Interview de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, à Europe 1 le 7 février 2013, sur la situation en Tunisie après l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd, la montée de l'islamisme, la lutte contre le terrorisme et le climat social.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
La Tunisie ! La Tunisie c'est deux heures de Paris, deux heures d'avion, une grande partie du peuple s'est révoltée après la mort de Chokri BELAÏD assassiné en sortant de chez lui sous les yeux de sa femme (qui est très courageuse), il était menacé et pas protégé. Est-ce que vous continuez à faire de la Tunisie un exemple des Printemps Arabes ?
MANUEL VALLS
Non ! Ce n'est pas un exemple. Mais en tout cas il y a un peuple, sa jeunesse, les femmes, qui se sont mobilisés pour faire tomber BEN ALI, le président de la République hier a condamné l'assassinat de Chokri BELAÏD qui était l'un de ces démocrates qui se bat pour des valeurs qui sont universelles et nous devons, nous, soutenir ces démocrates pour que les valeurs de la Révolution du Jasmin ne soient pas trahies.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous, ministre de l'Intérieur, si vous étiez sollicité par un gouvernement à majorité ENNAHDHA pour une coopération policière, vous leur enverriez ce dont ils ont besoin ?
MANUEL VALLS
Il existe des coopérations, notamment pour la protection des frontières de la Tunisie, mais bien évidemment la France ne coopéra jamais quand il s'agit de réprimer un peuple…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Si on vous dit c'est le maintien de l'ordre !
MANUEL VALLS
Non ! Nous devons soutenir tous ceux qui se battent pour le maintien de ses valeurs et bien prendre conscience – et je m'adresse évidemment à nos compatriotes – des dégâts (et le mot est faible) du despotisme de cet islamisme qui aujourd'hui, par l'obscurantisme, nie les valeurs et cherche à enfermer notamment les femmes Tunisiennes dans un voile.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le parti au pouvoir, ENNAHDHA, est infiltré, influencé par les radicaux de l'Islam dont vous parlez et par les salafistes, il en est même complice, c'est-à-dire qu'à travers ce que vous dites ce matin l'Europe et la France ne doivent pas fermer les yeux sur la montée d'un fascisme islamique ?
MANUEL VALLS
Oui ! Il y a un fascisme islamique qui monte un peu partout - attention aux mots évidemment que nous utilisons – mais cette obscurantisme, qui parfois porte le nom d'un certain nombre de frères musulmans, ou d'un salafisme, doit être évidemment condamné puisque là on nie encore une fois cet état de droit, cette démocratie pour laquelle les peuples libyens, tunisiens, égyptiens se sont battus. Il y a eu des morts, il y a eu des gens qui très courageusement se sont battus pour ces valeurs…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et il y en a encore ! Il y en a encore…
MANUEL VALLS
Et il y en a encore.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a encore. Les Tunisiens qui le peuvent quittent, parfois, en ce moment leur pays. Manuel VALLS ! Si les violences continuent et s'ils demandent, est-ce que l'asile politique leur serait accordé ou leur sera accordé comme des réfugiés politiques ?
MANUEL VALLS
Mais la France est une terre d'accueil pour tous ceux qui fuient la guerre et les dictatures ! Mais moi je veux garder espoir dans le rendez-vous électoral pour que les forces démocratiques et laïques, celles qui portent encore une fois les valeurs de cette Révolution du Jasmin, demain l'emportent
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Que les élections aient lieu, qu'elles ne soient pas sans cesse retardées.
MANUEL VALLS
Bien sûr !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc c'est la démocratie ou l'exil, on voit bien que c'est l'enjeu des drames en cours en Tunisie et ailleurs.
MANUEL VALLS
C'est un enjeu considérable avec les liens que nous avons avec l'ensemble du Maghreb et avec la Tunisie, à deux heures de Paris - comme vous l'avez dit - c'est un enjeu considérable pas uniquement pour les Tunisiens mais pour tout l'espace méditerranéen et donc aussi pour la France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Monsieur le ministre de l'Intérieur ! Vos services ont démantelé une filière de quatre djihadistes qui sont toujours en garde à vue, apparemment prêts à combattre au Sahel - vous savez qu'il y en a plus que 4 - et est-ce qu'il est vrai qu'ils avaient saisi une liste de personnalités qui étaient menacées de sabotages qui étaient en préparation ?
MANUEL VALLS
Il y a eu des listes de personnalités ou d'institutions juives qui avaient été saisies en septembre dernier, quand une cellule terroriste avait été démantelée après un attentat à Sarcelles qui devait tuer le 19 septembre 2012, il y a là incontestablement – mais il faut attendre évidemment les résultats de l'enquête policière et judiciaire pour en savoir plus sur cette cellule qui vient d'être démantelée…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'il y en a d'autres ?
MANUEL VALLS
Il y en a sans doute d'autres ! Il y a des cellules, des filières, des individus qui vont faire le Jihad - comme on dit - en Afghanistan, en Syrie d'abord, mais aussi au Sahel en moindre nombre, qui peuvent aussi frapper sur notre territoire, donc les services de police, les services de renseignement sont mobilisés. Vous savez depuis les tueries de Toulouse et de Montauban, depuis les tueries de Mohammed MERAH, depuis le démantèlement de cette cellule au mois de septembre, j'ai demandé évidemment à l'ensemble de nos services d'être extrêmement attentifs…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Justement…
MANUEL VALLS
Et de ne pas laisser tous ces réseaux qui veulent s'en prendre aux intérêts fondamentaux de l'Etat, à notre démocratie, à nos valeurs, de ne pas les laisser tranquilles, il faut insécuriser ces réseaux, il n'y a pas de place pour ces gens-là.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Manuel VALLS ! Les enquêtes d'opinions montrent d'ailleurs en ce moment que les Français ont peur de l'islamisme, ils sont persuadés que des actes de terrorisme auront lieu ici dans le futur, parfois bientôt, est-ce que vous êtes en mesure de les rassurer ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce que je peux leur dire c'est que l'Etat, les services de police et de gendarmerie, le Renseignement, sont mobilisés, c'est l'une des raisons pour laquelle le président de la République et le Premier ministre ont demandé à ce que le PLAN VIGIPIRATE soit renforcé. Aujourd'hui il n'y a pas de menaces directes connues sur notre sol mais il faut évidemment être très vigilant face à cette menace sourde qui peut toucher notre pays, nos ressortissants, c'est la raison pour laquelle la France est intervenue aussi au Mali pour arrêter ces groupes terroristes, ces groupes criminels, sinon c'est tout le Mali et donc tout le Sahel qui basculait…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les problèmes…
MANUEL VALLS
Dans les mains du terrorisme.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Exact ! Egalement les problèmes sociaux, inquiétudes, tensions, parfois des violences chez GOODYEAR, Aulnay-sous-Bois, ARCELORMITTAL, on entend quelquefois les… (Toussotements)… Pardon ! Les syndicalistes et on voit le climat, et vous avez dit : on assiste moins à des mouvements sociaux qu'à des explosions sociales et vous avez demandé vos services, d'après ce que je lis, d'éviter les risques de radicalisation dans les entreprises. Est-ce que vous vous attendez à des violences spontanées, provoquées, localisées ?
MANUEL VALLS
Mais cette réalité n'est pas nouvelle ! La crise économique, industrielle, frappe notre pays depuis des années, des centaines d'entreprises ont fermé, nous avons perdu des dizaines de milliers d'emplois au cours de ces dernières années, il y a de la désespérance chez les ouvriers et chez les ouvrières…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui ! Mais…
MANUEL VALLS
Chez les nombreux salariés…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous vous attendez justement, à cause de ça… (brouhaha)… à des excès de colère ?
MANUEL VALLS
Oui ! Il y a, mais il y a de la colère. Cette colère, elle doit être canalisée par les organisations syndicales, elle doit être canalisée surtout par les solutions que nous cherchons pour sauver ces emplois industriels, pour faire en sorte que la politique industrielle soit de nouveau une réalité, réactivée dans notre pays, c'est tout le sens de la politique du gouvernement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a deux mots qui sont en train de devenir à la mode : radicaliser, criminaliser. Comment un gouvernement de gauche peut-il envoyer des CRS face à des salariés, vous entendez le reproche ? Bernard THIBAULT, CGT, a reproché au gouvernement de criminaliser l'action syndicale.
MANUEL VALLS
Mais c'est quoi cette histoire ! Le rôle d'un ministre de l'Intérieur et d'un gouvernement c'est permettre l'exercice de l'Etat de droit, il y a un droit de manifester - heureusement - et ce droit de manifester il est garanti par la Constitution…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec des risques de débordements ?
MANUEL VALLS
Mais il doit pouvoir se faire en toute sécurité, il faut préserver à la fois l'outil de travail, une entreprise - c'est le seul guide en tout cas de mon action - l'exercice des libertés dans la tranquillité et en même temps dans la sérénité. Le gouvernement est particulièrement attentif à la détresse sociale et au risque de radicalisation - nous venons d'en parler – et notre rôle c'est de prévenir, mon rôle c'est de prévenir les dérapages ou la violence, il n'y a pas de place…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il y a des risques !
MANUEL VALLS
Mais il n'y a pas de place dans une démocratie politique comme la nôtre et dans une démocratie sociale où le dialogue social va être peut-être demain inscrit dans la Constitution - c'est la volonté de François HOLLANDE – il n'y a pas de place pour cette violence.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais par exemple, Manuel VALLS, mardi prochain – et Olivier BESANCENOT l'a dit tout à l'heure à Bruce TOUSSAINT – syndicats et extrême gauche veulent créer des rapports de force avec vous le pouvoir, et ce matin ici est-ce que vous incitez à la retenue, à la maîtrise de la protestation sociale, les syndicats, pour éviter des casseurs ?
MANUEL VALLS
J'en appelle évidemment à la retenue, au dialogue social, à la recherche de solution, c'est le sens de l'engagement du Premier ministre, du ministre du Redressement productif Arnaud MONTEBOURG, du ministre de l'Economie Pierre MOSCOVICI que de trouver à chaque fois des solutions. C'est difficile avec la crise que nous connaissons…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien on le voit ! Oui.
MANUEL VALLS
Mais encore une fois, ce sont des solutions économiques, industrielles, sociales qui doivent être recherchées…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous…
MANUEL VALLS
Il n'y a pas de place pour la violence – et je lance évidemment un avertissement – la… la police elle fait son travail mais on ne peut pas admettre qu'on cherche à casser l‘outil de travail, à briser l'immobilier urbain, qu'on s'attaque à des édifices publics, qu'on lance des boulons sur des policiers (hier il y a une douzaine de gendarmes et de policiers…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ca ne…
MANUEL VALLS
Blessés à Strasbourg…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites ça ne doit pas durer, ça ne doit pas continuer ?
MANUEL VALLS
Mais le désordre il n'est bon pour personne et moi je suis un tenant, et de l'autorité, et de l'ordre républicain, qui garantissent à la fois la démocratie et le progrès social.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a beaucoup de sujets avec vous ! Naturellement j'aurais pu parler de la cérémonie émouvante hier pour le 15ème anniversaire de l'assassinat du préfet ERIGNAC (c'était impressionnant aussi parce que pour la première fois vous avez rassemblé tous les préfets en uniforme dans la cour de la Place Beauvau), j'aurais pu vous poser une question sur les salles de shoot, mais il y a un rapport dont on n'a pas encore parlé – mais à mon avis on va en parler – il a été commandé par Matignon, il dresse un constat accablant de la politique d'intégration menée depuis 30 ans par la gauche, la droite et il suggère plusieurs réformes (c'est le rapport THUAULT) dont la création d'un titre de tolérance pour régulariser par étape, en 5 ans, une grande partie des sans-papiers. Comme il y a entre 200 et 400.000 sans papiers en France, qu'est-ce que vous faites, comment vous répondez ?
MANUEL VALLS
C'est un rapport intéressant sur les questions d'intégration, parce que c'est un des grands défis de la société française, mais je vous le dis encore à ce micro : il n'y aura pas de régularisation massive des sans-papiers, j'ai publié une circulaire il y a quelques mois après l'arbitrage du président de la République et du Premier ministre et cette régulation se fait au cas par cas...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous répondez déjà non…
MANUEL VALLS
Sur des critères…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Déjà non à ce rapport quand il sera publié ?
MANUEL VALLS
Je le dis très clairement : il n'y aura pas de régularisation massive.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quand il suggère de mettre un terme au débat sur le voile, il dit : la France n'a jamais dépendu d'un bout de tissu (boubou, coiffe bretonne, cheiche ou béret) ?
MANUEL VALLS
J'ai voté les deux lois, celle interdisant les signes distinctifs religieux à l'école et celle interdisant la burqa. Nous avons parlé de la Tunisie, de la laïcité, de la place de la femme dans notre société, eh bien oui le voile qui interdit aux femmes d'être ce qu'elles sont restera pour moi et doit rester pour la République un combat essentiel.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 février 2013