Déclaration de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, sur les négociations internationales et les positions de la France à propos de la biodiversité et du changement climatique, à l'Assemblée nationale le 28 novembre 2012.

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  • Delphine Batho - Ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer

Circonstance : Audition devant la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, à l'Assemblée nationale le 28 novembre 2012

Texte intégral

Je suis heureuse de l'occasion qui m'est donnée d'échanger avec vous mes réflexions sur les négociations internationales portant sur des sujets intrinsèquement liés, la biodiversité et le changement climatique. La conférence d'Hyderabad a prolongé la dynamique générée l'an dernier par celle de Nagoya et a livré un résultat satisfaisant, avec le doublement de l'aide accordée aux pays en voie de développement dans le cadre du financement multilatéral. Ce point de l'accord final est issu d'une proposition conjointe de la France et de l'Allemagne. Il prévoit le doublement que je viens d'évoquer d'ici à 2015, puis le maintien à niveau des contributions de 2015 à 2020.
La protection du milieu marin et de la biodiversité marine constitue la seconde avancée majeure d'Hyderabad, avec la décision de procéder à un inventaire dans des zones d'intérêt écologique et biologique. La France a obtenu d'y inclure la mer Méditerranée. C'est un premier acquis, sachant que notre pays milite pour la mise en oeuvre d'un statut pour les zones de haute mer, actuellement res nullius. C'est une proposition qu'a portée notamment le président François Hollande lors de la dernière conférence de Rio.
Les autres avancées concernent les liens entre biodiversité et climat avec le programme Red Plus sur la déforestation et les activités de géo-ingéniérie climatique pour lesquelles a été réaffirmé le moratoire décidé à Nagoya ; enfin, nous avons constaté l'engagement très fort de la plupart des États parties à la conférence de ratifier le protocole de Nagoya. L'Union européenne a promis de prendre un règlement européen pour ce qui la concerne - c'est un domaine où les compétences sont partagées - tandis que la France procèdera à la ratification de ce protocole dans la loi-cadre sur la biodiversité.
J'en arrive à la conférence de Doha, ouverte le 26 novembre dernier. L'enjeu politique essentiel est de poursuivre les progrès enregistrés l'an dernier à Durban afin d'ouvrir la voie à un accord universel sur le climat en 2015. Les interventions lors des réunions préparatoires à cette conférence ont montré qu'il existait un risque de blocage extrêmement préoccupant. C'est donc à dessein que la Banque mondiale a publié avant l'ouverture de la conférence son rapport pour mettre la communauté internationale face à ses responsabilités. Les prévisions du Groupe d'experts international sur l'évolution du climat (GIEC) se confirment années après années. La délégation française sera conduite par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, par le ministre délégué chargé du développement Pascal Canfin et par moi-même.
La délégation française sera animée d'un triple objectif : à court terme, appliquer la seconde période du Protocole de Kyoto dès le 1er janvier 2013, sans attendre les ratifications ; agir pour un financement au bénéfice des pays en voie de développement pour les accompagner dans leur lutte contre le réchauffement climatique. Rappelons que la France est actuellement le second contributeur européen pour cette action. Notre pays, qui a noué des liens de longue date avec les pays africains ainsi qu'avec des États insulaires peut jouer un rôle très utile dans le dialogue que les pays développés et l'Union européenne entretiennent avec ces États ; enfin, établir les conditions d'un accord universel sur le climat en 2015.
La France souhaite accueillir en 2015, à la demande du président de la République, la conférence sur le climat. Notre pays, au-delà l'accueil des États parties à cette conférence, devra jouer un rôle diplomatique en amont afin que la conférence aboutisse à un accord universel. Pour l'heure, quand on fait le total des engagements pris par les différents pays, on est loin d'espérer une action efficace en faveur de la réduction des gaz à effet de serre.
(Interventions des parlementaires)
Le problème de l'interdépendance planétaire est patent. Malheureusement, les efforts des uns n'ont aujourd'hui pour seule récompense que la passivité des autres et ce, alors même qu'un engagement véritablement universel serait absolument nécessaire.
Dans ce contexte, l'objectif que l'Europe s'assigne - 20% d'émissions en moins en 2020 - représente un effort sérieux et cohérent avec son souci d'exemplarité. Relever encore le niveau de notre ambition collective nous exposerait, selon certains acteurs économiques, aux risques de «fuites de carbone» et de délocalisations, dans la mesure où certains de nos partenaires ne s'obligent pas aux mêmes efforts que nous. Des pertes au plan économique viendraient ainsi récompenser notre souci d'être vertueux.
La stratégie de l'Union européenne en matière d'émissions de gaz à effet de serre repose sur la définition d'une trajectoire prévisible à l'horizon 2020. Dès lors qu'il est clair qu'il n'y aurait pas d'accord à 27 sur un relèvement du niveau d'exigence et conformément à la volonté du président de la République, l'action collective doit donc s'inscrire dans la durée, avec pour objectif ultime un «facteur quatre» de réduction des émissions en 2050.
L'enjeu majeur est de faire comprendre que le combat pour la réduction des émissions est générateur d'un avantage compétitif : c'est un pari gagnant sur le plan économique, c'est une stratégie appropriée de réponse à la crise. C'est seulement si nous réussissons à faire de cet objectif une ambition positive, qui soit créatrice d'emplois et de nouvelles technologies, que nous arriverons à mobiliser les énergies. Cette possibilité existe : ma récente visite du salon Pollutec avec le ministre chargé du redressement productif m'a permis de me rendre compte du rythme extraordinairement soutenu des avancées technologiques dans ce domaine, parfois dans des délais très courts.
En ce qui concerne le dépassement d'une croissance de 2 °C des températures moyennes d'ici à la fin du siècle, notre préoccupation vient de ce que certains pays, opposés à tout accord juridiquement contraignant, tirent argument de ce que cette limite sera certainement franchie pour dénoncer la caducité des engagements souscrits à Durban. La question de la lutte contre le changement climatique serait tranchée, la problématique des années à venir serait désormais celle de l'adaptation à un changement climatique considéré comme inéluctable. Il y aura là une bataille politique importante à mener.
Pour ce qui concerne le «fonds vert», les choses n'avancent que très lentement. À Doha, le choix d'un siège situé en Corée du Sud devrait être validé. Les équipes et les moyens de fonctionnement existent, mais le fonds n'est toujours pas opérationnel.
S'agissant des moyens de l'AFD, je confirme que des efforts sont engagés pour améliorer la traçabilité des crédits. Dans le cadre de la préparation de la conférence d'Hyderabad, j'avais souhaité pouvoir mieux identifier les actions relevant de la préservation de la biodiversité ou de la lutte contre le réchauffement climatique et mon collègue Pascal Canfin travaille actuellement à prolonger ces efforts de clarté, de transparence et de visibilité des projets concrets. Ce travail a notamment permis de constater que les chiffres mis en avant par l'OCDE, qui gratifiait la France d'un effort considérable dans ces domaines, étaient surévalués.
Le changement climatique occupe dans notre diplomatie une place essentielle : le fait que le président de la République, à la différence de certains de ses collègues, se soit rendu au sommet «Rio+20» a constitué un message très fort en ce sens. En témoigne également le souhait d'accueillir une prochaine conférence internationale sur le climat, qui atteste de l'engagement de l'ensemble de notre diplomatie dans les négociations multilatérales. Car accueillir une telle conférence ne signifie pas uniquement la présider, c'est aussi jouer le rôle d'un facilitateur constant entre les parties et les intérêts en présence. De ce point de vue, la France occupe une position particulière : pays d'Europe par sa géographie, elle est conduite par son histoire et ses valeurs à entretenir des liens privilégiés avec de nombreux autres pays.
J'ai été interrogée sur la question des «alliés» de la France dans ces négociations. Ceux-ci comprennent naturellement les États membres de l'Union européenne, la Norvège ou la Suisse. Des contacts particuliers sont noués avec le Brésil, l'Afrique du sud, l'Afrique francophone, les pays insulaires ou encore des pays très concernés par le réchauffement comme le Bangladesh.
Dans le cadre de l'Union européenne, un conseil des ministres en charge de l'environnement s'est tenu début novembre. Les discussions ont été assez difficiles, car la question était de se saisir d'une des propositions du G77 - à savoir, l'effacement des UQA en fin de deuxième période d'application du protocole de Kyoto. Même s'il s'agit de quotas assez virtuels, la discussion interne à l'Union a achoppé sur cette question du fait de l'opposition d'un certain nombre de pays. Ce point pourra-t-il évoluer dans le fil des discussions et négociations à Doha même ? Je l'ignore et espère, en tout cas, qu'il ne constituera pas un facteur bloquant à l'obtention d'un accord. Par-delà les aspects techniques, il est manifeste que les divergences observables sont le reflet de structures différenciées des mix énergétiques nationaux, avec la place plus ou moins grande jouée qu'y jouent les énergies carbonées (charbon).
Concernant l'organisation mondiale de l'environnement, vous savez que cette proposition n'a pas été retenue lors du sommet «Rio + 20», au bénéfice d'une réforme du Programme des nations unies pour l'environnement (PNUE), qui sera débattue lors de sa prochaine réunion, prévue en février 2013 à Nairobi.
Je reviens sur la conférence d'Hyderabad : nous avons obtenu satisfaction avec le doublement d'ici 2015 - des pays comme l'Inde ont pesé pour que l'échéance ne reste pas fixée à 2020 - des fonds consacrés à la lutte contre l'érosion de la biodiversité, et leur maintien à ce niveau pour cinq ans.
Sur la question des subventions défavorables à l'environnement, la feuille de route de la Conférence environnementale prévoit leur réexamen : il sera opéré, en vue de formuler des propositions qui pourraient in fine trouver leur place dans le projet de loi de finances pour 2014, par le groupe de travail permanent sur la fiscalité écologique que j'installerai avant fin décembre avec Pierre Moscovici. J'ai d'ailleurs sollicité les parties prenantes à la Conférence, et donc l'Assemblée nationale, afin qu'elles y désignent leurs représentants.
S'agissant des énergies renouvelables, le gouvernement prendra ses responsabilités pour sécuriser le tarif de rachat de l'éolien, même si je ne peux anticiper sur les suites qui seront données au contentieux en la matière.
Je partage avec Geneviève Gaillard le constat d'un effondrement des stocks halieutiques, et par conséquent de la qualité de la biodiversité marine, qui s'illustre également dans la perspective de voir 70% des coraux disparaître d'ici 2030. Cette situation nécessite mobilisation internationale et exemplarité : l'Europe a pris des dispositions particulièrement protectrices. Je transmettrai à mon collègue Frédéric Cuvillier la question spécifique de la disparition des espèces d'eau profonde. Avec sa position de deuxième puissance maritime au monde, grâce à ses outre-mer, et sa présence sur tous les océans, notre pays reste fidèle à un développement maritime en parfaite harmonie avec nos objectifs de protection du milieu marin. Je rappelle que la France accueillera au mois d'octobre prochain la conférence mondiale des aires marines protégées.
J'ai été interrogée, notamment par Philippe Plisson, sur le comité de pilotage du débat sur la transition énergétique : la réussite de ses travaux passe par la prise en compte, grâce à la présence de personnalités fortes mais diverses, de la pluralité des points de vue qui existe dans la société française comme chez les acteurs du secteur. La compétitivité reste une dimension de ce débat, mais ce n'est pas la seule : nous devons concilier l'objectif écologique de lutte contre le réchauffement climatique et l'objectif économique de préservation du pouvoir d'achat des ménages dont la facture énergétique s'alourdit. Nous devons aussi prendre en compte les enjeux liés à la sécurité de nos approvisionnements et à la réduction du déficit de notre balance commerciale. Tous ces paramètres doivent être débattus. Le caractère populaire et citoyen de ce débat, comme l'appropriation de la question des économies d'énergie et de la sobriété énergétique, m'apparaissent plus que nécessaire.
Je rappelle que le comité de pilotage, chargé du respect du pluralisme et de la charte, ne formulera pas les recommandations finales : cette mission revient au conseil national, au sein duquel seront représentées toutes les parties prenantes de la Conférence environnementale : associations environnementales, syndicats, employeurs, associations de consommateurs, ONG, élus locaux et parlementaires. J'imagine que certaines d'entre elles feront l'objet d'un consensus, et que d'autres d'appréciations majoritaire et divergente.
In fine, le gouvernement et le Parlement trancheront, dans le cadre de l'examen de la future loi de programmation pour la transition énergétique.
(Interventions des parlementaires)
Les préfigurateurs de l'agence de la biodiversité seront nommés d'ici une dizaine de jours. La méthode que j'ai définie dans leur lettre de mission ? Définir d'abord les missions avant d'en déterminer le périmètre, notamment par rapport aux structures existantes. Les premières apparaissent aujourd'hui clairement : la connaissance - hors le champ de la recherche scientifique pure - c'est-à-dire le regroupement et la mise à disposition, car nous trouvons bien souvent aujourd'hui dans l'incapacité de fournir les inventaires qu'exigent de nous notamment les institutions européennes ; le pilotage de l'action, notamment en direction des collectivités territoriales, en formant un centre de ressources ; la protection de la biodiversité au sein d'espaces spécifiques, une remise à plat, dans le sens d'une harmonisation et d'une clarification de la gouvernance, des différents dispositifs existants étant nécessaire ; et enfin la prise en compte de la biodiversité ordinaire, qui compte tout autant que les espaces remarquables.
Ces préfigurateurs auront en charge la concertation avec les acteurs de la biodiversité, dont certains m'ont fait, dans les semaines écoulées, des propositions fort intéressantes, qu'il s'agisse des élus locaux, des ONG, du monde de la recherche, des universités, ou des établissements publics. Nous ne partons pas de rien : de multiples rapports, rédigés lorsque, sous la précédente législature, il avait été envisagé de créer une agence de la nature, sont disponibles. Ces préfigurateurs devront également, pour pouvoir établir le chemin menant à la création de cette agence, mener un travail de concertation en matière d'organisation administrative du ministère dont j'ai la responsabilité. La création de l'agence se fera ensuite par voie législative, dans la loi-cadre pour la biodiversité.
Cette agence aura besoin de moyens, ce qui nous renvoie à la question de la fiscalité écologique : la question des impacts sur la biodiversité devra être étudiée, en recherchant peut-être des financements dont le produit serait affecté à la protection de la biodiversité. Il s'agit à ce stade d'une piste de réflexion, qui n'est pas aboutie.
Le modèle dont nous nous inspirons est proche de celui qui avait été choisi lors de la création de l'ADEME : il partait d'établissements publics existants, mais a su trouvé sa voie et monter en puissance.
La question de l'acidification des océans ne peut être dissociée de celle des émissions de GES. Il est certain que la France a dans ce domaine, mais également dans celui de la biodiversité marine, de la défense des coraux - nous avons pris une initiative commune avec le ministre des outre-mer -, une responsabilité particulière. Nous disposons de grands centres de recherche, notamment au sein de l'IFREMER. J'ai eu l'occasion de le dire lors d'un déplacement à Brest : nous devrions faire de la biodiversité marine une grande cause mobilisatrice. Nous disposons du potentiel pour cela, et nous portons cette ambition au plan international : sans vouloir lancer des «cocoricos», la France a joué un rôle moteur sur ce sujet - qui reste insuffisamment pris en compte à l'échelle internationale - à Rio comme à Hyderabad. L'une des réflexions actuelles vise à inscrire ce sujet à l'ordre du jour de la prochaine conférence environnementale, en prélude au congrès mondial des aires marines protégées.
La déforestation a reçu, elle, une réponse concrète au travers du programme REDD+. Comme le disent certains pays, défavorables à un accord juridique - en réalité une clé de répartition des efforts à faire - contraignant en matière de réduction des émissions de GES, il faut d'abord se saisir de projets concrets comme REDD, ou de questions comme celle des océans, portant sur les grands enjeux liés au réchauffement climatique, pour faire avancer, à partir de programmes d'action internationale, la lutte contre celui-ci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 décembre 2012