Interview de M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, à RMC / BFM le 4 avril 2013, sur l'affaire Cahuzac, l'exercice de l'autorité de l'Etat et la généralisation du dispositif expérimenté dans plusieurs zones prioritaires de sécurité (ZSP) visant à faire payer une amende aux consommateurs de cannabis pris sur le fait.

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Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS est notre invité ce matin. Manuel VALLS, bonjour.
MANUEL VALLS
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre de l'Intérieur. Le ministre le plus populaire du gouvernement. Vous ne vous êtes pas exprimé sur ce qu'on appelle l'affaire – à juste raison – l'affaire CAHUZAC, qui a éclaté mardi. Alors, j'ai une question directe à vous poser. Saviez-vous ?
MANUEL VALLS
Quoi ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Que Jérôme CAHUZAC avait possédé ou possédait un compte en Suisse.
MANUEL VALLS
Non, bien sûr, si j'avais eu cette information, j'en aurais informé directement et tout de suite le président de la République, qui en aurait tiré les conséquences, comme il l'a fait le 19 mars, quand une information judiciaire a été ouverte par le procureur de la République, ce qui a entraîné le départ de Jérôme CAHUZAC du gouvernement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 4 décembre, MEDIAPART fait ces révélations. Le 4 décembre, donc la presse donnait ces informations. Aucune enquête n'a été ouverte ?
MANUEL VALLS
L'enquête est ouverte à partir du 9 janvier. Nous sommes dans un Etat de droit, et dans un Etat de droit, nous devons respecter des procédures. La justice a fait son travail. Car c'est ça qui est, au fond, étonnant dans le débat que nous connaissons, dans la tempête que nous sommes en train de subir, pas uniquement le gouvernement, pas seulement la majorité, mais tous les responsables politiques, et tout simplement le pays, le pays touché par une crise économique, et en plus, là, il y a une crise d'autorité, une crise morale qui vient nous frapper. Donc il faut rappeler les principes, et le principe, c'est que nous sommes dans un Etat de droit. Et je veux dire ici, devant vous, à vos auditeurs comme à vos téléspectateurs, que la justice a fonctionné librement. Un procureur a ouvert une enquête préliminaire le 9 janvier, et aujourd'hui, nous connaissons la vérité. A l'époque, parce que c'était un procureur, il a été dit pourtant que c'était une manière d'enterrer le dossier ; vous voyez bien qu'avec ce gouvernement, et dans un Etat de droit, un procureur peut mener une enquête jusqu'au bout et faire tomber ce qui est juste et moral, un ministre qui a failli, qui a trahi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, entre le 4 décembre et le 9 janvier, s'écoule un peu plus d'un mois, rien, l'article de MEDIAPART n'a déclenché absolument aucune enquête, à aucun moment, je ne parle même pas d'enquête judiciaire, je ne parle même pas de la justice, aucune enquête de police…
MANUEL VALLS
Mais pourquoi une enquête de police ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-il vrai oui ou non qu'une note a été transmise à l'Elysée quelques jours après les révélations de MEDIAPART ?
MANUEL VALLS
Non, c'est faux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est faux ?
MANUEL VALLS
C'est faux, il n'y a eu aucune note qui a été transmise…
JEAN-JACQUES BOURDIN
De la DCRI ?
MANUEL VALLS
Mais vous vous rendez compte…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, je vous pose la question…
MANUEL VALLS
La Direction centrale du renseignement intérieur…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, intérieur, oui…
MANUEL VALLS
Qui est en charge notamment de la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la menace terroriste qui a frappé ce pays il y a un an, face à la menace que nous connaissons, vous pensez un seul instant que j'aurais demandé, moi, à la Direction centrale du renseignement intérieur de faire une enquête sur Jérôme CAHUZAC ou sur la bande où sa voix était enregistrée, mais où sommes-nous ? C'est fini cela, ces temps où les anciens renseignements généraux pouvaient enquêter sur des personnalités politiques…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'avez pas cherché à savoir, personne n'a cherché à savoir si ce que disait MEDIAPART était vrai ou faux ?
MANUEL VALLS
Mais Jérôme CAHUZAC…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant la justice !
MANUEL VALLS
Jean-Jacques BOURDIN, Jérôme CAHUZAC a été interrogé par vous-même, par tous les journalistes, par le président de la République, les deux ensemble, et il lui a dit qu'il n'avait pas de compte, il l'a dit devant les Français, il l'a dit devant la représentation nationale. La presse a fait son travail, et la justice, à partir du 9 janvier, a fait aussi son travail. Mais moi, je ne déclenche pas des enquêtes, ça n'est pas mon rôle, ça n'est pas ma prérogative, c'est le rôle de la justice, et la justice fait alors, à ce moment-là, travailler la police, en l'occurrence, la Direction centrale de la police judiciaire. Car c'est grâce au travail de la police, et notamment de la sous-direction de la police technique et scientifique, que le 18 ou le 19 mars, on a pu constater que c'était sans doute la voix de Jérôme CAHUZAC qui était sur cette bande enregistrée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, vous connaissez bien Alain BAUER.
MANUEL VALLS
Je connais Alain BAUER, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un ami ?
MANUEL VALLS
C'est un ami que je connais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un de vos amis…
MANUEL VALLS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un de vos amis. Publiquement, publiquement, le 12 décembre, il dit : ah ben, je le savais, évidemment que Jérôme CAHUZAC a un compte en Suisse, ou a eu un compte en Suisse, je le savais, il ne vous en a jamais parlé ?
MANUEL VALLS
Moi, il ne m'en a jamais parlé.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jamais ?
MANUEL VALLS
Moi, il ne m'en a jamais parlé, je suis ministre de l'Intérieur, je connais Alain BAUER, Alain BAUER a conseillé les gouvernements de droite. Donc je fais une différence…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais c'est aussi votre ami !
MANUEL VALLS
Mais je fais une différence majeure, pour moi, essentielle, entre l'amitié et ma fonction de ministre de l'Intérieur, c'est ça aussi ma conception. Et si Alain BAUER avait quelque chose à dire à la justice, il devait le dire, pas au ministre de l'Intérieur. Pas au ministre de l'Intérieur ! C'est la justice qui mène les enquêtes. C'est sous la responsabilité de la justice que les policiers mènent ensuite ces enquêtes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais le ministre de l'Intérieur donc n'a jamais pu être informé de l'existence de ce compte en Suisse ?
MANUEL VALLS
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jamais ?
MANUEL VALLS
Bien sûr, jamais.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Jamais ?
MANUEL VALLS
Jamais.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais ça courait, la rumeur courait depuis longtemps…
MANUEL VALLS
Il y a beaucoup de rumeurs qui courent, Jean-Jacques BOURDIN…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, Manuel VALLS, mais quand on est président de la République, et qu'on choisit ses ministres, on fait attention à toutes les rumeurs, non ?
MANUEL VALLS
Sans doute, sans doute, et c'est une des leçons du président de la République dont la confiance a été trahie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'il y a eu négligence ?
MANUEL VALLS
Il y a eu mensonge.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, il y a eu mensonge de la part de Jérôme CAHUZAC, mais est-ce qu'il y a eu négligence de la part du président de la République… !
MANUEL VALLS
Il y a eu mensonge… mais nous avons tous signé une déclaration sur l'honneur, une charte d'éthique, une charte déontologique. Vous pensez que, un seul instant, Jérôme CAHUZAC a fait état de ses comptes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais est-ce que…
MANUEL VALLS
En Suisse ou à Singapour…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il ne serait pas nécessaire d'enquêter plus profondément lorsqu'on nomme des ministres, d'enquêter sur leur passé, sur leurs comptes en banque, sur leur patrimoine, sur… non ? Au-delà de la charte qu'un ministre doit signer ?
MANUEL VALLS
Ecoutez, de toute façon, la vérité est là, et c'est ça pour moi qui compte, le travail de la presse, et le travail de la justice. Ensuite, on peut toujours imaginer de nouvelles procédures pour les uns et pour les autres, et à tous les niveaux. Bien évidemment, et il faudra tirer toutes les leçons de ce mensonge, parce que nous nous sentons tous trahis, salis, parce que c'est insupportable ce qui s'est passé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On va parler de l'autorité de l'Etat et des conséquences politiques que ça peut avoir, pas que politiques, sur l'état d'esprit des Français…
MANUEL VALLS
Mais, le débat politique, le débat public que nous connaissons aujourd'hui ne doit pas nous faire oublier les principes de séparation des pouvoirs entre la justice et l'exécutif. Le procureur a pu travailler librement, sans aucune contrainte. Si moi, j'étais intervenu auprès de la Direction centrale de la police judiciaire, et de ceux qui menaient l'enquête, là, ça aurait été une manière d'intervenir directement, de dévier le cours de l'enquête, d'influencer, vous vous rendez compte, le ministre de l'Intérieur…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais alors, je vais vous poser une question encore plus directe…
MANUEL VALLS
Qui influence l'enquête, c'est insupportable…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, je vais vous poser une question encore plus directe : lorsque vous avez appris ce qu'a annoncé… lorsque vous avez appris les révélations de MEDIAPART, vous avez douté ou pas ?
MANUEL VALLS
Mais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Franchement, je vous pose la question…
MANUEL VALLS
Mais comme tout le monde !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez douté…
MANUEL VALLS
Quand vous avez une telle information, de la part en plus d'un site dont on connaît le sérieux et la capacité d'investigation, bien sûr qu'il y a un doute…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez douté, franchement ?
MANUEL VALLS
Mais, qui n'a pas douté, mais tout le monde l'a interrogé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous avez douté.
MANUEL VALLS
Mais nous avons évidemment douté, nous l'avons interrogé chacun. Le président de la République l'a interrogé, un parlementaire de l'opposition l'a interrogé, la réponse de Jérôme CAHUZAC a été nette, a été claire : il a trahi. Ça nous apprend d'ailleurs beaucoup aussi sur les hommes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous l'avez eu depuis mardi, Jérôme CAHUZAC ?
MANUEL VALLS
Il nous a demandé pardon aux uns et aux autres par texto…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il vous a appelé ?
MANUEL VALLS
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par texto, il vous a envoyé un texto, vous ?
MANUEL VALLS
Par texto. Je n'ai pas envie de lui parler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'avez pas envie de lui parler ?
MANUEL VALLS
Je n'ai pas envie de lui parler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ?
MANUEL VALLS
Parce qu'il m'a trahi, parce qu'on se sent sale, parce que l'autorité de l'Etat est atteinte, parce que la démocratie est bafouée, parce que les Français assistent à un spectacle insupportable, parce qu'on voit bien qu'à partir de là, on cherche à ébranler notre système démocratique, entre ceux qui réclament les élections anticipées, entre ceux qui entonnent l'air du « tous pourris »…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'est-ce que vous dites justement à l'UMP et au Front… le Front national réclame une dissolution, l'UMP, un remaniement, un remaniement, oui ou non ?
MANUEL VALLS
Mais tout ça n'est pas… d'ailleurs, c'est de la prérogative et de la compétence du président de la République, je n'ai pas à m'exprimer là-dessus. C'est à lui de prendre ce type de décision, avec le Premier ministre. Est-ce que vous croyez que c'est à la hauteur de ce que les Français attendent ? Ce que les Françasi attendent, c'est qu'on redresse ce pays sur le plan économique, sur le plan industriel, sur le plan budgétaire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il s'enfonce, Manuel VALLS ?
MANUEL VALLS
Ce que les Français attendent, c'est ce redressement, et ce redressement moral, cette République exemplaire, qui a été l'engagement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh bien, dites-moi, c'est mal parti !
MANUEL VALLS
Je ne suis pas aussi sûr que cela, Jean-Jacques BOURDIN, c'est tout le paradoxe…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pardon, c'est mal parti le redressement moral !
MANUEL VALLS
C'est tout le paradoxe, c'est tout le paradoxe, bien sûr…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui, alors, on va parler de sécurité, de…
MANUEL VALLS
Non, mais bien sûr, il y a cette affaire terrible, qui nous heurte tous, tous, comment peut-on accepter cette trahison et ce mensonge, et en même temps, et en même temps, la justice a fait son travail, et en même temps, la justice et la police ont respecté les prérogatives des uns et des autres, quand je dis la justice et la police, c'est-à-dire la Garde des sceaux et le ministre de l'Intérieur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et à aucun moment, à aucun moment à Bercy, Pierre MOSCOVICI n'a été tenté de couvrir Jérôme CAHUZAC, à aucun moment, vous n'avez aucun doute là-dessus ?
MANUEL VALLS
Aucun.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucun ?
MANUEL VALLS
Aucun. Et Pierre MOSCOVICI s'est exprimé très clairement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi n'est-on jamais allé chercher par exemple à Singapour ? Il y a une entraide entre la France et Singapour depuis 2011.
MANUEL VALLS
En tout cas, aujourd'hui, cette entraide, elle fonctionne je vous rappelle que, y compris, si j'en crois toutes les informations, au début de l'année, la Suisse a donné un certain nombre d'informations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, mais la demande a été faite…
MANUEL VALLS
… Il n'y avait pas de compte…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, enfin, la demande… il n'y avait pas de compte depuis 2006…
MANUEL VALLS
C'est à partir…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le compte a été ouvert en 1992 et transféré avant 2006…
MANUEL VALLS
C'est à partir du moment où il y a une enquête préliminaire début janvier, et maintenant, évidemment, une information judiciaire, que toutes ces informations aujourd'hui proviennent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous êtes sûr, Manuel VALLS, que d'autres responsables politiques, de droite comme de gauche, n'ont pas de comptes en Suisse ?
MANUEL VALLS
En l'occurrence, je vais être prudent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez être prudent. Vous n'en avez pas, vous ?
MANUEL VALLS
Non, je préfère vous répondre…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, le trésorier de campagne…
MANUEL VALLS
Parce que si je ne vous réponds pas, j'ai le sentiment…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, oui, répondez-moi, oui, il vaut mieux, il vaut mieux…
MANUEL VALLS
C'est clair…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le trésorier de campagne de François HOLLANDE est actionnaire de sociétés offshores aux îles Caïman.
MANUEL VALLS
Je ne suis pas au courant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est LE MONDE qui fait cette révélation.
MANUEL VALLS
Je ne suis pas au courant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous connaissez Jean-Jacques AUGIER ?
MANUEL VALLS
Je le connais, oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, actionnaire de deux sociétés offshores dans les îles Caïman.
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MANUEL VALLS
Je ne suis pas au courant, il avait d'ailleurs un très beau portrait de lui, il y a quelques jours, dans ce même journal…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ben oui…
MANUEL VALLS
LE MONDE.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas fini les révélations. L'autorité de l'Etat est en cause…
MANUEL VALLS
Non, cela veut dire qu'il faut être…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ?
MANUEL VALLS
Exemplaire en tous points…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors…
MANUEL VALLS
Pas uniquement les responsables publics, mais tous ceux qui exercent une responsabilité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, les médias aussi.
MANUEL VALLS
Mais à chaque fois, avec des preuves, à chaque fois, avec des preuves, des enquêtes. La presse fait son travail, mais nous, les responsables politiques, nous ne pouvons agir que sur la base de preuves établies par la justice.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS, imaginons, vous êtes Premier ministre, l'un de vos ministres…
MANUEL VALLS
Je suis ministre de l'Intérieur…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non, mais d'accord, mais un jour, vous serez peut-être Premier ministre, le ministre, un ministre, un de vos ministres vient vous voir et vous dit : tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes, tu gères la France comme le conseil municipal de Nantes, vous lui dites quoi ? Manuel VALLS, vous lui dites quoi ?
MANUEL VALLS
Je pense que Jean-Marc AYRAULT, puisque vous faites allusion à une discussion qu'ils ont eue…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, il dit que c'est vrai ! Il dit que c'est vrai !
MANUEL VALLS
Il dit que c'est vrai, et en même temps, c'est une discussion entre deux hommes, qui ne sont pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous faites quoi ? Oui d'accord, mais je ne veux pas revenir sur la discussion, mais vous faites quoi, vous le virez ce ministre ?
MANUEL VALLS
Sans doute.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ?
MANUEL VALLS
Sans doute.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous le virez ?
MANUEL VALLS
Mais ça n'est pas le choix qui a été fait. Car je ne suis pas Premier ministre…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, mais ce n'est pas le choix, mais vous, vous le virez ?
MANUEL VALLS
Ecoutez, comme Jean-Marc AYRAULT, j'ai été maire d'une grande ville et d'une agglomération, et je pense qu'il y a effectivement une autorité, mais Jean-Marc exerce cette autorité, Jean-Marc AYRAULT, il exerce cette autorité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais là, en l'occurrence, vous virez le ministre ? Manuel VALLS, je vous dis ça parce qu'il s'agit de l'autorité justement…
MANUEL VALLS
Non, je crois que vous vous…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Du Premier ministre… Non ?
MANUEL VALLS
Non, je crois qu'il y a une confusion sur ce qu'est l'autorité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ? Ah bon, c'est quoi ?
MANUEL VALLS
L'autorité de l'Etat, c'est de faire respecter les institutions, c'est de redresser le pays, c'est de faire en sorte qu'aujourd'hui, les Français reprennent espoir, c'est qu'ils aient de nouveau confiance dans ceux qui exercent cette autorité, et dans ceux qui exercent aujourd'hui le pouvoir…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais la confiance est ébranlée…
MANUEL VALLS
Et la confiance est profondément ébranlée, mais elle l'est avec la crise économique, avec la crise identitaire, avec la crise politique que nous connaissons. Et face à cela, ce ne sont pas les détails qui m'importent, face à cela, c'est l'engagement du président de la République pour la compétitivité de nos entreprises, dans la lutte contre le chômage, aujourd'hui, encore à l'Assemblée nationale, Michel SAPIN est en train de défendre un texte très important, qui est l'accord entre les partenaires sociaux, sur le marché du travail, qui doit, demain, permettre davantage de souplesse pour les entreprises, et davantage de protection pour les salariés, et qui sera bénéfique pour l'emploi ; tous les jours, on signe des emplois d'avenir, tous les jours, on signe des contrats de génération pour les jeunes de ce pays, c'est ça que nos compatriotes attendent, et vous m'interrogez sur une conversation, vous m'interrogez, Jean-Jacques BOURDIN, sur une conversation privée…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS…
MANUEL VALLS
Entre le Premier ministre et un de ses ministres…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est très important…
MANUEL VALLS
Je ne le crois pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne le croyez pas ?
MANUEL VALLS
Je ne le crois pas. Je pense que l'autorité, elle s'exerce par le dialogue, par la confrontation des idées, par un travail d'équipe, et c'est ce que le président de la République et le Premier ministre font, et moi, je suis membre de ce gouvernement, ministre de l'Intérieur, chargé de protéger les Français.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, Manuel VALLS, moi, je suis libre de poser les questions…
MANUEL VALLS
Bien sûr…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous, libre de choisir vos réponses. Manuel VALLS, parlons d'autre chose, tout autre chose, de la sécurité, parce que vous êtes devenu la cible de l'UMP, vous l'avez constaté ?
MANUEL VALLS
Ça n'a aucune importance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucune importance.
MANUEL VALLS
D'abord, que l'opposition fasse son travail, c'est normal, qu'elle décide d'avoir des cibles, c'est une drôle de conception de la vie politique…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous trouvez d'ailleurs, entre parenthèses, sur l'affaire CAHUZAC, vous trouvez qu'elle se comporte bien, l'opposition ?
MANUEL VALLS
Je n'ai pas à la juger, je ne vais pas la juger. Je dis : faisons attention, tout simplement. Faisons attention à ne pas être emportés par une vague, par une vague qui bousculerait non seulement nos institutions, mais notre système démocratique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'entends dire ici ou là, Manuel VALLS : c'est un discours de fermeté et il est laxiste, en fait. Vous avez entendu ça ?
MANUEL VALLS
Je tiens un discours de fermeté parce que je crois à l'autorité, parce que je pense que la délinquance, la criminalité atteint et frappe d'abord les plus faibles et les plus modestes de notre société. Et je veux des résultats, parce que je ne méconnais pas la violence dans notre société. Je ne méconnais pas la montée des violences sur les personnes depuis trente ans, je ne méconnais pas l'augmentation depuis quatre ans des cambriolages, et la peur qui s'installe dans un certain nombre de quartiers. Donc je suis mobilisé précisément pour faire reculer cette délinquance et cette insécurité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement, ce qui pourrit entre autre la vie dans nos quartiers, c'est le trafic de cannabis notamment, et là, vous vous êtes dit : il faut réfléchir, il faut trouver une solution, et vous mettez en place une nouvelle solution. Racontez-nous.
MANUEL VALLS
Non, je mets en place des zones de sécurité prioritaires dans tous ces quartiers touchés notamment par le trafic de drogue, qui gangrène notre société, qui établit au fond un autre ordre qui est celui des mafias, des caïds, et donc il y a, là, un travail, et je l'ai encore vu hier en Seine-Saint-Denis, qui permet de regrouper le travail de la police, des douanes, de tous les services financiers qui permettent précisément non seulement d'arrêter les trafiquants de drogue, mais aussi de s'attaquer aux avoirs, aux portefeuilles de ces trafiquants.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et aussi de dissuader les acheteurs.
MANUEL VALLS
Et de dissuader les acheteurs, parce qu'il faut aussi s'attaquer aux clients.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors là, vous mettez en place une nouvelle idée, qui est : j'imagine, je suis dans ce quartier, je suis contrôlé par la police, j'ai un petit peu de cannabis sur moi, pour ma consommation personnelle, que m'arrive-t-il, là ? Une contravention ?
MANUEL VALLS
Oui, absolument.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est nouveau, ça…
MANUEL VALLS
Non…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui…
MANUEL VALLS
C'est-à-dire que, aujourd'hui, c'est un délit.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aujourd'hui, c'est un délit. Donc là, ce sera une contravention payable tout de suite ?
MANUEL VALLS
On verra. En tout cas, c'est payable tout de suite, quand on est pris sur le fait. Et c'est ce que j'ai vu hier effectivement à Aubervilliers et à Pantin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, payable tout de suite, contravention payable tout de suite, si j'ai un peu plus de drogue sur moi, à ce moment-là, évidemment, c'est la procédure judiciaire qui s'enclenche ?
MANUEL VALLS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est d'accord ?
MANUEL VALLS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'objectif, c'est quoi, c'est de dissuader les acheteurs ?
MANUEL VALLS
C'est de dissuader les acheteurs, c'est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que le policier m'arrête, je dois payer la contravention tout de suite ?
MANUEL VALLS
Qu'est-ce qui se passe dans ces quartiers, par exemple, de la Seine-Saint-Denis…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais ça, vous confirmez, vous mettez ça en place ?
MANUEL VALLS
Nous mettons ça en place. Qu'est-ce qui se passe dans ces quartiers de la Seine-Saint-Denis ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez généraliser ça sur la France ?
MANUEL VALLS
Nous allons le généraliser. Les consommateurs qui passent de l'autre côté, qui viennent de Paris, de l'autre côté du périphérique, pour acheter, et alimentent ainsi ce trafic, donc il faut s'attaquer au trafic, qui, en plus, pourrit la vie des gens au quotidien, dans les cages d'escaliers, et en même temps, il faut s'attaquer aux consommateurs. C'est ce que nous faisons déjà par exemple aussi à Marseille, avec une mobilisation sans précédent dans les 40 cités qui sont aussi gangrénées par le trafic de drogue. C'est ce que nous sommes en train de faire à Amiens, et je m'y rendrai demain, il y a eu des émeutes urbaines cet été dernier, elles sont souvent liées d'ailleurs au trafic de drogue. Donc, sans relâche, il faut s'attaquer aux trafiquants et en même temps à ceux qui alimentent ce trafic, donc également les consommateurs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dernière chose, les statistiques. Maintenant, en tant que journaliste, je ne reprends plus aucun chiffre sur les statistiques de la délinquance, parce que je ne sais plus s'ils sont vrais ou faux, ces chiffres. Je sais que vous allez modifier les mesures pour essayer de mesurer la délinquance dans ce pays, c'est pour quand, fin avril ?
MANUEL VALLS
Oui, c'est dans les prochains mois. L'Observatoire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Prochainement ou fin avril ? Fin avril, il y a un rapport qui est rendu.
MANUEL VALLS
Il y a un rapport parlementaire, j'ai eu l'occasion de m'exprimer devant la Commission des lois, c'est un député du Val-de-Marne, de Jean-Yves LE BOUILLONNEC, qui travaille sur ce sujet-là, et moi, je souhaite qu'au cours de cette année 2013, cet outil statistique soit beaucoup plus performant, soit aussi relié aux statistiques du ministère de la Justice, c'est aussi la volonté de Christiane TAUBIRA, pour que nous ayons une statistique sur la délinquance qui soit indépendante, incontestable, et qui ne provoque pas en permanence ces polémiques. Nous avons besoin d'un outil statistique, pas pour polémiquer, mais tout simplement pour mieux agir, et pour que l'action de la police, de la gendarmerie, des douanes et de la justice, soit la plus efficace possible.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous assumerez si les chiffres sont en augmentation ?
MANUEL VALLS
Mais je les assume déjà, les chiffres ne sont pas bons.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils ne sont pas bons ?
MANUEL VALLS
Ils ne sont pas bons, donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça augmente, la délinquance augmente ?
MANUEL VALLS
Evidemment, la violence et la délinquance augmentent, depuis des années. Par ailleurs, on a trafiqué ces chiffres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça continue à augmenter ?
MANUEL VALLS
Ça continue à augmenter, notamment les cambriolages, dus souvent à des réseaux, à une délinquance locale, mais aussi à une délinquance internationale, des réseaux roumains, bulgares, moldaves, géorgiens, tchétchènes, auxquels il faut s'attaquer, de ce point de vue-là, la gendarmerie, la police, font un excellent travail, mais il faut s'attaquer à cette plaie, à la plaie du trafic de drogue et à la violence sur les hommes et sur les femmes. Moi, ce que je demande, et notamment avec la pré-plainte en ligne, c'est que les femmes portent davantage plainte, qu'elles soient mieux accueillies dans les commissariats comme dans les brigades de gendarmerie, et ça, ça fait augmenter les statistiques de la violence, et en même temps, ça nous permet – et c'est ça l'essentiel – de nous attaquer aussi à ce fléau qu'est la violence sur les femmes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Manuel VALLS.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2013