Déclaration de Mme Estelle Grelier, secrétaire d'Etat aux collectivités locales, sur la gestion patrimoniale des collectivités locales, à l'Assemblée nationale le 28 avril 2016.

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Circonstance : Discussion générale de la proposition de loi visant à étendre aux collectivités territoriales le mécanisme de déclassement anticipé, à l'Assemblée nationale le 28 avril 2016

Texte intégral

Madame la Présidente,
Madame la Rapporteure,
Monsieur le Président de la commission des lois,
Mesdames et messieurs les Députés,
Vous examinez aujourd'hui, en première lecture, la proposition de loi, présentée par Mme la Députée Sophie ROHFRITSCH que je salue en tant qu'auteure et rapporteure du présent texte qui vise à étendre aux collectivités territoriales le mécanisme de déclassement anticipé, prévu à l'article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques (le fameux « CG3P » !).
Cette question est connue et revêt une importance non négligeable ; ce constat est, je crois, largement partagé sur les différents bancs de votre hémicycle. Elle a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs questions parlementaires, à l'Assemblée nationale comme au Sénat.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a souhaité travailler étroitement avec les parlementaires afin d'apporter la réponse la mieux appropriée à cette problématique, au-delà des clivages partisans.
Il s'agit en effet d'agir collectivement dans le sens de l'intérêt général, en permettant d'accorder de la souplesse dans la gestion des collectivités territoriales, lorsque celle-ci est nécessaire, tout en veillant à préserver leurs marges de manœuvre budgétaires.
C'est le sens du message que je souhaite vous adresser aujourd'hui : celui d'un Gouvernement ouvert aux améliorations nécessaires de la gestion publique locale et, dans le même temps – car ce n'est pas incompatible ! – protecteur des intérêts de nos collectivités.
Les personnes publiques ont progressivement pris conscience de la valeur économique de leurs biens. Elles se sont tout d'abord appliquées à mieux connaître la consistance de leur patrimoine ; cette démarche, qui relève du bon sens mais qui avait été longtemps négligée, est maintenant bien engagée.
La nécessité de valoriser les propriétés des personnes publiques s'impose en effet, parce que ces biens ont des besoins propres de rénovation, de reconstruction et de financement ou qu'ils peuvent servir de support à des activités économiques. La recherche de la rentabilité est devenue pour les collectivités publiques un besoin autant qu'une contrainte, mais elle suscite plusieurs interrogations : quels biens valoriser ? Comment les valoriser et jusqu'où ?
Valoriser économiquement les biens publics ne doit pas conduire à sacrifier d'autres exigences d'intérêt général, telles que la préservation de leur intégrité ou de leur valeur patrimoniale.
C'est donc dans ce contexte que vous posez la question de la vente des biens du domaine public des collectivités territoriales sans attendre que leur affectation à l'utilité publique ait pris fin.
Comme vous le savez, l'État bénéficie aujourd'hui de cette faculté. En effet, comme je l'ai indiqué en introduction, il existe dans le CG3P un dispositif dérogatoire permettant à l'État, à ses établissements publics et, depuis 2009, aux établissements publics de santé de déclasser des immeubles appartenant au domaine public et affectés à un service public avant même qu'ils ne soient matériellement désaffectés.
Ce déclassement par anticipation permet aux personnes publiques concernées, par la vente d'immeubles encore occupés, de financer par exemple la construction des immeubles dans lesquels les services intéressés pourront être transférés.
En revanche, les collectivités territoriales ne disposent pas de telles dérogations.
Vous le savez, la procédure normale de sortie d'un bien du domaine public nécessite un acte formel de déclassement postérieur ou simultané à la désaffectation de fait du bien concerné.
Les dispositions dérogatoires du CG3P s'appliquent donc dans des conditions restrictives. On ne saurait permettre, de manière générale, la vente d'un bien appartenant au domaine public sans aucune désaffectation, au risque de remettre en cause les principes fondamentaux protecteurs du domaine public. La désaffectation est, en effet, tout comme le déclassement, un attribut du droit de propriété des personnes publiques. C'est certainement ce qui explique que l'Etat a très peu utilisé cette procédure depuis son inscription dans le CG3P.
Cela étant, les règles de droit commun applicables en matière de domanialité publique n'interdisent pas une succession rapide dans le temps, voire une concomitance, entre la désaffectation d'un bien et son déclassement. Il est, en effet, possible pour l'organe délibérant d'une collectivité territoriale, dans la même délibération, à la fois de constater la désaffectation d'un bien et de le déclasser.
Mais peut être que cette réponse ne vous paraît pas suffisante. Car, il faut le reconnaître, et je le fais bien volontiers devant vous aujourd'hui avec mon expérience d'élue locale : certains exemples concrets peuvent illustrer la nécessité d'une harmonisation des règles en vigueur entre l'Etat et les collectivités locales.
Comme l'avait signalé le sénateur Henri Tandonnet dans l'une de ses questions parlementaires, un terrain sportif, par exemple, bien qu'appartenant à la collectivité territoriale est affecté à une utilité publique puisque sportive. Si la collectivité veut céder ce bien à un club, il n'a pas la possibilité de le faire sans démontrer que le bien n'est plus affecté au service sportif, il faudra donc arrêter les activités sur une période significative assez longue. Il est donc nécessaire d'appréhender, comme pour l'État, la notion de désaffectation et de supprimer la période pendant laquelle le bien est rendu inutilisable, bien souvent artificiellement. En effet, il y a actuellement beaucoup de difficultés à transférer des biens du domaine public au domaine privé pour poursuivre des activités qui pourraient être gérées par des acteurs privés, notamment associatifs.
Pour ces différentes raisons, il nous semble aujourd'hui que la solution proposée par la proposition de loi de Mme ROHFRITSCH apporte des éléments intéressants pour fluidifier la gestion patrimoniale des collectivités locales.
Comme l'a souligné le Député Dominique Bussereau lors de l'examen en commission, c'est un texte de simplification et de cohérence présenté par la rapporteure.
Pour autant, nous ne pouvons ignorer que le dispositif actuellement applicable à l'Etat pourrait mettre les collectivités territoriales en situation contractuellement difficile, notamment sur le plan financier, si par la suite elles ne parvenaient pas à libérer le bien qu'elles auraient vendu d'avance. A certaines périodes particulières du mandat, les collectivités pourraient être soumises à la tentation d'un système qui leur permettrait d'encaisser le produit de la vente immédiatement pour un bien à céder plus tard. Même si je partage entièrement le constat fait par le Député Olivier Dussopt lors du débat en commission : les collectivités territoriales sont des personnes publiques majeures.
Un équilibre doit donc être trouvé : si la solution proposée initialement par la proposition va dans le bons sens, il est nécessaire de l'encadrer pour protéger potentiellement les collectivités qui pourraient se mettre en difficultés budgétaires dans le cadre de ce dispositif.
Votre commission, à l'initiative de sa rapporteure, a déjà travaillé en ce sens, en adoptant, à l'unanimité, un amendement qui précise que l'acte de vente devra prévoir les conditions de sa résolution afin d'évacuer le risque financier. Il prévoit en outre que les groupements de collectivités territoriales seront éligibles à cette procédure dérogatoire. Enfin, la délibération devra être prise en amont de façon à détailler l'opération et à la rendre tout à fait publique pour éviter que des collectivités ne se livrent à des opérations malvenues.
C'est une avancée que le Gouvernement salue. Cependant, comme l'a souligné votre collègue Alain Tourret, lors de l'examen en commission, cela ne règle pas tous les problèmes, notamment en ce qui concerne les indemnisations susceptibles d'être réclamées du fait de l'annulation de la vente.
Des amendements ont été déposés en vue de cette séance publique, notamment par votre collègue Hugues Fourage ; ils prévoient, d'une part, une présentation lors de la séance d'une étude d'impact pluriannuelle présentant l'aléa à l'assemblée délibérante et, d'autre part, le principe d'une provision obligatoire pour les communes mais uniquement pour le montant correspondant aux pénalités fixées par l'acte de vente en cas de résolution de cette dernière.
Ces amendements répondent aux préoccupations que nous avons exprimées, il y a un instant, pour sécuriser juridiquement la démarche de déclassement.
Ils permettent de trouver un point d'équilibre dans notre discussion.
Par conséquent, sous réserve de leur adoption, le Gouvernement sera favorable au vote de cette proposition de loi.
Je vous remercie.Source http://www.estellegrelier.eu, le 3 mai 2016