Déclaration de Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement, sur la proposition de loi du PS visant à mettre fin au statut d'exception des voyageurs issu de la loi du 3 janvier 1969 et les dispositions du projet de loi pour un accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) prévues pour les gens du voyage, à l'Assemblée nationale le 17 juillet 2013.

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Circonstance : Colloque sur les gens du voyage organisé par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale le 17 juillet 2013

Texte intégral

Madame la Ministre,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi une réelle fierté d'ouvrir ce colloque consacré aux gens du voyage.
Je tiens à remercier chaleureusement le groupe socialiste qui en est l'organisateur mais également chacune et chacun d'entre vous qui allez l'animer.
Le hasard du calendrier donne à ce colloque un caractère symbolique. Non pas parce qu'il prend place après un moment de polémiques, mais parce qu'en ce 17 juillet 2013, nous sommes au lendemain du 101e anniversaire de la loi du 16 juillet 1912 sur « l'exercice des professions ambulantes et la circulation des nomades », loi qui fut à l'origine de l'instauration des funestes carnets anthropométriques.
S'ils ont été depuis lors remplacés par des carnets et livrets de circulation, le principe était clair : il s'agissait d'une législation dérogatoire au droit commun permettant d'identifier les voyageurs.
« Les voyageurs ont longtemps été considérés comme des Français entièrement à part et non comme des Français à part entière ». Ce sont les mots d'Hubert Derache paraphrasant Césaire. Je ne m'étonne guère qu'il ait puisé chez le poète de la négritude de quoi dire la particularité des gens du voyage puisqu'Aimé Césaire a su dire comme nul autre peut-être la domination, l'humiliation, la discrimination de ceux qu'on tient pour peu de chose…
Et c'est bien ce dont il est question aujourd'hui, de la place et du sort que fait la République aux gens du voyage. Ne croyons pas que cette question est une petite question. Elle interroge notre démocratie en profondeur.

Les gens du voyage sont entièrement à part.
Entièrement à part parce que perpétuant, de génération en génération, un mode de vie traditionnel en résidence mobile.
Entièrement à part parce que couramment montrés du doigt et stigmatisés.
Entièrement à part parce que posant comme aucune autre communauté des questions qui dérangent, sur les limites du vivre ensemble et le rôle de la puissance publique.
Alors, je tiens à le dire avec gravité : ceux qui choisissent d'entretenir la confusion et la méconnaissance en utilisant des insinuations odieuses, parfois proches de l'appel à la haine, sont des irresponsables.
Le climat est suffisamment lourd de tensions de tensions, pour que chacun garde la tête froide. Notre rôle à nous autres les politiques n'est pas d'exacerber les conflits.
Regardons la réalité crue d'un problème qui ne cesse d'empoisonner le débat public.
Je ne conteste ni les problèmes que causent aux collectivités les stationnements illicites ni ceux que cause aux voyageurs le non respect d'une loi vieille de treize ans maintenant, qui instituait pour les communes de plus de 5000 habitants une obligation d'accueil. Une loi insuffisamment appliquée.
Loin de moi l'idée de simplifier à outrance une question rendue complexe par les coûts qu'elle engendre, par la rareté de la disponibilité foncière, par la longueur des procédures d'urbanisme… Mais la République ne saurait sans se renier tolérer le « régime d'exclusion » mis en place dans certains territoires. Car la question des aires d'accueil, loin d'être le seul sujet – j'y reviendrai –, se pose tout autant en termes quantitatifs que qualitatifs. Au maigre taux de réalisation des aires s'ajoute une organisation pensée en marge des agglomérations et des services de la collectivité.
A ces tristes constats, nous opposons la volonté de forger des compromis porteurs de solutions. C'est l'esprit de ce colloque. Je me réjouis que nous soyons réunis aujourd'hui, grâce au fruit de plusieurs mois de travail collégial, entre ministères, administrations, associations et parlementaires.
J'ai le souvenir précis du 5 octobre 2012, date à laquelle les Sages ont déclaré contraires à la Constitution plusieurs dispositions de la loi du 3 janvier 1969. Cette demi-journée nous donne aujourd'hui l'occasion de franchir un nouveau pas, un pas immense, à l'encontre de cette loi d'un autre temps, de cette politique d'un autre âge.
101 ans après la loi de 1912, je souhaite vous dire combien nous sommes collectivement résolus à faire cesser cette législation d'exception, qui porte atteinte à la liberté de circulation, porte atteinte au droit européen et entrave l'unicité de la République.
Vous le savez, les travaux dédiés aux gens du voyage ont été très nombreux ces dernières années. Je pense notamment :
- au rapport issu de la mission d'inspection confiée à Patrick Laporte sur les normes d'aménagement applicables aux aires d'accueil,
- au rapport d'information présenté par le député Didier Quentin sur le bilan et l'adaptation de la législation relative à l'accueil et l'habitat des gens du voyage,
- au rapport du sénateur Pierre Hérisson intitulé « Gens du voyage, pour un statut proche du droit commun » remis au Premier ministre en juillet 2011,
- et, enfin, au rapport de la Cour des comptes d'octobre 2012.
Le Premier ministre a choisi d'entendre l'appel à l'action qui traverse toute cette littérature. Il a donc enjoint l'ensemble de ses ministres à établir une stratégie interministérielle renouvelée en faveur des gens du voyage. L'objectif était clair : bâtir une approche globale et harmonisée destinée à mettre fin au statut d'exception qui éloigne les voyageurs des dispositifs de droit commun.
Trois temps ont été nécessaires à l'élaboration de cette stratégie.
D'abord, celui du Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Les travaux qui ont précédé le Comité interministériel de lutte contre les exclusions ont permis de faire converger les vues et combiner les efforts des sept ministères directement en charge : l'Intérieur, les Affaires sociales et la Santé, l'Éducation, la Défense, la Culture et le Logement. Vieille doléance des associations de voyageurs, nous pouvons nous féliciter de la coordination interministérielle qui s'est développée et qui permettra à l'avenir de décupler l'ampleur de l'action des pouvoirs publics.
Ensuite, ce fut le temps de la concertation. Sous l'égide du ministère de l'Intérieur, des travaux de réflexion et de nombreuses réunions avec les associations se sont tenues, de manière à recueillir leurs points de vue, leurs inquiétudes et leurs attentes.
Enfin, ce fut le temps de la mission confiée par le Premier ministre au préfet Hubert Derache. Je sais que le Délégué interministériel à l'hébergement et à l'accès au logement, Alain Régnier, me succédera à ce micro pour vous présenter le rapport qui en émane, mais je tiens dès avant à souligner le travail remarquable qu'il a mené et l'immense qualité du rapport qu'il a produit. Dense, juste, incisif, précis, ambitieux, ce rapport qui fera date est, pour le Gouvernement, une véritable feuille de route.
Plusieurs orientations relatives au logement et contenues dans cette feuille de route vont pouvoir se concrétiser très rapidement.
Je souhaite vous dire quelques mots du projet de loi « Alur » pour « accès au logement et un urbanisme rénové », que j'aurai l'honneur de défendre au Parlement à la rentrée.
Les dispositions de ce projet de loi qui bénéficieront aux voyageurs entendent sortir de l'angle catégoriel. Il ne s'agit plus de penser l'accueil, quand ce n'est pas l'« hospitalité », mais bien de penser le logement. Ce projet de loi porte l'ambition d'affronter la crise du logement, depuis la maîtrise du foncier jusqu'à la sécurisation des parcours résidentiels, et ce pour tous les habitants de notre pays.
Si j'insiste sur le mot « tous », c'est parce que j'ambitionne de faire changer le regard sur l'habitat caravane et plus globalement sur l'habitat léger, sur toutes les formes d'habitat choisi, dans le respect de l'environnement et de la biodiversité. Loin d'être marginaux, ces modes d'habitat traduisent le refus du logement classique et le choix d'un mode de vie social, écologique et économique différent, soucieux du renouveau du vivre ensemble. Je suis persuadée que la diversité de la société doit se refléter dans la diversité des modes d'habitat.
Parmi les voyageurs, nombreux sont ceux qui aspirent à avoir un « chez soi » pérenne, et je suis convaincue que la dualité ancrage/voyage n'est pas insoluble.
Nous sommes depuis trop longtemps confrontés à un cadre trouble qui génère des situations disparates et inextricables, complexes pour les élus, incompréhensibles pour les voyageurs.
C'est pourquoi le projet de loi tend à sécuriser les projets d'implantation d'habitat léger, démontable et réversible en leur conférant une définition et un cadre juridiques et en précisant leurs conditions d'implantation.
Concrètement, le projet de loi contient des dispositions qui visent à :
- modifier, dans le code de l'urbanisme, le mot « caravanes » par les mots « résidences mobiles ou démontables » ;
- permettre l'implantation de « terrains familiaux » hors des parties actuellement urbanisées dans les communes dépourvues de documents d'urbanisme ;
- permettre l'implantation de terrains familiaux et d'aires d'accueil des gens du voyage dans des secteurs de taille et de capacité limitées en zone N ou en zone A du PLU (pastillage) ;
- rendre obligatoire dans les documents d'urbanisme la prise en compte de l'ensemble des modes d'habitat installés de façon permanente sur le territoire de la commune.
À cet ensemble de mesures, s'ajoutent des dispositions visant à simplifier les règles de domiciliation pour faciliter l'accès au droit des personnes sans domicile stable.
S'agissant des pistes législatives, je ne souhaite pas en déflorer le contenu, j'en laisse la primeur au député Raimbourg qui vous en fera tout à l'heure une présentation.
Néanmoins, je tiens à vous dire que sa finalisation est pensée de manière collective. Pour ne citer que cela, sachez que mes services travaillent actuellement à la rédaction de dispositions, relatives au code de la construction et de l'habitation, qui visent à une meilleure prise en compte des besoins d'ancrage territorial des gens du voyage dans les documents programmatiques et notamment dans le PLH.
Au-delà des projets et propositions de loi, et vous le savez aussi bien que moi, il existe un grand nombre de mesures qui ne relèvent pas du niveau législatif mais qui doivent être réfléchies et mises en oeuvre.
De quoi est-il question ?
Je pense tout d'abord à une idée – Alain Régnier reviendra sûrement sur ce sujet – suggérée par le rapport du préfet Derache : celle de lancer une « étude-action » dédiée à l'élaboration d'un programme autour du développement du logement adapté pour répondre aux besoins objectivés des gens du voyage. Il convient d'analyser le désir croissant d'ancrage territorial pour donner un coup d'arrêt à l'itinérance forcée que subissent certaines familles et qui compromet de fait toute forme d'insertion.
J'ai demandé à la Dihal, en charge de la préfiguration de cette étude-action, d'associer très largement les associations de gens du voyage, afin d'élaborer un cahier des charges permettant, dès 2014, d'expérimenter la mise en place de solutions concrètes et conformes aux besoins.
Je souhaite par ailleurs que des travaux soient menés de manière à trouver des solutions pour les terrains familiaux privés, sur lesquels sont sereinement installés des voyageurs et ce depuis de nombreuses années, en dépit de leur actuelle illégalité.
Je pense ensuite, je vous en parlais en introduction, à toutes les mesures inscrites dans le Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. Mes collègues Marisol Touraine et Marie-Arlette Carlotti ne pouvaient malheureusement pas être là aujourd'hui, mais je souhaite me faire le porte-voix de leurs services, qui travaillent main dans la main pour faire progresser l'accès aux droits et aux prestations sociales. Il est prévu que les préfets de département, sous la coordination des préfets de région et en lien avec les collectivités territoriales et les acteurs associatifs concernés, établissent un schéma de la domiciliation. Cet outil sera très précieux car il définira une couverture territoriale complète et en assurera un suivi annuel. Je sais aussi qu'elles sont attachées à la structuration et au développement des actions de médiation sanitaire en direction des gens du voyage.
Je ne ferai pas ici la liste de tous les engagements du Plan, qui vont de l'accès à la culture à la formation et l'insertion professionnelle, en passant par l'accès à l'emploi, mais je peux vous souligner combien le Gouvernement est déterminé à les mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.
Le seul point sur lequel je souhaite m'attarder, car il m'importe beaucoup, et je sais qu'il est crucial pour bon nombre d'entre vous, est celui de la gestion des aires d'accueil. J'ai déjà évoqué ce sujet mais je souhaite y revenir car je suis résolue à ce que de nets progrès se réalisent. Actuellement, dans certains territoires, la gestion des aires ne garantit ni la conformité des aménagements aux normes techniques, ni l'utilisation efficiente des fonds publics ; ce n'est pas acceptable. Je sais combien les pratiques peuvent être divergentes d'un lieu à l'autre, j'ai également conscience que certains prestataires peu scrupuleux dévoient la réglementation.
C'est pourquoi, je suis très attachée, non pas à l'instauration d'un modèle rigide, mais à l'établissement d'un cadre fixant la gestion et les règlements intérieurs des aires de manière plus stricte. Parallèlement à une réforme de l'ALT 2 qui devra être menée afin de la rendre plus juste, j'aspire à ce que ce cadre permette :
- d'enrayer les pratiques de gestion et autres distorsions de fonctionnement abusives ;
- de mieux faire respecter le droit à la vie privée des usagers ;
- d'harmoniser, par le haut et au niveau départemental, les règles applicables en matière de durées de séjour et de tarification ;
- enfin, et c'est très important, je souhaite que ce cadre renforce le lien avec les usagers et les associations de gens du voyage.
Le dernier point dont je tiens à vous parler, et qui n'est pas sans lien avec l'objectif que je vous citais à l'instant, est celui de la Commission nationale consultative des gens du Voyage.
Marisol Touraine et moi-même, en tant que ministres en charge, accordons une importance particulière à cette instance.
Néanmoins, et conformément aux préconisations du rapport d'Hubert Derache, il nous parait nécessaire de la réorienter, de réinterroger, voire de revisiter son rôle et son mode de fonctionnement, et ce à plusieurs égards :
- pour renforcer sa place dans le pilotage des politiques publiques en faveur des gens du voyage ;
- pour renforcer sa capacité d'analyse et d'expertise. Cette commission ne doit pas être une chambre d'enregistrement, mais une véritable instance de concertation où s'expriment la pluralité des regards et la diversité des attentes. Elle doit être à même d'impulser des projets et véritablement dynamisée par les associations ;
- pour étendre ses compétences et lui donner un rôle plus décisionnel ; cela passe notamment par la possibilité que soient instaurés des groupes de travail thématiques ;
- ce n'est pas tout, il s'agit aussi de renforcer son lien avec les commissions départementales pour que le pilotage local soit dynamisé.
Nos services travaillent conjointement à la modification de cette commission, qui interviendra par le biais d'un décret. Je tenais à vous faire part des grandes orientations vers lesquelles nous pensons qu'il est important de tendre. Mais sachez que toutes les parties prenantes concernées seront bien évidemment entendues dans le cadre d'une consultation qui aura lieu avant l'automne.
Vous l'aurez compris, le Gouvernement est engagé, aux côtés des parlementaires et des associations, dans une action volontariste en faveur d'un changement global : changement des regards, changement des pratiques et changement de la législation.
Le statut d'exception et la logique discriminatoire qui s'y attache doivent connaître un terme.
Notre chemin, c'est celui de l'égalité républicaine, qui parce qu'elle vise à l'universalité sait prendre en compte les particularités. Notre méthode c'est la concertation et la pédagogie.
Notre feuille de route c'est le courage de voir le problème tel qu'il est pour transformer le réel plutôt que de le subir.
C'est dans cet esprit que je vous souhaite un bel après-midi d'échanges, au service d'un travail fécond.
Je vous remercie.
Source http://www.territoires.gouv.fr, le 19 juillet 2013