Interview de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'Etat au numérique, à "LCI" et "Radio classique" le 18 décembre 2015, sur le contenu du projet de loi sur le numérique.

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Texte intégral

GERARD LECLERC
8 H 16 sur Radio classique et LCI, LCI où nous retrouvons nos amis de LCI particulièrement joyeux ce matin après donc la décision du CSA de mettre LCI sur la TNT gratuite. Notre invitée Axelle LEMAIRE, bonjour Axelle LEMAIRE, secrétaire d'Etat chargée du Numérique…
AXELLE LEMAIRE
Bonjour !
GERARD LECLERC
Et vous êtes à la une de l'actualité avec la loi sur numérique qui a été adopté au Conseil des ministres, qui est maintenant en étude à la Commission et qui passe donc devant les députés début janvier. Une loi sur le numérique, donc une loi qui traite de neutralité, du net, de transparence, de loyauté, de Data, comment la définir en quelques mots, pourquoi cette loi ?
AXELLE LEMAIRE
Alors je crois qu'il faut rassurer, il faut rassurer nos concitoyens qui sont internautes, qui utilisent Internet, notamment sur l'usage qui peut être fait de leurs données personnelles et du respect de la vie privée en ligne, il faut rassurer sur la capacité des acteurs économiques français à peser dans le monde du numérique au niveau international et, pour cela, favoriser ce qu'on appelle l'économie de la donnée - qui est un peu l'or noir du XXIème siècle - donc nous ouvrons beaucoup les données qui sont produites par les acteurs publics pour favoriser l'innovation en plus de la transparence de l'action publique ; et puis il n'y a pas de numérique sans inclusion de numérique pour tous, donc il y a des mesures aussi à fort caractère social, comme le maintien à la connexion à Internet pour les foyers les plus fragiles.
GILLES LECLERC
On va revenir sur le détail de ces mesures ! Peut-être un mot sur le fait que cette loi a un côté co-construction, puisqu'il y a une consultation en ligne pour la définir, pour la préciser ?
AXELLE LEMAIRE
Tout à fait, c'est la première fois où on s'est dit : « Voilà ! C'est le numérique, c'est l'occasion » et donc le texte a été mis en ligne avant la saisine du Conseil d'Etat, avant sa présentation en conseil des ministres, pour que là aussi les internautes puissent non seulement le commenter mais le modifier, voire ajouter de nouveaux articles, ça été le cas parce qu'au final il y a eu 2,5 millions de pages vues, près de 150.000 votes sur le texte, plus 21.000 contributions, et puis le texte a été modifié 90 fois, il y a eu 5 nouveaux articles complètement neufs ajoutés grâce à cette intelligence collective qui a consisté pour le gouvernement à reconnaître qu'il n'avait pas l'exclusivité de la science et du savoir sur ce sujet et qu'il fallait se reposer aussi sur nos concitoyens.
GILLES LECLERC
Alors, revenons sur ce que contient cette loi. Vous l'avez dit il y a le développement de l'économie de la donnée, c'est-à-dire ce qu'on appelle l'Open Data des administrations et des entreprises publiques, concrètement comment ça va se traduire et quel est l'intérêt ?
AXELLE LEMAIRE
Très concrètement nous inversons un principe d'ouverture des données qui sont produites par les administrations, cette ouverture devra se faire par défaut, ça veut dire que…
GILLES LECLERC
C'est-à-dire que…
AXELLE LEMAIRE
C'est-à-dire qu'automatiquement…
GILLES LECLERC
Toutes les entreprises, tout le monde pourra aller consulter les données de l'Etat et de l'administration ?
AXELLE LEMAIRE
Les données ou en tout cas les données les plus essentielles qui représentent un intérêt pour les entreprises et pour les citoyens ; et donc l'inversement de ce principe c'est aussi un inversement culturel, on passe d'une administration du secret à une administration qui s'ouvre, qui rend compte, et en plus on sait qu'aujourd'hui avoir accès à ces données - notamment pour les jeunes entreprises innovantes - c'est une clé pour produire des nouveaux services innovants, donc c'est là une garantie de positionner la France comme un leader dans cette économie de la Data de la donnée.
GILLES LECLERC
Autre question, qui est assez sensible, c'est celle de la protection des données personnelles. Qu'est-ce qu'il y a dans la loi ? Il y a l'Europe d'ailleurs qui vient s'en occuper de cette même question ?
AXELLE LEMAIRE
Exactement ! Avant-hier je crois a été adopté le règlement européen sur les données personnelles entre le Conseil européen - donc les Etats membres et le Parlement européen – il s'agit ici de faire une articulation fine avec ce travail qui est mené par le gouvernement français à Bruxelles…
GERARD LECLERC
Alors très concrètement, sur ce qu'on appelle…
AXELLE LEMAIRE
Par exemple
GERARD LECLERC
Le droit à l'oubli, la mort numérique, etc. ?
AXELLE LEMAIRE
Voilà ! La mort numérique il s'agit de demander aux grandes plateformes, aux réseaux sociaux sur lesquels on s'inscrit de recueillir le consentement des inscrits pour savoir ce qui sera fait de leurs données personnelles en cas de décès physique - donc c'est important notamment par rapport aux ayant droit, aux héritiers, de clarifier le droit sur ce point - il y a la…
GERARD LECLERC
La confidentialité ?
AXELLE LEMAIRE
Tout à fait ! La confidentialité des courriers électroniques, bizarrement les courriers postaux, le papier en dur est très protégé par ce principe de confidentialité, ce n'est pas le cas en droit civil jusqu'à présent pour les courriels, pour la messagerie électronique, donc nous étendons l'application de ce principe au courrier électronique.
GERARD LECLERC
Vous avez évoqué tout à l'heure un volet solidarité, de quoi s'agit-il ?
AXELLE LEMAIRE
Essentiellement trois points ! Le maintien à la connexion à Internet pour des personnes qui seraient dans l'incapacité ponctuelle de régler une facture, comme c'est le cas pour le gaz, l'eau et l'électricité, c'est-à-dire que nous considérons qu'Internet devient un bien essentiel…
GERARD LECLERC
Et on n'aura pas le droit de couper l'accès à Internet ?
AXELLE LEMAIRE
Voilà ! De manière ponctuelle, mais il y aura un transfert vers un fonds de solidarité. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui des enfants qui n'ont pas accès à Internet ne peuvent pas faire leurs devoirs, un demandeur d'emploi ne peut pas avoir accès aux offres publiées en ligne, il sera de moins en moins possible de ne pas payer ses impôts en ligne, donc vous voyez avec la dématérialisation des services publics ça devient une nécessité absolue ; et puis, sinon , il y a des disposition qui concernent les personnes en situation de handicap, pour assurer une plus grande accessibilité des outils numérique ; et il y a un troisième volet, ce sont les territoires, pour que le numérique arrive partout en France, parce qu'on constate des inégalités entre les grandes villes…
GERARD LECLERC
Oui, c'est toujours le cas aujourd'hui oui.
AXELLE LEMAIRE
Tout à fait, tout à fait. Donc, nous accélérons le déploiement du numérique dans tous les territoires, y compris les zones rurales.
GERARD LECLERC
Vous voulez créer un environnement favorable aux nouveaux entrants, une neutralité du net, une société numérique ouverte on peut dire?
AXELLE LEMAIRE
Oui. Eh bien je crois qu'on est à un moment de l'histoire d'Internet où il y a des tentations de repli, de fragmentation, notamment régionales, notamment de la part d'Etat autoritaire qui ferme Internet ; et puis de l'autre il y a une tentation de très grand libéralisme où, parce que ça serait virtuel et dans la sphère Internet, on pourrait absolument tout faire et la loi nationale ne s'appliquerait pas, la position de la France – qui est aussi celle de l'Europe – elle est intermédiaire, donc nous prônons un Internet qui soit ouvert, transparent. International ça veut dire quoi ? Ca veut dire de demander aux géants de l'Internet un principe de loyauté, notamment plus de transparence dans l'information à destination des consommateurs, aussi plus d'authentification possible des avis laissés par les internautes quand on réserve je ne sais pas moi une place de spectacle, un restaurant, un hôtel, il faut savoir si les avis donnés en ligne sur des plateformes de recommandation sont des robots qui les donnent ou les vendeurs eux-mêmes, ou ce sont bien des acheteurs qui les ont donnés, tout ça cela participe de la loyauté.
GERARD LECLERC
Oui ! Mais l'esprit d'Internet c'est la liberté, en faisant comme ça une loi, en mettant des règles, est-ce que vous n'allez pas contre cet esprit d'Internet ?
AXELLE LEMAIRE
Non ! Au contraire, ça s'appelle d'ailleurs la loi pour la République numérique, la République c'est un cadre qui est nécessaire pour avoir une liberté encadrée par des droits et des obligations - et c'est le cas – il fallait actualiser le cadre juridique qui ne l'avait pas été depuis 2004, à l'heure où les technologies numériques se développent si rapidement notre logiciel était un peu dépassé.
GERARD LECLERC
Tout ne marche pas bien dans l'économie française, on le sait, mais on dit qu'il y a une chose qui fonctionne plutôt c'est les start-up de la nouvelle économie, c'est vrai et pourquoi ?
AXELLE LEMAIRE
Oui ! C'est vrai, l'économie numérique de manière générale qui tirerait au moins pour le 1/3 la croissance française en 2015 et on sait que cette évolution est durable et va s'accroître plus encore. Pourquoi les start-up françaises marchent bien ? D'abord parce qu'on a les bonnes têtes, parce qu'on a les ressources humaines - en particulier les ingénieurs qui partout en France peuvent venir créer l'innovation - et puis il y a des politiques publiques très proactives sur ce sujet, notamment du financement public, ce qui n'est pas le cas forcément ailleurs, avec la BPI - la Banque Publique d'Investissement – qui intervient beaucoup dans ce qu'on appelle la phase d'amorçage en amont lorsqu'il s'agit de donner le premier coup de pouce aux start-up pour qu'elles trouvent des financements qui leur permettent de se lancer ; Et donc oui on verra très bien bientôt à Las Vegas au « Consumer Electronic Show », qui se tiendra début janvier, il y aura de nouveau une très forte présence de la délégation française, des start-up innovantes, qui très certainement vont remporter beaucoup de prix.
GERARD LECLERC
Un mot de politique ! L'après Régionales, on a dit le soir des résultats qu'il fallait que le monde politique change, on parle de recomposition, de majorité d'idées, de pacte entre la majorité et l'opposition sur un certain nombre de questions, vous y croyez ?
AXELLE LEMAIRE
Que le monde politique doit changer, j'en suis absolument persuadée...
GERARD LECLERC
Comment, dans quel sens ?
AXELLE LEMAIRE
Que l'action publique de manière générale doit changer. Mais parce que je pense qu'il faut qu'on évolue vers une démocratie permanente, c'est-à-dire que nos concitoyens ne se satisfont plus de donner leur avis une fois tous les cinq ans, par exemple ils ont notamment envie d'être consultés, je crois que la consultation que j'ai opérée sur le projet de loi numérique c'est modestement une tentative voilà de renouveler les méthodes pour être plus connectés avec nos concitoyens, pour savoir ce qu'ils pensent et pour les écouter. Après je pense qu'il faut plus de renouvellement de la classe politique aussi et donc, pour cela ouvrir, les partis politiques - qui restent néanmoins incontournables dans l'organisation du débat politique – mais il faut plus s'appuyer sur la communauté citoyenne, sur les réseaux sociaux, sur des mouvements et des élans qui sont peut-être plus ponctuels mais qui ne sont pas moins importants.
GERARD LECLERC
Vous avez vécu longtemps à Londres, en Angleterre, alors un mot sur le brexit - donc la menace que le Royaume Uni quitte l'Union européenne - vous y croyez, vous le craignez ?
AXELLE LEMAIRE
Ca serait une catastrophe tant pour le Royaume Uni que pour l'Europe et la France qui est un…
GERARD LECLERC
Pourtant, les sondages pour l'instant disent qu'une majorité de Britanniques seraient en faveur du brexit ?
AXELLE LEMAIRE
Oui ! Les sondages sont très serrés effectivement, 50 – 51 % des Britanniques seraient favorables à une sortie de l'Europe. C'est très paradoxal parce que par exemple cette proportion a augmenté depuis les attentats de Paris alors même qu'on sait très bien que pour lutter contre le terrorisme et pour assurer une sécurité il faut une coopération très grande entre les Etats européens. Il y a beaucoup d'irrationnel dans tout ça et David CAMERON est dans une position très inconfortable, parce qu'en réalité il y a une pression.
GERARD LECLERC
Il a joué avec le feu un peu ?
AXELLE LEMAIRE
Oui ! Je crois, il y a une pression de son opinion publique qui est extraordinairement forte mais il se heurte quand même à Bruxelles à beaucoup de réticences exprimées par les autres Etats membres - notamment par Angela MERKEL et l'Allemagne – en particulier sur une disposition qui reviendrait à contredire la libre circulation des travailleurs parce qu'il voudrait imposer aux Européens qui arrivent au Royaume Uni de ne pas pouvoir bénéficier de prestations sociales pendant les quatre premières années, ça serait discriminatoire au regard du droit européen, imaginez qu'on fasse la même chose avec les Anglais qui arrivent en France.
GERARD LECLERC
Donc, ça ce n'est pas possible de leur accorder ça et il faudra quand même trouver un compromis ?
AXELLE LEMAIRE
Je crois qu'il faudra trouver un compromis, parce qu'il n'est dans l'intérêt de personne que le Royaume Uni sorte de l'Europe, ce compromis il faudrait en théorie qu'il soit trouvé en février au plus – puisque David CAMERON veut organiser un référendum à l'été prochain- ça va être compliqué pour lui.
GERARD LECLERC
Merci Axelle LEMAIRE, bonne journée, merci à nos amis de LCI, nous nous restons sur Radio classique avec le journal de Sophie PAOLINI.
INTERVENANTE
Merci Gérard LECLERC.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 décembre 2015