Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur les actions de prévention des discriminations dans l'accès au logement et la réforme des procédures d'attribution des logements sociaux, à Paris le 7 novembre 2012.

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Circonstance : Clôture du colloque Défenseur des droits, ACSE et le CNFPT sur le thème "Egalité dans le logement", à Paris le 7 novembre 2012

Texte intégral

Madame la Présidente, chère Naïma Charaï,
Monsieur le Défenseur des droits, (Dominique Baudis)
Monsieur le Directeur général du CNFPT, (Vincent Potier)
Monsieur le délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, cher Christophe Robert
Monsieur le directeur général de l’Acsé, (Rémi Frentz)
Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un plaisir tout particulier d’être présente aujourd’hui pour clôturer vos travaux. Ce séminaire et les échanges que vous avez eu l’occasion d’y mener représentent à mes yeux une étape déterminante.
Je tiens avant tout à remercier les partenaires qui ont rendu possible l’organisation de cette journée : l’Acsé, le Défenseur des droits et le Centre National de la Fonction Publique Territoriale.
Nous sommes réunis aujourd’hui sous l’égide d’une formule : « Egalité dans le logement : comprendre, s’engager, agir ensemble ».
Comprendre, c’est malheureusement faire l’amer constat que les discriminations sont encore bien réelles et que les inégalités dans l’accès au logement persistent. Vous savez à quel point le Gouvernement a choisi de faire du logement une priorité.
Je veux dire devant vous que je suis consciente, et bien consciente, qu’aujourd’hui encore, des personnes se voient refuser la location d’un logement en raison de prétextes peu clairs, dissimulant des motifs liés notamment à la faible robustesse supposée de leur revenu, leur origine, leur âge, leur état de santé, leurs convictions religieuses ou encore leur orientation sexuelle. C’est une réalité et nous devons y faire face. A titre d’exemple, le tout récent sondage réalisé par l’Ifop pour le Défenseur des droits révèle que 27% des Français estiment avoir été victimes de discrimination lors de la recherche d’un toit, chiffre qui atteint 35% chez les habitants des Zones Urbaines Sensibles.
Comprendre, c’est donc assumer que demeurent des représentations subjectives, ancrées dans l’inconscient collectif. Elles renvoient à des stéréotypes qui conditionnent l’image que se font certains bailleurs des candidats à la location, qu’ils jugent « à risques » et présument plus à même de ne pas payer leurs loyers ou de dégrader leur bien.
S’engager, c’est réaffirmer l’importance de l’égalité face au logement.
Nous ne pouvons pas laisser se banaliser ces pratiques discriminatoires, nous ne pouvons accepter qu’elles perdurent.
Car la perte infligée à celle ou celui à qui l’on refuse un logement n’est pas seulement matérielle mais aussi morale. Elle fait naître, ou accentue, un sentiment d’injustice chez l’individu, qui est alors nié dans ses droits.
Agir ensemble, c’est utiliser la force collective pour réduire les inégalités ; c’est bien la seule méthode pour y parvenir.
Il faut que nous assumions une évidence : c’est quand la vigilance décroît que les pratiques discriminatoires reprennent de la force. Dans le champ de la lutte contre les discriminations, il est impossible de se reposer sur ses acquis. Il ne suffit pas que des lois existent, il faut que nous nous donnions collectivement les moyens de les faire appliquer, il faut que soit valorisée l’information des publics et l’action des associations.
Je souhaite rendre hommage aux acteurs déjà engagés dans cette lutte qui, quotidiennement, ne se résignent pas, même quand la situation ne donne pas le sentiment de progresser.
Les villes et communautés d’agglomérations, les départements, les bailleurs – sociaux comme privés –, les intermédiaires du logement et les associations sont autant d’acteurs qui agissent sur leur propre champ de compétence et ce faisant, assument leurs responsabilités avec imagination et pertinence.
Je tiens à saluer l’action menée par les pouvoirs publics et leurs opérateurs, au premier rang desquels l’Acsé. En mettant en oeuvre des plans de prévention, en développant des actions de formation des acteurs des territoires, l’Acsé a largement développé la prévention des discriminations dans le logement.
Je désire également rendre hommage à l’action du Défenseur des droits, pour qui la lutte contre les discriminations est un volet essentiel (8183 demandes reçues en 2011). Par ses compléments d’enquête, ses médiations et ses appuis devant les juridictions, il mène une action véritablement structurante auprès de nos concitoyens. Cette oreille attentive, cet aiguillon des pouvoirs publics, est à mes yeux absolument indispensable.
Je tiens aussi à souligner l’implication des collectivités et du Centre National de la Fonction Publique Territoriale, véritable diffuseur d’idées et de méthodes.
Je tiens à rappeler le chemin déjà parcouru : en des temps pas si lointains, les discriminations étaient niées. Elles ont gagné leur place dans le débat public au travers des mouvements de lutte, guidés par des éveilleurs de conscience. Grâce à eux, les discriminations sont aujourd’hui connues. C’est une avancée mais nous ne pouvons évidemment pas nous en contenter.
Les pouvoirs publics, garants du respect de l’égalité de traitement entre les citoyens, ont tenté, au fil des années, de construire des barrières législatives et des recours juridiques pour faire obstacle aux pratiques discriminatoires.
Mais force est de constater que les dispositifs législatifs ne sont pas toujours utilisés, notamment en raison d’une certaine complexité, et que les discriminations existent encore.
Dans le parc privé, les discriminations directes sont fréquentes et les « techniques » mises en oeuvre multiples. Le bailleur qui souhaite obstruer l’accès au logement du demandeur lui réclame des garanties excessives, le relègue dans l’ordre des visites ou lui annonce tout simplement que l’appartement est « déjà loué », même quand c’est faux.
Dans le parc social, nombreux sont les exemples de demandeurs qui n’ont qu’une faible visibilité sur les motifs qui ont présidé au refus de l’attribution de leur logement.
L’uniformisation du dossier de demande de logement social, qui fixe notamment les pièces à fournir, a permis des avancées certaines, mais ce n’est pas suffisant. La superposition des priorités et des objectifs difficilement conciliables donne lieu à des tensions. Je pense ici à la juxtaposition de la loi DALO, de l’objectif de mixité sociale dans les quartiers rénovés et de la législation anti-discrimination. Toutes poursuivent des objectifs éminemment louables prises individuellement, mais leur application combinée est parfois complexe.
Face à ces situations préjudiciables, le Gouvernement entend agir avec énergie pour renforcer la lutte contre les discriminations en général et dans le logement en particulier.
Comme vos travaux l’ont montré aujourd’hui, il faut agir en travaillant sur les pratiques et les comportements : informer et sensibiliser les acteurs du logement, notamment les réservataires et les bailleurs, mais aussi renseigner les ménages et les rendre capables d’agir lorsque la discrimination est avérée, pour utiliser au mieux la législation existante.
Je suis convaincue qu’il faut aborder le problème en allant encore plus loin : forts des luttes passées, forts des progrès réalisés, il nous faut aujourd’hui adopter une nouvelle clé d’entrée au sujet des discriminations. Il faut renverser la logique. Je ne veux plus seulement que nous nous cantonnions à lutter contre les discriminations, mais je souhaite que nous agissions pour l’élargissement du droit commun.
L’égalité, principe fondateur de la République et valeur centrale de notre pacte social, doit être la boussole de notre action. Nous devons marcher, non pas vers une forme d’égalitarisme, mais vers une égalité clairvoyante pour tous, une égalité qui prend en compte les besoins réels de chacun.
Il est une évidence qui mérite d’être réaffirmée. L’égalité en droit n’est pas l’égalité de fait, et l’accès au logement en est une preuve, s’il en fallait. Le logement est un droit fondamental, mais quelle dérision d’y avoir droit si on n’y a pas réellement accès !
Le droit au logement, s’il ne s’accompagne pas d’un toit sur la tête, est un droit qui n’existe pas.
Aujourd’hui, la crise du logement, plus terrible encore dans certains territoires, ne fait que renforcer les discriminations. Cette crise aggrave la concurrence et brouille la frontière entre sélection dans l’accès au logement et discriminations. La rareté des logements et leur inégale répartition accentue les phénomènes de ségrégation sociale et territoriale.
Dans ces conditions, développer l’offre de logements et sécuriser les parcours résidentiels, c’est aussi et surtout lutter contre les discriminations.
Le projet de loi relatif à la mobilisation générale en faveur du logement social sera à nouveau présenté dans quelques jours devant le Parlement. Il sera, j’en suis quasiment certaine, adopté avant la fin de l’année. Ce texte, qui permettra la cession du foncier public avec une forte décote aux collectivités locales, qui relèvera à 25% l’objectif de logement social par commune de plus de 3500 habitants et qui multipliera par cinq les sanctions financières à l’encontre des villes réfractaires au logement social, est véritablement synonyme de justice sociale. À travers cette loi, et on comprend que certains ont pu s’y opposer par tous les moyens, l’État et les collectivités locales s’engageront, ensemble, pour créer du logement accessible à tous et là où sont les besoins. Ce projet de loi représente une réponse pragmatique à la pénurie de logements et aux difficultés croissantes des Français pour se loger.
Si le Gouvernement souhaite relever le défi de l’offre de logement, il souhaite également faire en sorte que cette offre soit accessible. Il est de notre devoir d’agir sur les prix, afin que les loyers soient en adéquation avec les revenus : nous nous y attelons.
Dans le parc privé, le décret sur l’encadrement des loyers permet depuis le 1er août de limiter la hausse des loyers. Ce dispositif est la première étape d’un travail –sur la base de la législation existante, la loi de 1989 - en cours qui prévoit, sur la base d’observatoires locaux, un encadrement plus durable des loyers. La loi elle-même sera revue et les rapports entre locataires et propriétaires seront repensés.
Dans le parc social, je l’ai déjà annoncé, je souhaite que l’on puisse créer et mettre en place un « super-PLAI ». Il s'agit de développer une offre de logements très sociale avec des niveaux de loyers minorés pour des personnes qui ne peuvent pas avoir accès au logement social aux loyers qui sont ceux du PLAI. Je pense tout particulièrement, et la situation de l’hébergement d’urgence le démontre chaque jour davantage aux familles. Je pense notamment aux familles monoparentales dans lesquelles le parent qui travaille à temps partiel, se retrouve dans des situations où même en gagnant leur vie, il leur est quasiment impossible d’avoir accès au logement social. Cette situation, qui est une discrimination totale et de fait, ne doit pas perdurer. Chacun doit pouvoir avoir droit à un logement quelque soient ses moyens. Organiser cette différente offre de logement sera un test de la capacité de notre pays à répondre à l’égalité dans les faits.
Enfin, la lutte contre les discriminations se trouvera appuyée par le projet de loi-cadre sur l’accès au logement que présentera le Gouvernement dans les prochains mois.
Il visera notamment à réformer en profondeur les procédures d’attribution des logements sociaux, à réformer les rapports locatifs de manière à sécuriser l’accès au logement par une réforme de la GRL, et enfin, à mieux encadrer les pratiques des professionnels de l’immobilier.
Agir contre les discriminations, c’est en effet donner un cadre légal, contraignant et concret aux valeurs que nous prônons, et c’est changer les comportements professionnels.
Le sondage réalisé pour le Défenseur des droits que je mentionnais en introduction, souligne que les discriminations ne sont pas le seul fait de bailleurs individuels. Les sondés victimes de discriminations estiment que plus de 4 fois sur 10, elles résultent –parfois même très en amont, au moment de l’entrée dans les locaux professionnels- d’agences immobilières. C’est pourquoi le projet de loi-cadre sur lequel nous travaillons comportera un volet dédié à l’encadrement des pratiques des agences immobilières, pour que celles-ci soient mieux contrôlées.
Enfin, j’entends apporter des réponses aux besoins spécifiques : je pense ici notamment aux discriminations que subissent les femmes et les personnes en situation de handicap.
Lors de la réforme des attributions que je lancerai l’année prochaine, je m’assurerai que soit mieux prise en compte la question de l’égalité femmes-hommes. Le cas des parents séparés pourra notamment être apprécié lors de l'attribution d'un logement, afin de permettre que chacun puisse accueillir ses enfants lorsqu'il bénéficie d'un droit de garde, quel qu'il soit. S’agissant des femmes victimes de violence, je souhaite aussi, en lien avec Najat Vallaud-Belkacem, lever les freins à leur accès au logement et que nous augmentions le parc de logement spécifique dédié à l’accueil des femmes qui doivent quitter le domicile familial, parfois de toute urgence.
Des difficultés et des retards subsistent dans la mise en oeuvre des obligations imposées par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Le Premier ministre a confié à Madame la Sénatrice Claire-Lise Campion une mission parlementaire à ce sujet. J’ai la conviction que les conclusions et propositions de cette mission parlementaire - attendues à la fin de l’année 2012 – nous permettront d’améliorer les réponses en faveur de l’accessibilité pour tous.
Telles sont les grandes lignes de l’action que le Gouvernement souhaite mener pour lutter de manière globale contre les discriminations. J’en profite pour saluer l’action menée par François Lamy, ministre délégué chargé de la Ville, à qui j’ai spécifiquement confié la compétence en matière de lutte contre les discriminations.
Parce que, et je souhaite le dire avec force devant vous, cette lutte contre les discriminations, qui nous a réunis aujourd’hui, n’est pas seulement une question morale, c’est aussi une question politique et citoyenne.
Dans une période de crise majeure, où les repères se brouillent et les espoirs parfois s’envolent, la recherche de bouc émissaire est traditionnelle, mais n’en est pas moins à la fois scandaleuse et dangereuse. C’est la cohésion sociale de notre société qui s’en trouve fragilisée.
Je vous disais il y a quelques instants que « la bataille contre les discriminations dans le logement, c’est la bataille pour le logement tout court », j’insisterai davantage en disant que la bataille contre les discriminations, c’est la bataille pour le vivre ensemble tout court.
Mesdames, Messieurs, si nous partageons la volonté de lutter contre les discriminations, nous partageons sans doute plus encore un idéal de notre pays, terre d’égalité et mère des Droits de l’homme.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 15 novembre 2012