Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à Europe 1 et à l'AFP le 28, à RTL le 30 et à TV5 le 31 mai 2001, sur le discours de Lionel Jospin sur l'avenir des institutions européennes, notamment l'idée d'une " fédération d'Etats nations", et sur la convocation de M. Moscovici pour témoignage dans le cadre de l'enquête sur l'affaire des marchés publics des lycées d'Ile de France.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Entretien avec Europe 1 le 28 mai :
Q - Avec qui cette Europe souhaitée par Lionel Jospin pourrait-elle se faire ? Je parle de nos partenaires à l'étranger, je ne parle pas de ce qui se passe actuellement en France ?
R - C'est vrai que Lionel Jospin n'a pas parlé le premier. Il a donc eu le temps de travailler davantage son discours et c'est pour cela que ce discours va occuper une place centrale dans le débat sur l'Europe. Il y a déjà eu des versions très fédérales, à l'allemande, qui proposaient, en gros, de supprimer le Conseil des ministres, de le réduire à l'état d'une deuxième chambre législative ; il y a aussi des conceptions très inter-gouvernementales. Je ne suis pas d'accord avec Arlette Chabot : je crois qu'il y a une très grande différence entre le discours de Lionel Jospin et celui de Jacques Chirac. Le discours de Jacques Chirac est un discours important, mais qui est, tout de même, assez proche de l'Europe traditionnelle des Etats, chère aux Gaullistes. Le discours de Lionel Jospin, me semble-t-il, est la première présentation d'une fédération d'Etats-nations. Fédération, car il y a des éléments très fédératifs : une Commission, désormais désignée par les citoyens, lors des élections européennes, un Parlement européen qui devient, au fond, le comptable d'un système législatif avec une réforme du mode de scrutin - c'est très important - une régionalisation. Il y a aussi des éléments nationaux, un Conseil des ministres qui doit être rénové avec des ministres qui seront à la fois coordonnateurs de leur gouvernement et aussi coordonnateurs à Bruxelles. L'expérience que j'en ai, honnêtement, depuis quatre ans, me prouve que c'est quelque chose d'absolument nécessaire. C'est donc la première fois qu'on voit exposer le mécanisme de la fédération d'Etats-nations, non pas comme un mot, non pas avec une ruse sémantique, mais comme une réalité. C'est d'ailleurs une formule qui a été utilisée par Jacques Delors et Joschka Fischer et donc, pas uniquement par quelques européens tièdes.
Q - Sur le contenu social, il y a à la fois cette volonté effectivement de trouver une sorte de consensus à l'intérieur de l'Europe, en tout cas pour aider les travailleurs dans la phase de mondialisation actuelle, et il y a le corollaire de cette affaire-là qui est le dumping fiscal, ce qui a amené immédiatement une réaction de Tony Blair. Qu'en pensez-vous ?
R - Je pense que le système institutionnel, qui est proposé par Lionel Jospin, est à la fois audacieux et réaliste et mérite, je crois, une place très importante. Il suscite d'ailleurs des réactions assez positives - j'ai vu une réaction de Joschka Fischer, le ministre allemand qui a estimé qu'il y avait des points communs entre sa vision et celle de Lionel Jospin. Mais c'est un projet de gauche pour l'Europe sur le contenu : c'est un projet de gauche, avec une Europe qui est un espace de civilisation, un espace de valeurs qui propose des politiques communes. C'est une grande différence avec l'Europe des libéraux ou d'ailleurs l'Europe anglo-saxonne, l'Europe britannique. Ce n'est pas la même chose : nous sommes pour les services publics, y compris à l'échelle européenne. Nous sommes pour un espace de cohésion sociale avec un traité social qui prolongerait la charte sociale. Nous sommes pour le maintien de politiques communautaires extrêmement fortes : la Politique agricole commune doit être réformée, pour être sans doute moins productiviste mais toujours productive. L'Europe doit accentuer son rôle dans le monde, pour organiser la mondialisation avec un gouvernement économique, avec une expression propre de l'euro, avec aussi un président de l'eurogroupe, qui serait élu pour plusieurs années, et non pas au fil des présidences tournantes tous les six mois. C'est donc une vision de gauche, une vision volontariste de l'Europe, mais c'est aussi un combat. L'Europe n'est pas quelque chose de neutre, ce n'est pas quelque chose qui va au fil de l'eau, c'est un projet politique.
Q - Vous dites que Lionel Jospin n'est pas un Européen tiède, mais il y a, dans son discours, l'idée qu'il faut des coopérations renforcées, c'est-à-dire que les pays, qui sont d'accord pour aller plus loin ou plus vite dans un certain nombre de domaines, puissent le faire. Par exemple, dans la conversion de Jacques Chirac à l'Europe, il avait parlé d'un groupe pionnier. C'était une autre formulation d'une idée de Jacques Delors. On ne trouve pas cela chez Lionel Jospin...
R - Jacques Delors, je crois, n'a plus cette idée aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que nous sommes en train d'aller vers une Europe élargie, une Europe non plus de quinze membres, mais une Europe à vingt-sept, trente, avec les anciens pays de l'Est, les pays satellites de l'Union soviétique d'hier. Il s'agit de penser la grande Europe. Il y a une autre différence entre le discours de Jacques Chirac et le discours de Lionel Jospin : le discours du Premier Ministre mentionne la fédération d'Etats-nations conçue comme la grande Europe et non pas un groupe pionnier d'une petite Europe. C'est, je crois, quelque chose de fondamentalement différent. Pour ce qui est de l'avant-garde, Jacques Delors n'en parle plus, me semble-t-il. Pourquoi ? Parce qu'on ne sait pas très bien à qui on va dire : " vous êtes sympathiques, vous adhérez à l'Union européenne, mais vous êtes en division 2... ". Quels seront les critères ? Certains pensent que ce doit être l'euro, mais on ne peut pas faire l'Europe de la défense, par exemple, sans la Grande-Bretagne. C'est pour cela que l'idée que cette avant-garde va se solidifier pragmatiquement autour de ce qu'on appelle les coopérations renforcées, c'est-à-dire des politiques communes en matière d'éducation, en matière d'environnement, en matière de défense, en matière de santé et puis qu'émergera un groupe pionnier, et non pas un noyau dur prédéterminé, est plus pragmatique, plus souple, plus réaliste. C'est la vision aussi qu'attendent les pays candidats de l'Union européenne. Ils n'attendent pas qu'on leur dise qu'ils vont adhérer à une sorte de confédération et qu'au milieu, il y aura un vrai noyau qui est la fédération d'Etats-nations. Non, la fédération d'Etats-nations, pour Lionel Jospin, c'est bien l'Europe élargie, c'est l'Europe toute entière.
Q - Y aura-t-il un accroissement des compétences de l'Union européenne ? Va-t-on développer les coopérations ou accroître les compétences ? Qui va gouverner l'Europe ?
R - C'est le principe d'une Constitution européenne. Il faut qu'il y ait un gouvernement et un pouvoir législatif pour cela. Le gouvernement est double, c'est vrai que c'est assez compliqué : la Commission incarne l'intérêt général communautaire, elle est située à Bruxelles, c'est une instance permanente, qui, c'est vrai, est désignée par les gouvernements, mais dont désormais le Président, dans la version de Lionel Jospin, émanerait des élections européennes. Ensuite, il y a le Parlement européen, le pouvoir législatif. Et entre les deux, le Conseil des ministres qui est co-législateur, donc, qui fait la loi européenne avec le Parlement européen et qui est co-exécutif avec la Commission. Il prépare les décisions. Voilà ce que c'est le gouvernement de l'Europe. Et c'est ce triangle - Commission, Conseil, Parlement - qui a été inventé par les pères fondateurs, qui ont tout de suite compris qu'il y avait à la fois des éléments supra-nationaux mais aussi des éléments nationaux, car les nations restent l'expression d'une légitimité forte. Quant au point de vue des compétences, il n'est pas exclu, au contraire, à partir du moment où on réfléchit à une fédération avec de nouveaux transferts de compétences ou de souveraineté, qu'elles descendront au niveau des Länder, des régions, car il faut toujours obéir à ce qu'on appelle le principe de subsidiarité, autrement dit, faire le plus près possible du terrain.
Q - Une Europe de gauche, qui en veut ? Blair en veut-il alors qu'il est social-démocrate et réformiste ? Schröder en veut-il ? Berlusconi en veut-il ? Evidemment non. Aznar en veut-il ? Evidemment non. Donc, à qui s'adresse cette force de proposition contenue dans ce texte ?
R - Elle s'adresse à tous les Européens. Elle s'adresse aussi à la famille socialiste, parce que nous avons eu un congrès du Parti des Socialistes européens à Berlin il y a quelques jours. D'ailleurs, juste avant, Gerhard Schröder avait proposé sa vision, qui était une vision fortement intégrée sur le plan institutionnel, mais assez désintégrée sur le plan politique, avec notamment la fin de la Politique agricole commune, la remise en cause de la politique régionale. Je crois que nous devons effectivement défendre, à l'échelle européenne, cette idée d'une Europe de gauche, d'une Europe qui soit volontariste, d'une Europe qui soit active, d'une Europe qui ait un projet politique, d'une Europe qui ne soit pas qu'un grand marché, d'une Europe qui ne soit pas que la prolongation du Marché commun qui a été crée en 1957, mais qui soit plus que cela. Effectivement, je comprends tout à fait que les questions qui se posent soient : quelle Europe voulons-nous ? Le contenu est plus important que le contenant. Il faut de bonnes institutions, mais elles n'ont pas de sens s'il n'y a pas de bonnes politiques.
Q - A propos de la monnaie unique, on a vu que les Allemands étaient favorisés, étant donné qu'un euro ne valait que 2 marks. Pensez-vous qu'une fois que l'euro sera vraiment rentré dans la circulation à partir du 1er janvier 2002, on pourrait remodifier cette parité ?
Les Allemands occupant une place prépondérante grâce à leur nombre d'habitants et à leur PIB, pensez-vous qu'une fois l'Europe monétaire vraiment mise en marche activement, l'Allemagne n'écrasera pas la France ?
R - Je crois qu'il y a une petite confusion. La parité de l'euro est la même partout. C'est déjà notre monnaie et cette parité est fixée de façon irrévocable. Pourquoi 2 marks et 6 francs et quelques centimes ? Tout simplement parce qu'avant, le mark valait à peu près trois francs et donc, c'est la traduction de la divergence des monnaies. Aujourd'hui, nous avons la même monnaie avec la même parité et un Français, un Allemand ont exactement le même pouvoir d'achat, ce qui n'était pas le cas auparavant, puisqu'il y avait des taux d'intérêt tout à fait différents. Quant à la deuxième réponse, je pense que l'Allemagne dominait beaucoup plus la France avant l'euro qu'elle ne la domine maintenant. Aujourd'hui, par exemple, à la Banque centrale européenne, le gouvernement de la banque française a le même poids exactement que le gouvernement de la banque allemande alors qu'avant, on sait bien que la Bundesbank entraînait l'ensemble des monnaies. Donc, pour moi, l'euro est plutôt un gain de souveraineté, un gain de poids et de pouvoir pour la France qu'une perte de poids et de souveraineté.
Q - Sur l'euro, tout le monde s'inquiète et Laurent Fabius, le Président de la République, et évidemment le Premier ministre, s'inquiètent... on pousse un peu les machines pour la mise en place de l'euro en janvier. A quelques semaines des élections des échéances électorales, cela va-t-il peser ? Y a-t-il des difficultés sur la mise en place de l'euro ? A votre avis, les politiques vont-ils payer ?
R - Je pense, d'abord, qu'il y a un travail à faire de mobilisation tout à fait intense. On a pu constater, par exemple, que les petites et moyennes entreprises, et surtout les très petites entreprises, ne sont aujourd'hui pas prêtes. Il y a un délai de six mois, nous sommes à six mois du 1er janvier et donc, il est logique de mobiliser, de dire qu'il faut s'y mettre et informer les Français, notamment à travers une brochure qui sera distribuée à 28 millions de Français. Mais là, j'ai confiance car les Français ont cette volonté, ont aussi beaucoup de savoir-faire. Il n'y aura pas de bogue de l'euro, il n'y a pas eu de bogue de l'an 2000, donc sur le plan technique, les choses seront réussies. Mais pour le reste, qui peut nier que le changement d'une monnaie en aussi peu de temps est un choc psychologique ? D'où la nécessité d'informer, la nécessité de rassurer et peut-être y a-t-il là une forme de deuil à faire rapidement ? Quel sera l'impact psychologique de tout cela ? Je ne peux pas le prédire. Cela pèsera-t-il sur les élections ? Je ne le crois pas, mais, je ne doute pas que certains essaieront de surfer comme d'habitude sur les peurs françaises, les souverainistes notamment. On entendra parler de l'euro dans la campagne présidentielle, ce ne sera pas décisif mais ce sera un petit soutien pour ceux qui comme d'habitude pensent que l'Europe défait la France, ce qui est une pensée, pour moi, profondément fausse.
Q - Que peut faire la France pour que l'Europe ait un poids plus important dans l'échiquier politique ?
R - Je pense qu'à partir du moment où on a un projet européen, réellement fort, fondé sur des valeurs, avec des idées, avec encore une fois des politiques communes, la France fera entendre sa voix. Si on est, au contraire, réduit à un marché avec les institutions actuelles, il n'y aura pas de poids de la France. Par exemple au Parlement européen, nous sommes aujourd'hui moins forts que l'Allemagne, tout simplement parce que nous avons moins d'habitants. Je crois que c'est aussi à cela qu'a voulu répondre Lionel Jospin. Il disait qu'il était français, qu'il se sentait européen, qu'il voulait faire l'Europe sans défaire la France. C'est le sens de son projet, un contenu fort, un vrai projet européen avec, par exemple, un parquet européen en matière de justice, que l'on puisse avancer aussi en matière de police, donc des politiques fortes et une architecture institutionnelle solide, robuste, imaginative mais aussi réaliste. C'est, je crois, ce qu'il a tenté de dire ce matin.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mai 2001)
Entretien avec l'AFP le 28 mai :
Q -Après ce discours, le fossé ne paraît-il pas encore plus profond entre la France et l'Allemagne ?
R - Ce n'est pas la réponse à l'Allemagne. C'est la vision d'un responsable politique français qui s'appelle Lionel Jospin, qui permet d'avoir une position centrale dans le débat.
Il y a d'un côté ceux qui proposent le fédéralisme à l'allemande, d'un autre côté ceux qui restent nostalgiques de l'inter-gouvernemental. Il y a pour la première fois exposé le fonctionnement d'une fédération d'Etats-nations avec ses éléments fédératifs et aussi avec ses éléments nationaux, et notamment la réforme très importante du Conseil des ministres.
Il y a là une tentative de synthèse entre l'audace - le projet fédéral - et aussi la réalité des Etats-nations qui demeure. C'est un discours qui peut tout à fait nourrir par exemple un dialogue avec le ministre allemand des Affaires étrangères, Joschka Fischer.
Q - Une simple adaptation ou "évolution" des actuelles institutions est-elle suffisante pour faire fonctionner l'Europe élargie ?
R - D'abord, le modèle institutionnel actuel est un modèle qui a été voulu par les fédéralistes. Les pères fondateurs ont eu cette intuition absolument géniale qu'il y avait une dualité entre le besoin de mettre en commun des compétences à un niveau supranational, d'autre part le besoin de respecter les identités nationales.
L'intuition de Lionel Jospin, c'est qu'il fallait rénover complètement le triangle institutionnel, mais sans le rompre.
Mais je note aussi que le Premier ministre ouvre une piste à la constitution d'une avant-garde, à travers des coopérations renforcées. Je crois que c'est une approche plus souple, plus pragmatique que certains "centres de gravité" ou "groupes pionniers", parce qu'à l'évidence, les Etats concernés ne sont pas les mêmes selon qu'on parle de monnaie ou de défense. Dans un cas, on fait sans la Grande-Bretagne, dans un autre cas, on fait avec elle.
Q - Quelle différence entre M. Jospin et le président Jacques Chirac qui parle lui aussi de Constitution et de fédération d'Etats-nations ?
R - Il ne suffit pas d'utiliser des mots pour désigner des choses. Comme l'a dit Lionel Jospin, une Constitution n'a pas de sens si elle n'est que la réécriture du traité.
La Constitution, c'est la description d'une architecture politique complète dans l'Europe élargie. La fédération d'Etats-nations, Lionel Jospin en propose la première version développée et complète.
Le modèle présenté par Jacques Chirac laissait peu de place à la Commission, traitait plutôt d'un groupe pionnier que de la grande Europe, alors que le discours de Lionel Jospin met l'accent fortement sur la méthode communautaire.
Avec le même mot - fédération d'Etats nations -, ils décrivent des réalités assez différentes.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 mai 2001)
Interview à RTL le 30 mai :
R. Elkrief Les juges chargés de l'affaire des marchés publics des lycées d'Ile de France demandent à vous entendre ainsi que C. Bartolone, le ministre de la Ville. Il y a quelques procédures à respecter, notamment l'autorisation du Conseil des ministres puisque vous êtes ministre mais vous, souhaitez-vous vous rendre à cette convocation ?
- "Evidemment, pour trois raisons. La première est que j'estime qu'un citoyen, quel qu'il soit, même quand il est un responsable politique - un ministre par exemple - doit répondre à la justice de son pays et doit l'aider. Cela me paraît être un devoir civique."
C'est une allusion au Président de la République qui ne souhaite pas se rendre à des convocations ?
- "Permettez-moi, quand quelque chose comme cela arrive, de ne pas en faire un usage polémique mais de répondre simplement pour ce qui me concerne dans ma fonction. Deuxièmement, je souhaite rappeler ce qu'est un témoin car on nous cite comme témoins. Un témoin n'est pas quelqu'un contre qui il existe des charges. Un témoin, c'est quelqu'un dont le juge estime que le témoignage peut être utile à la révélation de la vérité. Je suis volontiers prêt, si je le peux, à contribuer à la vérité. Troisièmement, il est nettement préférable à des citations, ici ou là, de temps en temps, qui sont imprécises, inexactes, désobligeantes qui portent atteinte à la dignité et à l'image d'une personne ou d'un homme. Je suis un homme dont l'éthique personnelle et politique est révulsée par la corruption sous toutes ses formes."
Sur le fond de l'affaire : c'était le président de l'association du financement du PS - G. Pévenesse - qui avait dit que tous les trésoriers du parti socialiste étaient informés des ententes entre les entreprises et de leur corollaire, la répartition d'un pourcentage contre un marché qui était de 2 % à peu près pour chaque parti.
- "Je viens de vous dire que je répondrais volontiers à la convocation d'un juge. A partir de ce moment, je ne vais pas répondre sur le fond ici. Je vous rappelle ce qu'est qu'un témoin. Un témoin est quelqu'un qui arrive dans le cabinet du juge et qui promet de dire toute la vérité et rien que la vérité. Je dirai toute la vérité et rien que la vérité. J'ajoute que dans cette affaire, je n'ai absolument pas peur de la vérité."
Hier, L. Jospin a donné rendez-vous au parti communiste le 13 juin prochain pour voter la loi sur la modernisation sociale. Les commentaires sont très sévères : "surenchères, combines, reculade." L. Jospin s'est-il affaibli ?
- "Non, je ne crois pas. Je pense que nous sommes effectivement dans la dernière année d'une législature. Nous sommes aussi dans un système de coalition. Dans une coalition, on discute avec ses partenaires ; on est obligé de trouver des solutions et des compromis."
Elle va plus mal qu'avant.
- "C'est plus difficile, notamment du fait de l'attitude du parti communiste qui pousse à des amendements nouveaux dont certains, on le sait, ne seront pas acceptés. Il n'y aura notamment pas de droit de veto sur les licenciements ou de retour à l'autorisation administrative de licenciement."
N'y aura-t-il pas de concessions trop fortes qui remettront en question l'équilibre du projet ?
- "Il peut y avoir des discussions, il va y en avoir, qui porteront notamment sur les droits des salariés dans les entreprises. Je pense que ce texte sur la modernisation sociale est un bon texte parce qu'il fait l'équilibre entre la protection nécessaire des salariés et la responsabilité des entreprises."
Pourquoi avez-vous accepté de le changer ?
- "Encore une fois, parce que nous sommes dans un système parlementaire et qu'il n'y avait pas de majorité pour faire autrement : il est donc logique de discuter avec ses partenaires. Derrière tout cela, nous devons avoir une réflexion sur la majorité plurielle. Sa définition, c'est d'être plurielle, c'est indispensable. Cela signifie qu'il n'y a pas d'hégémonie du parti socialiste par rapport aux autres et qu'ils ne sont pas le doigt sur la couture du pantalon. En même temps, il ne faut pas que cette diversité, cette pluralité, tourne à la cacophonie. On l'a vu près de nous en Italie. En tant que ministre des Affaires européennes, j'ai suivi cela de près : ce n'est pas M. Berlusconi qui a gagné les élections - en nombre de voix il n'est pas majoritaire - ; il a gagné les élections à cause de l'hétérogénéité, de la diversité, de l'incohérence de la coalition d'en face. On a vu que sur le deuxième tour des élections municipales, la gauche a gagné à Rome, à Turin, à Naples. C'est aussi un message pour nous : "soyons divers, défendons nos théories ou des positions diverses mais restons cohérents." Le talisman de la gauche plurielle, c'est la cohérence. Quelle ne se défasse pas !"
Tout de même, on a l'impression que ce n'est que le début de crises à répétition. N. Mamère, hier, a dit "Il ne faut pas qu'il y ait deux poids deux mesures. Maintenant, si nous nous avons des choses à demander il va falloir nous céder aussi."
- "On entre dans une période pré-électorale, l'élection présidentielle précédant les élections législatives. Il est assez logique qu'il y ait davantage de différenciations et que celles-ci s'expriment."
Ne va-t-il pas y a voir un vote à la carte et un Premier ministre affaibli ?
- "Non. Il est très important que tout cela reste cohérent. Soyons différents : nous allons chercher d'ailleurs des électeurs différents au premier tour, nous défendons des thèses différentes. Un Vert n'est pas un socialiste qui n'est pas un communiste, qui n'est pas un homme du Mouvement des citoyens. En même temps, sachons nous retrouver sur l'essentiel au Gouvernement et puis aussi nous retrouver sur l'unité au deuxième tour, que ce soit dans la présidentielle ou dans les législatives. Donc, pas d'incohérences."
L. Jospin a fait un discours important sur l'Europe lundi. En l'écoutant, on ne voit pas très bien la différence avec J. Chirac. Ils ont utilisé les mêmes termes : "fédération d'Etats-nations ; constitution européenne." Comment un électeur de base qui devra sans doute choisir entre les deux personne l'année prochaine, fera-t-il la différence ?
- "Il y a sans doute des points communs, mais il y a des différences d'approche profondes. Il y a des choses qu'on ne peut pas combattre : l'habileté sémantique par exemple. Il est vrai que le Président de la République a parlé de "constitution" et de "fédération d'Etats-nations." Mais quand on a dit cela, ce qui compte, ce sont les choses que l'on met derrière. Or - sans faire de procès-, il y a une différence de philosophie profonde entre le post-gaulliste qu'est J. Chirac et le socialiste qu'est L. Jospin. D'abord, différences sur l'approche du projet, sur le contenu : le contenu de l'Europe de L. Jospin, c'est une Europe de gauche. Différences aussi sur le contenant, parce que J. Chirac reste quelqu'un qui croit beaucoup - et il l'a écrit d'ailleurs - à l'Union européenne des Etats, donc prima du rôle des gouvernements."
Mais il parle de "fédération d'Etats-nations", c'est le même terme à ma connaissance et à celle de tous observateurs que celui employé par L. Jospin !
- "La "fédération d'Etats-nations" est un thème dont certains soulignent qu'il est un oxymore, puisqu'il réunit deux termes antagoniques, la fédération et les Etats-nations. Cela peut être aussi un peu le pâté d'alouette, c'est-à-dire beaucoup de fédération, un peu d'Etats-nations. J'ai donc l'impression que l'équilibre entre la fédération et l'Etats-nations n'est pas identique chez J. Chirac et chez L. Jospin."
Il y aurait donc plus de fédération que d'Etats-nations chez L. Jospin.
- "Absolument."
Je ne sais pas si les Allemands l'ont compris comme cela.
- "J. Fischer, le ministre des Affaires étrangères, a réagi de façon positive, D. Cohn-Bendit a dit qu'il y avait la matière à un dialogue : ils ont bien compris que L. Jospin avait présenté la fédération d'Etats-nations de façon peut-être plus équilibrée, en insistant sur les éléments d'intérêt général que sont le rôle de la Commission de Bruxelles - qui doit être un rôle d'impulsion, de proposition -, en insistant sur le rôle du Parlement européen, en mettant en lien le Parlement européen et la Commission de Bruxelles, notamment avec le fait que le président de la Commission, aujourd'hui M. Prodi, nommé par les chefs d'Etat et de Gouvernement, sera désormais le vainqueur des élections européennes, qui deviendront donc un très grand rendez-vous démocratique. Il y a donc plus d'importance donnée aux éléments communautaires chez L. Jospin que chez J. Chirac. C'est pour moi un fait. Ce n'est pas quelque chose de critiquable mais cela offre matière à un débat. Il faut savoir que dans un cas, on aura sans doute plus de rôle donné aux gouvernements, aux Etats, aux Nations ; dans l'autre, on aura un système qui a mon avis crée un bon équilibre entre les trois éléments."
Concernant les rapports franco-allemands que vous ranimez, avez-vous l'impression que le discours de Jospin est fait pour cela ?
- "Ce n'est pas fait pour, c'est une contribution au débat qui va se dérouler jusqu'en 2004. En même temps, j'ai dit qu'il y avait là matière à discussion, par exemple avec J. Fischer. Par ailleurs, sur tous les sujet concrets, nous discutons sans arrêt avec les Allemands, notamment à travers des sommets périodiques, toutes les six à huit semaines. Donc, cela avance bien."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 30 mai 2001)
Extraits de l'entretien avec TV5 le 31 mai :
Q - Lionel Jospin propose de renforcer le Conseil des ministres, mais aussi de renforcer la Commission de Bruxelles. N'est-ce pas paradoxal ? Il dit qu'il y a un manque de légitimité politique de la Commission.
R - Vous avez dit, tout à l'heure dans le reportage, qu'il refusait le fédéralisme. Je ne partage pas cet avis. Il propose la notion, forgée par Jacques Delors et reprise par Joschka Fischer, qui a d'ailleurs accueilli favorablement ce discours, d'une fédération d'Etats-nations. Cela traduit bien ce qu'est l'Europe d'aujourd'hui. Il y a des éléments fédéraux. La Commission, pour moi, est très importante. Elle est l'incarnation de l'intérêt général communautaire. Le Parlement européen, dont je souhaite qu'il soit plus démocratique, notamment avec une réforme du mode de scrutin, est l'embryon d'un peuple européen. Il y a aussi les Etats-nations, qu'on ne peut pas négliger, d'où le terme de "fédération d'Etats-nations". Une fédération, oui, je suis pour la fédération, je suis fédéraliste, mais en même temps, je ne peux pas nier les faits nationaux. Peut-être cela viendra-t-il dans quelque temps. Mais, je ne crois pas qu'aujourd'hui, on puisse considérer que l'Allemagne, c'est la Californie, la France, c'est le Texas, que Chypre, c'est l'Arkansas, que Malte, c'est le Tennessee et que tous ces Etats ont exactement le même nombre de voix dans un sénat. Je ne vois pas demain, Gerhard Schröder, Jacques Chirac ou Lionel Jospin être des sénateurs des Etats-Unis d'Europe, ne serait-ce que parce que nous n'avons pas la même langue et que nous avons une plus grande diversité culturelle.
Q - En défendant cette idée de fédération d'Etats-nations, n'est-ce pas la bouteille à moitié vide et à moitié pleine ?... On essaie de faire plaisir à tout le monde, ceux qui défendent les nations, ceux qui sont favorables à une Europe fédérale...
R - Il ne s'agit pas de faire plaisir. L'Europe a eu des pères fondateurs : Jean Monnet, Maurice Schuman, Maurice Faure, Alcide De Gasperi, Paul-Henri Spaak...C'étaient des fédéralistes. Pourtant, ils ont eu tout de suite cette intuition qu'il fallait à la fois des institutions profondément communautaires et aussi des institutions nationales. Ils ont inventé le Conseil des ministres. Pourquoi aujourd'hui, déciderions-nous que, tout à coup, les Etats-nations n'existent pas. Je vais vous donner un argument supplémentaire. Demain, il y aura des pays comme la Pologne, la Hongrie, la Roumanie, qui vont nous rejoindre. Ces pays ont retrouvé la démocratie et l'identité nationale, il y a dix ans. Voulez-vous les en priver tout de suite ? On va créer une sorte d'Etats-Unis, dans lesquels il n'y aura plus d'identités nationales ? Ce n'est pas la réalité. Quand Lionel Jospin dit qu'il est français et qu'il se sent européen, c'est aussi un peu le cas de tous ces pays.
Q - Il n'y a pas que la Pologne ou la Slovénie qui ont une identité nationale. Ce n'est pas un hasard si les deux pays qui sont les plus réticents à une Europe fédérale, ce sont la Grande-Bretagne et la France...
R - Les socialistes français ont toujours eu une tradition fédéraliste. Le discours de Lionel Jospin s'inscrit dans cette tradition avec une correction heureuse, qui est que nous ne souhaitons pas abdiquer notre identité nationale. Le terme de fédération d'Etats-nations, qui montre, d'ailleurs, une évolution de l'Allemagne, puisque Joschka Fischer s'en réclame, montre que l'on va vers cette synthèse.
Q - Il ne parle pas d'une fédération d'Etats-nations mais d'une Europe fédérale...
R - Non, pas du tout. Joschka Fischer explique qu'il y a trois modèles : le modèle intergouvernemental, la coopération des Etats - je propose de l'écarter -, le fédéralisme pur - c'est ce que nous propose le SPD de Gerhard Schröder, et Joschka Fischer estime, comme nous, que ce n'est pas réaliste - et un modèle intermédiaire, celui de la fédération d'Etats-nations. Il y a là matière à dialogue. Le fait que Joschka Fischer, qui est une référence, montre que le discours de Jospin est une source de dialogue, est très important.
Q - Y a-t-il une tonalité de gauche dans le discours de Lionel Jospin ? Il a parlé, par exemple, d'un gouvernement économique pour la zone euro... Faut-il contrôler le libéralisme ?
R - Si j'utilisais une formule, je dirais que Lionel Jospin a un modèle européen central, pour ce qui concerne le débat : il tient compte de ce qu'ont dit les uns et les autres, Blair, Chirac, Schröder, Fischer... Sa position est centrée, c'est une forme de synthèse. Cela peut être réaliste, c'est réalisable.
Q - Au centre, toutes ?
R - Au centre du débat européen, sur les institutions. Mais, à gauche sur le projet, car il ne faut pas oublier que l'Europe, ce n'est pas un contenant, un concours de beauté institutionnel. On ne va pas décider des belles institutions pour elles-mêmes, mais pour mener un projet. Le projet européen de Lionel Jospin est de gauche, oui. Nous voulons des services publics européens, nous souhaitons des politiques intégrées fortes, une Politique agricole commune, une politique sociale, régionale... et nous voulons un gouvernement économique de l'Europe, car l'euro a besoin de parler d'une seule voix, d'avoir une seule représentation extérieure, par exemple. Nous voulons une Europe forte dans la mondialisation, une Europe de gauche, c'est vrai. Mais, c'est aussi un débat qui s'ouvre d'ici à 2004. Nous n'avons pas de raisons d'abdiquer nos valeurs. L'Europe est un modèle de civilisation, c'est un espace de valeurs, c'est donc un espace politique.
Q - Vous avez parlé de la Pologne. Un mot sur l'élargissement. Etes-vous toujours optimiste ? Vous avez cité la date de 2004. Y croyez-vous toujours ?
R - Je souhaite qu'on puisse réaffirmer, préciser une date que nous avons fixée à Nice : en juin 2004, aux prochaines élections européennes, il faut qu'il y ait de nouveaux pays qui votent pour désigner des représentants au Parlement européen.
Q - Ce qui veut dire que des électeurs polonais pourraient voter aux élections de 2004 ?
R - Je ne vais désigner tel ou tel pays. Pourquoi pas les Polonais ? Nous voulons qu'ils soient parmi les premiers. Je souhaite que les traités d'adhésion soient signés, ratifiés avant ce moment-là, et que les électeurs de ces pays puissent désigner des parlementaires européens aux élections de 2004, avec un mode de scrutin régionalisé - c'est très important, car il faut qu'on puisse se reconnaître dans son député européen./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le05 juin 2001)