Allocution de M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement, sur la gestion des terres agricoles, Paris le 13 mai 2015.

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Circonstance : Compte-rendu de la séance du Conseil économique, social et environnemental (CESE), sur le thème "La bonne gestion des sols agricoles : un enjeu de société", Paris le 13 mai 2015.

Texte intégral

M. le Président. Monsieur le ministre, vous avez la parole.
M. Le Foll.- Merci. Je voudrais d'abord vous remercier de m'avoir invité. J'ai beaucoup apprécié le discours que vous avez eu, Monsieur le Président. Vous savez l'attachement au CESE qui est le mien. Je suis venu à plusieurs reprises, nous avons organisé ici les premières réunions sur la question de l'agroécologie.
En m'exprimant devant vous, je pensais à cette belle phrase : vous êtes la Chambre des générations futures. Cela vous donne une grande responsabilité, et cela nécessite une activité de tous les jours, voire plus.
Cette Chambre doit travailler avec un esprit constructif, l'idée de l'intérêt général, l'idée de considérer que, de temps en temps, il est utile de pouvoir discuter et de proposer sans que l'on soit les uns et les autres - cela arrive - dans des postures, des choix qui consistent à s'opposer pour s'opposer, ou à proposer pour proposer. Je pense donc que votre assemblée, à un moment où quelquefois on en doute, a pour moi toute son utilité, et vous l'avez encore prouvé avec cet avis.
Je voudrais remercier Agnès Courtoux et Cécile Claveirole pour cet avis sur cette question des sols. J'ai bien entendu ce qu'a dit le président de la section. Il y avait deux approches dans votre avis, si j'en ai retenu l'essence, car je n'ai pas eu le temps de le lire.
La première, c'est la consommation des terres agricoles, qui est un vrai sujet. On essaie d'évaluer cette consommation. On avait réuni et mis en place l'Observatoire de la consommation des terres agricoles et j'avais d'ailleurs engagé une étude et confié à l'IGN la demande d'une cartographie plus précise, car on avait des chiffres de consommation qui allaient de 90 000 à 40 000 hectares : comme toujours, on semble s'orienter vers 70 000 hectares de terres agricoles consommées, ce qui est une consommation extrêmement importante.
Cela participe de deux principes, de deux actions, que nous conduisons : un, l'urbanisme ; deux, la question des infrastructures routières et de transport.
Vous avez dit - et je voudrais d'ailleurs vous proposer un travail, puisque vous êtes la chambre des générations futures - vous avez dit : on a à réfléchir sur l'urbanisation, l'urbain, la densification urbaine. Je pense que ce n'est pas dans l'urbain et dans la ville qu'est le problème aujourd'hui, c'est dans le périurbain et le périrural que la consommation d'hectares agricoles est la plus forte.
Donc, alerte : il ne faut pas se tromper. Pour la densification de la ville, il y a des processus en cours. Dans une ville comme Paris, on peut toujours densifier un peu plus, mais on ne pourra pas aller beaucoup plus loin, même si l'on pourrait faire des immeubles un peu plus hauts.
C'est ce que je crois. La consommation de terres agricoles, là où elle est la plus importante, c'est dans le périurbain et le périrural.
Cela cela nécessite une réflexion. En particulier sur un sujet qui m'a toujours intéressé, l'accession à la propriété. Dans l'imaginaire de nos concitoyens, accéder à la propriété passe par une maison, avec, autour, 1 500 mètres carrés de terrain, voire plus. ; voire moins. Et on va chercher souvent plus loin pour avoir la surface correspondante, car plus on est près de la ville, plus c'est cher. Et plus on va loin, plus on a besoin d'infrastructures, et plus on consomme des terres agricoles.
Ce qu'il faut penser - et cela c'est un enjeu, et si vous en avez l'occasion je souhaite qu'on ait une réflexion - ce qu'il faut penser, ce sont les bourgs et les petites villes du périurbain, périrural, dans leur urbanisation. Comment on repense l'accession à la propriété, comment on essaie de dire à ceux qui veulent accéder à la propriété - et qui ne le voient que par la maison individuelle avec les 1 500 ou 2 000 m², ou moins, autour - comment on peut leur offrir d'autres perspectives, d'autres envies d'accéder à la propriété ?
En repensant nos bourgs, nos centres-bourgs, nos centres-villes, périurbain, périrural. Cela, c'est un enjeu. On fait des éco-quartiers dans les villes, pourquoi ne pense-t-on pas à des éco-bourgs ? Pourquoi, dans le domaine des responsabilités qu'on veut confier aux intercommunalités demain, ne pourrait-on pas imaginer la grande question de l'énergie avec celle de la santé ?
Ce sera de toute façon un enjeu, ça l'est déjà. Oui, mais à condition qu'on soit capable de l'organiser, de le penser. Les bâtiments connectés, la capacité qu'on aurait à gérer mieux l'énergie dans la ruralité, à faire en sorte qu'on soit aussi capable d'accompagner le vieillissement, pas seulement avec des maisons de santé, mais aussi avec des réseaux qui organisent le suivi, le contrôle, l'aide à domicile ? Cela, c'est l'enjeu de demain.
Et là on a besoin de penser, d'offrir des perspectives, des solutions. Pour ma part je prendrai l'initiative d'ici à l'été, justement, avec des architectes, de donner aussi une image de ce que pourraient être des centres-bourgs nouveaux, une accession nouvelle à la propriété. Pour faire en sorte que les gens n'aient pas comme seule objectif et seule solution cette accession que j'évoquais tout à l'heure, qui consomme énormément d'espace.
Et puis, plus vous étalez l'espace urbain et périurbain, plus vous avez besoin d'infrastructures derrière, que ce soit en termes routiers, d'infrastructures pour le traitement des eaux, ou pour le réseau électrique. Tout cela coûte, en fonctionnement, pas seulement en investissement.
Si l'on veut éviter la consommation d'espaces agricoles, il faut que l'on pense notre urbanisme pas seulement urbain, mais périurbain, périrural. Cela fait partie des enjeux, dans ce débat, qui sont très importants.
La loi d'avenir a mis en place un certain nombre de choses avec les commissions départementales de gestion des espaces naturels et agricoles, qui font qu'aujourd'hui, quand vous êtes sur des terres agricoles en AOP et AOC, il y a un avis conforme donné par un SCOT ; quand un SCOT est en cours, cette commission donnera son avis.
On essaie de gérer cette conflictualité dans la gestion d'espace en préservant l'espace agricole. On réunira donc un jour l'Observatoire de consommation des terres agricoles pour faire le point ; j'ai confié à l'IGN un vrai travail, pour qu'on soit plus précis sur cette consommation.
Je le dis d'autant plus que les terres agricoles qui sont consommées sont les meilleures. Il ne faut surtout pas prendre les hectares consommés en valeur absolue. Comme ce sont les meilleures terres, un hectare consommé représente plus qu'un hectare, c'est l'équivalent en moyenne de 1,5 à 2 hectares ; les villes sont souvent dans les plaines alluviales... Sur les grands plateaux calcaires, il n'y a pas de grande ville.
Cela, c'est un premier enjeu. Il y a de quoi faire, et il y a un travail prospectif à faire. Il faut que l'on arrive à tracer - c'est la chambre des générations futures - ce qui pourra se passer dans 10, 15 ou 20 ans. Le pire, c'est de constater qu'on consomme, et puis... on essaie de densifier... le mot n'est pas joli. Il faut que l'on essaie de renouveler, de réenchanter cette question de l'accession à la propriété, avec des mécanismes fiscaux où l'on pourrait avoir un système de location bail qui finirait par… plein de sujets à voir.
Cela, Monsieur le Président, je l'évoque aujourd'hui mais je pense que c'est important.
Deuxième point, les sols. Selon toute l'actualité scientifique, les sols actuels doivent stocker à peu près deux fois et demie le carbone qu'il y a dans l'atmosphère. Et à l'échelle de la planète, ils se sont dégradés entre 50 et 70 %.
On est donc face à un sujet majeur, et qui a une double entrée politique par rapport à cette question des sols.
La première, ce sont les grands enjeux de biodiversité, de mise en oeuvre des mécanismes naturels dans les sols ; l'exposition qu'il y a à l'entrée de cet hémicycle, prouve que, dans les sols, il y a une biodiversité, une micro et une macro biologie fantastique. Fantastique ! Et si on sait préserver les sols, on a une source de biodiversité très importante. C'est le premier élément dans le débat.
Le deuxième - et il est très intéressant - c'est que la qualité des sols a à la fois comme conséquence d'être un élément de la productivité des sols et - et c'est là que l'on a un atout majeur - d'être aussi une manière de stocker du carbone de l'atmosphère. En gros, le message que l'on pourrait faire passer, ici au Conseil économique, social et environnemental et à tous ceux qui nous écoutent, c'est : « Votre carbone dans l'atmosphère nous intéresse ». La sécurité alimentaire va avec la lutte contre le réchauffement climatique, car plus j'ai de carbone dans les sols, plus j'ai de la matière organique et plus j'ai de la matière organique dans les sols plus j'ai de biodiversité et donc des sols productifs.
Il n'y a donc pas de contradiction entre l'enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique et la production ; au contraire, il y a une combinaison des deux facteurs pour aller dans le sens de l'amélioration de l'amélioration de la productivité des sols et donc de la capacité que l'on a à résoudre les grands problèmes liés à la sécurité alimentaire.
Lutte contre le réchauffement climatique, sécurité alimentaire avec la question des sols, c'est la combinaison des deux enjeux, et c'est cela qui est très important. C'est pourquoi, il y a un mois et demi, j'ai lancé à Montpellier l'idée de ce grand programme de « 4 pour 1 000 », sur la base d'une étude scientifique faite par l'INRA qui indique que, dans ce flux de carbone lié à la photosynthèse agricole, si on arrivait à capter 4 grammes pour 1 000 et qu'on les conservait dans les sols, on pourrait, à l'échelle de la planète, stocker l'équivalent de ce que l'on a comme carbone dans l'atmosphère. Par contre, si sur ces 1 000 grammes on perd les 4 grammes situés dans les sols et qu'ils repartent dans l'atmosphère, on double le carbone dans l'atmosphère et alors, on s'engage vers des risques de réchauffement supplémentaires au niveau de la planète. On est donc bien là sur un sujet de combinaison entre la productivité agricole, la production, la qualité des sols et la sécurité alimentaire.
Cela nécessite un programme scientifique. Dès le 1er juillet, à l'UNESCO, on va lancer cette méthodologie d'analyses scientifiques. Ensuite, on organisera un colloque, une rencontre au Quai d'Orsay, avec l'ensemble des pays africains, car l'Afrique est directement concernée et il faut les intéresser à cette question des sols pour avoir un intérêt dans l'agriculture, dans les problèmes de lutte contre la faim et de production agricole. Puis dans la foulée, je ferai des propositions sur des techniques qui mesurent clairement la capacité que l'on a à stocker du carbone dans les sols, avec des techniques de conservation des sols et, de manière générale, sur les logique d'agro-écologie. Je suis en train de repérer - et ai un certain nombre d'exemples - des pratiques agricoles qui stockent du carbone. La France donnera un exemple concret de ce que l'on peut faire à l'échelle de l'Europe et à l'échelle française.
Ensuite, on aura un grand colloque à l'OCDE, avec l'ensemble des ambassadeurs de l'OCDE sur la question pour déboucher, je l'espère, sur des solutions, proposées dans le cadre de la COP 21 sur un grand programme, un grand projet de stockage du carbone dans les sols. C'est cela l'objectif. C'est cela la mission.
Sur le « 4 pour 1 000 », je me souviens des débats sur la fameuse taxe Tobin sur les flux financiers ; mais nous, on a notre objectif, on a notre proportion, on a notre slogan dans cette COP 21 et cela place l'agriculture non pas dans la position d'être celle qui est accusée d'être une responsable du réchauffement climatique, mais dans la capacité qu'elle a d'apporter une solution dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et en même temps, cette solution dans la lutte contre le réchauffement est compatible, ou c'est une combinaison qui nous permet en même temps de développer la productivité des sols, l'intensification de la production au bon sens du terme ; car plus les sols seront productifs et moins vous consommerez de sols et moins vous déforesterez la planète pour avoir des sols agricoles.
Quand vous avez des productivités des sols très faibles, vous allez chercher la production agricole en brûlant les terres forestières. On a besoin de garder la forêt, c'est un enjeu de biodiversité, un enjeu de stockage de carbone, un enjeu économique.
On doit préserver l'équilibre entre l'espace forestier et l'espace agricole, d'où le fait qu'avoir un espace et des terres agricoles productives est un enjeu stratégique globalement lié à la biodiversité, au stockage du carbone, à l'activité agricole et forestière.
Pour ces raisons-là, votre avis vient en appui à la démarche que l'on a engagée et, à la veille de la COP 21, c'est un argument supplémentaire pour aller dans le sens de la mobilisation de tous pour réussir, dans cette discussion à l'échelle de la planète. C'est l'enjeu de la gestion des sols agricole : indiquer qu'ils peuvent apporter une partie de la solution dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Si je reprends le propos d'introduction du président - à savoir que vous êtes ici une Chambre pour les générations futures - avec ce sujet des sols, on a parfaitement l'illustration de cette capacité que vous avez à participer au débat, à aider à sa compréhension et à soutenir ces enjeux très importants pour l'avenir de l'humanité et de la planète.
On ne va pas tout résoudre, il faut enclencher un processus, un chemin, une prise de conscience. C'est tellement difficile de changer les esprits, les cultures, l'approche, que tout ce qui va concourir à appuyer dans ce sens est, pour le ministre de l'agriculture que je suis, une bonne nouvelle. En tout cas, merci pour votre avis.
Source http://www.lecese.fr, le 4 juin 2015