Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d'abord remercier M. Dominique Bussereau, député, président d'Avenir Transports, pour avoir eu l'excellente idée d'organiser ce colloque consacré à l'Europe des transports et de bien avoir voulu m'inviter à en ouvrir les travaux.
J'ai accepté avec plaisir cette invitation car je considère que l'Europe des transports est un des enjeux importants de la construction européenne des prochaines années. L'Europe a besoin de transports efficaces, diversifiés, sûrs, écologiques, compétitifs. Il en va de sa capacité à assurer sa croissance économique, à donner toute sa mesure au marché unique, à assurer un aménagement harmonieux du territoire, à permettre la circulation des personnes et des biens avec le maximum de sécurité.
Le secteur des transports lui-même doit être en mesure de créer des emplois, d'assurer le progrès social de ses salariés et de résister à la concurrence extra-communautaire tout en conquérant des marchés.
Pour une telle ambition, le cadre national ne suffit plus depuis longtemps. Depuis l'origine de la Communauté économique européenne, le secteur des transports a vocation à faire l'objet de politiques communes pour l'ensemble des Etats membres. Pour de multiples raisons, ces politiques communes ont été longues à apparaître, du fait de volontés politiques parfois défaillantes et d'une résistance forte des particularismes nationaux.
Aujourd'hui, les choses ont progressé et l'Europe des transports est de plus en plus une réalité, pas seulement un slogan, pour commencer de répondre au titre de votre colloque. Il nous faut encore progresser, pour renforcer le secteur français du transport en Europe, et aussi, dans certains secteurs en tout cas, renforcer les transports européens dans le monde.
Je voudrais ainsi évoquer ce matin - aidé en cela par le programme de votre colloque - les trois directions qui me paraissent essentielles au développement de l'Europe des transports :
- La maîtrise de la libéralisation, d'ailleurs largement réalisée ;
- La poursuite résolue de l'harmonisation, tant sociale que fiscale ou technique ;
- Un nouvel élan pour les grands réseaux et les investissements dans les transports.
1) Je voudrais tout d'abord aborder la question de la libéralisation du secteur des transports, qu'il s'agit selon moi, aujourd'hui, de maîtriser, avec conviction et sans démagogie.
Le constat doit d'abord être fait, pour couper court aux fausses polémiques: la libéralisation des transports en Europe est, d'ores et déjà, une réalité dans nombre de secteurs et les entreprises françaises savent en tirer profit.
Le transport aérien et le transport routier de marchandises sont aujourd'hui entièrement ouverts à la concurrence. Le transport maritime l'est dans une grande mesure. La libéralisation du transport routier de voyageurs est également avancée.
Même dans le secteur ferroviaire, la directive de 1991 amorce l'ouverture à la concurrence, avec, certes, un certain nombre de garanties et de conditions.
Les entreprises françaises ont su tirer profit de cette ouverture à la concurrence qui a pu, également, pourquoi ne pas le dire, apporter certains avantages aux consommateurs, je pense en particulier au secteur aérien où l'offre s'est accrue et où les tarifs ont eu tendance à diminuer.
Pour autant, je voudrais dire ici que la libéralisation ne peut être considérée comme la panacée et qu'elle doit, en toute hypothèse, être envisagée avec prudence et maîtrise, afin que ne soient pas remis en cause les équilibres de certains secteurs, la situation de certaines entreprises, ou, tout simplement, l'intérêt général.
Je voudrais évoquer en particulier deux secteurs. Tout d'abord, celui du fret maritime, pour lequel la libéralisation complète n'a pas eu, à ce jour le résultat escompté, c'est-à-dire une amélioration de la compétitivité de nature à stopper le déclin des flottes européennes. Au contraire, les transferts de pavillon des navires immatriculés dans les registres de la Communauté se sont poursuivis. Il s'agit donc d'envisager une autre stratégie, mieux adaptée, j'y reviendrai.
S'agissant du secteur ferroviaire, le gouvernement français continue de considérer que les propositions de la Commission en vue d'une libéralisation complète du secteur, avec, notamment, l'ouverture progressive à toute entreprise ferroviaire des infrastructures des Etats membres autres que celui dans lequel elle est établie, n'est pas en mesure de répondre à nos préoccupations.
Sans entrer dans les détails du mécanisme envisagé, il apparaît qu'il ne garantirait pas suffisamment les intérêts de l'entreprise ferroviaire nationale face aux opérateurs étrangers et pourrait même, dans certains cas, s'apparenter à une discrimination à rebours. Nous ne pouvons, en particulier, accepter le risque que l'Etat membre soit obligé de répondre à toute demande d'un opérateur étranger pour tout parcours, ce qui pourrait entraîner la préemption des trajets les plus rentables par les seuls opérateurs étrangers.
Nous souhaitons donc qu'aucune précipitation ne soit imposée sur ce dossier et que la discussion permette d'aller vers un texte acceptable. D'une façon générale, nous devrons continuer de veiller à ce que les mesures de libéralisation, quels que soient les secteurs, visent à préserver les impératifs de sécurité comme ceux de l'environnement et de l'aménagement du territoire.
Que mon propos soit bien compris, il n'est pas dans l'intention du gouvernement de mener un combat d'arrière-garde, mais simplement de veiller, comme le font d'ailleurs l'ensemble de nos partenaires, à la préservation des intérêts des opérateurs français et à une libéralisation maîtrisée, à l'opposé de tout dogmatisme ultralibéral.
2) Au-delà de la libéralisation, l'Europe des transports passe par un renforcement de l'harmonisation.
Une Europe des transports forte, avec des entreprises prospères, compétitives, au service de la communauté, cela passe avant tout par une poursuite de l'effort d'harmonisation des normes sociales, fiscales et techniques.
- L'harmonisation sociale, afin d'améliorer les conditions de travail dans le secteur mais aussi d'éviter le dumping social, doit encore largement progresser. Le gouvernement en fait une de ses priorités.
En particulier, le secteur des transports routiers est un de ceux où les conditions de travail sont les plus dures, avec des conséquences parfois tragiques sur la sécurité des chauffeurs comme sur celles des autres utilisateurs de la route.
Le gouvernement français a mis l'accent depuis 1997 auprès de ses partenaires et de la Commission sur la nécessité d'accompagner la libéralisation du secteur d'un renforcement de l'harmonisation sociale à l'échelle européenne. Nous avons ainsi élaboré en décembre 1997 un mémorandum avec des propositions portant sur la réglementation du temps d'activité, sur l'institution d'une obligation de formation professionnelle des conducteurs, sur les contrôles. La Commission a répondu à nos attentes en déposant, à la fin de l'année dernière, un certain nombre de propositions.
Les discussions sont difficiles mais le gouvernement est déterminé à rester extrêmement vigilant. Il en va autant de la santé économique du secteur que du renforcement de la sécurité sur nos routes, comme mon collègue Jean Claude Gayssot vous le précisera certainement en concluant vos travaux cet après-midi.
J'ajouterai qu'un effort important reste également à accomplir dans le secteur du transport maritime où les normes relatives aux conditions de travail méritent encore d'être améliorées, en même temps qu'un effort doit être fait au-delà des frontières de l'Union en vue d'une harmonisation des conditions de concurrence mondiale.
- L'harmonisation fiscale doit être également renforcée. En dépit de mesures prises dans les années quatre-vingt-dix, avec notamment l'harmonisation des taux d'accises sur le gazole routier, des disparités continuent de peser sur les conditions de la compétition économique, en particulier depuis l'ouverture du cabotage à la concurrence le 1er juillet 1998.
- Enfin, nous devons poursuivre l'effort d'harmonisation technique, notamment dans le sens d'une plus grande sécurité et d'un meilleur respect de l'environnement. Beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire.
Dans le secteur du transport routier, les limitations de vitesse et les taux d'alcoolémie maximale ne sont pas encore harmonisés. Pourquoi ne pas engager une réflexion en ce sens, pour bénéficier, dans le cadre de l'effort national mené par le gouvernement en faveur de la sécurité routière, de l'expérience et des résultats incontestablement plus satisfaisants de la plupart de nos partenaires ?
L'harmonisation technique peut être également renforcée dans le secteur ferroviaire, de façon à favoriser la coopération entre opérateurs. Je pense en particulier aux "corridors de fret" mis en place par la SNCF avec plusieurs opérateurs étrangers. De telles solutions me paraissent être des alternatives parfaitement valables à la seule option de la libéralisation.
La dimension de la protection de l'environnement doit être, par ailleurs, privilégiée. Je voudrais à ce sujet dire un mot du règlement qui vient d'être adopté en vue de réduire les nuisances sonores dues à certains types d'avions équipés de dispositifs d'insonorisation dits "hush-kits".
En adoptant ce règlement le 29 avril dernier, le Conseil a réaffirmé sa volonté de lutter à l'échelle européenne contre les nuisances sonores liées au développement du trafic aérien, développement qui est appelé à se poursuivre. Le bruit est en effet, désormais, une des pollutions dont souffrent le plus nos concitoyens.
Dans le même temps, et à la suite de discussions menées entre la Commission et les Etats-Unis, qui possèdent les flottes les plus importantes d'avions munis de "hush-kits", il a été décidé de reporter d'un an l'application de cette nouvelle réglementation, pour permettre la poursuite d'échanges sur les spécifications techniques des avions concernés et pour tenir compte de la volonté américaine de travailler, au sein de l'OACI, à l'adoption de normes internationales plus sévères en matière de protection de l'environnement.
La France restera très vigilante, en continuant de chercher à concilier nos intérêts commerciaux et la protection de l'environnement.
3) J'en viens à mon troisième point, l'importance d'une politique européenne volontaire de développement des grands réseaux de transports.
Au delà des questions d'ouverture du secteur à la concurrence et d'harmonisation, il est essentiel que les transports en Europe bénéficient d'une politique résolue de grands investissements, destinés à promouvoir le développement, l'inter-opérabilité, l'efficacité des différents modes de transport, afin que les transports jouent tout leur rôle dans la croissance des économies européennes, dans l'aménagement du territoire européen, en respectant mieux l'environnement et la sécurité des personnes.
Je voudrais donc dire ici toute l'importance que le gouvernement accorde à la réalisation des "grands réseaux" retenus en 1994, lors du Conseil européen d'Essen. L'Europe a besoin de ces réseaux, pour que les transports soient plus sûrs, plus efficaces, moins coûteux, pour qu'ils contribuent à la croissance de nos économies, à la lutte contre le chômage, pour qu'ils préparent également l'Europe à son futur élargissement vers l'Est.
Quatre projets sont prioritaires pour nous en matière de transport ferroviaire, dans le cadre d'un rééquilibrage nécessaire, pour de multiples raisons - que Jean Claude Gayssot pourrait mieux détailler que moi -, de la route vers le rail ou vers le transport combiné. Qu'il s'agisse du TGV-Est, du TGV Sud, de la ligne Lyon-Turin ou du TGV Rhin-Rhône - auquel vous comprendrez que l'élu de Franche-Comté que je suis soit particulièrement attaché ! -, nous sommes déterminés à poursuivre nos efforts vis-à-vis de la Commission et des Etats voisins ainsi que l'engagement propre de l'Etat afin que l'ensemble de ces projets voient le jour, ou commencent au moins à voir un début de réalisation d'ici les dix prochaines années.
D'une façon générale, au-delà de ces grands projets, il est essentiel que l'industrie européenne des transports se renforce encore. Je pense notamment au transport maritime, pour lequel la tendance au déclin n'a pas été véritablement inversée. Je pense également au secteur aérien où les entreprises européennes, qui connaissent heureusement des succès remarquables, doivent encore développer leurs alliances pour se renforcer, dans le cadre d'une relation égalitaire et sans faiblesse avec les Etats-Unis.
En conclusion, je voudrais souligner que la politique européenne du gouvernement français est inspirée par la volonté de donner toute sa mesure à l'Union économique et monétaire et au marché unique en les plaçant au service d'une politique de croissance et d'emploi.
Depuis près de deux ans, et sans faire de mauvais jeu de mots, je dirais que l'Europe a véritablement été remise sur les rails. Grâce à l'euro, aux conditions auxquelles nous y sommes parvenus, avec un début de gouvernement économique face au rôle nécessaire de la Banque centrale européenne, grâce au dispositif mis en place en faveur de l'emploi, dont le Pacte européen pour l'emploi qui sera arrêté dans quelques semaines lors du Conseil européen de Cologne, nous pouvons envisager que les politiques européennes contribuent à une croissance durable dans nos pays.
Les transports devront occuper toute leur place dans cette dynamique. Ils en sont même au coeur. Je suis sûr que vos travaux permettront d'en dégager les axes prioritaires. Je souhaite donc une entière réussite à votre colloque.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 mai 1999)