Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans l'hebdomadaire "Espace social européen" le 18 mai 1999, sur la prochaine nomination du Haut représentant de l'Union européenne pour la PESC, la coordination de la politique sociale de l'Union européenne, la préparation du pacte européen pour l'emploi.

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Média : Espace social europeen

Texte intégral

Q - Quelles sont vos propositions sur les grands dossiers européens du moment (réforme des institutions, élargissement de l'Union, réforme des fonds structurels) ?
R - La négociation sur l'Agenda 2000, qui comprenait, notamment, la réforme des fonds structurels, a été la priorité des premiers mois de cette année. Nous sommes heureux d'être parvenus à un accord selon le calendrier prévu, c'est-à-dire lors du Conseil européen de Berlin, à la fin du mois de mars dernier. Cet accord est un bon accord, pour l'Europe comme pour la France, car il prépare l'Union aux futures adhésions en prévoyant la stabilisation des dépenses communautaires et il réforme les politiques structurelles et la Politique agricole commune, dans le sens d'une plus grande efficacité à un moindre coût.
Maintenant que cette négociation est derrière nous, nous pouvons nous consacrer à des tâches essentielles pour l'avenir de l'Europe, c'est-à-dire l'émergence d'une Europe politique, réunifiée - et je veux réaffirmer ici l'importance que nous attachons à la réussite de l'élargissement à l'Est. Pour cela, il est effectivement nécessaire de réaliser la réforme des institutions qui n'a pu aboutir à Amsterdam en 1997. Nous souhaitons aboutir au second semestre 2000, quand la France exercera la présidence de l'Union.
L'Europe devra acquérir toute sa dimension politique, en étant plus proche des citoyens, en prenant toute sa dimension sociale et devra également peser plus sur la scène internationale -ce que le conflit du Kosovo ne rend que plus nécessaire. La France souhaite, à cet égard, que le Haut représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune ("Monsieur" ou "Madame PESC") soit nommé rapidement et dispose de toute l'autorité politique nécessaire.
Vous le voyez, les chantiers ne manquent pas pour les prochains mois et les prochaines années!
Q - La politique sociale est-elle selon vous du ressort des Etats ou de l'Union européenne ?
R - Je dirais que les politiques sociales relèvent évidemment à la fois du champ des compétences nationale et communautaire.
Nationale, parce que ce sont les Etats qui ont la meilleure connaissance du fonctionnement des différents marchés de l'emploi et qui ont la maîtrise des principaux instruments, tant des politiques pour l'emploi (placement, formation etc...) que des politiques sociales. C'est également l'Etat qui définit et met en oeuvre les politiques de redistribution et de sécurité sociale. La collectivité nationale a vocation à demeurer le cadre premier de la solidarité.
Mais la politique sociale relève également de l'Union européenne, parce que l'intégration de plus en plus poussée de l'économie européenne, après la mise en place du marché unique puis de l'euro, crée des interdépendances telles que les politiques sociales nationales ne peuvent plus être menées sans tenir compte de celles qui sont mises en oeuvre dans les autres pays de l'Union.
Q - L'Union européenne doit-elle se limiter à une coordination des politiques sociales conduite par les Etats, ou doit-elle aller au-delà ?
R - Le processus dans lequel les Européens sont engagés est à la fois un travail de concertation, de coopération, de coordination mais aussi parfois d'harmonisation et de mise en commun de certains moyens. Nous jetons ainsi les bases d'une Europe sociale et de l'emploi.
La construction européenne a déjà rendu possibles des avancées sociales substantielles, en matière de libre circulation des travailleurs de l'Union, d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail, d'égalité entre hommes et femmes, d'information et de consultation des salariés.
Les fonds structurels européens, en particulier le Fond social européen, participent au financement de l'effort de reconversion des régions industrielles en déclin, de lutte contre le chômage et d'adaptation des travailleurs aux mutations industrielles.
Plus récemment, les Etats européens se sont mis d'accord sur des lignes directrices pour l'emploi qu'ils ont traduites en plans d'action nationaux. L'efficacité des politiques de lutte contre le chômage est évaluée en commun régulièrement pour être améliorée.
Q - Les limites imposées à l'accroissement des dépenses budgétaires communautaires ne réduisent-elles pas la possibilité pour l'Union d'intervenir en matière sociale davantage qu'elle ne le fait aujourd'hui ?
R - Non. Il n'est pas raisonnable de laisser la dette des pays membres de l'Union continuer à dériver. Pour amorcer la réduction de notre endettement, nous savons qu'il faut un niveau de déficit public inférieur à notre taux de croissance. Et nous amorçons la décrue de l'endettement public depuis deux ans. En tant que keynésien, je vois aussi une deuxième raison à la réduction des déficits. Nous sommes toujours dans la phase haute du cycle. Si nous ne réduisons pas les déficits aujourd'hui alors que nous enregistrons une évolution assez dynamique de nos recettes fiscales, nous serons dans l'incapacité de laisser la dépense publique jouer son rôle naturel de soutien à la conjoncture lorsque le cycle se retournera.
Q - Quel bilan faites-vous de la mise en oeuvre des plans nationaux pour l'emploi ? Cette démarche vous semble-t-elle suffisante pour s'attaquer au chômage européen ?
R - Le gouvernement est en train de mettre la dernière main au plan national d'action pour l'emploi pour 1999, qui devrait ne présenter que des infléchissements mineurs par rapport au plan 1998. D'abord parce que les lignes directrices communautaires pour l'emploi pour 1999 n'ont elles-mêmes été adaptées qu'à la marge à l'automne dernier par le Conseil européen. Et aussi parce que la stratégie pour l'emploi arrêtée par le gouvernement, il y a deux ans, n'a pas de raison majeure de varier. Rien de spectaculaire donc et, pourtant, Martine Aubry et moi-même attachons une grande importance à ce Plan national d'action 1999, qui permet d'installer la procédure de Luxembourg dans la durée et aussi d'organiser un dialogue social autour des enjeux européens.
Q - Quelles initiatives la France entend-elle prendre pour faire avancer l'Europe sociale ? Quelles suites avez-vous ou allez-vous donner au rapport que vous a remis l'été dernier Philippe Herzog ?
R - Dans la perspective du Conseil européen de Cologne et de la préparation d'un Pacte européen pour l'emploi, la France a fait les propositions suivantes, étant entendu qu'elle avance par ailleurs des suggestions pour stimuler la croissance et donc la création d'emplois en Europe :
- l'approfondissement de la démarche de Luxembourg, notamment par l'amélioration de leur articulation avec les grandes orientations de politique économique, ainsi que le défend le rapport Herzog, et par un enrichissement de la batterie d'objectifs quantifiés.
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- le développement du dialogue social européen. Lionel Jospin a proposé l'organisation d'une Conférence économique et sociale annuelle rassemblant des représentants des gouvernements, de la Commission européenne, de la BCE et des partenaires sociaux, pour débattre des politiques économiques et sociales.
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Ces pistes de travail correspondent très largement à deux propositions majeures du rapport Herzog : la mise en oeuvre d'un accord interinstitutionnel pour une délibération publique des politiques économiques et d'emploi ouverte aux partenaires sociaux, et la création d'un Cercle de prospective communautaire - même si les appellations et la forme finale de ces nouvelles instances pourront naturellement s'en écarter un peu. La relance du Centre européen des relations industrielles, basé à Florence, est également à l'ordre du jour.
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Q - La refonte du règlement 1408/71 sur la coordination des régimes de sécurité sociale est-elle d'actualité ?
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R - Vous savez que la coordination des régimes de sécurité sociale constitue l'une des plus anciennes préoccupations de l'Union européenne. L'instrument principal en est effectivement le règlement n° 1408/71, régulièrement modifié. Le bénéfice de la coordination est lié à l'exercice d'une activité professionnelle, et suppose un déplacement du travailleur ou de ses ayants droit d'un territoire à un autre, à l'intérieur de l'Union.
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La Commission a proposé d'étendre le champ d'application de ce règlement aux fonctionnaires, aux étudiants et aux ressortissants des Etats tiers. L'extension aux fonctionnaires a été acquise en 1998. S'agissant des étudiants, l'Union a adopté un règlement au début de cette année, mais sensiblement plus restrictif que ce que la France souhaitait, de même que la Grèce, de l'Italie et le Portugal. Des initiatives restent donc possibles en la matière.
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J'ajoute que la Commission a aussi présenté, en 1998, trois nouvelles propositions relatives à la libre circulation des travailleurs qui auraient des conséquences directes sur les régimes de sécurité sociale. La France est globalement favorable à cette initiative de la Commission et il se peut que les discussions aboutissent sous la Présidence française, au second semestre 2000
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 1999)