Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, en réponse à une question sur le projet de révision constitutionnelle des articles 16 et 36 de la Constitution régissant les situations exceptionnelles, au Sénat le 17 novembre 2015.

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Circonstance : Question au gouvernement posée par Mme Jacqueline Gourault, sénatrice (UDI-UC) de Loir-et-Cher, au Sénat le 17 novembre 2015

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Sénateurs, nous nous retrouvons après la réunion du Parlement en Congrès, où nous avons entendu s'exprimer le président de la République dans un moment évidemment rare, mais indispensable, et à la hauteur de l'attaque que nous avons subie.
J'espère de tout coeur, sincèrement, qu'au-delà de nos différences, légitimes dans une vie démocratique, et même nécessaires, puisque c'est la démocratie qu'on a voulu atteindre, nous resterons tous - mais je ne doute pas que ce sera votre cas - au niveau de cette exigence.
Madame la Sénatrice, vous avez raison de dire - M. le président de la République l'a d'ailleurs souligné hier - que la réponse est de plusieurs ordres. Au-delà des réponses diplomatique et militaire, sur lesquelles nous reviendrons sans doute avec la question posée par M. Jean-Pierre Raffarin, il importe aussi de nous doter de moyens supplémentaires. Nous avons fait déjà beaucoup, mais il faut continuer nos efforts en matière de sécurité, en créant des postes de policiers, de gendarmes, en renforçant les moyens de la justice, de l'administration pénitentiaire, des douanes. Il faut aussi prévoir des moyens de protection supplémentaires pour ces forces de l'ordre, en termes d'équipements, de véhicules, d'armes, d'immobilier.
Ainsi, dans le cadre de l'examen du budget pour 2016, le gouvernement proposera un amendement visant à permettre que ces engagements puissent être traduits immédiatement en loi de finances initiale.
Il y a aussi, bien entendu, la nécessité de se doter d'un certain nombre d'outils juridiques. Demain, en conseil des ministres, nous allons adopter le projet de loi qui permet de proroger l'état d'urgence. L'Assemblée nationale s'en saisira jeudi, et le Sénat vendredi. Les présidents Urvoas et Bas y ont beaucoup travaillé. Je ne doute pas de leur exigence. Nous allons travailler ensemble pour que ce texte soit adopté le plus rapidement possible.
L'honneur de la démocratie, c'est de se battre avec la force du droit. Il y a le court terme : c'est l'état d'urgence et sa prolongation. Il doit y avoir une réponse de long terme. Oui, il faut apporter aussi une réponse juridique efficace, forte, au défi que le terrorisme représente pour la démocratie !
Ainsi que le président de la République l'a rappelé, notre Constitution prévoit des mesures permettant de faire face à des situations exceptionnelles : l'article 16 et l'article 36. Mais ces dispositions ne sont pas adaptées à la situation que nous connaissons.
L'état d'urgence, qui est aujourd'hui la réponse de court terme que nous apportons, n'est donc pas prévu explicitement par la Constitution, même si le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître de ce dispositif en 1985. De notre point de vue, dans un contexte de guerre contre le terrorisme, le fonctionnement de notre démocratie nécessite de compléter notre Constitution. Il s'agit de permettre la mise en oeuvre de mesures exceptionnelles n'apportant à l'exercice des libertés publiques que les restrictions strictement indispensables à la garantie de la sécurité nationale. Ces mesures doivent être adaptées aux caractéristiques particulières de la menace terroriste, en particulier à sa durée. Une telle révision avait été proposée en 2008 par le comité Balladur.
Nous saisirons évidemment les présidents des deux assemblées. La volonté du gouvernement est claire sur ce sujet, comme sur la déchéance de la nationalité, comme sur le droit de visa aussi pour les binationaux qui reviennent en France d'un théâtre où ils auraient pu accomplir des actes terroristes.
Ces trois éléments - je ne doute pas que d'autres propositions seront également formulées - devront être examinés avec l'état d'esprit qui est le nôtre, celui de l'union nationale, de la concorde et, bien entendu, de l'efficacité ; c'est ce que nous demandent les Français. Madame la Sénatrice, je tiens à vous faire part de notre disponibilité pour travailler ensemble et avancer ensemble.
Enfin, et vous avez évidemment raison, toutes les questions qui ont été posées et les débuts de réponses qui ont été apportées après les attentats du mois de janvier restent plus que jamais d'actualité.
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de dire que ce serait un combat long, difficile. La priorité doit être donnée à l'éducation, à la culture. La lutte contre le terrorisme passe par le terrain extérieur, mais elle se déroule aussi dans notre pays.
Il faut lutter contre le salafisme, l'islamisme radical, le djihadisme, contre le fait que, dans le monde, des centaines de milliers de jeunes sont captés par cette idéologie totalitaire. C'est le cas chez nous, où ce phénomène concerne non pas quelques dizaines, mais sans doute plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers de jeunes. Il suffit de lire les rapports parlementaires qui ont été produits.
Ce combat contre le terrorisme est aussi, au fond, un combat sur nous-mêmes, au nom des valeurs de la République, en nous impliquant les uns et les autres et en mobilisant la société française. L'union nationale n'est pas uniquement celle des formations politiques ou des reprsentants de la Nation ; tous les Français doivent être mobilisés. En tout cas, je suis convaincu que c'est ce qu'ils attendent de nous. Vous pouvez être certaine que c'est la priorité du gouvernement.
Aujourd'hui, nous devons nous élever, être à la hauteur de cette exigence, ne pas retomber dans un certain nombre de débats qui ne sont pas à la hauteur de l'attente des Français. Vous pouvez compter sur mon engagement, Madame la Sénatrice.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2015