Interview de Mme Marie-Noëlle Lienemann, secrétaire d'Etat au logement, à "LCI" le 28 septembre 2001, sur la situation de l'emploi et sur les mesures gouvernementales prises pour reloger la population sinistrée lors de l'explosion de l'usine AZF de Toulouse.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

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A. Hausser Vous allez accompagner tout à l'heure le Premier ministre à Toulouse, pour une réunion de travail. Je voudrais d'abord que vous commentiez les chiffres du chômage. Ils ne sont pas bons. Ils remontent depuis plus de trois mois maintenant. Est-ce une crainte que vous allez avoir pour les échéances électorales ?
- "Ce n'est pas tellement pour les échéances électorales, mais pour la situation des Français et la situation économique. L'Europe, depuis quelques mois, aurait dû prendre des initiatives pour soutenir sa croissance propre. Quand la croissance fléchit aux Etats-Unis et qu'elle n'est pas bonne en Asie, il est temps que l'Europe prenne un peu le relais. Il y a quelques années, J. Delors avait fait des propositions pour une politique européenne de croissance, fondée à la fois sur un certain nombre de données économiques, notamment des taux d'intérêt bas, mais surtout sur des programmes de grands travaux qui pourraient soutenir l'investissement."
Vous dites que c'est la faute de l'Europe ?
- "Non, la croissance mondiale est dans l'incertitude et dans la crise. Et plutôt que de la subir et d'attendre que les indicateurs tombent, je pense qu'il faut la soutenir. Il y a eu une politique de soutien du Gouvernement, qui est le pouvoir d'achat. On a eu les primes de rentrée, la prime pour l'emploi, on voit des annonces sur les fonctionnaires, un soutien de la consommation et du pouvoir d'achat. Mais il me semble qu'on pourrait, à travers une dynamique européenne, être moins vulnérables aux aléas de la conjoncture mondiale. En tout cas, ce que je constate c'est que le Gouvernement prendra des mesures pour que l'emploi et le plein-emploi restent la priorité absolue."
Finalement, les 35 heures n'ont pas suffi ?
- "Les 35 heures nous ont mis dans une situation meilleure que tous les autres d'Europe, mais effectivement, elles ne suffisent pas. Pour que l'emploi fonctionne, il faut que la croissance et la consommation soient fortes ; pour que la consommation soit forte, il faut une confiance, pas seulement politique, mais dans l'équilibre du monde. Quand les temps sont incertains, c'est le moment où les politiques - et là je pense aux politiques européens - disent : "On ne subit pas les événements, mais on les maîtrise." Le gouvernement français dit : "On ne va pas subir les événements, mais on va les maîtriser et on prend des décisions." Il serait bon que cela soit pris au niveau européen aussi."
Quand l'opposition vous dit que le budget est irréaliste, vous battez cela en brèche ?
- "D'abord, l'opposition a une attitude qui m'étonne beaucoup et que je considère comme jouant la politique du pire. Evidemment, personne ne peut savoir avec certitude quel va être l'état de la croissance mondiale et française dans quelques mois. Simplement, cette espèce de délectation à dire que tout va mal, que cela ne va pas marcher et qu'on est pas bons, me paraît d'abord très injuste au regard de ce qu'est le pays, ni civique au regard de ce qu'est la responsabilité d'un politique. Je trouve cela assez mesquin comme vision du débat démocratique, qui est toujours nécessaire dans un pays. Le diagnostic doit être plus nuancé. Prenez les chiffres de M. Giscard d'Estaing qui assure de façon péremptoire qu'on aura une croissance que de 1 % et quelques, alors que M. Trichet, le même jour, sur votre antenne, dit qu'elle sera probablement autour de 2 %. Ce coté péremptoire avec des bilans négatifs sape le moral des gens. Et ce n'est pas bon."
Vous allez accompagner L. Jospin à Toulouse, pour une réunion de travail, pour reloger les personnes dont les logements ont été détruits. Vous pouvez nous donner des chiffres précis, car on parle de 10.000 logements endommagés, d'un millier de logements qui ne sont plus habitables, dont la moitié qui sont des habitations de type HLM. Dans l'immédiat, avant de reconstruire, qu'est-ce qui va être fait ? Des mobile-homes ?
- "Dans l'immédiat, c'est toute une palette d'actions. La première est qu'on utilise tout le parc HLM qui pouvait être vacant dans Toulouse et la Haute-Garonne."
Il y en avait beaucoup ?
- "Pas tellement, mais dans la Haute-Garonne un petit peu plus que dans Toulouse stricto sensu. On va même, dans certains cas, aller un peu plus loin. Deuxièmement, on utilise le parc privé qui était vide."
Cela veut dire des réquisitions ?
- "J'avais engagé 120 réquisitions, pour réquisitionner des locaux qui appartiennent à des bailleurs institutionnels : les grandes banques, les administrations, les établissements publics. La procédure était déjà en cours pour d'autres raisons, puisque je voulais résorber l'habitat insalubre. Ces réquisitions sont donc en cours et ne touchent pas le petit propriétaire. Le petit propriétaire privé qui possède des locaux vides s'est soit spontanément signalé - il y a eu un mouvement civique important et en particulier en direction des étudiants. Les prometteurs immobiliers et la Fnaim se sont mobilisés pour essayer de trouver et de convaincre les bailleurs. Nous avons créé une mission qui comprend des spécialistes qui vont expliquer aux bailleurs les avantages fiscaux, les aides et autres qu'ils peuvent bénéficier. Cela ne suffira pas et il faudra des mobile-homes. Ce n'est que l'immédiat. Je crains beaucoup l'usure d'un certain nombre de familles qui restent chez elles, dans des conditions très limites et précaires."
P. Douste-Blazy demande un plan Marshall. Cela va être l'équivalent d'un plan Marshall ? Quelles sont les sommes qui vont être développées ? Pour l'instant, il y a à peu près 70 millions de francs qui ont été donnés ?
- "Ce que je peux vous dire pour l'instant, c'est que du côté de ce que l'on a tout de suite débloqué, il y a 20 millions de francs pour la rénovation de l'habitat, c'est-à-dire des personnes privées. Pour l'instant, c'est le chiffre qu'on a mis en comparant le nombre de logements touchés par rapport à ce qu'il y avait eu dans la Somme et dans l'Aude. Il y a sur le budget de l'Anah trois milliards de francs. Donc, s'il y a besoin, pour Toulouse, on a sur le budget de quoi assumer. On n'est pas en mesure de dire aujourd'hui ce qui est nécessaire. Je rappelle que l'Etat vient en complément des assurances. Evidemment, le bilan et la facture vont être lourds, mais il ne faut pas qu'on défausse les assurances et l'entreprise de leurs responsabilités. Cela dit très franchement, il n'y a pas de blocages financiers aujourd'hui. Nous avons dégagé aussi 20 millions de francs pour les HLM. Même chose : les HLM me demandent moins aujourd'hui de l'argent immédiatement que de l'accompagnement social, que des mesures d'urgence, que d'être sûre que les entreprises répondront. Là, je remercie toutes les entreprises du bâtiment sur la France, qui font des efforts pour Toulouse."
Est-ce que ce qui s'est passé à Toulouse va vous amener à revoir les règles d'urbanisme ?
- "Oui, à coup sûr. Il faut qu'on durcisse nos règles. Il faut que l'on soit beaucoup plus exigeants sur l'analyse des risques. On le voit dans le cas de Toulouse, où on a fait des règles d'urbanisme pour un nuage toxique."
Mais aller jusqu'à fermer les usines ?
- "Dans certains cas, pourquoi pas ? En même temps on voit bien que l'espèce de spirale qui veut que lorsqu'il y a une usine chimique, tout le monde veut la fermer, n'est pas non plus très raisonnable."
Il y a des classements ?
- "La première chose qu'on va faire est d'obliger à ce qu'autour de chaque installation, il y ait une analyse précise et qu'il y ait un plan d'examen des risques, des mesures de renforcement de l'urbanisme, pour imposer qu'il n'y ait plus de nouvelles constructions, dans des périmètres beaucoup plus larges qu'auparavant."
(Source http://.sig.premier-ministre.gouv.fr, le 1er octobre 2001)