Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Ce que l'histoire retiendra des mois qui viennent de s'écouler, c'est le grand mouvement vers la démocratie qui anime la quasi totalité de l'Est et une partie du Sud.
Et c'est au coeur de ce moment exaltant qu'un pays comme le nôtre, le pays de la Déclaration des droits de l'homme, délivrerait le message selon lequel on ne saurait décidément pas financer la démocratie dans des conditions honorables et transparentes. La démocratie aurait ainsi honte d'elle-même et son fonctionnement ne saurait se perpétuer hors de procédés inavouables.
Certes il y a un passé, et ce passé est lourd. Depuis que la France pratique le suffrage universel, ni ses contribuables ni leurs élus n'avaient admis que le fonctionnement de la démocratie avait un coût.
Il faut de l'argent pour diffuser ses idées, organiser des réunions, imprimer des documents, rendre visite aux électeurs.
Pourtant nous avons longtemps vécu sur une ignorance officielle de contingences matérielles qui, mal régulées, peuvent mettre en cause le système lui-même, dans le respect que lui portent les citoyens.
Et depuis bientôt trente ans, de scrutin en scrutin, nous avons vu des gens qui n'ont pas de recettes assumer allégrement des dépenses qui se sont accrues de manière ostensible et souvent monstrueuse.
J'observe d'ailleurs au passage, me fiant à mes propres souvenirs oculaires de campagnes, que je n'ai jamais eu le sentiment d'appartenir au camp le mieux irrigué par cette manne mystérieuse.
Certes, me dira-t-on, il y a les cotisations des militants. Elles sont, je le sais, d'un poids important, mais on aura quelques difficultés à nous convaincre que ces militants sont assez riches ici ou assez nombreux là pour que leur générosité soit à la hauteur des dépenses constatées.
Il reste que vous tous qui siégez ici le faites parce que vous avez gagné une élection. Et vous savez mieux que quiconque que votre succès personnel vous a coûté du temps et de l'argent sans pour cela que cet argent vous ait coûté votre âme.
Je crois, j'ai toujours cru et je croirai toujours à la morale en politique. Mais je ne croirai jamais à une morale qui pourrait être fondée sur une hypocrisie.
C'est au nom de cette sage évidence que mon prédécesseur avait reçu du Chef de l'Etat la ferme suggestion de proposer un cadre législatif pour assurer enfin un financement des partis et des campagnes dans des conditions indiscutables devant les citoyens comme devant la loi.
Ce fut celle du 11 mars 1988, qui marquait certes un premier pas, mais accompli avec tant de réticence, de lacunes et de timidité que ceux-là même qui l'ont votée se faisaient peu d'illusions sur son efficacité.
Et de fait, nous n'en serions certainement pas où nous en sommes si nos censeurs du jour avaient mieux fait leur travail lorsqu'ils étaient au gouvernement.
Il a fallu le recommencer et ce fut l'objet de la loi du 15 janvier 1990 qui par sa précision, par son réalisme, mais également par sa rigueur nous met au premier rang des nations développées en termes d'efforts de transparence et de moralisation.
Certaines dépenses purement et simplement prohibées, d'autres limitées, toutes plafonnées - et je parle là de dépenses prises en compte, au besoin après évaluation d'office, à leur prix réel et non à celui d'éventuelles factures de complaisance - et tout manquement sanctionné par des peines non seulement adaptées mais également automatiques pour certaines d'entre elles.
Quelle que soit la manière dont la démocratie française sortira des remugles qui entourent ce débat, - et je rappelle que Larousse définit le remugle comme l'odeur qu'exhale ce qui a été trop longtemps renfermé - chacun ici et ailleurs doit savoir qu'à l'avenir la salubrité politique de notre pays, en même temps que l'honneur de ses élus, dépendront du respect scrupuleux de cette loi.
De cette loi et de toutes les autres que nous avons préparées qui vont dans le même sens, même en ayant un autre objet, comme les projets sur la cour de discipline budgétaire ou celle sur la transparence de la passation des marchés publics.
Alors, dans ce contexte, fallait-il amnistier ?
Non, lorsque les infractions commises l'avaient été à des fins personnelles ou par des parlementaires.
Oui, lorsqu'elles étaient la conséquence funeste et difficilement évitable d'un système notoirement inadapté et, de ce fait, pervers.
Et je tiens beaucoup à cette distinction qui n'a pas toujours été faite. Par exemple, je ne mets pas sur le même plan l'amnistie, votée en 1986, d'infractions fiscales et douanières commises dans le seul but d'enrichir leurs auteurs, et l'amnistie votée en 1990 limitée à des faits commis pour compte d'autrui et pour cause d'activités politiques licites.
Certes, nous aurions pu ne rien faire, et laisser quelques-uns, notamment chez les chefs d'entreprise, assumer seuls l'incurie de tous.
J'ai d'ailleurs bien senti cette tentation chez certains dont la propension à refuser l'amnistie m'a parue moins guidée par la rigueur morale que par la confiance qu'ils avaient dans le professionnalisme et l'étanchéité de leurs circuits financiers et des officines qui les alimentent.
Mon choix n'a pas été celui-là car ma morale n'est pas celle-là, et nous avons été en cela rejoints par une majorité de votre Assemblée.
Mais, nous dit-on aujourd'hui, nous avons été abusés : l'amnistie appliquée n'a pas les effets qui lui étaient assignés.
Ceux qui l'ont affirmé l'ont fait souvent sans lire les décisions qu'ils commentaient ainsi.
Sachez en premier lieu qu'il n'y a pas d'un côté les politiques qui seraient amnistiés et de l'autre les professionnels qui seraient poursuivis.
Il y a d'un côté des politiques et la très grande majorité des professionnels qui ont bénéficié d'un non lieu ou d'une amnistie, et de l'autre quelques rares professionnels et quelques politiques qui restent poursuivis car leurs juges considèrent qu'ils n'entrent pas juridiquement dans le champ de l'amnistie. A été amnistié tout ce qui était qualifié abus de biens sociaux ou faux en écritures. Restent seuls poursuivis les faits pouvant relever du trafic d'influence, assimilés ici à la corruption exclue de l'amnistie.
Sachez en second lieu que dans la décision qui est à l'origine directe de cette motion de censure, celle qui concerne la SORMAE, ce n'est pas l'article d'amnistie de 1990 qui a été appliqué mais celui, plus large, de 1988, celui que tous les groupes ici présents, sauf le groupe communiste, ont approuvé en son temps, celui que le porte-parole RPR en séance a explicitement soutenu.
Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs, on ne peut pas affirmer ici que la loi de 1990 a été appliquée dans un esprit différent de celui voulu par vous puisqu'elle n'a pas été appliquée, comme ont pu le constater les lecteurs de la décision, malheureusement beaucoup plus rares que ses commentateurs.
Avant de s'indigner des causes il vaut toujours mieux commencer par s'assurer des faits, pour paraphraser le positivisme d'Auguste Comte.
Reste le cas unique et singulier de M. Nucci. On a avancé à son propos les chiffres les plus mirobolants. L'instruction les a ramenés à leur réalité qui n'est pas celle qu'on avait dite.
Puis elle a prononcé le non-lieu sur une majorité des incriminations et enfin constaté l'amnistie pour d'autres ce qui, pour ces magistrats certes peu complaisants, atteste qu'ils n'ont décelé nulle trace d'enrichissement personnel, même déjà dépensé. J'ajoute enfin qu'il reste sous la juridiction de la Cour des comptes devant laquelle la procédure a repris normalement.
Telle est la réalité et si je comprends qu'elle ait pu choquer une opinion imparfaitement informée, j'aurais préféré, du côté des politiques à la vertu outragée, que certains soient moins bruyamment outragés et plus sincèrement vertueux.
Mais, même en me plaçant sur le terrain des censeurs, je leur demande s'il n'y a pas une contradiction curieuse à demander une indépendance accrue de la magistrature et, simultanément, à censurer le gouvernement pour n'avoir pu imposer à cette même magistrature d'appliquer l'amnistie dans l'esprit souhaité.
La magistrature a statué, ici comme ailleurs, en toute indépendance et de plus, compte tenu de la portée et de l'effet de ses décisions, soupçonner le gouvernement d'avoir exercé des pressions pour les obtenir serait l'accuser tout à la foi de turpitude et de rare stupidité.
Non, décidément, Mesdames et Messieurs, et quitte à encourir votre censure et les reproches de l'opinion, je ne me résoudrai pas à hurler avec les loups parce que c'est dans l'air du temps et je continuerai à expliquer, au risque de n'être pas tout de suite entendu.
A expliquer que la démocratie a un coût et qu'il faut la financer.
A expliquer que l'écrasante majorité des élus de ce pays est composée de femmes et d'hommes dévoués et honnêtes.
A expliquer que ceux qui ont dû, élus ou professionnels, méconnaître des règles inadaptées n'avaient pas à payer seuls le prix de l'hypocrisie de tous.
A expliquer que la loi doit appliquer ses rigueurs pour l'avenir à tous ceux qui l'auront méconnue, mais les réserver pour le passé seulement à ceux qui se seraient rendus coupables d'enrichissement personnel.
A expliquer, enfin, que ni en droit ni en fait il n'y a eu de votre part quoi que ce soit qui ressemble à une auto-amnistie, à un auto-blanchiment, puisque vous vous êtes vous-mêmes exclus de l'amnistie.
Et c'est vers un avenir enfin débarrassé de tous ces miasmes nauséabonds que je veux tourner les yeux. Vous aussi, j'en suis sûr, tant il est certains qu'on ne saurait durablement rester dans la situation actuelle qui est très malsaine.
Diverses propositions ont été faites et je ne vois aucun inconvénient, au contraire, à en accélérer l'examen.
Supprimer la Haute Cour de Justice et limiter les privilèges ou les immunités parlementaires, pourquoi pas, sous réserve de précautions à définir ensemble pour éviter des procès dilatoires ?
Ne plus pouvoir amnistier aussi facilement ? Certains, je pense à M. Chirac, proposent une majorité qualifiée quelles que soient les infractions. D'autres, et je songe ici à M. Hage, préféreraient faire une distinction selon les manquements et rendre non-amnistiables ceux portant sur les liens entre argent et politique. Cette seconde solution pourrait être plus opérante, mais, de toute façon, l'objectif poursuivi étant le même, si l'on en croit les auteurs, les points de vue doivent pouvoir se rapprocher sur le meilleur moyen de l'atteindre.
Enfin accroître au profit des magistrats et personnels de justice les moyens de toutes natures leur permettant d'accomplir dans la sérénité la haute mission qui est la leur est un souci que nous partageons.
Je rappelle d'ailleurs que c'est sensiblement avant les affaires récentes que je m'étais penché sur le sujet à l'invitation du Garde des Sceaux. Et c'est à froid que j'avais annoncé mon intention de faire de 1991 une année pour la justice. Ce qui s'est produit depuis n'a fait que me conforter dans cette idée.
Sur tous ces sujets ma proposition d'un débat institutionnel à l'automne, avant même le débat budgétaire, tient toujours. Mais je tire de celui d'aujourd'hui la conviction qu'il faut préparer des propositions concrètes auxquelles vos groupes et commissions sont disposés à s'atteler.
Alors, Mesdames et Messieurs, cette affaire généralement affligeante aura eu au moins un aspect bénéfique : au nom des dispositions législatives nouvelles qui régiront l'avenir des financements politiques je peux, à propos de ce genre d'amnistie, m'écrier comme l'a d'ailleurs déjà fait le Ministre de l'Intérieur : plus jamais ça !
Et ce débat de censure aura eu au moins un résultat : la volonté partagée, si j'en crois les discours, de sortir de l'hypocrisie pour retrouver la morale vraie.
On vous invite à censurer : cela s'appelle détruire. Je vous invite, moi, à travailler de bonne foi en commun, et j'appelle cela construire.
Mesdames et Messieurs les députés,
Ce que l'histoire retiendra des mois qui viennent de s'écouler, c'est le grand mouvement vers la démocratie qui anime la quasi totalité de l'Est et une partie du Sud.
Et c'est au coeur de ce moment exaltant qu'un pays comme le nôtre, le pays de la Déclaration des droits de l'homme, délivrerait le message selon lequel on ne saurait décidément pas financer la démocratie dans des conditions honorables et transparentes. La démocratie aurait ainsi honte d'elle-même et son fonctionnement ne saurait se perpétuer hors de procédés inavouables.
Certes il y a un passé, et ce passé est lourd. Depuis que la France pratique le suffrage universel, ni ses contribuables ni leurs élus n'avaient admis que le fonctionnement de la démocratie avait un coût.
Il faut de l'argent pour diffuser ses idées, organiser des réunions, imprimer des documents, rendre visite aux électeurs.
Pourtant nous avons longtemps vécu sur une ignorance officielle de contingences matérielles qui, mal régulées, peuvent mettre en cause le système lui-même, dans le respect que lui portent les citoyens.
Et depuis bientôt trente ans, de scrutin en scrutin, nous avons vu des gens qui n'ont pas de recettes assumer allégrement des dépenses qui se sont accrues de manière ostensible et souvent monstrueuse.
J'observe d'ailleurs au passage, me fiant à mes propres souvenirs oculaires de campagnes, que je n'ai jamais eu le sentiment d'appartenir au camp le mieux irrigué par cette manne mystérieuse.
Certes, me dira-t-on, il y a les cotisations des militants. Elles sont, je le sais, d'un poids important, mais on aura quelques difficultés à nous convaincre que ces militants sont assez riches ici ou assez nombreux là pour que leur générosité soit à la hauteur des dépenses constatées.
Il reste que vous tous qui siégez ici le faites parce que vous avez gagné une élection. Et vous savez mieux que quiconque que votre succès personnel vous a coûté du temps et de l'argent sans pour cela que cet argent vous ait coûté votre âme.
Je crois, j'ai toujours cru et je croirai toujours à la morale en politique. Mais je ne croirai jamais à une morale qui pourrait être fondée sur une hypocrisie.
C'est au nom de cette sage évidence que mon prédécesseur avait reçu du Chef de l'Etat la ferme suggestion de proposer un cadre législatif pour assurer enfin un financement des partis et des campagnes dans des conditions indiscutables devant les citoyens comme devant la loi.
Ce fut celle du 11 mars 1988, qui marquait certes un premier pas, mais accompli avec tant de réticence, de lacunes et de timidité que ceux-là même qui l'ont votée se faisaient peu d'illusions sur son efficacité.
Et de fait, nous n'en serions certainement pas où nous en sommes si nos censeurs du jour avaient mieux fait leur travail lorsqu'ils étaient au gouvernement.
Il a fallu le recommencer et ce fut l'objet de la loi du 15 janvier 1990 qui par sa précision, par son réalisme, mais également par sa rigueur nous met au premier rang des nations développées en termes d'efforts de transparence et de moralisation.
Certaines dépenses purement et simplement prohibées, d'autres limitées, toutes plafonnées - et je parle là de dépenses prises en compte, au besoin après évaluation d'office, à leur prix réel et non à celui d'éventuelles factures de complaisance - et tout manquement sanctionné par des peines non seulement adaptées mais également automatiques pour certaines d'entre elles.
Quelle que soit la manière dont la démocratie française sortira des remugles qui entourent ce débat, - et je rappelle que Larousse définit le remugle comme l'odeur qu'exhale ce qui a été trop longtemps renfermé - chacun ici et ailleurs doit savoir qu'à l'avenir la salubrité politique de notre pays, en même temps que l'honneur de ses élus, dépendront du respect scrupuleux de cette loi.
De cette loi et de toutes les autres que nous avons préparées qui vont dans le même sens, même en ayant un autre objet, comme les projets sur la cour de discipline budgétaire ou celle sur la transparence de la passation des marchés publics.
Alors, dans ce contexte, fallait-il amnistier ?
Non, lorsque les infractions commises l'avaient été à des fins personnelles ou par des parlementaires.
Oui, lorsqu'elles étaient la conséquence funeste et difficilement évitable d'un système notoirement inadapté et, de ce fait, pervers.
Et je tiens beaucoup à cette distinction qui n'a pas toujours été faite. Par exemple, je ne mets pas sur le même plan l'amnistie, votée en 1986, d'infractions fiscales et douanières commises dans le seul but d'enrichir leurs auteurs, et l'amnistie votée en 1990 limitée à des faits commis pour compte d'autrui et pour cause d'activités politiques licites.
Certes, nous aurions pu ne rien faire, et laisser quelques-uns, notamment chez les chefs d'entreprise, assumer seuls l'incurie de tous.
J'ai d'ailleurs bien senti cette tentation chez certains dont la propension à refuser l'amnistie m'a parue moins guidée par la rigueur morale que par la confiance qu'ils avaient dans le professionnalisme et l'étanchéité de leurs circuits financiers et des officines qui les alimentent.
Mon choix n'a pas été celui-là car ma morale n'est pas celle-là, et nous avons été en cela rejoints par une majorité de votre Assemblée.
Mais, nous dit-on aujourd'hui, nous avons été abusés : l'amnistie appliquée n'a pas les effets qui lui étaient assignés.
Ceux qui l'ont affirmé l'ont fait souvent sans lire les décisions qu'ils commentaient ainsi.
Sachez en premier lieu qu'il n'y a pas d'un côté les politiques qui seraient amnistiés et de l'autre les professionnels qui seraient poursuivis.
Il y a d'un côté des politiques et la très grande majorité des professionnels qui ont bénéficié d'un non lieu ou d'une amnistie, et de l'autre quelques rares professionnels et quelques politiques qui restent poursuivis car leurs juges considèrent qu'ils n'entrent pas juridiquement dans le champ de l'amnistie. A été amnistié tout ce qui était qualifié abus de biens sociaux ou faux en écritures. Restent seuls poursuivis les faits pouvant relever du trafic d'influence, assimilés ici à la corruption exclue de l'amnistie.
Sachez en second lieu que dans la décision qui est à l'origine directe de cette motion de censure, celle qui concerne la SORMAE, ce n'est pas l'article d'amnistie de 1990 qui a été appliqué mais celui, plus large, de 1988, celui que tous les groupes ici présents, sauf le groupe communiste, ont approuvé en son temps, celui que le porte-parole RPR en séance a explicitement soutenu.
Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs, on ne peut pas affirmer ici que la loi de 1990 a été appliquée dans un esprit différent de celui voulu par vous puisqu'elle n'a pas été appliquée, comme ont pu le constater les lecteurs de la décision, malheureusement beaucoup plus rares que ses commentateurs.
Avant de s'indigner des causes il vaut toujours mieux commencer par s'assurer des faits, pour paraphraser le positivisme d'Auguste Comte.
Reste le cas unique et singulier de M. Nucci. On a avancé à son propos les chiffres les plus mirobolants. L'instruction les a ramenés à leur réalité qui n'est pas celle qu'on avait dite.
Puis elle a prononcé le non-lieu sur une majorité des incriminations et enfin constaté l'amnistie pour d'autres ce qui, pour ces magistrats certes peu complaisants, atteste qu'ils n'ont décelé nulle trace d'enrichissement personnel, même déjà dépensé. J'ajoute enfin qu'il reste sous la juridiction de la Cour des comptes devant laquelle la procédure a repris normalement.
Telle est la réalité et si je comprends qu'elle ait pu choquer une opinion imparfaitement informée, j'aurais préféré, du côté des politiques à la vertu outragée, que certains soient moins bruyamment outragés et plus sincèrement vertueux.
Mais, même en me plaçant sur le terrain des censeurs, je leur demande s'il n'y a pas une contradiction curieuse à demander une indépendance accrue de la magistrature et, simultanément, à censurer le gouvernement pour n'avoir pu imposer à cette même magistrature d'appliquer l'amnistie dans l'esprit souhaité.
La magistrature a statué, ici comme ailleurs, en toute indépendance et de plus, compte tenu de la portée et de l'effet de ses décisions, soupçonner le gouvernement d'avoir exercé des pressions pour les obtenir serait l'accuser tout à la foi de turpitude et de rare stupidité.
Non, décidément, Mesdames et Messieurs, et quitte à encourir votre censure et les reproches de l'opinion, je ne me résoudrai pas à hurler avec les loups parce que c'est dans l'air du temps et je continuerai à expliquer, au risque de n'être pas tout de suite entendu.
A expliquer que la démocratie a un coût et qu'il faut la financer.
A expliquer que l'écrasante majorité des élus de ce pays est composée de femmes et d'hommes dévoués et honnêtes.
A expliquer que ceux qui ont dû, élus ou professionnels, méconnaître des règles inadaptées n'avaient pas à payer seuls le prix de l'hypocrisie de tous.
A expliquer que la loi doit appliquer ses rigueurs pour l'avenir à tous ceux qui l'auront méconnue, mais les réserver pour le passé seulement à ceux qui se seraient rendus coupables d'enrichissement personnel.
A expliquer, enfin, que ni en droit ni en fait il n'y a eu de votre part quoi que ce soit qui ressemble à une auto-amnistie, à un auto-blanchiment, puisque vous vous êtes vous-mêmes exclus de l'amnistie.
Et c'est vers un avenir enfin débarrassé de tous ces miasmes nauséabonds que je veux tourner les yeux. Vous aussi, j'en suis sûr, tant il est certains qu'on ne saurait durablement rester dans la situation actuelle qui est très malsaine.
Diverses propositions ont été faites et je ne vois aucun inconvénient, au contraire, à en accélérer l'examen.
Supprimer la Haute Cour de Justice et limiter les privilèges ou les immunités parlementaires, pourquoi pas, sous réserve de précautions à définir ensemble pour éviter des procès dilatoires ?
Ne plus pouvoir amnistier aussi facilement ? Certains, je pense à M. Chirac, proposent une majorité qualifiée quelles que soient les infractions. D'autres, et je songe ici à M. Hage, préféreraient faire une distinction selon les manquements et rendre non-amnistiables ceux portant sur les liens entre argent et politique. Cette seconde solution pourrait être plus opérante, mais, de toute façon, l'objectif poursuivi étant le même, si l'on en croit les auteurs, les points de vue doivent pouvoir se rapprocher sur le meilleur moyen de l'atteindre.
Enfin accroître au profit des magistrats et personnels de justice les moyens de toutes natures leur permettant d'accomplir dans la sérénité la haute mission qui est la leur est un souci que nous partageons.
Je rappelle d'ailleurs que c'est sensiblement avant les affaires récentes que je m'étais penché sur le sujet à l'invitation du Garde des Sceaux. Et c'est à froid que j'avais annoncé mon intention de faire de 1991 une année pour la justice. Ce qui s'est produit depuis n'a fait que me conforter dans cette idée.
Sur tous ces sujets ma proposition d'un débat institutionnel à l'automne, avant même le débat budgétaire, tient toujours. Mais je tire de celui d'aujourd'hui la conviction qu'il faut préparer des propositions concrètes auxquelles vos groupes et commissions sont disposés à s'atteler.
Alors, Mesdames et Messieurs, cette affaire généralement affligeante aura eu au moins un aspect bénéfique : au nom des dispositions législatives nouvelles qui régiront l'avenir des financements politiques je peux, à propos de ce genre d'amnistie, m'écrier comme l'a d'ailleurs déjà fait le Ministre de l'Intérieur : plus jamais ça !
Et ce débat de censure aura eu au moins un résultat : la volonté partagée, si j'en crois les discours, de sortir de l'hypocrisie pour retrouver la morale vraie.
On vous invite à censurer : cela s'appelle détruire. Je vous invite, moi, à travailler de bonne foi en commun, et j'appelle cela construire.