Interview de Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, dans "Pote à pote" de juillet 2001, sur les pratiques de discrimination raciale en matière d'accès au logement.

Prononcé le 1er juillet 2001

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Média : Pote à pote

Texte intégral

Suite à la publication du rapport du GELD, Marie-Noëlle Lienemann, Secrétaire d'Etat au Logement, a demandé aux offices HLM " la suppression immédiate des mentions illégales contenues dans leurs fichiers " . Une fois encore. Et puis, après ? Sanctions, laisser-faire ? Interview.
Pote à Pote: Est-il normal qu'il n'y ait pas de sanctions judiciaires contre ceux qui pratiquent la discrimination au logement ?
Marie-Noëlle Lienemann : Non, et je trouve anormal que certains procureurs classent trop souvent les plaintes sans suite. La crédibilité des lois tient en particulier au fait que la justice sanctionne ceux qui ne les appliquent pas. Ce doit être une règle aussi bien pour le délinquant que pour un organisme, une structure institutionnelle. Une des pistes que j'ai ouvertes est de voir avec Marylise Lebranchu (ministre de la Justice et garde des Sceaux) la possibilité de faire une circulaire de politique pénale auprès des procureurs, pour attirer leur attention sur l'application du droit.
PàP : On sait qu'il y a eu utilisation d'un logiciel pour créer des fichiers ethniques. Des sanctions vont-elles être prises ?
M.N.L.: L'Etat peut exercer des contrôles sur le mouvement HLM. En particulier pour le cas d'organismes qui, dans leur parc, ont une concentration de populations étrangères ou de couleur et, de l'autre côté gèrent des quartiers très agréables, dans lesquels les populations sont majoritairement, voire quasi exclusivement blanches. Je voudrais qu'il y ait des inspections (MILOS et IGAS)* qui puissent sanctionner ces organismes.
PàP: On parle beaucoup de programmes de démolition et de reconstruction, pour renverser la vapeur. Mais comment faire appliquer une vraie mixité, quand on sait qu'aucune sanction ne tombe ?
M.N.L.: II faut s'attaquer au logement concentrationnaire. Non seulement ces populations sont concentrées, mais surtout on les fait vivre dans de mauvaises conditions. II faut en parallèle construire du logement social dans les centre-villes et respecter les règles d'ouverture aux populations immigrées ou aux Français d'origine étrangère.
PàP : Comment ?
M.N.L.: Le rapport du GELD dit les choses, les faits sont établis. Cette instance suppose que du côté ministériel, il y ait des suites. C'est ce à quoi je m'attache. Avant, les inspections ne portaient pas forcément ou exclusivement sur la question des discriminations. Etant Secrétaire d'Etat, je peux le décider. Mais je ne peux pas garantir que la justice étant saisie, elle décidera de poursuivre là où elle ne le faisait pas. Le garde des Sceaux peut pousser la justice à y veiller.
PàP : La circulaire d'Elisabeth Guigou (juillet dernier) n'a pas été très suivie ?
M.N.L.: II faut que les pouvoirs publics, l'Etat et le gouvernement aient beaucoup de pugnacité, de persévérance. J'ai proposé des amendements (disparition de la photo, interdiction d'exiger une caution de nationalité française). En clair, il faut faire disparaître des demandes de logement, certains éléments qui pourraient s'avérer discriminatoires. Faut-il encore que ces lois soient connues des citoyens. Pour être vigilants, ils doivent connaître leurs droits réels. Nous allons éditer un dépliant d'information, pour mettre en garde et rappeler que certains documents ne peuvent pas être demandés.
PàP : On parle de mixité sociale, quand il s'agit surtout de discrimination raciale. N'est-ce pas un peu hypocrite ?
M.N.L.: Non. Par contre, ça peut être un prétexte. Faisons attention à ce que la mixité sociale ne devienne pas le prétexte à la discrimination et à la ségrégation.
PàP : Est-ce qu'elle ne l'est pas déjà ?
M.N.L.: Elle ne l'est qu'en partie, il ne faut pas généraliser. C'est difficile d'avoir un curseur. II faut mettre le paquet sur ce qu'on n'a pas voulu trop regarder, et ce ne sont justement pas les quartiers. C'est ailleurs que doit se faire la mixité sociale.
PàP : Cela implique-t-il de prendre en compte les origines ?
M.N.L.: Non, sinon, on fonctionne par quotas. En revanche, quand on veut contrôler un organisme pour savoir comment est composé le parc social à un instant t, pas pour fichage, mais pour mettre en évidence le fait qu'il n'y a que des noms à consonance française ou au contraire étrangère dans telle partie... Je crois beaucoup à l'idée d'un indice de mixité sociale, pour obliger à regarder son état, quartier par quartier, bloc par bloc. Et comparer.
MILOS: Mission Interministérielle d'Inspection et du Logement Social.
IGAS: Inspection Générale des Affaires Sociales.
(source http://www.gauche-socialiste.com, le 31 juillet 2001)