Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la stratégie de l'Union européenne à la suite des attentats du 11 septembre, les mesures de protection civile prises au niveau de l'UE, l'Europe face au ralentissement économique international, le débat sur l'avenir de l'Europe, la mise en place d'une convention sur l'avenir des institutions européennes et la poursuite du processus d'élargissement de l'UE, au Sénat le 24 octobre 2001.

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Circonstance : Audition de M. Moscovici devant la délégation pour l'Union européenne du Sénat le 24 octobre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je souhaiterais, tout d'abord, vous redire tout le plaisir que j'ai à être parmi vous, aujourd'hui, dans le cadre de ces rendez-vous réguliers qui nous permettent de faire le point des principaux dossiers européens, notamment après chaque réunion des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union.
Notre rencontre intervient, cependant, dans un monde qui n'est plus tout à fait identique à celui que nous connaissions, en juin dernier, lorsque nous avions évoqué, en session conjointe avec la Commission des Affaires étrangères et des Forces armées de votre Haute Assemblée, les résultats de Göteborg. Les attentats de New York et de Washington ont, en effet, profondément et sans doute durablement affecté la donne internationale.
Dans ce nouveau contexte, où la lutte contre le terrorisme mobilise toutes les énergies, la tentation existe de reléguer les enjeux de la construction européenne au second plan. Y céder serait commettre, j'en suis intimement persuadé, une profonde erreur. Bien au contraire, face au défi global du terrorisme, qui menace la stabilité et la prospérité mondiales, le besoin d'une Europe forte n'a jamais été aussi grand.
C'est avec l'ambition de construire cette Europe que la France a participé, le 19 octobre, au Conseil européen de Gand. Il s'agissait d'une session informelle, où seuls les chefs d'Etat et de gouvernement étaient conviés, à l'exception de Louis Michel, le ministre belge des Affaires étrangères, en sa qualité de président du Conseil Affaires générales.
Au préalable, le président de la République et le Premier ministre avaient retrouvé, dans une réunion à trois, Gerhard Schröder et Tony Blair, pour évoquer nos contributions respectives aux opérations militaires engagées, en Afghanistan, par les Etats Unis. Afin de clore une polémique, qui relève avant tout du procès d'intention, mais qui a, hélas, mobilisé l'attention des médias, je m'appuierai sur la réaction d'Antonio Guterres, qui n'y a rien trouvé à redire et qui a rappelé, avec beaucoup de bon sens, que seul compte, dans un Conseil européen, ce qui est décidé à Quinze.
1/ Dans la continuité de leurs décisions du 21 septembre, les chefs d'Etat et de gouvernement ont précisé, à Gand, la stratégie de l'Union pour faire face à la nouvelle donne internationale.
Plus que tout autre acteur, l'Union européenne est en effet capable d'affronter, de manière globale, les suites de la tragédie du 11 septembre et d'apporter une contribution résolue à la lutte contre le terrorisme, ainsi qu'en témoignent le plan d'action examiné par le Conseil européen de Gand et les trois déclarations qu'il a adoptées.
a/ Cette stratégie se déploie, tout d'abord, sur le terrain militaire, politique et diplomatique.
Elle s'inscrit naturellement dans la solidarité totale qui nous unit aux Etats Unis, et qui s'explique par l'atteinte portée, le 11 septembre, aux valeurs qui fondent nos sociétés démocratiques et donc aussi la construction européenne. C'est en toute logique que cette solidarité sans réserve a été rappelée à Gand et que le plein appui aux opérations militaires légitimes, engagées depuis le 7 octobre, a été renouvelé. Chaque Etat membre conserve, naturellement, toute latitude pour déterminer la nature de sa contribution, en fonction des demandes que leur adressent les Américains.
L'objectif consiste bien à éliminer l'organisation terroriste Al Qaïda et le système qui l'a fait prospérer et dont nous connaissons aujourd'hui les liens étroits avec les Taleban, qui protègent encore Ousama Ben Laden et ses lieutenants. Aucune guerre n'est engagée contre l'Afghanistan ou contre le peuple afghan. Bien au contraire, l'Union reconnaît le droit de ce pays, si durement éprouvé, à la paix, à la démocratie et à la prospérité. Et, c'est dans cette perspective que le Conseil européen a souligné la nécessité de favoriser l'émergence d'un gouvernement stable, légitime et représentatif de l'ensemble de la population afghane. A l'évidence, un tel gouvernement n'est pas le régime de répression et de terreur qui règne encore sur Kaboul.
L'Union européenne est déterminée à contribuer à l'ouverture d'une perspective politique pour l'Afghanistan, sur la base notamment des propositions présentées par la France. Parallèlement, elle se montre solidaire des populations, en mobilisant une aide humanitaire, qui a déjà dépassé plus de 300 millions d'euros, et qui évoluera, le moment venu, vers un appui à la reconstruction. La stabilité de toute la région doit aussi être confortée. Ce défi offre une opportunité pour l'Union de faire interagir, de manière cohérente, tous les instruments dont elle dispose, au titre de sa Politique étrangère et de sécurité commune, de sa coopération au développement ou de sa politique commerciale.
Au-delà de l'Afghanistan et de son pourtour, l'action déterminée de l'Europe en faveur de la paix et de la justice dans le monde n'a jamais été aussi nécessaire. Même si, comme l'a dit le Premier ministre, aucun désordre du monde ne saurait expliquer le terrorisme, la relance du processus de paix au Proche-Orient revêt une importance cruciale. Il convient, à cet égard, de rendre hommage aux efforts de Javier Solana et de la présidence, dont le Conseil européen a souhaité la poursuite. Plus généralement, les chefs d'Etat et de gouvernement ont mis l'accent sur l'urgence qui s'attache à la promotion d'un ordre mondial plus équitable, à l'appui au développement des pays pauvres et au dialogue entre les cultures, aussi bien à l'échelle de la planète qu'au sein de nos sociétés.
b/ Deuxième volet de son action, depuis le 11 septembre, l'Union européenne et ses Etats membres font tout pour garantir la sécurité de leurs citoyens.
A cette fin, une impulsion décisive a été donnée, lors de la session extraordinaire du Conseil européen du 21 septembre, à la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, à l'échelle de l'Union. A Gand, les chefs d'Etat et de gouvernement ont maintenu le cap avec fermeté, en réaction aux difficultés enregistrées dans l'examen concret de certaines des mesures envisagées.
Je songe, en particulier, à l'adoption d'un mandat d'arrêt européen, qui simplifiera considérablement les procédures complexes d'extradition et dont les modalités devront être définitivement arrêtées par le Conseil des ministres de la Justice et des Affaires intérieures, les 6 et 7 décembre prochain. Alors que des obstacles techniques ont été mis en avant par certains de nos partenaires, a été réaffirmée, à Gand, la détermination à mettre en place une procédure de remise directe, sans double incrimination, pour un large éventail de faits, allant au-delà du terrorisme. Sur une mesure aussi importante, il conviendra de veiller à ce que la volonté politique l'emporte sur l'inertie bureaucratique.
C'est ainsi qu'il sera également possible de parvenir, comme prévu, à une définition commune des incriminations terroristes, au gel des avoirs, au renforcement de la coopération entre tous les services concernés par la lutte contre le terrorisme et au combat contre son financement. Tous ces objectifs ont été rappelés par les chefs d'Etat et de gouvernement. Sur l'ensemble de ces sujets, la France est particulièrement en pointe, comme en témoigne la diligence avec laquelle le gouvernement a soumis à l'autorisation du Parlement la ratification de la Convention des Nations unies contre le financement du terrorisme, que j'ai eu l'honneur de présenter, le 11 octobre dernier, devant le Sénat - qui l'a adoptée à l'unanimité -, et qui doit être prochainement examinée par l'Assemblée nationale.
En outre, dans un effort indispensable pour s'adapter à l'évolution de la menace et dans le même esprit que le plan Biotox annoncé il y a deux semaines par Lionel Jospin, la France a souhaité que l'Union prenne l'initiative pour prévenir et aider à traiter les risques d'agression chimiques et biologiques. En conséquence, il a été décidé de préparer un programme visant à améliorer la coopération entre les Etats membres en la matière. Un coordinateur européen pour des actions de protection civile devra également être désigné.
c/ Enfin, troisième et dernier volet de sa stratégie, l'Union est attentive à l'impact de la situation internationale sur l'économie européenne.
Sur la base d'un rapport de la Commission, les chefs d'Etat et de gouvernement ont procédé à une évaluation d'autant plus nécessaire, que prévalait, avant le 11 septembre, une conjoncture peu favorable aux Etats Unis et au Japon. Comme l'a dit le Premier ministre, à Gand, il convient d'en retenir un message de prudence et de confiance :
- prudence, parce que l'économie européenne est incontestablement affectée par le choc des attentats et le ralentissement de l'économie américaine qui en découle ;
- confiance, parce que la solidité des données économiques fondamentales de l'Union et l'effort accompli d'assainissement des finances publiques plaident pour un impact limité et temporaire.
Dans ce contexte, il était particulièrement important qu'un consensus se dégage, à Gand, sur le recours à tous les moyens de la politique économique, pour faire en sorte que ce ralentissement soit d'une durée et d'une ampleur aussi modeste que possible. Et, tel a été le cas.
S'agissant de la politique monétaire, dans la continuité de la baisse concertée des taux d'intérêts qui avait eu lieu, avec succès, le 17 septembre dernier, le Conseil européen a souligné que la faiblesse de l'inflation devrait permettre de dégager de nouvelles marges de manuvre en matière de baisse des taux. La France y était très attachée.
En matière de politique budgétaire, il a été décidé, comme nous le souhaitions, de préserver notre capacité de réaction, en laissant jouer les stabilisateurs automatiques, conformément au Pacte de stabilité. Par ailleurs, afin de soutenir la croissance, la mobilisation des financements de la Banque européenne d'investissements a été prévue, au profit notamment de projets d'infrastructures. Ces appuis viendront utilement compléter l'effort en faveur des secteurs particulièrement affectés, comme celui des transports aériens, ainsi que les mesures de consolidation annoncées tout récemment, à titre national, par le Gouvernement.
Enfin, l'effet stabilisateur de l'euro a permis de limiter la spéculation, dont les effets auraient été désastreux. Par ailleurs, s'agissant de la préparation de la mise en circulation de l'euro fiduciaire, le rapport, examiné à Gand, dresse un bilan tout à fait satisfaisant, en particulier pour notre pays. Dans sa déclaration, à ce sujet, le Conseil européen a simplement appelé à un effort supplémentaire de la part des petites et moyennes entreprises et des collectivités locales, ainsi qu'au respect des engagements en matière de stabilité des prix. Conformément à nos voues, il a, en outre, été convenu que l'alignement de la tarification des paiements transfrontaliers sur les tarifs nationaux devrait être décidé, avant le Conseil européen de Laeken. Cette mesure paraît en effet essentielle au gouvernement pour convaincre tous les Européens des bénéfices concrets de la monnaie unique.
A Gand, les chefs d'Etat et de gouvernement se sont donc attachés, en premier lieu, à trouver des solutions aux défis du moment.
2/ Mais, ils ont aussi progressé dans le débat sur l'avenir de l'Europe.
C'était là, vous le savez, l'objet initial de cette rencontre informelle des chefs d'Etat et de gouvernement. Il s'agissait de faire le point de la préparation de Laeken, à mi-parcours de la présidence belge. Mais, la situation internationale issue du 11 septembre a créé, en définitive, un besoin accru d'Europe. Pour que l'Union puisse durablement répondre aux attentes de ses citoyens et contribuer à l'émergence d'un nouvel ordre mondial, une impulsion est nécessaire. Elle ne peut résulter que d'une réflexion sur les finalités et les modalités de la construction européenne.
a/ En organisant activement le grand débat sur l'avenir de l'Union, la France a pris une longueur d'avance.
Comme vous le savez, la phase nationale de ce débat, voulu par les chefs d'Etat et de gouvernement à Nice, se poursuit dans notre pays. Les derniers forums régionaux se dérouleront, dans les prochains jours, et s'achèveront, à Rennes, le 29 octobre, en présence de Lionel Jospin. Conformément au mandat que j'ai reçu du président de la République et du Premier ministre, j'aurai participé, en moins de trois mois, à plus d'une quinzaine de ces rencontres. Par ailleurs, mes collègues du gouvernement doivent encore animer quelques colloques thématiques, tel que celui organisé, le 6 novembre prochain, par Jean-Claude Gayssot, au sujet des services publics et auquel je prendrai part. Enfin, comme je l'ai fait encore récemment à Malte, j'interviendrai, la semaine prochaine, à Londres, avec mon homologue britannique Peter Hain, dans le cadre des débats nationaux organisés par nos partenaires.
Les assises qui se dérouleront, les 7 et 8 novembre à l'Assemblée nationale, enverront le signal que le moment est venu de tirer les premiers enseignements de la discussion. C'est d'abord au groupe de personnalités, présidé par Guy Braibant, qu'il appartiendra de s'y atteler et de produire une synthèse destinée à nourrir les positions que nous défendrons à Quinze. Pour autant, j'en suis sûr, ce rapport ne marquera pas la fin de la discussion dans notre pays. Il conviendra de préserver cette dynamique de dialogue, qui n'a pas vraiment d'équivalent dans l'Union européenne.
En effet, aucun autre Etat membre n'a prévu un dispositif aussi large et systématique pour conduire la discussion, au plus près des citoyens. Dans la plupart des cas, nos partenaires ont préféré des événements à caractère ponctuel ou des forums de dialogue sur Internet. Parfois, leur débat national a tout juste été engagé. Notre mobilisation donne aussi un avantage à notre pays pour entrer dans la deuxième phase du débat, à l'échelle de l'Union.
b/ Les modalités de cette deuxième phase du débat seront fixées par le Conseil européen de Laeken.
Mais, d'ores et déjà, la préparation de la déclaration que les chefs d'Etat et de gouvernement adopteront, les 14 et 15 décembre prochain, a bien avancé à Gand.
Sur la base des progrès enregistrés par le Conseil Affaires générales, le Conseil européen a fait un pas supplémentaire dans la mise sur pied d'une Convention, sur le modèle de l'enceinte qui avait élaboré la Charte des droits fondamentaux. Le principe en est désormais acquis et les principaux contours largement précisés.
Ainsi, un consensus se dégage sur les quatre composantes de cette Convention, qui inclura des représentants des gouvernements des Etats membres, de leurs parlements nationaux, de la Commission et du Parlement européen, sans doute dans les mêmes proportions que celles retenues pour la Convention de l'an dernier.
De même, un accord existe pour confier à cette instance le soin de définir des options et non d'élaborer le texte d'un nouveau traité ou d'une future Constitution, dont la tâche reviendra, comme il se doit, à la Conférence intergouvernementale, que le Traité de Nice a prévu de réunir, en bout de parcours, en 2004.
L'association de la société civile, à travers un réseau structuré et représentatif, recueille aussi l'agrément général.
S'agissant du calendrier, la future présidence espagnole est prête à convoquer la Convention, au cours du premier semestre 2002, de manière à permettre, après un an de travaux, un temps de pause suffisant avant l'ouverture de la CIG.
Enfin, en ce qui concerne l'objet de la réflexion, tout le monde reconnaît qu'il est possible de partir des quatre questions recensées à Nice - statut de la Charte des droits fondamentaux, simplification des traités, rôle des parlements nationaux et délimitation des compétences -, pour ouvrir largement le débat.
c/ Les pays candidats devront trouver leur place au sein de cette Convention, car l'avenir de l'Europe est celui de l'Union élargie.
Les événements du 11 septembre ont suscité des interrogations sur la possibilité de tenir les engagements, pris à Göteborg, d'achever les négociations d'adhésion, à la fin 2002, avec les pays qui seront prêts. Je ne vois, pour ma part, aucune raison qui puisse justifier une remise en cause de ce calendrier.
Parce qu'une Union élargie et plus intégrée sera plus forte, l'élargissement demeure, plus que jamais, pour l'Europe un objectif stratégique. C'est aussi parce que nous voulons réussir l'élargissement, pour nous-mêmes, comme pour les futurs Etats membres, que nous devons veiller au respect et à la mise en oeuvre effective de l'acquis communautaire.
Naturellement, il faut s'attendre à ce que notre vigilance soit renforcée sur toutes les questions relatives à la Justice et aux Affaires intérieures, ainsi que sur les mécanismes pouvant servir au financement du terrorisme. Les pays candidats le comprennent d'autant mieux, que les exigences à l'égard des actuels Etats membres ne sont pas moins élevées.
A Gand, l'ensemble de ces aspects a été examiné par les chefs d'Etat et de gouvernement, qui ont estimé qu'un message cohérent et positif en direction des pays candidats est encore plus nécessaire, après le 11 septembre. Il doit consister à maintenir le cap de l'élargissement et à encourager les efforts de nos futurs partenaires dans la reprise de l'acquis communautaire.
Le Conseil européen y reviendra, à Laeken, sur la base des rapports de progrès de la Commission. La présidence a fait part de son intention de valoriser les mérites de chacun des candidats. En revanche, il n'a pas été question, en séance, d'établir une liste des pays qui appartiendrait à un premier train d'adhésion. Par ses effets démobilisateurs pour la suite de la mise en oeuvre de la "feuille de route" et son caractère prématuré, une telle liste n'aurait d'ailleurs aucun sens.
En revanche, il a été confirmé à Gand que les pays candidats seraient représentés, au sein de la Convention, selon les mêmes modalités que les Etats membres. Ils devraient donc être en mesure d'y envoyer un représentant de leur gouvernement et deux de leur Parlement.
Tels sont, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les principaux résultats du Conseil européen de Gand, sur lesquels je souhaitais appeler votre attention. Les travaux se poursuivront d'ici Laeken, où les chefs d'Etat et de gouvernement auront à prendre des décisions importantes pour l'Union, ses citoyens et leur avenir.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2001)