Déclaration de M. François Bayrou, président de l'UDF et de Force démocrate, sur les propositions de l'UDF en faveur de la construction européenne notamment la réforme des institutions vers une plus grande démocratie, et sur l'Europe sociale, à l'Assemblée nationale le 3 mars 1999.

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Circonstance : Présentation par le Gouvernement du projet de loi de ratification du traité d'Amsterdam à l'Assemblée nationale le 3 mars 1999

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le ministre, Mes chers collègues,
Il fut un temps, pas si lointain, où il demeurait dans cette assemblée un suspens sur la ratification du Traité d'Amsterdam. Aujourd'hui, ce suspens est levé. C'est à une large majorité que l'Assemblée nationale votera le projet de loi de ratification, comme cela a été rendu possible par la modification constitutionnelle acquise le 18 janvier dernier à Versailles. Pourquoi ce texte sera-t-il adopté ? Pourquoi ce traité aussi pauvre, le plus mauvais selon Monsieur Vauzelle, le pire selon Monsieur Lang, sera-t-il aussi largement approuvé dans quelques heures ? D'abord parce que les deux majorités possibles de cette assemblée sont toutes deux, d'une manière ou d'une autre, largement engagées dans cette ratification. Le Traité est issu d'une disposition de l'article N du traité de Maastricht, préparé par une majorité de gauche sous l'autorité de Monsieur Mitterrand. Il a été négocié par le gouvernement d'Alain Juppé, sous l'autorité du Président de la République Jacques Chirac. Et c'est le conseil européen d'Amsterdam qui décida, au mois de juin 1997, d'en adopter le texte, associant au Président Chirac le nouveau gouvernement de Monsieur Jospin. C'est une illustration de plus, à mes yeux, de ce qu'il est vain de vouloir regarder la construction européenne avec les lunettes de notre seule politique intérieure. L'Europe n'est pas l'affaire d'un camp contre l'autre, ce n'est pas une affaire de droite contre gauche, c'est une grande affaire nationale, comme cela a été largement démontré lors du référendum sur le traité de Maastricht.
L'Europe est même la seule grande question politique qui a su nous obliger à dépasser nos frontières traditionnelles. Et il est bien que soit ainsi créée une solidarité, au travers du temps, entre les bâtisseurs d'Europe, à quelque camp qu'ils appartiennent, et quels que soient, par ailleurs, les désaccords qui peuvent les opposer. C'est comme cela que l'Europe s'est faite et c'est comme cela qu'elle devra continuer à se faire.
Ensuite, et surtout, parce qu'aucun d'entre les principaux responsables publics attachés ou ralliés à l'idée européenne n'a voulu prendre la responsabilité d'un coup d'arrêt au processus continu de construction de l'Europe. En analysant le texte du traité, d'accès toujours difficile pour le citoyen même averti, les experts parlementaires ou de la construction européenne ont noté les progrès. Ils les ont trouvé sur beaucoup de points dignes de considération. Ils les ont trouvé utiles.
L'UDF votera ce texte parce qu'au delà de son seul contenu, il participe, même modestement, à la seule grande aventure humaine pacifique de ce siècle.
· Le premier progrès de ce traité réside dans la communautarisation partielle du troisième pilier relatif à la sécurité et aux affaires intérieures. C'est l'efficacité et la cohérence qui justifient le transfert au premier pilier des politiques d'immigration, d'asile et de contrôles aux frontières. Il faudra, à notre sens, que cette évolution se poursuive en matière pénale et de coopération policière. Aujourd'hui la lutte contre la criminalité organisée relève de la compétence des Etats. Cette situation est absurde. Dès lors que le crime international ignore par définition les frontières, qui ne sont des handicaps que pour les polices, il faut que l'union européenne se dote des armes nécessaires à la lutte contre les mafias. C'est pourquoi nous souhaitons la transformation d'Europol en véritable police fédérale européenne, un FBI pour l'union.
· Plus symbolique, le titre spécifique sur l'emploi qui repose sur la coordination des politiques nationales. En progressant dans les domaines de la sécurité et de l'emploi, le traité d'Amsterdam a symbolisé la volonté des Etats membres de réorienter l'union vers les préoccupations quotidiennes des peuples.
La majorité des parlementaires a donc jugé qu'en vertu de ces progrès, il convenait de ratifier le traité. Ils ont surtout eu conscience de l'impact négatif sur l'opinion européenne du rejet d'un texte difficilement négocié et considéré comme une étape, une de plus, dans une longue marche. Si c'est la marche qui compte, on ne l'interrompt pas, même si l'on regarde une étape moins fructueuse qu'on ne l'aurait espéré.
Il fallait cependant un signe : le Président Valéry Giscard d'Estaing a proposé l'adjonction d'un article additionnel au projet de loi de ratification indiquant que l'élargissement ne pourrait être décidé que lorsque serait intervenue une étape supplémentaire et décisive de profonds changements institutionnels. La France avait officiellement manifesté cette volonté au moment de la négociation du protocole sur les institutions. Avec la Belgique et l'Italie, la délégation française a signé une déclaration regrettant que le traité d'Amsterdam n'aille pas plus loin sur la réforme institutionnelle. C'est pourquoi le gouvernement a opportunément repris l'idée de l'article additionnel proposé par le Président Giscard d'Estaing.
II est devenu un signe clair et contraignant de la volonté de la République française et de son insatisfaction. En tout cas, il importe qu'à l'occasion de ce débat, nous nous expliquions sur la vision de l'Europe qui nous porte. Et d'abord sur le moment que nous sommes en train de vivre. Pour beaucoup de Français, l'Europe est obscure.
C'est de notre faute. Nous avons fait de la construction de l'Europe un débat pour initiés. Nous l'avons fait par commodité. Les uns parce que cela les arrangeait que n'apparaisse par trop la contradiction entre des discours nationaux et une pratique communautaire. Les autres, parce qu'il était fort commode de disposer d'un bouc émissaire bruxellois toujours prêt à se laisser lier sur le bûcher du sacrifice, pourvu que les choses avancent. On pouvait ainsi être raisonnables à Bruxelles et démagogues à domicile sans grand inconvénient. C'est ainsi que ce sont parfois les mêmes qui ont exigé de Bruxelles des réglementations sur le fromage, pour que nos chefs d'uvre soient exportables, ou sur la chasse, pour une politique cohérente de l'environnement, et qui dénonçaient à grands cris sur nos tréteaux électoraux les décisions qu'ils avaient eux-mêmes appelées de leurs vux. Aucune politique n'aura, comme la politique européenne, donné libre au cours au double langage. Et puis, ne le nions pas, même les partisans de la construction européenne se sont accommodés pendant longtemps de ce clair-obscur. Ils redoutaient la rude simplification de l'opinion publique sur les sujets européens et s'inquiétaient que ne soit remise en cause la délicate horlogerie de la matière communautaire.
Mais le moment vient où il faut que nous sortions de l'ambiguïté sur la vision de l'avenir de l'Europe. Nous sommes nombreux à penser, en effet, que l'Europe ne peut pas rester au milieu du gué. Jamais nous n'avons été si proches de donner à l'Europe les armes de la puissance. Et pourtant, jamais nous n'avons été si près de la voir échouer, choisir le statu quo et se dissoudre dans le contraire de ce que nous voulions qu'elle fût.
Le statu quo est mortel pour l'idée que nous nous formons de l'avenir de l'Europe. Une monnaie unique, c'était une des deux conditions nécessaires à l'avènement de l'Europe. La deuxième condition, c'est l'union politique construite, comme le dit le Président Giscard d'Estaing reprenant le mot de Montesquieu, par une démarche fédérative, vision d'une vraie fédération en train de s'édifier. En France, on n'ose pas employer les adjectifs " fédéral " ou "fédératif", ni le mot " fédération ". Pourtant, ces mots ne sont pas vides, ils ouvrent sur des débats de vision, également estimables, mais qui présentent des options différentes pour l'avenir, et sur lesquelles le peuple français a le droit d'être informé et de faire entendre sa voix ?
Pour nous, la démarche est fédérale sur les sujets communautaires dès lors qu'une autorité commune, légitime puisque procédant de la démocratie, des peuples de l'Europe, se voit reconnaître un rôle de gardien de l'intérêt communautaire, c'est-à-dire de l'intérêt de tous, ce rôle qui permet de dépasser les divergences naturelles entre les intérêts contradictoires des Etats. L'Europe est déjà fédérale. C'est ainsi qu'est évidemment fédérale l'autorité de la banque centrale sur l'euro. C'est également ainsi qu'il manque un contrepoids politique à cette autorité fédérale. Mais dans les matières qui concernent notre avenir commun, cette autorité commune n'aura de véritable légitimité qu'à partir du moment où elle agira sous le contrôle des citoyens européens et où elle tirera d'eux sa légitimité. Mais pour que ce fédéralisme soit démocratique, il faut d'abord que les citoyens soient informés de la nature exacte des pouvoirs qui le gouvernent.
La règle de la démocratie, c'est un visage, un pouvoir, un contrôle. Les citoyens doivent connaître celui qui dirige, l'étendue des pouvoirs qu'il exerce, et pouvoir influer sur sa désignation, doit directement, soit par élus interposés. Les Français et les autres citoyens européens ne connaissent ni l'étendue des pouvoirs, ni les personnalités, ni les modes de désignation de ceux qui exercent en leur nom les pouvoirs européens. Voilà pourquoi l'époque des traités pour construire l'Europe devrait s'achever avec Amsterdam. Nous ne sommes plus des peuples étrangers les uns aux autres. Nous sommes membres de la même union. Nos destins sont désormais intimement mêlés. Les peuples doivent pouvoir connaître et comprendre les règles et les fonctions de notre vie commune. Voilà pourquoi il faut une constitution de l'Union Européenne, lisible par tous, commune à tous, simple pour le citoyen, une loi fondamentale qui fixe l'architecture de la maison commune, et non l'obscurité d'un traité, illisible, dans les strates successives où se perdent même les professeurs de droit. Les arcanes d'un traité, c'est bon pour les juristes. Une constitution, c'est la loi commune pour les citoyens et pour les peuples.
Pour nous, le traité d'Amsterdam doit être le dernier traité européen. Il est le dernier de l'époque où se construisait l'Europe des Etats, par les Etats, pour les Etats. Le temps est venu d'ajouter à l'Europe des Etats l'Europe des peuples, par les peuples et pour les peuples. Le traité est affaire de diplomates. Les citoyens ont besoin d'une Constitution. Une constitution, c'est aussi un moyen de fixer aux yeux des citoyens la notion trop lointaine de subsidiarité.
Notre temps requiert à la fois la proximité et la puissance. Il demande la proximité pour tout ce qui touche à la vie de tous les jours, à l'administration, au respect des traditions, des cultures, des langues. Et notre temps requiert que la puissance soit exercée en commun, pour la monnaie, pour les grands traits de la politique économique, industrielle, de recherche, pour peser sur la scène du monde, pour construire une défense forte, opérationnelle et respectée.
Le partage entre le domaine de la puissance fédérale et la proximité de la décision n'est ni clair ni construit.
· La constitution européenne, le jour où nous aurons la volonté de l'écrire, devra fixer les règles de la subsidiarité, de la décentralisation européenne, qui est, à nos yeux, la conséquence même de son avenir fédéral.
· Allons encore plus loin : nous avons droit à l'utopie, droit à la vision qui oriente une démarche, même si c'est une démarche de long terme. Le vote à la majorité qualifiée est indispensable. Une nouvelle pondération des voix en est la condition. Pourtant, cela ne suffira pas tant qu'il n'y aura pas, comme dans toute démocratie, des visages, des personnalités, procédant du suffrage, pour porter une politique et en répondre devant les opinions publiques. La présidence épisodique, à durée de six mois, à temps partiel, revenant tous les sept ans et demi tant que nous serons quinze, moins souvent encore si l'élargissement se réalise, ce n'est pas de la démocratie.
· Il faut une autorité européenne élue pour être la voix et le visage de l'Europe. Un fonctionnaire n'y suffira pas. On peut hésiter, c'est légitime, entre une présidence du conseil et une présidence de la commission. C'est un débat de long terme, dans lequel chaque solution trouve ses mérites. En tout état de cause, ce qu'il faut retenir, c'est que le Président de l'Union devra d'une manière ou d'une autre recevoir l'onction légitimante du pouvoir de suffrage.
La garantie de sa légitimité, la condition de sa responsabilité, c'est son élection par les représentants des peuples, par un congrès européen représentés à parité par le parlement européen et par les parlements nationaux, dans une première étape, et un jour peut-être, par les peuples eux-mêmes. Le préalable démocratique étant assuré, l'Europe pourra enfin devenir solidaire au sein de l'Union et puissante à l'extérieur.
· Nous avons besoin d'un modèle social européen. La diversité des pratiques et des habitudes, regroupées autour des modèles scandinave, latin et anglo-saxon, ne sauraient malgré tout gommer l'existence de préoccupations sociales communes à l'ensemble des Etats membres. C'est en Europe que l'on reconnaît des droits et des protections aux salariés. C'est en Europe que l'intermédiation syndicale est reconnue comme une des sources principales du droit du travail. C'est en Europe que la protection sociale assure à ses bénéficiaires une protection sans équivalent dans le monde. Au delà des différences, des divergences même qui peuvent exister entre ces trois modèles, c'est au fond une même conception de la personne que nous partageons. L'idée que la personne humaine n'est pas réductible aux seuls intérêts du marché ni aux seules contraintes de l'Etat.
· Partons de cette vision commune pour aller vers le mieux disant social communautaire. Comparons les mérites respectifs de nos systèmes de protection sociale ou de nos législations du travail. L'Europe devrait devenir ce formidable champ d'expérimentations que les cadres trop rigides des Etats interdisent toujours. La vocation fédérale de l'Union ouvre nécessairement la voie de la contractualisation, de l'expérimentation et de la souplesse. De ce point de vue, elle ne saurait perdurer sans, dans le même temps, s'accompagner d'une profonde décentralisation. Le principe de subsidiarité est un principe d'efficacité, c'est le pari du terrain et de la proximité. Parce que les collectivités locales sont aussi entreprenantes et imaginatives.
· A côté de l'Europe solidaire, l'Europe puissante dans le monde. Le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune, c'est une nécessité née d'un refus. Le refus de voir les seuls Etats-Unis assurer le rôle de gendarmes du monde, non pas selon les règles ou les intérêts du monde, mais selon les règles et les intérêts des seuls Etats-Unis. Nous ne pourrons longtemps, sans éprouver un certain dépit, quand ce n'est pas de l'agacement, laisser Madame Allbright venir régler les conflits régionaux qui se déroulent sur notre sol, celui du continent européen. Cette absence de l'Union peut être comprise sur la scène du monde, elle est inacceptable sur la scène européenne.
L'Europe ne pourra indéfiniment continuer à assumer, seule, le coût financier des décisions prises par d'autres. Inexistante du fait de l'orgueil des Etats à ne pouvoir se résoudre à leur statut de puissance moyenne, la politique étrangère et de sécurité européenne devra naître de ce même orgueil de ces mêmes Etats à vouloir peser à nouveau sur le destin du monde.
Cet effort est urgent. Je voudrais reprendre pour finir l'idée de cette urgence. L'Europe est au milieu du gué. Certains proposent qu'elle revienne sur la rive qu'elle a quittée, vers l'Europe des Etats. Je crois qu'ils se trompent, mais leur logique a son sens. D'autres se satisfont du chemin parcouru et se proposent de ne plus guère en bouger. Je crois qu'ils se trompent et qu'ils sous-estiment les dangers. Nous, nous croyons qu'il faut aller de l'avant et atteindre à l'autre rive, celle d'une Europe enfin créée, entendue, respectée et solidaire. Si nous manquions à cette obligation, alors nous verrions s'exprimer des forces, jusque là muselées, mais dont on voit la résurgence et qui finiraient par avoir raison du projet européen.
Ces forces de décomposition, j'en vois quatre : décomposition par l'absence de réforme de nos institutions ; dévoiement par une pratique budgétaire contraire à l'esprit européen ; dévoiement par le triomphe du modèle de concurrence sauvage, notamment sur le plan fiscal et social, entre les Etats ; dévoiement par un élargissement mal maîtrisé. Nos institutions ne supporteront pas longtemps le statu quo.
Le maquis institutionnel des droits de vote tels qu'ils sont et de la composition de la commission telle qu'elle est fait courir un risque de dérive très important. Je n'ai pas besoin d'y insister. La pratique budgétaire dans laquelle nous sommes entrés condamne l'Europe, et elle est à courte vue. La politique inaugurée par Mme Thatcher du " juste retour " par rapport aux contributions nationales devient maintenant une règle quasi-générale. " À chacun son chèque ! ", " tout ce que j'ai donné, il est normal que je le retrouve ! ", ce n'est pas une pratique communautaire, c'est la fin de la communauté et la fin des solidarités, notamment en direction des régions en crise, notamment en direction des agriculteurs européens. José-Maria Aznar a raison de le dire avec force. Et c'est une politique à courte vue. Naturellement, c'est le budget européen qui a payé l'essentiel du pont Vasco de Gama à Lisbonne. Mais ce sont des entreprises françaises qui l'ont réalisé. Nous ne sommes pas étrangers au rattrapage de solidarité des pays les moins avancés en niveau de vie de l'Europe. Au contraire, plus leur niveau de vie augmentera, plus nous serons à l'abri du dumping social qui déménage trop souvent nos entreprises et nos emplois. Cette politique empêche que l'Europe n'envisage avec lucidité la lutte contre les chocs régionaux, " asymétriques " comme disent les économistes, dont nous risquons tous, un jour ou l'autre, de faire les frais. La réunification de l'Allemagne, fut-ce un gain, ou une perte pour le reste de l'Europe ? Pour nous, ce fut un gain. La dénationalisation des contributions au budget européen s'imposera à tous, un jour ou l'autre, par transfert d'une ressource qui deviendra propre à l'union, sans augmenter la dépense publique, mais unifiée, sans que chacun puisse y trouver prétexte pour réclamer son chèque en retour.
L'Europe a besoin de prospérité, de créations de richesse, d'assouplissement. Mais elle a besoin aussi d'un modèle social qu'elle défende et qui s'oppose à tant de dérives que les citoyens ressentent : dérive de l'assistance qui marginalise et laisse sur le bord de la route des citoyens nombreux ; modèle social fondé sur le travail, sa reconnaissance et sa multiplication ; et dérive ultra-libérale d'arbitrages toujours rendus, aux yeux des citoyens de base, en faveur des forces financières et non pas en faveur de la solidarité, de l'insertion, du travail et de sa sauvegarde. Ce modèle social, cette troisième voie européenne, c'est le but et la justification de la construction européenne.
C'est parce que l'Europe est la seule puissance dont la dimension lui permet de dialoguer avec les marchés sans être soumis forcément, aveuglément et définitivement à leur arbitrage que nous avons voulu la construire. Ce qui se passe dans le monde du sport et notamment du football n'est qu'une illustration de ce que l'Europe devrait être si elle portait un modèle de société et ne voulait pas le laisser pervertir par la seule loi de l'argent. Enfin, il y a un risque immense si l'élargissement n'est pas maîtrisé. Je veux le dire clairement : l'élargissement aux pays victimes du communisme, ce n'est pas un sujet de discussion, c'est un dû des chanceux de l'histoire à leurs frères malchanceux. Ces pays n'ont pas été communistes parce qu'ils l'ont choisi, mais parce qu'un inique partage du monde les a abandonnés à la puissance soviétique. Ils ont des droits sur nous. Mais nous avons un devoir : que ce droit ne s'exerce pas dans des conditions qui ruinent définitivement la maison dans laquelle ils souhaitent entrer.
La réforme, ce n'est donc pas la condition de l'élargissement, c'est la condition de la survie de l'Europe à laquelle ces pays, nos frères, ont des droits égaux aux nôtres.
Car, mes chers collègues, et j'en aurai ainsi fini : si nous demeurons au milieu du gué, si nous ne faisons rien, alors le scénario du pire est probable. L'Europe, dotée d'une monnaie unique, mais privée des conditions qui permettent l'exercice d'une authentique volonté politique deviendra en quelques années ce que ses ennemis voulaient qu'elle soit : une zone de libre-échange, où se donneront libre cours les concurrences nationales. Cela va se jouer dans les mois qui viennent. Puisse la ratification du traité d'Amsterdam être retenue dans l'histoire comme le dernier des prolégomènes à la naissance de l'Europe unie, dotée de volonté et de raison, protectrice de la réalité nationale, défenseur d'un modèle de société qui rayonne au XXI° siècle et fasse du siècle qui vient le siècle de l'Europe !
(source http://www.udf.org, le 5 mars 1999)