Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à France Inter le 1er mars 2016, sur le report de quinze jours de la présentation du projet de loi EL Khomri sur le travail.

Prononcé le 1er mars 2016

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Huit cent mille signatures au bas de la pétition, des syndicats vent-debout, des organisations lycéennes et étudiantes prêtes à manifester et Manuel VALLS qui lâche du lest sur la loi El Khomri en décalant de quinze jours son examen au Conseil des ministres. C'est un report ou c'est un enterrement ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ce n'est certainement pas un enterrement. C'est le moyen d'approfondir la discussion, de remettre un certain nombre de vérités sur la table et aussi évidemment d'améliorer le texte. Parce que, je le rappelle, nous n'avons même pas un texte qui est aujourd'hui en Conseil des ministres, nous avons un texte qui a été – vos auditeurs ne sont peut-être pas très au courant de ce type de procédure – mais au Conseil d'Etat, c'est-à-dire un texte un peu brut de décoffrage en quelque sorte. Aujourd'hui, il faut évidemment l'améliorer et prendre du temps pour en discuter avec les organisations syndicales notamment.
MARC FAUVELLE
Il y a eu des désinformations, comme l'a dit hier Manuel VALLS, sur ce texte ? Lesquelles ?
JEAN-MARIE LE GUEN
On a raconté plein de choses tout à fait inexactes. Qu'on allait supprimer le paiement des heures supplémentaires ; que les salariés seraient contournés systématiquement par la décision patronale sur l'organisation du temps de travail ; qu'on allait travailler soixante heures ; que les temps de repos ne seraient plus intégrés dans un certain nombre de processus de travail, et cætera, et cætera et cætera. D'ailleurs le texte était, j'allais dire, même pas connu que déjà à un certain nombre de gens se précipitaient pour le dénoncer.
MARC FAUVELLE
Y compris l'UNEF ? Y compris l'UNEF ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, je ne sais pas si l'UNEF se sent vraiment concernée. Je sais que l'UNEF appartient…
MARC FAUVELLE
Ils appellent à manifester quand même.
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, bien entendu. Mais on sait bien… Moi je fais la part des choses. Il y a d'un côté un certain nombre de Français, de salariés qui se posent des questions, qui veulent comprendre, qui parfois sont inquiets sur tel ou tel discours, autour de telle ou telle proposition. Et puis, vous l'avez vous-même constaté, il y a aussi à l'intérieur de la gauche une compétition - pour prendre un mot qui soit le plus loyal possible, ce qui n'est pas toujours le cas – mais donc une compétition qui est aujourd'hui lancée avec des problématiques de primaire, des problématiques quelque part de mettre à mal l'action de François HOLLANDE et de Manuel VALLS. Tout ça existe et donc, je crois que chacun lit parfaitement derrière l'agenda d'un certain nombre de personnalités ou d'organisations, une volonté de mener un combat politique. Mais ça, ce n'est pas notre problème.
MARC FAUVELLE
On va essayer de dire les choses clairement, Jean-Marie LE GUEN : il y a de la manipulation aujourd'hui de part des frondeurs qui cherchent à mettre la jeunesse dans la rue ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, il n'y a pas la moindre discussion, il n'y a pas la moindre orientation prise par le président de la République ou le Premier ministre qui ne soit, vous l'avez constaté, systématiquement contrecarrée par un certain nombre de parlementaires y compris appartenant effectivement à la gauche et même à mon propre parti.
MARC FAUVELLE
Avec qui derrière ? Il y a un Baron Noir qui est en train de manipuler l'opinion ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non ! Non, non. Les barons noirs, on en reparlera si vous voulez, mais oui, il y a des tentatives maladroites d'imiter ce que fut le Baron Noir. Donc au-delà de tout ça, on est dans un combat politique. A la limite, j'allais dire, il y a une forme de légitimité à ce combat politique, mais en même temps il y a aussi beaucoup de volonté de mener ce combat contre son camp, ce qui est évidemment très problématique pour la gauche. De l'autre côté, et c'est ça qui m'intéresse principalement, c'est ça qui intéresse le gouvernement, il y a des Français qui se posent un certain nombre de questions sur oui, ils pensent qu'il faut réformer le Code du travail, ils ont entendu parler des travaux de Robert BADINTER, de ce qu'il a apporté en termes de clarification. Il y a aussi, au-delà de ce qu'a proposé BADINTER, des propositions sur lesquelles on pourra revenir, si vous le souhaitez. Au-delà de tout ça, ils veulent savoir si au-delà de la flexibilité il y aura aussi de la sécurité. Nous voulons, nous, améliorer la sécurité dans le cadre d'une vie des entreprises qui sera effectivement plus flexible parce que c'est une nécessité pour l'emploi. Pour l'emploi. Et nous nous battons pour l'emploi.
MARC FAUVELLE
Jean-Marie LE GUEN, quinze jours de report de la loi El Khomri, pour quoi faire ? On négocie désormais avec les syndicats ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Pas « désormais ». Myriam EL KHOMRI, depuis des semaines…
MARC FAUVELLE
Si. Laurent BERGER ce matin encore, le patron de la CFDT, dit dans Le Parisien qu'il a appris l'existence de cette loi, en tout cas son contenu, en ouvrant le journal le matin.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non. Un certain nombre d'éléments du contenu peut-être.
MARC FAUVELLE
Est-ce que désormais le gouvernement négocie avec les syndicats ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais le gouvernement discute avec les organisations syndicales comme d'ailleurs…
MARC FAUVELLE
« Négocier » c'est un gros mot ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, pas du tout. Justement, je ne l'ai pas repris parce que je pense qu'il doit y avoir des échanges extrêmement intenses, il doit y avoir des points de convergence, et il y en a d'ores et déjà, parce qu'on parle de cette loi mais je voudrais dire que sur un certain nombre d'éléments fondamentaux, il y a déjà des points de convergence très importants. Le CPA, la fameuse Sécurité sociale professionnelle, qui doit pouvoir être améliorée, qui doit pouvoir y compris être évidemment toujours améliorée, l'idée que l'on va maintenant – et c'est une révolution considérable, avec laquelle tous les syndicats ne sont pas d'accord mais certains le sont, notamment la CFDT et les syndicats réformistes – c'est l'idée qu'on va discuter dans les entreprises avec la garantie d'avoir une majorité de salariés dans cette discussion plutôt que de continuer à avoir des protections qui sont des protections par la loi ou au plan interprofessionnel, qui sont en fait des protections qui sont plus des rigidités que des protections. Et donc, cette évolution est tout à fait essentielle. Et puis, il y a un certain nombre de dispositions sur lesquelles il faut qu'on avance pour donner des garanties. Ce que nous voulons, c'est être interpellés. Il y a même des dispositions par exemple qui ont une double lecture. Vous prenez la question du forfait jour dans les PME par exemple.
MARC FAUVELLE
Le patron pourra décider seul dans les entreprises de moins de cinquante salariés si l'on passe au forfait jour.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà. Tel que c'est aujourd'hui envisagé, on veut dire : dans les PME, on va faire un forfait jour. Pour certains salariés, le forfait jour c'est une garantie. Pour d'autres, c'est vrai que ça peut être relativement inquiétant parce que ça peut vouloir dire que c'est le patron qui, tout seul, organise le temps de travail.
MARC FAUVELLE
Sur ce point précis, on peut bouger le curseur ?
JEAN-MARIE LE GUEN
On va discuter pour donner des garanties, c'est absolument évident. Sur ce point ou sur d'autres parce qu'il ne faut pas qu'il y ait de mauvaises compréhensions. D'un côté, la même mesure peut être protectrice pour certains et inquiétantes pour d'autres. Trouvons les moyens que ceci devienne plus cohérent, plus efficace sur ce point-là et il y en a bien d'autres sur lesquels on peut discuter.
MARC FAUVELLE
On va en citer un autre si vous voulez bien, Jean-Marie LE GUEN, qui est cité comme une ligne rouge par Laurent BERGER encore une fois, à la CFDT. C'est ce qui concerne le licenciement abusif. La loi si elle est votée, en tout cas telle qu'on la connaît aujourd'hui, instaure un plafond maximum pour les indemnités aux prudhommes. Encore une fois, on parle de licenciement abusif, un plafond qui serait fixé à quinze mois de salaire. Là encore, est-ce qu'on peut bouger ou est-ce que c'est inscrit dans le marbre aujourd'hui ?
JEAN-MARIE LE GUEN
D'abord, c'est les licenciements abusifs mais qui ne concernent pas un certain nombre de…
MARC FAUVELLE
Avec des exceptions pour le harcèlement, pour les femmes enceintes, les salariés protégés.
JEAN-MARIE LE GUEN
Tout ce qui est les fautes graves, tout ce qui est la dignité de la personne, les discriminations, et caetera sont hors de ce champ.
MARC FAUVELLE
Mais aujourd'hui, un salarié qui serait viré de l'entreprise après quarante ans de maison ne toucherait que quinze mois.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà. Pourquoi avons-nous fait ça ? L'idée, c'est qu'il est meilleur pour les salariés et pour les entreprises, notamment les PME, d'avoir la prévisibilité j'allais dire des risques inhérents à des licenciements qui peuvent être, et c'est bien normal, contestés. Voilà. Donc une prévisibilité. Est-ce que le plafond tel qu'il est fixé aujourd'hui est satisfaisant ? Je ne le sais pas et j'imagine que ce sera discuté. Ce que je veux dire simplement, c'est qu'aujourd'hui les indemnités prudhommales, c'est un peu la loterie. Selon que vous êtes dans tel ou tel département, devant tel ou tel tribunal prudhommal en quelque sorte, vous allez être plutôt – comme salarié, vous allez être très bien traité, et dans d'autres vous allez être très mal traité. Ce que propose la loi, c'est d'harmoniser tout cela. Parce que moi, je connais des territoires…
MARC FAUVELLE
Ce que vous dites Jean-Marie LE GUEN, c'est un argument de la droite à l'époque dans un autre domaine, des peines planchers. En disant : sinon, chaque juge est trop libre de décider de ce qu'il peut faire.
JEAN-MARIE LE GUEN
Tout argument n'est pas forcément mauvais parce qu'il a été employé dans d'autres circonstances pour d'autres personnes. Le problème est de savoir si cet argument correspond à la réalité. Moi, j'ai entendu un certain nombre de parlementaires qui témoignaient sur cette question des prudhommales en disant : « Mon département, tout le monde sait que les prudhommales donnent beaucoup de droits aux salariés ». Moralité : les PME ne viennent pas, ou très peu, dans ce département. Donc, on voit bien que l'intérêt me semble-t-il des salariés, c'est une harmonisation. A quel niveau ? Dans quelles conditions ? Voilà qui peut être, à mon avis, discuté. Mais l'idée d'avoir une prévisibilité des indemnités prudhommales, c'est-à-dire des montants maximum des indemnités prudhommales dans les cas où il y a débat entre licenciement économique et licenciement individuel, cela me paraît légitime, intéressant en tout cas, à la fois pour le salarié et pour le patron de PME.
MARC FAUVELLE
Ça ne sent pas un peu le CPE cette affaire, Jean-Marie LE GUEN ? Vous ne sentez pas aujourd'hui monter comme le début d'un renoncement ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non. Là, soyons très clairs.
MARC FAUVELLE
Il se passerait quoi si la loi El Khomri finalement était retirée ?
JEAN-MARIE LE GUEN
D'abord, elle ne le sera pas.
MARC FAUVELLE
Vous en avez la certitude ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, parce que notre conviction est faite. Autant je veux bien convenir avec vous que certaines dispositions de cette loi ont pu apparaître un petit peu tardivement dans le débat, autant le travail qui est fait autour de tout ça, notamment ce qu'on appelé le rapport Badinter, puis ce qu'on a appelé le rapport Combrexelle, tout ça est un travail qui vient de loin. D'une conviction forte qu'il faut assouplir le fonctionnement de l'entreprise parce que nous sommes aujourd'hui non pas dans la France d'il y a vingt ans, nous avons des marchés économiques qui sont beaucoup plus chaotiques, plus ouverts au monde, mais un monde plus chaotique. Il faut donc être capable – et avec en plus un monde d'innovations technologiques qui amène sans arrêt à créer de nouveaux process de travail. Donc il faut être capable, pour enrichir en emplois la croissance, de faire en sorte que l'entreprise soit plus agile. Mais pour qu'elle soit plus agile, il faut aussi que les salariés soient respectés, et nous voulons faire en sorte que le dialogue social se fasse dans l'entreprise au maximum, avec des garanties – pas avec le contournement des organisations syndicales – avec les organisations syndicales dans l'entreprise pour faciliter l'adaptation de l'entreprise à son marché. C'est l'intérêt de tout le monde. Parce que ce que certains critiquent finalement, c'est de ne pas être dans le conservatisme social. Ce que nous voulons, nous, c'est qu'il y ait plus. Vous savez qu'aujourd'hui près de 90 %...
MARC FAUVELLE
Martine AUBRY, c'est le conservatisme social ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a une façon de regarder le social dans un rétroviseur, oui.
MARC FAUVELLE
C'est le XIXème siècle comme a dit Manuel VALLS. C'est sa formule : “Moi je suis dans le XXIème siècle mais les autres sont dans le XIXème C'est Germinal, Martine AUBRY, vraiment ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais non, bien sûr que non. Je dis simplement que ce que dit un certain nombre de gens à gauche, c'est qu'on ne peut rien changer. Il y a une vision purement pessimiste. Ils ne font d'ailleurs pas confiance aux Français et aux salariés. Ils ont une vision paternaliste des relations sociales. Il faut que ça soit la loi ou il faut que ce soient les syndicats au plan national qui protègent les salariés. Moi je crois au dialogue social. Je crois que les Français aujourd'hui ne sont plus justement ce prolétariat du XIXème siècle asservi. D'ailleurs, j'ai entendu des caricatures ces derniers jours sur les Français. Je crois que les Français peuvent prendre en main le dialogue social. Le niveau d'éducation, d'information, de normes, les garanties que nous donnons par ce projet de loi favorisera un dialogue social décentralisé.
MARC FAUVELLE
Vos questions à Jean-Marie LE GUEN au 01 45 24 7000 ou sur Twitter avec le hashtag #interactiv, c'est juste après la revue de presse.Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 mars 2016