Texte intégral
Déclaration devant la Conférence des ambassadeurs de Hongrie, le 23 juillet :
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de cette invitation, qui me permet de m'exprimer devant vous, et je remercie mon collègue et ami, János Martonyi. En effet, nous avons des rapports, je crois, aujourd'hui, entre la France et la Hongrie, qui ne sont comparables à aucune autre époque ; c'est de plus en plus vrai, au fur et à mesure que le temps passe, et cela se consolide au fur et à mesure des échanges, des visites au plus haut niveau. Donc je ne vais pas m'attarder sur ce point, puisque cette invitation en est la démonstration, de même que j'avais invité M. Martonyi à venir devant la Conférence des ambassadeurs français. Je crois que c'est tellement évident pour tout le monde que ce n'est pas la peine que j'utilise quelques-unes des précieuses minutes que je vais passer avec vous, parce que malheureusement, tout cela se fait en très peu de temps pour développer ce thème. En tout cas, l'excellence des rapports franco-hongrois est une composante de la situation en Europe d'aujourd'hui.
Vous m'avez donc invité à m'exprimer devant vous. Je vais faire quelques commentaires, avec votre accord, sur trois points. Je ne vais pas parler de toute la situation internationale, on n'en aurait pas le temps, mais de trois sujets. Je voudrais faire quelques remarques sur la globalisation. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça entraîne ? Quelques remarques sur l'Europe, et quelques remarques sur le rôle des ministères des Affaires étrangères, non pas en vous donnant des conseils - ce n'est pas mon genre, de toutes façons - mais en vous disant comment nous, à Paris, nous voyons le problème, et comment nous essayons de le traiter.
Sur la globalisation, il me semble que nous sommes en train de dépasser la phase un peu primitive du débat dans lequel les gens se demandaient s'ils étaient pour ou contre la globalisation. En vérité, présenter les choses comme cela ne veut rien dire. Nous avons affaire à un phénomène qui est inexorable, qui est un phénomène humain, technologique, économique, beaucoup plus que politique, qui se développe d'ailleurs depuis des siècles et des siècles, et qui est simplement en train de s'accélérer, de façon exponentielle, et d'atteindre véritablement le monde entier. Cela comporte évidemment des aspects négatifs et positifs, il n'y a qu'aux deux extrêmes de la pensée que l'on peut trouver des gens qui pensent que c'est entièrement négatif ou entièrement positif ; il y a quelques anarchistes qui pensent que c'est entièrement négatif, quelques banquiers d'affaires qui pensent que c'est uniquement positif, et entre les deux, beaucoup de gens normaux qui pensent que c'est positif et négatif. Les efforts de régulation n'ont pas commencé maintenant, et la réflexion ne commence pas au lendemain du Sommet de Gênes. Les efforts de régulation ont commencé avec la création des organisations postales ou de téléphone du siècle dernier, et cela a commencé avec la Société des Nations. En tout cas, il y a un effort très ancien de régulation. Cet effort de régulation s'est développé depuis une vingtaine d'années avec la création du Conseil européen, qui n'était pas dans les traités de base de l'Europe ; avec la création du G7, en 1975 ; beaucoup plus récemment, lorsqu'on a transformé les accords du GATT en Organisation mondiale du commerce, et sur ce point particulier, les manifestants anti-mondialisation - je parle des manifestants, je ne parle pas des casseurs, il faut distinguer le phénomène de la violence, qui peut s'appliquer à n'importe quoi, à un championnat du monde football ou à un sommet, cela, c'est un phénomène indépendant, c'est un phénomène de hooliganisme, donc cela, c'est autre chose, je parle des manifestants politiques. Les manifestants politiques contre la globalisation se trompent un peu de cible, ils font un peu un contresens, parce qu'ils ont tendance à manifester autour des réunions où on essaye de maîtriser la mondialisation, et où on essaye d'introduire une certaine régulation, pour développer ses aspects positifs et corriger ses aspects négatifs. A Göteborg, par exemple, il y a quelques semaines, pendant les manifestations, les dirigeants de l'Europe étaient en train de travailler sur le développement durable, au même moment. Là où les manifestants n'ont pas tort, c'est que beaucoup d'engagements des grands sommets internationaux n'ont pas de suites concrètes, parce que la machine économique de la globalisation est plus forte que tout, et qu'elle fait sauter toutes les contraintes. Là où ils n'ont pas tort non plus, c'est qu'on voit bien dans une grande partie des populations du monde, que cette globalisation, ou plus exactement le rythme actuel de la globalisation, alimente les inquiétudes. Inquiétudes politiques de perdre tout contrôle sur les décisions, quelles qu'elles soient ; inquiétudes sociales, de voir détruites toutes les formes de garantie ou de protection ; inquiétudes culturelles de voir les identités dissoutes dans une sorte de magma général, et inquiétudes écologiques de voir la machine économique s'emballer jusqu'à mettre en péril la planète. Donc, même si ces manifestants font un contresens, ils se servent de sentiments qui existent et qui, par conséquent, doivent être politiquement traités. Mais pour les traiter, il ne suffit pas de faire des listes d'initiatives à chaque sommet pour donner l'impression qu'on a entendu le message. A cet égard, la France a peut-être fait plus de propositions que tous les autres pays réunis, puisqu'il y a une grande tradition française de faire des propositions d'organisation sur à peu près tout - c'est très sympathique, et un peu rhétorique - et nous avons donc proposé beaucoup de choses depuis une vingtaine d'années. Mais une grande partie de ces propositions n'ont abouti à rien. C'est pourquoi nous sommes en train, de notre côté, à l'heure actuelle, d'essayer de pousser plus loin la réflexion, de savoir pourquoi les propositions de régulation ne sont pas suivies d'effet. Et nous sommes en train de travailler, je dirais à la fois intellectuellement, économiquement et politiquement, sur les résistances à la régulation. Parce que si la régulation est la bonne réponse aux excès de la globalisation, il faut que cette régulation ait des chances d'avancer.
Or, il y a de vraies résistances. D'abord, certains pays n'en veulent pas, ils ne veulent pas plus de régulation. Chacun les connaît, il y a des résistances, tout simplement, du système financier international, qui a une puissance colossale. Certaines grandes entreprises ne veulent pas de régulation ; vous savez sans doute que le chiffre d'affaires des cinq premières entreprises mondiales est aussi important que le PNB de 132 Etats-membres de l'ONU. Cela donne une idée des rapports de force, et quand on se demande qui régule qui, ça peut indiquer que la réponse n'est pas celle qui était prévue. Est-ce qu'on peut trouver un consensus européen et si possible mondial pour savoir quelle est la dose de régulation qu'on veut introduire ? On ne sera jamais à cent pour cent de régulation, parce que sinon on casse le dynamisme exceptionnel de l'économie globale de marché. Mais on ne peut pas être à zéro de régulation. Même les Etats-Unis n'acceptent pas qu'il faille zéro de régulation. Donc, la discussion est dans le pourcentage. Et on peut y arriver, puisque nous avons appris ce matin qu'un accord venait de se faire à Bonn sur le climat. C'est un accord sans les Etats-Unis, mais c'est un accord qui rassemble l'ensemble des autres, donc on atteint le pourcentage nécessaire pour ratifier Kyoto, et les Etats-Unis ont simplement dit qu'ils ne ratifieraient pas, mais ils ne se sont pas opposés à l'accord des autres. Donc, dans certains cas, on peut y arriver. Donc, quelle dose de régulation, qui régule qui, qui fait les normes et piste complémentaire, pour faire avancer notre réflexion, comment traiter les résistances à la régulation, les résistances aux régulations légitimes, justifiées, utiles, selon leur nature ? Cela, c'est pour vous résumer l'état de nos réflexions sur ces régulations. Dans l'affaire de Bonn dont je parlais, c'est très simple, il y a eu le maintien d'un très grand volontarisme de la part des Européens, qui ont considéré que ce n'était pas possible d'abandonner le protocole de Kyoto. Et en même temps une très grande souplesse, puisque nous avons accepté, sur plusieurs points, comme les permis à polluer, les puits de carbone et d'autres choses, une flexibilité que nous n'avions pas acceptée dans la conférence précédente, en pensant qu'il valait mieux un accord plus souple que pas d'accord du tout. Bon, c'est un exemple. Voilà sur l'état de nos réflexions sur la globalisation, et naturellement, cela me fournit la transition : pour nous, l'un des rôles de l'Europe, dans le monde de demain, c'est d'être un facteur d'équilibre dans la mondialisation, c'est d'être un facteur de régulation intelligente par rapport à cela, alors cela renvoie à toutes nos politiques communes.
Un mot sur l'Europe, maintenant. D'abord, l'adhésion de la Hongrie se présente particulièrement bien. Je ne peux pas dire, moi, à la place des négociateurs ou de la Commission, à quel moment les négociations seront terminées, quelle sera la date exacte, mais tout cela se joue sur une toute petite période. La Hongrie est le numéro deux à l'heure actuelle, en ce qui concerne les chapitres clos ; numéro un ex-aequo, quasiment, il n'y a presque aucune différence entre Chypre et la Hongrie. Donc cela se présente très bien pour vous, je sais qu'il y a encore une inquiétude et une attente dans l'opinion hongroise, mais vu de France, les choses sont faites, on pense à la Hongrie comme à un Etat-membre. Naturellement, nous devrons gérer le moment précis de l'adhésion. On connaît la question de savoir ce qu'on doit faire si les pays auxquels on pense ne sont pas tous prêts en même temps - je ne veux pas m'étendre sur ce point aujourd'hui. Je souhaite que les pays qui ont pris du retard ces dernières années, parce qu'ils ont moins d'efforts, moins vite que vous, rattrapent leur retard. Si ce n'était pas le cas, il faut se rappeler que nous avons adopté des positions dans plusieurs conseils européens successifs, en parlant sans arrêt du principe de différenciation ; c'est-à-dire que chaque pays doit être jugé sur ses mérites propres, et quand la négociation est terminée avec un pays, il devrait pouvoir entrer. On verra si cela se présente d'une façon un peu plus compliquée que ça, mais de toutes façons, ça ne change pas le pronostic pour la Hongrie, et cela ne change pas la période de temps dont nous parlons. C'est-à-dire que l'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne est imminente. Ce qui veut dire que, quand nous avons adopté, la dernière fois, le texte sur les pays avec lesquels on doit pouvoir terminer fin 2002, la Hongrie faisait évidemment partie des pays auxquels nous pensions. Et on voit mieux, avec le recul, à quel point le Conseil de Nice a été utile pour tourner la page de toute une série de problèmes qui se posaient depuis des années et des années, qui étaient sans solution, et des préalables institutionnels qui auraient compliqué et retardé cette négociation. Et vous avez pu constater vous-mêmes que cela avait permis un coup de fouet pour que les choses avancent. Donc, pour nous, c'est tellement évident que votre présence est imminente, que nous souhaitons parler de plus en plus avec vous de l'avenir de l'Europe, de l'avenir de notre Europe. Ce débat sur l'avenir de l'Europe va se développer autour de trois idées simples : Quelle répartition des pouvoirs entre l'Union européenne et les Etats ? Quelle nature de pouvoirs au niveau européen ? Et quelles méthodes pour y parvenir ? C'est-à-dire, comment va-t-on s'organiser entre 2001 et 2004 ? C'est un débat très, très complexe, dans lequel le mieux peut être l'ennemi du bien, selon une vieille formule française Jacques Delors a dit lui-même il y a quelques semaines que le pire ennemi de l'Europe, c'était peut-être les ayatollahs du fédéralisme, parce que Jacques Delors s'est rendu compte que l'excès dans ce sens peut être aussi négatif qu'un excès de crispation sur des souverainetés nationales dépassées, ou une conception dépassée de la souveraineté. Nous avons à utiliser ces années, la fin 2001, 2002, 2003, 2004, avec naturellement une association des pays candidats sous une forme qui n'est pas encore organisée. Aujourd'hui, elle est informelle, nous parlons, on se rencontre, comme maintenant et constamment, et en décembre prochain, à Laeken, sous présidence belge, on adoptera des procédures plus précises pour que cette association soit organique ; nous avons donc à débattre de ces questions. La répartition des pouvoirs, ce n'est pas simple. Quand on voit à l'intérieur de l'Allemagne, à l'intérieur de l'Espagne, c'est une question compliquée, mais c'est indispensable. On ne peut pas continuer à vivre en Europe avec une sorte de système instable où on ne sait pas qui va être compétent sur quoi dans cinq ans. C'est quelque chose qui est insécurisant, et qui empêche les différents niveaux de pouvoir de bien travailler. Il faut qu'à un moment donné, les choses se stabilisent. Cela ne veut pas dire qu'on va les figer complètement, on pourra toujours corriger, mais il faut stabiliser en gros les compétences du niveau européen, les compétences des Etats, c'est un facteur de démocratie. L'une des raisons de la protestation grandissante des opinions publiques par rapport à ce que l'on appelle le déficit démocratique, c'est que les gens ne savent plus qui fait quoi, donc qui est responsable de quoi, et donc sur qui faut-il agir pour entraîner telle ou telle décision Les gens ne savent plus à quoi sert leur vote, et moi je suis convaincu que c'est un des éléments qui fait augmenter l'abstentionnisme dans les élections au sein de l'Union européenne. Donc, on va clarifier la répartition des compétences. On a un certain temps devant nous.
Deuxièmement, il faudra se mettre d'accord sur la nature du pouvoir européen. Est-ce que c'est le système actuel, le triangle institutionnel, le système communautaire, ou est-ce qu'on passe à un système complètement fédéral, comme certains le préconisent, avec la Commission qui devient un gouvernement ? Nous, en France, nous sommes plutôt favorables au triangle communautaire perfectionné, mais dans lequel on garde le Parlement, la Commission, le Conseil. Avec des nuances, c'est la position du Président, c'est la position, aussi, du Premier ministre. Mais naturellement, nous sommes ouverts, nous, à des perfectionnements et des renforcements de chaque élément : l'élément Parlement, l'élément Commission, l'élément Conseil. Mais cela c'est un élément de discussion. Certains pays veulent au contraire renforcer la dimension Conseil, d'autres pays voudraient renforcer la dimension Commission-Parlement, en diminuant le rôle des gouvernements. Pour le moment, la France est un peu au point d'équilibre, mais bon cela n'a pas de signification immédiate parce que la vraie négociation ne commencera pas avant 2003, en réalité. Mais cette interrogation sur la nature du pouvoir européen est très importante. La troisième question, c'est la méthode. Pour le moment, nous en sommes au débat public. Votre ministre nous a fait l'amitié de venir dans un débat dans une région française il y a quelques semaines, à Nantes. Il y en aura dans toutes les régions. Chaque pays-membre développe plus ou moins des débats de ce type, et en 2003, nous aurons, soit un système de sages, soit une sorte de forum, soit une convention sur laquelle il y a plusieurs conceptions aussi : conception en fonction de ses pouvoirs, de sa composition, etc Et une fois que la convention aura travaillé, il y aura à la fin 2003 début 2004 une CIG qui devra préparer la solution sur ces points dont j'ai parlé : répartition du pouvoir, nature du pouvoir européen. Tout cela étant conclu en 2004 par un Conseil européen. En ce qui concerne la convention, nous Français nous en acceptons l'idée, mais plusieurs pays ne l'acceptent pas. Mais nous, nous l'acceptons à condition que cette convention, composée du Parlement européen, de la Commission, des gouvernements nationaux et des Parlements nationaux, soit chargée de présenter des options, et non pas le projet. Parce que si elle présentait le projet, elle empiéterait sur les compétences démocratiques et légitimes des gouvernements. Donc il faut un enchaînement. Nous allons adopter une méthode, une méthodologie à Laeken, en décembre prochain. Voilà pour l'Europe. Il ne faudra pas oublier qu'à chaque fois où il y a une consultation populaire en Europe, le message politique qui sort des urnes est un besoin d'Europe plus concrète, plus proche. Et ce que les gens appellent souvent un déficit démocratique, c'est souvent un éloignement par rapport à cela. Donc dans les schémas institutionnels que nous aurons à bâtir pour 2004, il faudra en tenir compte, parce que l'objectif c'est d'arriver en 2004 à une organisation des pouvoirs en Europe qui soit stable et durable, naturellement démocratique et convaincante, mais stable et durable. Il ne s'agit pas de sortir de 2004 en disant qu'on a trouvé un arrangement fragile et qu'il faut attendre la CIG de 2010. Parce qu'à force de vivre dans un chantier, on finit par déstabiliser les racines psychologiques de l'adhésion à cette construction. D'où l'importance de 2004. Et vraiment je parle ici avec vous comme si vous étiez un Etat-membre - il faut vraiment que je me force pour me dire que la Hongrie n'est pas tout à fait encore un Etat-membre. Nous sommes déjà dans cette problématique et quand je discute avec votre ministre, il est tout à fait dans la problématique sur l'avenir de l'Europe avec toutes les solutions en tête, les options possibles.
Je terminerai ce propos avec des petits commentaires sur les ministères. C'est une Conférence des ambassadeurs, nous sommes entre gens de ce métier. Je peux vous dire que depuis la France, nous avons le sentiment d'être confrontés à une mutation profonde. Il n'y a plus de monopole des relations internationales pour les ministères des Affaires étrangères. Il y a un développement tous azimuts des relations, d'abord au niveau politique le plus élevé, dans chaque pays, au niveau de tous les autres ministères, ministère des Finances, ministères techniques. Et puis se développent dans nos sociétés modernes beaucoup d'organismes autonomes, indépendants, qui ont leur propre politique. Il y a donc une sorte d'explosion en quantité des relations internationales. Alors certains en tirent la leçon que les ministères des Affaires étrangères, les diplomates, les ambassadeurs, n'ont plus de raison d'être, que c'est une fonction dépassée. Je ne sais pas ce que vous en pensez Moi je pense que c'est l'inverse. Je pense que les ministères des Affaires étrangères aujourd'hui doivent devenir des sortes de tour de contrôle, des relations extérieures, pays par pays, de toutes les politiques : politique classique de pouvoir, mais ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, relations politiques d'influence, tour de contrôle. Sinon on va vers quelque chose d'incohérent. Simplement, il faut le faire de façon moderne. Il faut que ce soit une orchestration fine mais je pense que cette fonction est une nécessité et qu'elle doit être bien remplie. Alors cela suppose un changement de ton, un changement de style, dans certains cas des changements de statut, une ouverture plus grande. Je ne sais pas comment c'est chez vous, mais chez nous je pense qu'il faut plus de gens extérieurs qui viennent exercer pendant un certain temps des fonctions dans l'appareil diplomatique avant de repartir dans d'autres métiers. Je pense que l'échange est une bonne chose en soi. Il faut un style plus simple et plus direct. Je pense que ce sont des corps qui doivent accepter la nécessité de la formation permanente, parce que c'est un métier polyvalent, donc beaucoup plus exigeant que les métiers spécialisés, beaucoup plus difficile, plus exaltant, plus intéressant je pense que les métiers spécialisés, mais cela veut dire une formation permanente, cela veut dire une évaluation. Donc cela veut dire qu'il faut lutter contre les tendances de toutes les administrations partout : dès qu'on monte dans la hiérarchie, en général on veut être protégé de toute évaluation et dispensé de toute formation. C'est malheureusement l'attitude normale des administrations depuis qu'elles existent et qu'elles cherchent à protéger leurs membres. Il faut faire éclater tout cela. Enfin, et je terminerai là-dessus, je crois que les politiques étrangères modernes et les diplomaties modernes doivent apprendre à travailler avec les autres acteurs : il faut savoir travailler beaucoup plus avec les parlementaires, avec les entreprises, avec les ONG, avec les médias, il faut savoir faire de la communication moderne, ce qui ne veut pas dire que tout le monde peut dire ce qui lui passe par la tête, mais une vraie communication accessible. Il faut savoir faire tout cela, mais sans complexes. Quand je dis cela, ce n'est pas parce que je pense que les entreprises ou la société civile ou les ONG ont plus de légitimité que les gouvernements. Je pense que les seuls qui ont une légitimité démocratique globale, les seuls qui puissent engager toute une société pour des choix collectifs, pour le court et le long terme, ce sont les gouvernements démocratiques. Tous les autres représentent des intérêts plus particuliers ou plus spécialisés. Mais dans la réalité moderne des choses, ce travail d'orchestration, d'influence, on ne le fait pas tout seul dans son coin. On le fait en cherchant les relais à travers tous les nouveaux acteurs. Voilà un résumé des réflexions que nous avons en France, mais c'est un sujet qui est très chaud en France. Il y a une vraie réflexion, des articles de journaux, une polémique, parce que les gens en France ont vu que ce ministère était très vivant, donc on en discute. Et je ne sais pas comment cela se passe exactement ici, mais je serais étonné qu'il n'y ait aucune question. Il y a certainement des questions sur l'avenir de cet outil, parfois mêmes posées au plus haut niveau. Voilà deux, trois aperçus très brefs chers amis, j'espère ne pas avoir été trop long et trop ennuyeux. J'aurais aimé vous parler de beaucoup d'autres sujets en profitant de l'invitation de Jànos, mais nous avons un temps court à respecter.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)
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Interview au quotidien hongrois "Nepszabadsag" le 23 juillet :
Q - Monsieur le Ministre, que peut-on faire contre ce cycle "agression/répression" qui est désormais régulièrement présent lors des grands sommets internationaux.
R - C'est d'une "manière moderne" que les forces de l'ordre doivent agir contre les manifestants violents, alors que les manifestants pacifiques ont le droit de faire entendre leur voix. En revanche, même ces derniers ne représentent pas la majorité. Hélas, il y a des gens qui veulent commettre des actes de violence dans toute situation, à l'occasion de grands événements sportifs et de grandes manifestations politiques. La seule solution contre ces gens est le maintien de l'ordre d'une "manière moderne", c'est-à-dire avec sang-froid, compétence.
Il y a les manifestants pacifiques, qui ont le droit de participer aux manifestations, et il faut respecter ce droit. S'ils sont contre la globalisation, ils n'ont qu'à manifester, à faire entendre leur voix. Même s'il y a eu cent mille manifestants à Gênes, les pays y participant officiellement représentaient, eux, plusieurs centaines de millions de citoyens.
Il n'y a pas d'obstacle au dialogue politique avec les personnes s'opposant à la globalisation. Nous sommes ouverts à cet égard, mais cela ne peut occulter le fait que les gouvernements élus démocratiquement ont une responsabilité et une légitimité spécifiques.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de cette invitation, qui me permet de m'exprimer devant vous, et je remercie mon collègue et ami, János Martonyi. En effet, nous avons des rapports, je crois, aujourd'hui, entre la France et la Hongrie, qui ne sont comparables à aucune autre époque ; c'est de plus en plus vrai, au fur et à mesure que le temps passe, et cela se consolide au fur et à mesure des échanges, des visites au plus haut niveau. Donc je ne vais pas m'attarder sur ce point, puisque cette invitation en est la démonstration, de même que j'avais invité M. Martonyi à venir devant la Conférence des ambassadeurs français. Je crois que c'est tellement évident pour tout le monde que ce n'est pas la peine que j'utilise quelques-unes des précieuses minutes que je vais passer avec vous, parce que malheureusement, tout cela se fait en très peu de temps pour développer ce thème. En tout cas, l'excellence des rapports franco-hongrois est une composante de la situation en Europe d'aujourd'hui.
Vous m'avez donc invité à m'exprimer devant vous. Je vais faire quelques commentaires, avec votre accord, sur trois points. Je ne vais pas parler de toute la situation internationale, on n'en aurait pas le temps, mais de trois sujets. Je voudrais faire quelques remarques sur la globalisation. Qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'est-ce que ça entraîne ? Quelques remarques sur l'Europe, et quelques remarques sur le rôle des ministères des Affaires étrangères, non pas en vous donnant des conseils - ce n'est pas mon genre, de toutes façons - mais en vous disant comment nous, à Paris, nous voyons le problème, et comment nous essayons de le traiter.
Sur la globalisation, il me semble que nous sommes en train de dépasser la phase un peu primitive du débat dans lequel les gens se demandaient s'ils étaient pour ou contre la globalisation. En vérité, présenter les choses comme cela ne veut rien dire. Nous avons affaire à un phénomène qui est inexorable, qui est un phénomène humain, technologique, économique, beaucoup plus que politique, qui se développe d'ailleurs depuis des siècles et des siècles, et qui est simplement en train de s'accélérer, de façon exponentielle, et d'atteindre véritablement le monde entier. Cela comporte évidemment des aspects négatifs et positifs, il n'y a qu'aux deux extrêmes de la pensée que l'on peut trouver des gens qui pensent que c'est entièrement négatif ou entièrement positif ; il y a quelques anarchistes qui pensent que c'est entièrement négatif, quelques banquiers d'affaires qui pensent que c'est uniquement positif, et entre les deux, beaucoup de gens normaux qui pensent que c'est positif et négatif. Les efforts de régulation n'ont pas commencé maintenant, et la réflexion ne commence pas au lendemain du Sommet de Gênes. Les efforts de régulation ont commencé avec la création des organisations postales ou de téléphone du siècle dernier, et cela a commencé avec la Société des Nations. En tout cas, il y a un effort très ancien de régulation. Cet effort de régulation s'est développé depuis une vingtaine d'années avec la création du Conseil européen, qui n'était pas dans les traités de base de l'Europe ; avec la création du G7, en 1975 ; beaucoup plus récemment, lorsqu'on a transformé les accords du GATT en Organisation mondiale du commerce, et sur ce point particulier, les manifestants anti-mondialisation - je parle des manifestants, je ne parle pas des casseurs, il faut distinguer le phénomène de la violence, qui peut s'appliquer à n'importe quoi, à un championnat du monde football ou à un sommet, cela, c'est un phénomène indépendant, c'est un phénomène de hooliganisme, donc cela, c'est autre chose, je parle des manifestants politiques. Les manifestants politiques contre la globalisation se trompent un peu de cible, ils font un peu un contresens, parce qu'ils ont tendance à manifester autour des réunions où on essaye de maîtriser la mondialisation, et où on essaye d'introduire une certaine régulation, pour développer ses aspects positifs et corriger ses aspects négatifs. A Göteborg, par exemple, il y a quelques semaines, pendant les manifestations, les dirigeants de l'Europe étaient en train de travailler sur le développement durable, au même moment. Là où les manifestants n'ont pas tort, c'est que beaucoup d'engagements des grands sommets internationaux n'ont pas de suites concrètes, parce que la machine économique de la globalisation est plus forte que tout, et qu'elle fait sauter toutes les contraintes. Là où ils n'ont pas tort non plus, c'est qu'on voit bien dans une grande partie des populations du monde, que cette globalisation, ou plus exactement le rythme actuel de la globalisation, alimente les inquiétudes. Inquiétudes politiques de perdre tout contrôle sur les décisions, quelles qu'elles soient ; inquiétudes sociales, de voir détruites toutes les formes de garantie ou de protection ; inquiétudes culturelles de voir les identités dissoutes dans une sorte de magma général, et inquiétudes écologiques de voir la machine économique s'emballer jusqu'à mettre en péril la planète. Donc, même si ces manifestants font un contresens, ils se servent de sentiments qui existent et qui, par conséquent, doivent être politiquement traités. Mais pour les traiter, il ne suffit pas de faire des listes d'initiatives à chaque sommet pour donner l'impression qu'on a entendu le message. A cet égard, la France a peut-être fait plus de propositions que tous les autres pays réunis, puisqu'il y a une grande tradition française de faire des propositions d'organisation sur à peu près tout - c'est très sympathique, et un peu rhétorique - et nous avons donc proposé beaucoup de choses depuis une vingtaine d'années. Mais une grande partie de ces propositions n'ont abouti à rien. C'est pourquoi nous sommes en train, de notre côté, à l'heure actuelle, d'essayer de pousser plus loin la réflexion, de savoir pourquoi les propositions de régulation ne sont pas suivies d'effet. Et nous sommes en train de travailler, je dirais à la fois intellectuellement, économiquement et politiquement, sur les résistances à la régulation. Parce que si la régulation est la bonne réponse aux excès de la globalisation, il faut que cette régulation ait des chances d'avancer.
Or, il y a de vraies résistances. D'abord, certains pays n'en veulent pas, ils ne veulent pas plus de régulation. Chacun les connaît, il y a des résistances, tout simplement, du système financier international, qui a une puissance colossale. Certaines grandes entreprises ne veulent pas de régulation ; vous savez sans doute que le chiffre d'affaires des cinq premières entreprises mondiales est aussi important que le PNB de 132 Etats-membres de l'ONU. Cela donne une idée des rapports de force, et quand on se demande qui régule qui, ça peut indiquer que la réponse n'est pas celle qui était prévue. Est-ce qu'on peut trouver un consensus européen et si possible mondial pour savoir quelle est la dose de régulation qu'on veut introduire ? On ne sera jamais à cent pour cent de régulation, parce que sinon on casse le dynamisme exceptionnel de l'économie globale de marché. Mais on ne peut pas être à zéro de régulation. Même les Etats-Unis n'acceptent pas qu'il faille zéro de régulation. Donc, la discussion est dans le pourcentage. Et on peut y arriver, puisque nous avons appris ce matin qu'un accord venait de se faire à Bonn sur le climat. C'est un accord sans les Etats-Unis, mais c'est un accord qui rassemble l'ensemble des autres, donc on atteint le pourcentage nécessaire pour ratifier Kyoto, et les Etats-Unis ont simplement dit qu'ils ne ratifieraient pas, mais ils ne se sont pas opposés à l'accord des autres. Donc, dans certains cas, on peut y arriver. Donc, quelle dose de régulation, qui régule qui, qui fait les normes et piste complémentaire, pour faire avancer notre réflexion, comment traiter les résistances à la régulation, les résistances aux régulations légitimes, justifiées, utiles, selon leur nature ? Cela, c'est pour vous résumer l'état de nos réflexions sur ces régulations. Dans l'affaire de Bonn dont je parlais, c'est très simple, il y a eu le maintien d'un très grand volontarisme de la part des Européens, qui ont considéré que ce n'était pas possible d'abandonner le protocole de Kyoto. Et en même temps une très grande souplesse, puisque nous avons accepté, sur plusieurs points, comme les permis à polluer, les puits de carbone et d'autres choses, une flexibilité que nous n'avions pas acceptée dans la conférence précédente, en pensant qu'il valait mieux un accord plus souple que pas d'accord du tout. Bon, c'est un exemple. Voilà sur l'état de nos réflexions sur la globalisation, et naturellement, cela me fournit la transition : pour nous, l'un des rôles de l'Europe, dans le monde de demain, c'est d'être un facteur d'équilibre dans la mondialisation, c'est d'être un facteur de régulation intelligente par rapport à cela, alors cela renvoie à toutes nos politiques communes.
Un mot sur l'Europe, maintenant. D'abord, l'adhésion de la Hongrie se présente particulièrement bien. Je ne peux pas dire, moi, à la place des négociateurs ou de la Commission, à quel moment les négociations seront terminées, quelle sera la date exacte, mais tout cela se joue sur une toute petite période. La Hongrie est le numéro deux à l'heure actuelle, en ce qui concerne les chapitres clos ; numéro un ex-aequo, quasiment, il n'y a presque aucune différence entre Chypre et la Hongrie. Donc cela se présente très bien pour vous, je sais qu'il y a encore une inquiétude et une attente dans l'opinion hongroise, mais vu de France, les choses sont faites, on pense à la Hongrie comme à un Etat-membre. Naturellement, nous devrons gérer le moment précis de l'adhésion. On connaît la question de savoir ce qu'on doit faire si les pays auxquels on pense ne sont pas tous prêts en même temps - je ne veux pas m'étendre sur ce point aujourd'hui. Je souhaite que les pays qui ont pris du retard ces dernières années, parce qu'ils ont moins d'efforts, moins vite que vous, rattrapent leur retard. Si ce n'était pas le cas, il faut se rappeler que nous avons adopté des positions dans plusieurs conseils européens successifs, en parlant sans arrêt du principe de différenciation ; c'est-à-dire que chaque pays doit être jugé sur ses mérites propres, et quand la négociation est terminée avec un pays, il devrait pouvoir entrer. On verra si cela se présente d'une façon un peu plus compliquée que ça, mais de toutes façons, ça ne change pas le pronostic pour la Hongrie, et cela ne change pas la période de temps dont nous parlons. C'est-à-dire que l'entrée de la Hongrie dans l'Union européenne est imminente. Ce qui veut dire que, quand nous avons adopté, la dernière fois, le texte sur les pays avec lesquels on doit pouvoir terminer fin 2002, la Hongrie faisait évidemment partie des pays auxquels nous pensions. Et on voit mieux, avec le recul, à quel point le Conseil de Nice a été utile pour tourner la page de toute une série de problèmes qui se posaient depuis des années et des années, qui étaient sans solution, et des préalables institutionnels qui auraient compliqué et retardé cette négociation. Et vous avez pu constater vous-mêmes que cela avait permis un coup de fouet pour que les choses avancent. Donc, pour nous, c'est tellement évident que votre présence est imminente, que nous souhaitons parler de plus en plus avec vous de l'avenir de l'Europe, de l'avenir de notre Europe. Ce débat sur l'avenir de l'Europe va se développer autour de trois idées simples : Quelle répartition des pouvoirs entre l'Union européenne et les Etats ? Quelle nature de pouvoirs au niveau européen ? Et quelles méthodes pour y parvenir ? C'est-à-dire, comment va-t-on s'organiser entre 2001 et 2004 ? C'est un débat très, très complexe, dans lequel le mieux peut être l'ennemi du bien, selon une vieille formule française Jacques Delors a dit lui-même il y a quelques semaines que le pire ennemi de l'Europe, c'était peut-être les ayatollahs du fédéralisme, parce que Jacques Delors s'est rendu compte que l'excès dans ce sens peut être aussi négatif qu'un excès de crispation sur des souverainetés nationales dépassées, ou une conception dépassée de la souveraineté. Nous avons à utiliser ces années, la fin 2001, 2002, 2003, 2004, avec naturellement une association des pays candidats sous une forme qui n'est pas encore organisée. Aujourd'hui, elle est informelle, nous parlons, on se rencontre, comme maintenant et constamment, et en décembre prochain, à Laeken, sous présidence belge, on adoptera des procédures plus précises pour que cette association soit organique ; nous avons donc à débattre de ces questions. La répartition des pouvoirs, ce n'est pas simple. Quand on voit à l'intérieur de l'Allemagne, à l'intérieur de l'Espagne, c'est une question compliquée, mais c'est indispensable. On ne peut pas continuer à vivre en Europe avec une sorte de système instable où on ne sait pas qui va être compétent sur quoi dans cinq ans. C'est quelque chose qui est insécurisant, et qui empêche les différents niveaux de pouvoir de bien travailler. Il faut qu'à un moment donné, les choses se stabilisent. Cela ne veut pas dire qu'on va les figer complètement, on pourra toujours corriger, mais il faut stabiliser en gros les compétences du niveau européen, les compétences des Etats, c'est un facteur de démocratie. L'une des raisons de la protestation grandissante des opinions publiques par rapport à ce que l'on appelle le déficit démocratique, c'est que les gens ne savent plus qui fait quoi, donc qui est responsable de quoi, et donc sur qui faut-il agir pour entraîner telle ou telle décision Les gens ne savent plus à quoi sert leur vote, et moi je suis convaincu que c'est un des éléments qui fait augmenter l'abstentionnisme dans les élections au sein de l'Union européenne. Donc, on va clarifier la répartition des compétences. On a un certain temps devant nous.
Deuxièmement, il faudra se mettre d'accord sur la nature du pouvoir européen. Est-ce que c'est le système actuel, le triangle institutionnel, le système communautaire, ou est-ce qu'on passe à un système complètement fédéral, comme certains le préconisent, avec la Commission qui devient un gouvernement ? Nous, en France, nous sommes plutôt favorables au triangle communautaire perfectionné, mais dans lequel on garde le Parlement, la Commission, le Conseil. Avec des nuances, c'est la position du Président, c'est la position, aussi, du Premier ministre. Mais naturellement, nous sommes ouverts, nous, à des perfectionnements et des renforcements de chaque élément : l'élément Parlement, l'élément Commission, l'élément Conseil. Mais cela c'est un élément de discussion. Certains pays veulent au contraire renforcer la dimension Conseil, d'autres pays voudraient renforcer la dimension Commission-Parlement, en diminuant le rôle des gouvernements. Pour le moment, la France est un peu au point d'équilibre, mais bon cela n'a pas de signification immédiate parce que la vraie négociation ne commencera pas avant 2003, en réalité. Mais cette interrogation sur la nature du pouvoir européen est très importante. La troisième question, c'est la méthode. Pour le moment, nous en sommes au débat public. Votre ministre nous a fait l'amitié de venir dans un débat dans une région française il y a quelques semaines, à Nantes. Il y en aura dans toutes les régions. Chaque pays-membre développe plus ou moins des débats de ce type, et en 2003, nous aurons, soit un système de sages, soit une sorte de forum, soit une convention sur laquelle il y a plusieurs conceptions aussi : conception en fonction de ses pouvoirs, de sa composition, etc Et une fois que la convention aura travaillé, il y aura à la fin 2003 début 2004 une CIG qui devra préparer la solution sur ces points dont j'ai parlé : répartition du pouvoir, nature du pouvoir européen. Tout cela étant conclu en 2004 par un Conseil européen. En ce qui concerne la convention, nous Français nous en acceptons l'idée, mais plusieurs pays ne l'acceptent pas. Mais nous, nous l'acceptons à condition que cette convention, composée du Parlement européen, de la Commission, des gouvernements nationaux et des Parlements nationaux, soit chargée de présenter des options, et non pas le projet. Parce que si elle présentait le projet, elle empiéterait sur les compétences démocratiques et légitimes des gouvernements. Donc il faut un enchaînement. Nous allons adopter une méthode, une méthodologie à Laeken, en décembre prochain. Voilà pour l'Europe. Il ne faudra pas oublier qu'à chaque fois où il y a une consultation populaire en Europe, le message politique qui sort des urnes est un besoin d'Europe plus concrète, plus proche. Et ce que les gens appellent souvent un déficit démocratique, c'est souvent un éloignement par rapport à cela. Donc dans les schémas institutionnels que nous aurons à bâtir pour 2004, il faudra en tenir compte, parce que l'objectif c'est d'arriver en 2004 à une organisation des pouvoirs en Europe qui soit stable et durable, naturellement démocratique et convaincante, mais stable et durable. Il ne s'agit pas de sortir de 2004 en disant qu'on a trouvé un arrangement fragile et qu'il faut attendre la CIG de 2010. Parce qu'à force de vivre dans un chantier, on finit par déstabiliser les racines psychologiques de l'adhésion à cette construction. D'où l'importance de 2004. Et vraiment je parle ici avec vous comme si vous étiez un Etat-membre - il faut vraiment que je me force pour me dire que la Hongrie n'est pas tout à fait encore un Etat-membre. Nous sommes déjà dans cette problématique et quand je discute avec votre ministre, il est tout à fait dans la problématique sur l'avenir de l'Europe avec toutes les solutions en tête, les options possibles.
Je terminerai ce propos avec des petits commentaires sur les ministères. C'est une Conférence des ambassadeurs, nous sommes entre gens de ce métier. Je peux vous dire que depuis la France, nous avons le sentiment d'être confrontés à une mutation profonde. Il n'y a plus de monopole des relations internationales pour les ministères des Affaires étrangères. Il y a un développement tous azimuts des relations, d'abord au niveau politique le plus élevé, dans chaque pays, au niveau de tous les autres ministères, ministère des Finances, ministères techniques. Et puis se développent dans nos sociétés modernes beaucoup d'organismes autonomes, indépendants, qui ont leur propre politique. Il y a donc une sorte d'explosion en quantité des relations internationales. Alors certains en tirent la leçon que les ministères des Affaires étrangères, les diplomates, les ambassadeurs, n'ont plus de raison d'être, que c'est une fonction dépassée. Je ne sais pas ce que vous en pensez Moi je pense que c'est l'inverse. Je pense que les ministères des Affaires étrangères aujourd'hui doivent devenir des sortes de tour de contrôle, des relations extérieures, pays par pays, de toutes les politiques : politique classique de pouvoir, mais ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, relations politiques d'influence, tour de contrôle. Sinon on va vers quelque chose d'incohérent. Simplement, il faut le faire de façon moderne. Il faut que ce soit une orchestration fine mais je pense que cette fonction est une nécessité et qu'elle doit être bien remplie. Alors cela suppose un changement de ton, un changement de style, dans certains cas des changements de statut, une ouverture plus grande. Je ne sais pas comment c'est chez vous, mais chez nous je pense qu'il faut plus de gens extérieurs qui viennent exercer pendant un certain temps des fonctions dans l'appareil diplomatique avant de repartir dans d'autres métiers. Je pense que l'échange est une bonne chose en soi. Il faut un style plus simple et plus direct. Je pense que ce sont des corps qui doivent accepter la nécessité de la formation permanente, parce que c'est un métier polyvalent, donc beaucoup plus exigeant que les métiers spécialisés, beaucoup plus difficile, plus exaltant, plus intéressant je pense que les métiers spécialisés, mais cela veut dire une formation permanente, cela veut dire une évaluation. Donc cela veut dire qu'il faut lutter contre les tendances de toutes les administrations partout : dès qu'on monte dans la hiérarchie, en général on veut être protégé de toute évaluation et dispensé de toute formation. C'est malheureusement l'attitude normale des administrations depuis qu'elles existent et qu'elles cherchent à protéger leurs membres. Il faut faire éclater tout cela. Enfin, et je terminerai là-dessus, je crois que les politiques étrangères modernes et les diplomaties modernes doivent apprendre à travailler avec les autres acteurs : il faut savoir travailler beaucoup plus avec les parlementaires, avec les entreprises, avec les ONG, avec les médias, il faut savoir faire de la communication moderne, ce qui ne veut pas dire que tout le monde peut dire ce qui lui passe par la tête, mais une vraie communication accessible. Il faut savoir faire tout cela, mais sans complexes. Quand je dis cela, ce n'est pas parce que je pense que les entreprises ou la société civile ou les ONG ont plus de légitimité que les gouvernements. Je pense que les seuls qui ont une légitimité démocratique globale, les seuls qui puissent engager toute une société pour des choix collectifs, pour le court et le long terme, ce sont les gouvernements démocratiques. Tous les autres représentent des intérêts plus particuliers ou plus spécialisés. Mais dans la réalité moderne des choses, ce travail d'orchestration, d'influence, on ne le fait pas tout seul dans son coin. On le fait en cherchant les relais à travers tous les nouveaux acteurs. Voilà un résumé des réflexions que nous avons en France, mais c'est un sujet qui est très chaud en France. Il y a une vraie réflexion, des articles de journaux, une polémique, parce que les gens en France ont vu que ce ministère était très vivant, donc on en discute. Et je ne sais pas comment cela se passe exactement ici, mais je serais étonné qu'il n'y ait aucune question. Il y a certainement des questions sur l'avenir de cet outil, parfois mêmes posées au plus haut niveau. Voilà deux, trois aperçus très brefs chers amis, j'espère ne pas avoir été trop long et trop ennuyeux. J'aurais aimé vous parler de beaucoup d'autres sujets en profitant de l'invitation de Jànos, mais nous avons un temps court à respecter.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)
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Interview au quotidien hongrois "Nepszabadsag" le 23 juillet :
Q - Monsieur le Ministre, que peut-on faire contre ce cycle "agression/répression" qui est désormais régulièrement présent lors des grands sommets internationaux.
R - C'est d'une "manière moderne" que les forces de l'ordre doivent agir contre les manifestants violents, alors que les manifestants pacifiques ont le droit de faire entendre leur voix. En revanche, même ces derniers ne représentent pas la majorité. Hélas, il y a des gens qui veulent commettre des actes de violence dans toute situation, à l'occasion de grands événements sportifs et de grandes manifestations politiques. La seule solution contre ces gens est le maintien de l'ordre d'une "manière moderne", c'est-à-dire avec sang-froid, compétence.
Il y a les manifestants pacifiques, qui ont le droit de participer aux manifestations, et il faut respecter ce droit. S'ils sont contre la globalisation, ils n'ont qu'à manifester, à faire entendre leur voix. Même s'il y a eu cent mille manifestants à Gênes, les pays y participant officiellement représentaient, eux, plusieurs centaines de millions de citoyens.
Il n'y a pas d'obstacle au dialogue politique avec les personnes s'opposant à la globalisation. Nous sommes ouverts à cet égard, mais cela ne peut occulter le fait que les gouvernements élus démocratiquement ont une responsabilité et une légitimité spécifiques.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)