Texte intégral
FABIENNE SINTES
Jean-Jacques URVOAS, garde des Sceaux, donc avec nous ce matin sur France info avec Yaël GOOSZ et Guy BIRENBAUIM.
YAËL GOOSZ
Bonjour Jean-Jacques URVOAS.
JEAN-JACQUES URVOAS
Bonjour.
YAËL GOOSZ
« Nous allons faire de l'Euro un cimetière » c'est le message vidéo de Larossi ABBALLA juste avant d'être abattu par le RAID, trois ans auparavant Fabienne le disait il faisait de la prison, question très simple : comment il a pu échapper à la vigilance de la justice et des services de renseignement ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Il n'y a que l'enquête qui peut le dire ! L'une des difficultés dans une situation pareille d'ailleurs c'est de vouloir aller plus vite que l'enquête et même si vous me le permettez, puisque je suis sur une radio d'informations, le fait de diffuser comme c'était le cas hier des noms, des faits, ce sont des éléments de perturbation pour les enquêtes.
YAËL GOOSZ
Pas ici !
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, non, je le dis parce que je sais que vous êtes écoutés et que cela sera répété, il faut le dire, les enquêteurs dans des moments de situation pareille ont besoin de sérénité et l'agitation qu'il y a autour, l'espèce de course à donner une information, est un élément de perturbation. Donc pour savoir ce qui s'est passé, pourquoi cet individu - qui était parfaitement repéré, identifié
YAËL GOOSZ
Fiché S
JEAN-JACQUES URVOAS
Fiché
YAËL GOOSZ
Placé sur écoute depuis février
JEAN-JACQUES URVOAS
Absolument ! Parce que ce serait-il passé si cela n'avait pas été le cas, on nous aurait dit : « mais justement il y a des failles dans le dispositif, il y a des trous dans la raquette selon l'expression consacrée », nous avons là un individu au contraire qui a été placé sous surveillance, qui a d'ailleurs parfaitement respecté les obligations que les juges lui avaient fixées puisque pendant deux ans après sa sortie de prison il a bénéficié de ce qu'on appelle un sursis avec mise à l'épreuve, c'est-à-dire qu'on lui avait mis des contraintes, des obligations particulières, des obligations générales, il a satisfait à toutes ses obligations, il a été vu tous les mois par un personnel d'un service d'insertion et de probation et, au bout des deux ans de mise à l'épreuve, très légitimement la surveillance, en tout cas les contraintes qui lui avaient été posées ont été levées. Par la suite il a été suivi par les services, puis, comme le dossier a été à nouveau pris en main par un juge d'instruction, il a été placé sous surveillance judiciaire et j'ai entendu comme vous hier le procureur de Paris nous dire que les écoutes n'avaient pas annoncé de fait de passage à l'acte.
FABIENNE SINTES
Donc ça veut dire qu'eux aussi savent passer au travers des mailles du filet et savent comment les choses fonctionnent, il avait trois portables par exemple, on n'en écoute qu'un à la fois évidemment
JEAN-JACQUES URVOAS
Non ! Parce que
FABIENNE SINTES
Sa petite-amie elle-même nous a dit : « moi je n'ai rien vu du tout, moi non plus », ils sont capables de dissimuler des choses que quand même nous des fois on ne peut pas voir ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ne me demandez pas de commenter quelque chose qui relève de l'enquête, je veux simplement vous dire que dans le cas d'espèce quand un individu est placé sous surveillance c'est la totalité de ses portables qui sont placés sous surveillance, il y a une demande d'interception, mais s'il a 10 téléphones les 10 téléphones sont écoutés et donc moi, je ne peux prendre aujourd'hui pour fait acquis que ce qu'en a dit le procureur hier, c'est-à-dire qu'effectivement cet individu devenu un monstre à l'instant où il tue auparavant n'avait pas annoncé de signe de préparation.
YAËL GOOSZ
Mais il y a eu son procès en 2013 et, là, on a découvert un homme un peu bizarre, un peu mystérieux, qui laissait des textes sur une messagerie : « Il faut commencer le taf, écrivait-il, j'ai soif de sang » et il s'entrainait à égorger des lapins dans des forêts de la région parisienne avec d'autres islamistes ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui. Encore une fois, je suis très mal à l'aise de commenter quelque chose puisque ce sont tous des éléments qui relèvent de l'enquête. Qu'est-ce que cela nous dit ? Cela nous dit que nous avons une incrimination sous laquelle il a été poursuivi qui est association de malfaiteur à but terroriste, que cette incrimination est une incrimination qui est tout à fait utile puisqu'elle offre u spectre large, c'est-à-dire que vous pouvez dedans y placer des individus dont vous craignez ou qui sont déjà passés à l'acte et puis ceux dont nous pensons qu'il y a des risques, pardon les juges pensent qu'il ya des risques, c'est d'ailleurs pour ça qu'il avait été condamné à peu, il aurait pu être condamné avec la même incrimination à 20 ans, il a été condamné à trois ans, parce qu'en France - et je crois que vraiment il faut s'y tenir dans des moments pareils nous ne jugeons pas les intentions, nous jugeons les faits, parce que si c'est une intention ça ne se démontre pas, un fait ça se condamne
YAËL GOOSZ
Mais, Monsieur le Ministre, vous nous avons montré point par point très précisément qu'il a respecté toutes ses obligations, est-ce que ça ne veut pas dire que ces obligations sont insuffisantes ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Ecoutez, franchement, je ne le sais pas et vous avez raison de poser la question comme ça, parce que quand il nous arrive un tel drame le devoir de la puissance publique est de s'assurer que nous avons les outils pour y répondre. Je viens de porter une loi devant l'Assemblée nationale et le Sénat, qui a d'ailleurs été votée de manière écrasamment majoritaire - il y a quelques parlementaires dans l'une des deux chambres
YAËL GOOSZ
La neuvième loi antiterroriste depuis 2012 !
JEAN-JACQUES URVOAS
Celle-là n'était pas que antiterroriste, d'ailleurs toutes les 9 ne sont pas que antiterroristes, ce sont toutes des lois qui donnent des outils pour lutter ; j'ai par ailleurs été rapporteur de la loi sur le Renseignement, j'ai toujours contesté le fait que ce soit une loi antiterroriste, une loi qui donnait des moyens d'encadrement des pratiques des services. Mais c'est vrai qu'il y avait-là dans la loi qui a été promulguée le 3 juin, donc c'est très récent, il y a des nouveaux moyens - parce que nous avions justement diagnostiqué dans le passé qu'il y avait des éléments, notamment de surveillance, qui manquaient - nous avions paradoxalement, pardon d'être aussi technique, mais les services de renseignement avaient des moyens de surveillance que n'avait pas la police judiciaire, donc il fallait remettre la police judiciaire à des moyens supplémentaires. Nous avons par exemple ainsi permis les perquisitions de nuit, ce qui n'était pas possible, ou nous avons permis la captation des données informatiques, dans la perquisition qui a eu lieu au domicile de cet individu hier des ordinateurs ont pu être récupérés, des données ont été captées et elles seront analysées, avant cette loi ce n'était pas possible.
YAËL GOOSZ
Mais trop tard ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais trop tard ! Le droit va toujours moins vite que le drame et donc il faut justement agir avec constance et détermination, nous avons maintenant des moyens que nous n'avions pas hier.
GUY BIRENBAUM
Autant dire que l'union nationale est un voeu pieu, la droite et le FN vous demandent des comptes, Eric CIOTTI le Monsieur Sécurité des Républicains vous interpelle ce matin.
ERIC CIOTTI, MONSIEUR SECURITE DES REPUBLICAINS
Jean-Jacques URVOAS pourquoi nous sommes passés d'un état d'urgence réel à un état d'urgence alibi, virtuel, fictif, je vous demande aujourd'hui de rétablir les conditions d'un véritable état d'urgence et je vous demande si vous allez prolonger au-delà du 26 juillet cet état d'urgence ?
YAËL GOOSZ
Réponse !
JEAN-JACQUES URVOAS
Je ne considère pas que la vie politique soit une rixe entre des capitaines Fracasse, je connais bien Eric CIOTTI, il a voté les textes que nous avons présentés, ce genre de déclarations musclées qui ont vocation juste à être en résonance avec un drame ne me paraissent pas être à la hauteur de la responsabilité que nous avons, moi je veux agir et je crois que le gouvernement le démontre avec sang-froid. Dans cette affaire, de quoi parlons-nous ? Est-ce qu'il y a eu des failles sur le dispositif ? Le juge nous le dira, enfin pardon les magistrats enquêteurs nous le dirons, à ce stade personne ne peut le dire. Qu'est-ce que c'est que cette histoire d'avoir réduit l'état d'urgence ? Mais l'état d'urgence ce n'était pas une décision du gouvernement, c'est un débat avec le Parlement, il y a encore quelques semaines beaucoup de voix s'élevaient pur nous dire : « nous n'avons plus besoin de l'état d'urgence », le gouvernement considère que l'état d'urgence est une situation exceptionnelle, depuis qu'il est proclamé nous en avons utilisé massivement les possibilités au début, quand il y avait un effet de surprise, mais un état d'urgence avec des capacités de surprise parce que c'était le but six mois après, très honnêtement le ministre de l'Intérieur avait jugé que ce n'était pas utile.
GUY BIRENBAUM
Au-delà du 26 juillet, on continue ou pas ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais le gouvernement a dit que c'était à la fin de l'Euro que l'état d'urgence devrait être terminé, donc sauf si mais ce n'est jamais une situation figée.
GUY BIRENBAUM
A la fin du Tour de France !
JEAN-JACQUES URVOAS
Du Tour de France, pardon, excusez-moi. Sauf si, et ce n'est pas une situation figée, on arrivait à voir que des menaces pesant sur le pays nécessitaient de faire appel à la totalité de l'arsenal
GUY BIRENBAUM
Mais elles sont là les menaces ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais non ! Non, non, les menaces elles sont en permanence. Simplement nous devons vous avez eu un drame, un drame dont nous disons justement qu'il a besoin d'être diagnostiqué avant de prendre des mesures générales. Vous savez le sang-froid, c'est quoi ? Le sang-froid c'est agir avec une double boussole, la préservation des libertés individuelles, la protection de l'ordre public, parce que vous ne pouvez pas ou alors c'est une demande que je n'ai pas entendu même dans la bouche d'Eric CIOTTI qui pourtant n'est pas en général refroidissant quand il s'agit d'avoir des déclarations musclées personne ne demande de mettre un état policier dans ce pays, donc nous devons garantir les libertés individuelles.
GUY BIRENBAUM
Mais le président de la République a dit hier que la vigilance contre le terrorisme est portée à son niveau maximal, pardon je croyais qu'elle y était moi ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'était un rappel, ce n'était pas une information, c'était une constance.
YAËL GOOSZ
Il a parlé de moyens supplémentaires ?
GUY BIRENBAUM
Il est déjà au maximum !
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais les moyens supplémentaires cest la capacité de mobiliser des personnels, par exemple dans l'armée ou dans la police et dans la gendarmerie qui sans doute, je ne connais pas les mesures, mais vous êtes dans une stratégie de prévention, le but de la dissuasion c'est justement de ne pas mettre sur la table tout ce que nous faisons, parce que sinon
YAËL GOOSZ
Mais Guy a raison, on n'a pas compris. Manuel VALLS vous dit hier à l'Assemblée : « on ne va pas adopter chaque fois une nouvelle mesure »
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non.
YAËL GOOSZ
François HOLLANDE dit : « des moyens supplémentaires seront déployés ».
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais des moyens supplémentaires ça peut être des moyens humains, ça peut être des moyens techniques, le fait que la loi ait été promulguée le 3 juin va permettre aux services d'utiliser des moyens dont ils ne disposaient pas hier, quand vous êtes quand même en capacité de sonorisation de lieu ce que vous n'aviez pas hier ce sont des moyens supplémentaires, mais ce ne sont pas des décisions supplémentaires.
GUY BIRENBAUM
Rapidement ! La droite revient à la charge sur les centres de rétention pour fichés S, on en parlait déjà après le Bataclan, est-ce que vous allez donner suite ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non je n'y donnerai pas suite, parce que là aussi le président de la République, c'était au Congrès il y a maintenant plusieurs mois, avait annoncé que nous étudierions toutes les propositions qui avaient été faites sur le cas d'espèce, nous avons saisi le Conseil d'Etat c'était au mois de décembre et nous lui avons demandé : « est-ce que cela est possible dans le droit français existant ? », la réponse du Conseil d'Etat, consultable par n'importe quel internaute, la décision est du 17 décembre, le Conseil d'Etat nous dit : « c'est possible, sauf s'il faut changer la Constitution ». Parce que dans notre pays, quand on prive quelqu'un de liberté, quand on prive quelqu'un de liberté c'est une décision d'un juge, un juge
GUY BIRENBAUM
Et on ne la changera pas !
JEAN-JACQUES URVOAS
Et on ne veut pas changer la loi parce que le juge il se prononce sur les faits et pas sur les intentions.
YAËL GOOSZ
Dans le témoignage très intéressant de l'ex petite-amie du terroriste on l'entend dire qu'il a eu la tête retournée en prison, une fois de plus on a l'impression que la déradicalisation c'est quelque chose qui ne fonctionne pas dans notre pays.
JEAN-JACQUES URVOAS
Le jugement me parait un peu rapide ! La déradicalisation c'est un mot, ce n'est pas une réalité. Je pars par exemple au Canada après-demain pour aller voir ce que font les Canadiens, qui depuis plusieurs temps sont en avance sur nous, nous aujourd'hui nous essayons de bâtir des process, c'est-à-dire nous essayons de construire des solutions - nous avons des expériences qui sont engagées depuis maintenant quatre ou cinq mois - c'est bien trop tôt pour avoir du recul, le Premier ministre a annoncé des centres de déradicalisation mais il s'agit maintenant de leur donner du contenu, nous y réfléchissons tous les jours. Moi j'ai pris la responsabilité de la Chancellerie, nous allons faire des propositions en matière de déradicalisation pour les personnes placées sous les mains de la justice, nous ne le ferons et je viendrais le faire devant vos micros si vous m'y invitez quand nous serons capables d'être précis, justement parce que nous touchons à des choses nouvelles
GUY BIRENBAUM
Quand est-ce que ce sera cette précision ?
JEAN-JACQUES URVOAS
C'est en 2016, c'était en 2016. Mais vous savez c'est un besoin qui est apparu de manière extrêmement rapide, mais la réponse doit être réfléchie, rien ne serait pire que l'improvisation.
YAËL GOOSZ
Rapidement ! Les policiers qui pourront rester armés en dehors de leurs heures de service, annonce de Bernard CAZENEUVE hier soir, est-ce que ça dérange le garde des Sceaux ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Non ! Non, parce que les magistrats ont l'habitude de travailler avec la police, elle travaille même sous leur responsabilité quand il s'agit d'instructions qui sont lancées, c'est une mesure dont chacun comprend la dimension de protection, je crois même que si Bernard CAZENEUVE ne l'avait pas annoncé on le lui aurait reproché.
YAËL GOOSZ
Et, comme si ça ne suffisait pas, il y a des matches à risque pendant l'Euro avec les hooligans Russes, Britanniques et les casseurs hier qui se sont infiltrés à nouveau dans les manifs contre la loi Travail, donc on manifeste, on continue à manifester en état d'urgence ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Oui et heureusement d'ailleurs, le pire serait que le gouvernement prenne une décision d'interdiction d'une manifestation organisée par la CGT et, là, je suis certain que nous aurions un concert
GUY BIRENBAUM
Et même si les casseurs s'invitent à chaque fois ?
JEAN-JACQUES URVOAS
Les casseurs s'invitent à chaque fois et c'est une responsabilité qui pèse sur la justice de la sanction, j'ai signé il y a maintenant une semaine une circulaire politique pénale adressée aux procureurs généraux leur demandant une sanction implacable. Mais vous savez le temps de la justice n'est pas le temps de l'immédiateté, il y a un mois
YAËL GOOSZ
Là l'immédiateté c'est l'hôpital Necker abîmé, c'est des vitrines cassées
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais monsieur, d'accord, mais il y a un mois nous parlions tous de cette image, de cette voiture de police incendiée c'était il y a un mois, c'était le 18 mai tout le monde se disait : « ce policier, qui s'appelle Kevin PHILIPPI (phon) ; a été remarquable, il incarnait le sang-froid » et il y avait des interpellations qui avaient été faites et on avait eu une décision d'un juge de la liberté de les libérer et on avait eu une contestation, mais depuis on a oublié - sauf que depuis la justice continue à travailler - et hier une sixième personne ans cette affaire, un sixième suspect, a été mis en examen et a été placé en détention, c'est le quatrième personnage sur cette affaire, don on n'en parle plus, mais la justice travaille parce que son travail à elle c'est de prononcer la sanction individualisée au regard de la faute commise. Les fautes seront sanctionnées !
YAËL GOOSZ
Je pense que nos auditeurs ce matin ne comprennent pas comment c'est possible que des gens masqués, cagoulés, puissent tout péter et qu'on ne les arrête pas.
JEAN-JACQUES URVOAS
Mais on les arrête, on les arrête, depuis le début
YAËL GOOSZ
Non, ils reviennent toujours dans le même monde.
JEAN-JACQUES URVOAS
Non, non, enfin sauf à se baser sur des impressions, moi je ne vous parle que de chiffres, depuis le début des manifestations contre la loi Travail il y a eu 662 procédures judiciaires qui ont été engagées et qui concernent 753 personnes et 250 d'entre eux sont aujourd'hui incarcérées, ceux-là ils n'étaient pas devant l'hôpital Necker hier et donc demain, ceux qui ont fait l'hôpital Necker hier, seront incarcérés, parce qu'une fois que l'émotion est passée la justice elle continue.
FABIENNE SINTES
Merci beaucoup Jean-Jacques URVOAS, en direct sur France info ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 juin 2016