Arnaud Fleury : Alain Madelin, bonjour. Samedi, vous avez signé une tribune libre dans le Figaro pour dire tout le bien que vous pensiez du modèle de Berlusconi. Est-ce que vous pensez que son programme est adaptable en France ?
AM : J'en fais cet article pour souligner le décalage entre la France et l'Italie. Mais en réalité, le décalage est entre la France et l'ensemble de l'Europe. Ce qui me frappe c'est que partout les sociétés sont en mouvement vers le nouveau siècle, le nouveau monde et que la France se caractérise par son immobilisme.
L'Italie, voyez-vous, c'est au cours des dernières années une formidable révolution : 300.000 fonctionnaires en moins, 10 points de prélèvement obligatoire en moins en 10 ans, la réforme du ministère des Finances, la réforme des chemins de fer, la fin du statut de la fonction publique pour passer sous des contrats de droits privés, la flexibilité du travail, les privatisations massives, la décentralisation. Ca c'était avec un gouvernement de gauche dirigé par un ancien communiste, M. d'Alema.
Là-dessus vous avez une compétition entre M. Rutelli à la tête de la coalition de gauche - je connais bien M. Rutelli, il est membre comme moi de l'Internationale libérale - contre M. Berlusconi que je connais bien aussi, qui est un ami et qui est membre du Parti Populaire Européen. Et M. Rutelli avait un programme audacieux déjà. Juste un exemple, réforme fiscale : baisser à 40% l'impôt sur le revenu, maximum, 4 tranches et 4 points de prélèvements obligatoires en moins en 5 ans. Eh bien Berlusconi a été mieux disant et il a proposé : 3 tranches, 33% et un ensemble de réformes encore beaucoup plus audacieuses. Bref, les Italiens qui ont été déjà pas mal audacieux au cours des quelques dernières années ont choisi d'en remettre avec encore davantage d'audace dans les réformes.
Et ces réformes sont en oeuvre en Angleterre avec Margaret Thatcher, John Major et avec toujours Tony Blair, en Belgique avec Guy Verhofstadt, en Allemagne avec la nouvelle CDU et Gerhard Schroder, en Espagne avec Aznar, maintenant en Italie avec Berlusconi. Reconnaissez qu'il y a de quoi s'inquiéter sur l'immobilisme français.
AF : Alors, Alain Madelin, ce qui est à noter, c'est que sur le site internet de Démocratie libérale, vous faites même une simulation de ce qu'un Français avec le système italien... Est-ce que tout de même vous pensez que ce programme de Berlusconi pourrait servir d'ossature à votre programme présidentiel, l'an prochain ? Est-ce que ce serait populaire ?
AM : D'abord nous ne sommes pas vraiment encore en campagne. Et je crois que la campagne présidentielle est extrêmement ouverte et que son enjeu sera de sortir de l'immobilisme et de faire à notre tour les grandes modernisations. Tous les pays autour de nous ont accompli ou sont en train d'accomplir 4 révolutions.
La révolution fiscale, celle de la nouvelle croissance du plein emploi. Et c'est pour cela que pour ma part je suis aussi partisan de la suppression de l'impôt sur les donations, d'un certain nombre d'impôts imbéciles et d'abaisser le maximum d'impôt sur le revenu à 33%.
La révolution de l'Etat : l'Etat du nouveau monde ce n'est pas l'étatisme du 20ème siècle. Il faut recentrer l'Etat sur ses missions essentielles : la sécurité, la justice, et l'alléger dans toutes les fonctions inutiles, en commençant par alléger le maquis des lois et des règlements.
La révolution de l'école et là il y aurait beaucoup à faire quand on voit l'immobilisme français. Partout on va vers la liberté de choix totale des parents de l'école de leurs enfants et l'autonomie la plus grande des établissements scolaires pour faire confiance aux enseignants afin de réaliser une meilleure école.
Enfin, c'est un sujet d'actualité, la révolution régionale. On décentralise massivement. On inscrit le principe de subsidiarité. Vous savez c'est le principe qui consiste à dire : tout ce qui peut être fait en bas doit être laissé en bas. On l'inscrit dans la Constitution et on transfère massivement les pouvoirs, les ressources fiscales vers les régions.
Eh bien ces 4 révolutions, ce sont les 4 révolutions que je veux porter au coeur du débat des élections présidentielles. Partout ce choix est proposé, il est choisi. Et je en vois pas pourquoi il n'en serait pas de même en France. On dit qu'il y a une exception française. L'exception française c'est le manque de courage des politiques qui n'ont jamais osé proposer cette politique-là.
MH : Alors, justement, la Corse, vous venez d'en parler on va y revenir. Je vous écoutais parler et j'ai eu un flash. Je me suis souvenu de vous avoir aperçu il y a quelques années dans un grand hôtel parisien devant un parterre très prestigieux de chefs d'entreprise.
AM : Oui, je vois de quoi vous allez parler.
MH : Vous étiez avec énormément de fougue et d'enthousiasme...
AM : Je n'étais pas tout seul.
MH : ... défendre le programme économique du candidat Chirac. C'était en 1995. Qu'est-ce qui s'est passé ? Vous aviez eu l'air d'avoir une telle foi dans son programme économique.
AF : C'est parce qu'il n'y a plus de fracture sociale...
AM : Eh bien disons que j'ai effectivement contribué à la rédaction de la profession de foi de J. Chirac. Il a pris la profession, j'ai gardé la foi.
AF : Tout de même, vous êtes crédité de 5%. François Bayrou est crédité de 6%. Est-ce qu'on n'est pas là en train de voir l'émergence d'une droite plurielle, mais bien singulière tout de même ? Vous iriez jusqu'au bout ?
AM : Oui, parce qu'en réalité, ça ce sont des chiffres de départ pour l'ensemble des candidats. J'ai même quelques sondages heureusement un peu plus flatteurs. Mais je suis persuadé qu'il y a une majorité de Français sur les quelques propositions que je viens d'esquisser, une majorité potentielle, et qu'il ne faut pas se fier à la photographie de départ. Une campagne électorale c'est un film. Et on va beaucoup réfléchir en France : quel est l'enjeu de cette échéance ? Manifestement c'est un ensemble de réforme. Et qui peut mieux porter ces 4 révolutions que je viens d'évoquer ? Ces 4 révolutions, les porter avec conviction ? Je crois que je suis qualifié pour cela parce que je les porte depuis longtemps. Les porter avec détermination, je crains d'être le seul à proposer ces réformes nécessaires au pays.
MH : Vous craignez d'être le seul. Il y a un instant concernant J. Chirac, vous avez dit : " il a pris la profession, j'ai gardé la foi ". Ce qui est tout de même une formule assez cruelle. Est-ce que lui ne pourrait pas demain porter vos convictions ?
AM : Ecoutez, la modernité beaucoup de gens vont bien évidemment s'en réclamer mais il y a un problème de crédibilité. Toutes ces grandes réformes qui sont entreprises autour de nous, cela fait des années et des années et des années que je les ai proposées dans le détail en France. Eh bien nous en débattrons et puis les Français regarderons qui est celui qui est le plus convaincu.
MH : A vous entendre, la modernité, Chirac n'est pas crédible.
AM : Ecoutez, moi je crois qu'il faut sortir de ce prêchi-prêcha, de ces solutions chèvre-chou, de ces côtés un peu mollo-mollo. De temps en temps on fait preuve d'un petit peu d'audace mais immédiatement on recule. Je crois que les Français en réalité sont beaucoup plus prêts aux réformes que les élites qui les dirigent jusqu'à présent et que l'échéance de 2002 est une échéance tout à fait exceptionnelle puisque manifestement c'est elle qui va déterminer notre entrée dans le nouveau monde. Est-ce qu'on va entrer petits bras ? Ou est-ce qu'on va entrer en force dans le nouveau monde ? Est-ce qu'on va avoir le courage de faire les réformes que, partout autour de nous, je le répète, on a entreprises et qu'il faudra bien entreprendre un jour ?
MH : Alors, justement, à propos de réforme, demain vote solennel sur la Corse. Vous votez dès demain ?
AM : Avec un peu d'hésitation parce que cette réforme n'est pas terrible et ce que je regrette c'est qu'il y ait juste une réforme pour la Corse et qu'on ne l'ait pas étendu à l'ensemble des régions françaises. Et puis qu'on n'est pas été beaucoup plus audacieux dans le sens de l'instauration de vrais pouvoirs régionaux. Mais je crois manifestement que c'est un premier pas et que dès lors qu'on l'aura fait, tous les gouvernements quels qu'ils soient, sauront bien obliger d'en effectuer un second au profit de l'ensemble des régions français.
AF : Mais Alain Madelin, vous voilà régionalisant, à Redon, vous n'étiez pas tellement régionalisant, vous n'étiez pas souvent là d'ailleurs, c'est ce qu'on avait dit.
AM : Attendez si vous voulez dire qu'il n'est pas facile parfois de cumuler les mandats et d'en tirer des leçons de non cumul des mandats et de s'appliquer à soi-même cette leçon. C'est ce que j'ai fait.
Cela étant, pardon, s'agissant de Redon, je défends le bilan exemplaire qui a été ratifié par les électeurs pour mes successeurs puisque nous avons diminué le nombre de fonctionnaires. Nous avons diminué les impôts. Nous avons augmenté les investissements. Nous avons réduit l'endettement. Franchement, qui dit mieux dans une conjoncture assez difficile ? Je trouve au contraire que le bilan de Redon est tout à fait exceptionnel.
AF : Et Redon et l'Ille-et-Vilaine ont besoin de plus régionalisation et notamment peut-être une réforme de la loi sur le littoral. Qu'est-ce que vous en pensez ?
AM : Attendez, juste un mot. On a besoin d'élus à plein temps et quand vous êtes maire, les gens veulent vous voir. Ils ne veulent pas seulement que vous fassiez votre travail à la mairie, ils veulent vous voir sur le terrain. C'est la raison pour laquelle je ne me suis pas représenté.
La loi littoral, écoutez, laissez un peu respirer les régions. La Bretagne comme la Corse sont parfaitement capables de défendre leur littoral.
MH : Donc pour la Bretagne, vous seriez plutôt là aussi pour un aménagement de la loi littoral ?
AM : Ecoutez, ne me faites pas dire ce que je ne veux pas dire. JE ne suis pas pour un aménagement de la loi littoral. Je suis globalement pour le fait de laisser les collectivités locales décider de leur urbanisme. Et si vous voulez aller un tout petit peu plus loin pour essayer de comprendre ce qui s'est passé dans la loi Corse, les Corses n'ont pas bétonné leur plage, eux. A La Baule on a bétonné. Sur la Côté d'Azur on a bétonné. Les Corses eux ont préservé leur environnement. Mais il est vrai que c'est un peu au détriment de leur développement puisque non seulement ils ont la loi littoral, mais ils ont la loi sur la montagne qui s'applique et cela rend franchement tout développement économique. Il y a besoin d'un petit peu de souplesse. On ne fixe bien les règles que d'en haut à Paris. Mais on n'applique bien les choses, on ne règle bien les choses que d'en bas. Et c'est pour ça que je suis régionaliste, de grandes règles nationales. Il ne s'agit pas de défaire la République comme on le raconte souvent. On a besoin de grandes règles nationales. Mais laisser un petit peu de souplesse aux partenaires sociaux pour adapter ces règles au travers du contrat collectif et on a besoin de pouvoir les laisser adapter également aux collectivités locales.
MH : Rapidement, avant de terminer, Alain Madelin, demain, Elisabeth Guigou présente ses mesures anti-licenciement dans l'hémicycle. Un premier regard ?
AM : Loi de circonstance qui dénature ce que doit être une loi. C'est du cinéma. Bien évidemment on n'arrête pas les licenciements par la loi.
MH : Et vous face à un salarié de Danone, vous auriez envie de lui dire quoi ?
AM : Ecoutez, j'ai déjà eu l'occasion de répondre. La responsabilité sociale des entreprises est grande. Et une entreprise comme Danone a toujours pratiqué la responsabilité sociale et va s'efforcer de faire zéro licenciement sec. Maxi reclassement, zéro licenciement. Mais ce que peut faire Danone, la petite entreprise à côté de chez moi ne pourra pas le faire. Donc la question qui se pose pour l'avenir - et si j'étais à la place du gouvernement c'est ce que j'aurais fait - c'est d'imaginer un système de mutualisation du risque de reclassement industriel. On a mutualisé le chômage depuis 1958, le chômage individuel. Je crois que pour éviter une distorsion trop grande entre le reclassement 1ère classe que pourra faire l'entreprise Danone et le reclassement un peu abandonné d'une petite entreprise, il y aura intérêt pour les partenaires sociaux et pour le gouvernement à réfléchir à un mécanisme de mutualisation des risques de façon à ce que l'efficacité de Danone soit aussi au service de toutes les petites entreprises et de tous les licenciés économiques.
AF : Un mot pour conclure, Alain Madelin, la modernisation c'est aussi plus de transparence. Qu'est-ce que vous pensez quand même du climat des affaires, de la mise en examen de Gérard Longuet ? Vous avez été vice-président du Parti Républicain.
AM : Ecoutez, la transparence bien évidemment, la transparence financière et la formation que je dirige en assume totalement la responsabilité, c'est Démocratie Libérale. Et pour assurer cette transparence, j'ai demandé - et ce n'est pas simple - à Thierry Jean-Pierre, l'ancien juge, au-dessus de tout soupçon, d'en assurer la trésorerie. Cela étant, je ne connais pas les détails de l'affaire dans laquelle est impliqué Gérard Longuet, mais je me permets simplement de vous rappeler ce qui s'était passé il y a quelques temps : il avait été impliqué dans une affaire. Il avait dû démissionner de son poste du gouvernement. On en avait beaucoup parlé. On a un peu moins parlé du fait qu'il avait été blanchi par les tribunaux.
MH : Alain Madelin, merci.
(Source http://www.demlib.com, le 22 mai 2001)