Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'Europe citoyenne, l'élargissement de l'UE, les mesures prises au niveau européen pour lutter contre le terrorisme et sur le fonctionnement et la représentation des institutions communautaires, Montpellier le 4 octobre 2001.

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Circonstance : Ouverture du forum régional sur l'avenir de l'Europe, Montpellier le 4 octobre 2001

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les Elus,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d'être aujourd'hui parmi vous, pour l'ouverture de ce forum régional, qui s'inscrit dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'Europe, lancé par le président de la République et le Premier ministre, en avril dernier, à la suite du Conseil européen de Nice.
Je tiens tout d'abord à remercier toutes celles et tous ceux qui se sont mobilisés autour du préfet Daniel Constantin pour la réussite de cette journée. Je salue aussi MM. Guy Braibant et Jean Gandois, membres du groupe de personnalités désigné pour faire la synthèse du débat avant le Conseil européen de Bruxelles-Laeken, en décembre prochain.
Le travail de réflexion engagé, avant la rencontre d'aujourd'hui, dans chaque département de votre belle région que je connais bien, est exemplaire. Son programme était composé de manière très pertinente, permettant de bien appréhender à la fois la dimension concrète de la construction européenne, - l'Europe et le travail, l'Europe et les transports -, et les enjeux plus globaux que sont l'élargissement et l'action de l'Europe en faveur de la paix, d'une manière très parlante par nos concitoyens.
Nous sommes aujourd'hui invités, dans le prolongement logique de ces travaux, à prendre un peu de hauteur, un peu de champ, pour réfléchir ensemble à des questions véritablement existentielles pour l'Europe de demain : quelle Europe voulons-nous faire ensemble ? Comment faire vivre la citoyenneté européenne ? Elles me semblent parfaitement résumer le grand débat en cours.
Ce forum n'est pas comme les autres ; non seulement à cause de la présence du président de la République, qui a tenu marquer son intérêt pour le débat, comme le fera le Premier ministre à Rennes, mais aussi à cause des attentats qui ont frappé les Etats-Unis. Je pense, - vous l'avez compris -, aux attentats qui ont frappé les Etats-Unis. L'ombre de ces événements tragiques plane sur nos réflexions. Au-delà des images apocalyptiques de New York et de Washington, nous percevons combien cette date funeste du 11 septembre induira, sans aucun doute, une nouvelle donne géopolitique, même s'il n'est pas possible, aujourd'hui, de mesurer la portée de l'onde de choc.
Pourtant le monde, et encore moins l'Europe, ne doit pas s'arrêter, ou s'installer dans l'expectative. Ce serait donner une prime aux terroristes auteurs des attentats. Ce serait aussi baisser les bras face à la nécessité de construire un monde plus juste, un monde plus stable, et d'éradiquer le terrorisme.
Je vous fais part d'emblée de ma conviction profonde : ces événements nous projettent au cur du sujet qui nous rassemble. Parce qu'ils confèrent une intensité inattendue et inégalée aux grandes questions posées dans le cadre de ce débat. Aucune de nos interrogations, aucune de vos interrogations n'est dépassée ou dénaturée, toutes demeurent, je dirais même qu'elles trouvent une acuité sans précédent. Sans vouloir être exhaustif ou préempter les discussions, je voudrais essayer de vous le montrer à travers les principales d'entre elles.
1 - Première question : qu'est-ce que l'identité et la citoyenneté européennes ? La solidarité avec les Etats-Unis nous est dictée par les valeurs de liberté et de démocratie qui unissent nos deux pays, enfants des Lumières, sans oublier une très longue histoire commune pour affronter la barbarie. Au cours des deux conflits mondiaux, ils se sont clairement engagés. Mais notre réaction n'est pas qu'affective. Elle découle naturellement d'une certaine vision de l'Europe. Vous aurez compris que nous sommes ainsi de plain-pied dans les thèmes de discussion d'aujourd'hui. Ainsi de la notion de citoyenneté européenne, qui peut apparaître abstraite, mais recouvre des réalités très concrètes. Cette vision de l'Europe citoyenne est aussi incarnée dans la Charte des droits fondamentaux, proclamée à Nice. Elle constitue une avancée politique majeure. Enfin, nos valeurs communes se trouvent rassemblées désormais dans un texte fort et clair, et la question de son statut juridique est posée. Pour ma part, j'y vois peut-être, même sans doute, le préambule d'une future Constitution européenne, que j'appelle de mes vux.
Dans les circonstances actuelles, qui mettent à l'épreuve nos démocraties et touchent nos peuples dans leur chair - n'oublions pas que plusieurs centaines de citoyens de l'Union européenne figurent parmi les victimes, dont des Français -, ce texte prend toute sa force.
Dans le même ordre d'idées, vous avez constaté combien un consensus s'est dégagé pour réfuter la thèse du "choc des civilisations" entre l'occident et le monde musulman, pour refuser que soit fait un amalgame choquant et surtout faux entre islam et terrorisme. Je crois pour ma part plus approprié de parler de la lutte pour la civilisation, comme l'a dit le chancelier Schroeder. Cela conduit à refuser toute hiérarchie entre les cultures, les religions, et aussi à s'interroger sur l'identité européenne et donc sur les limites de l'Europe.
2 - J'en viens ainsi à une deuxième question qui touche à l'élargissement et aux frontières de l'Union européenne. Vous en discuterez tout à l'heure. Là aussi, les attentats mettent en évidence la portée géostratégique de cette question. On voit bien que l'Union est en voie de s'installer dans ses frontières ultimes, délimitées d'abord par le cercle des pays candidats d'Europe centrale et orientale. Mais au-delà, les questions surgissent avec d'abord le cas de la Turquie, mais aussi de la perspective ouverte aux pays de l'ex-Yougoslavie d'adhérer à l'Union le moment, venu quand ils auront retrouvé stabilité et démocratie. Il y a aussi les relations à entretenir avec les grands ensembles aux marches de l'Europe, pour nous d'intérêt stratégique. Je pense évidemment à la Russie, mais aussi au monde méditerranéen, dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen, de ce qu'on appelle le "processus de Barcelone". Pour coller à l'actualité, ces exemples montrent - si besoin était -, combien les critères religieux ne sauraient être un facteur discriminant pour l'adhésion ou des relations privilégiées avec l'Union. Et rappelons qu'au cur de l'Europe, nous nous sommes mobilisés pour sauver des populations musulmanes en Bosnie et au Kosovo.
3 - La troisième série de questions porte sur ce que j'appelle l'Europe des citoyens. Car l'Europe acquiert sa légitimité aux yeux de ses peuples en s'appuyant sur des valeurs communes, mais aussi en étant capable de répondre aux aspirations concrètes de chacun. Là aussi, les suites des événements du 11 septembre mettent en lumière cette dimension interne, quotidienne et concrète de la construction européenne. L'Union européenne a su prendre très vite un certain nombre d'initiatives concrètes, comme l'illustre le plan d'action adopté par le Conseil européen extraordinaire du 21 septembre. Les exemples ne manquent pas, qu'il s'agisse d'améliorer la sûreté des transports aériens, ou de donner une nouvelle et très forte impulsion à la construction d'une Europe de la Justice et des affaires intérieures. Lionel Jospin, dans son discours du 28 mai sur l'avenir de l'Union élargie, l'avait d'ailleurs déjà appelée de ses vux.
Vous savez qu'un certain nombre de mesures ont été décidées en priorité, pour lutter plus efficacement contre le terrorisme : un mandat d'arrêt européen, qui se substituera, dans les affaires de terrorisme, aux très longues procédures d'extradition entre Etats membres ; une définition judiciaire commune du terrorisme, dont nous manquons tant en ce qui concerne l'incrimination que les sanctions pénales ; un rôle plus opérationnel, en matière de terrorisme, pour l'office européen de police, EUROPOL, qui est un peu un embryon de FBI européen ; un renforcement de l'efficacité du système Schengen, pour prévenir l'accès de terroristes au territoire européen. Je soulignerai aussi le soutien aux compagnies aériennes, affectées notamment par la forte hausse des tarifs d'assurance, grâce au mécanisme de garantie décidé par l'Union européenne.
Enfin, n'oublions pas l'euro et ses effets positifs, lorsque l'on évoque l'Europe concrète, tant un environnement économique stable est indispensable au maintien de la confiance, c'est-à-dire à la croissance et à l'emploi. Je rappellerai aussi une première, le 17 septembre, avec la baisse concertée des taux d'intérêts par les deux banques centrales, la FED et la BCE, et ses conséquences stabilisatrices face au ralentissement de l'économie. Imaginons dans quelle situation nous serions aujourd'hui sans l'euro si on ajoutait la spéculation à l'incertitude.
4 - La quatrième série de questions porte sur la place de l'Union européenne sur la scène internationale. De toutes parts, la communauté internationale a réagi pour affirmer sa solidarité agissante avec les Etats-Unis, et partout l'Europe et ses Etats membres se sont montrés actifs. Je mentionnerai d'abord la détermination européenne à renforcer les mécanismes de la Politique étrangère et de Sécurité commune, pour s'adapter au contexte international, à rendre aussi opérationnelle au plus vite la politique européenne de sécurité et de défense. Tout récemment, à l'IHEDN, le Premier ministre a souligné l'urgence en ce domaine. Je crois que ces initiatives s'inscrivent dans un mouvement d'ensemble positif, témoignant de la montée en puissance de l'Union européenne sur la scène internationale. Je pense notamment à sa position en pointe concernant le Protocole de Kyoto pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, je pense à son rôle dans les Balkans, son influence infatigable et finalement positive pour dénouer les difficultés de la conférence de Durban sur le racisme, très mal engagée, je pense à sa présence active au Moyen-Orient pour apaiser les tensions et faciliter la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
En définitive, ces événements valident notre approche française d'une Europe-puissance, capable de peser sur les affaires du monde pour défendre la justice et la démocratie, promouvoir la paix et le développement. L'Europe ne peut pas être un simple espace marchant.
5 - J'en viens maintenant, pour terminer, à une dernière série de questions qui concerne le mode de fonctionnement de l'Union européenne, c'est-à-dire les aspects institutionnels. Il ne saurait en effet s'agir de faire l'impasse sur cette dimension. Mais encore faut-il la traiter d'une manière parlante pour nos concitoyens, et non en posant des questions théologiques, à partir d'étiquettes ou de slogans simplificateurs, autour d'un fédéralisme plus ou moins poussé. A ce stade, pour essayer de cadrer la réflexion, je dirai simplement que cette thématique fondamentale me semble au nud de deux problématiques :
- il y a, d'un côté, celle du fonctionnement. Comment mettre en place un système efficace, favorisant la décision, assurant la transparence, la responsabilité et le contrôle, compatible avec une Europe élargie (qui est une chance mais pose aussi un certain nombre de problèmes), comment articuler différents niveaux de décision - communautaire, national, régional, local - ? Telles sont quelques-unes unes des questions qui se posent alors.
- il y a, de l'autre, celle de la représentation. En effet, tout système institutionnel est fondamentalement porteur de représentation politique. La tâche est particulièrement ardue car, à ce qu'il est convenu d'appeler la crise de la représentation politique dans les Etats membres, s'ajoute la complexité d'un système communautaire difficilement comparable aux systèmes nationaux.
On le voit bien chez nous. Pour prendre un exemple, n'y voyez pas malice, nos concitoyens ne connaissent pas nécessairement la Constitution, mais ils savent ce que fait le président de la République, ce que fait le Premier ministre. Il devrait en être de même dans le système communautaire pour que les peuples s'y reconnaissent et soient capables d'identifier les pouvoirs.
A cet égard, le contexte actuel est très parlant. Il montre bien que c'est dans le cadre de l'Union européenne que nous saurons répondre aux défis du terrorisme, et être un partenaire écouté et efficace des Etats-Unis. Il met aussi en évidence, si besoin était, combien le rôle des Etats-nations reste important. Nous touchons là à l'originalité du système communautaire, combinant la force des mécanismes d'intégration, de nature fédérale, et la réalité des Etats membres, dans le respect de leur identité. C'est ce "précipité singulier", pour reprendre l'expression de Lionel Jospin, entre une volonté collective et la force des Etats membres qui confère à la construction européenne toute sa vivacité. On y retrouve la notion de fédération Etats-nations, dans laquelle, comme d'autres, je me reconnais.
Comme vous le voyez, l'Union européenne est aujourd'hui au pied du mur, face à ses responsabilités. L'épreuve de vérité sur l'Europe politique est devant nous, sans aucun doute plus rapidement que prévu. Sera-t-elle capable d'exprimer de manière active sa solidarité, comme nous le souhaitons, pour contribuer à la lutte contre le terrorisme, mais aussi, plus largement, pour uvrer à la paix et à la prospérité dans le cadre d'une mondialisation régulée ? Voilà aujourd'hui une question politique absolument centrale. Nous sommes bien au cur du débat sur l'avenir de l'Europe, avec le sentiment que la construction européenne n'est plus seulement un cadre naturel ni une priorité, mais une urgence.
C'est pourquoi vos travaux sont une contribution essentielle pour nous permettre de réussir cette épreuve. La présence du président de la République, l'implication du Premier ministre et du gouvernement, témoignent de l'importance de ces travaux. Je suis impatient de vous laisser la parole et de vous écouter
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)