Texte intégral
Citoyennes, Citoyens,
Cette journée du travail que nous célébrons aujourd'hui tous ensemble à Fourmies nous n'oublions pas ni les uns ni les autres qu'avant d'être une fête elle fut une conquête et une volonté.
Conquête des travailleurs, volonté de la classe ouvrière d'obtenir la journée de 8 heures.
Et ici à Fourmies, nous savons qu'avant de devenir la fête de tous les travailleurs, ce 1er mai fut aussi une tragédie. Oui, ici on est mort pour la journée de 8 heures. Ici on a tué des hommes, des femmes, des enfants. On a tué des travailleurs qui réclamaient simplement et tranquillement le droit de vivre dignement.
Oui, la journée de 8 heures, on se battait déjà pour ce la en 1890. Mais il a fallu attendre 1936 et le gouvernement de Front Populaire pour obtenir les 40 heures par semaine, il a fallu attendre 1982 et la victoire de François Mitterrand pour les 39 heures ! mais en 1985 on travaillera en France 35 heures par semaine !
Et les congés payés il a fallu aussi les conquérir. Souvenez vous : 15 jours de congés payés en 1936, trois semaines en 1956 sous le Gouvernement de Guy MOLLET, quatre semaines en 1963, cinq semaines en 1982.
Que de chemin parcouru par la classe ouvrière !
Mais quel long et difficile chemin. Mais que d'attentes, que de combats. Et voyez, presque à chaque fois le progrès social conquis par les travailleurs n'a pu être inscrit dans les faits que par un Gouvernement des travailleurs, que par un Gouvernement de gauche.
Il faut s'en souvenir, en ce-premier Mai du premier Gouvernement de gauche de la Vème République.
Ma présence ici comme Premier ministre du Gouvernement de la gauche est donc un hommage, un témoignage et un engagement.
Hommage de tout le Gouvernement aux martyrs d'un des épisodes les plus poignants de la lutte ouvrière pour les libertés et les droits.
Témoignage du refus de chasser de notre mémoire collective le souvenir de ces moments tragiques dont le rappel justifie toujours notre combat pour la liberté et la justice.
Engagement du Gouvernement, et, j'en suis convaincu, de toutes les forces populaires, d'être fidèles à ces martyrs, à leurs espérances et à leur combat. En travaillant tous ensemble au succès et à la durée de la politique que la victoire de la gauche en mai et juin derniers rend enfin possibles.
Nous sommes tous ici les héritiers de cette grande espérance qui, le 1er Mai 1980, avait réuni les travailleurs du monde entier, de cette grande révolte et de cette grande douleur qui avaient été les leurs en 1891 au lendemain du 1er mai sanglant de Fourmies.
Pour ma part, je ne l'oublie jamais. Comme ne l'oubliait pas Léo LAGRANGE, le député de cette circonscription, le Ministre du Front Populaire, quand il était venu ici même célébrer le 1er Mai 1937.
Ce jour-là, Léo LAGRANGE avait évoqué trois dates de l'histoire de Fourmies : le 1er Mai 1891, bien sûr. Et aussi le 1er mai 1936 qui déjà voyait poindre l'aurore de la victoire du Front Populaire, et scellant l'union de tous les ouvriers dans la joie et dans l'espérance. Et puis, justement, le 1er Mai 1937 où la classe ouvrière célébrait les premiers résultats de son union.
Et Léo LAGRANGE disait ceci : "Nous avons presque entièrement réalisé en onze mois le programme du Rassemblement populaire que nous devions réaliser en quatre années. Maintenant, il faut mettre sur pied et s'attacher à réaliser un programme complet de réformes sociales et, pour cela, s'attaquer résolument à la structure même du régime capitaliste".
Et, reprenant les termes même qu'avait employés quelques instants plus tôt le Délégué de la CGT pour rappeler les masses ouvrières "à consolider et amplifier les réformes sociales" : - "discipline, vigilance et unité" - Léo LAGRANGE concluait : "nous faisons l'expérience de la maturité politique et sociale de la classe ouvrière. Tous les travailleurs doivent être conscients de leur rôle et de leur tâche."
Citoyennes, citoyens, revenant aujourd'hui, 45 années après, dans la circonscription du Ministre du Front Populaire qui a sans doute laissé - avec Léon BLUM et Roger SALENGRO - le plus grand souvenir dans la mémoire collective des travailleurs, le Premier ministre du premier Gouvernement de la gauche de la Vème République pourrait reprendre terme pour terme le propos final de Léo LAGRANGE.
Les victimes, les proscrits, les exploités de 1891, c'est leur Gouvernement qui est aujourd'hui au pouvoir, c'est leur espérance qui s'est incarnée dans le sursaut populaire de mai et juin derniers et qui doit s'incarner aujourd'hui encore dans la mobilisation tranquille de toutes les forces populaires.
Car le Gouvernement, votre Gouvernement, ne changera pas tout tout seul. Le changement, il dépend aussi de vous, citoyens, travailleurs, usagers, de votre action collective dans votre commune, dans votre entreprise, dans votre temps libre, de votre engagement dans les syndicats, les partis, les associations.
Pour bâtir le changement que nous souhaitons tous, il ne suffit pas de changer de Gouvernement, il faut gouverner autrement. Il ne suffit pas de changer la majorité politique, il faut vivre autrement. Pour que dans sa vie quotidienne chacun d'entre nous puisse se sentir plus libre, plus digne, plus responsable.
Il ne suffit pas que le Gouvernement propose et que le Parlement vote des lois nouvelles. Il faut que les citoyens, les travailleurs, les usagers s'organisent, se mobilisent pour exercer vraiment et concrètement les droits nouveaux, les libertés nouvelles, les responsabilités nouvelles qui sont et qui seront désormais les leurs : droit des travailleurs, décentralisation, démocratisation et extension du secteur public, gestion démocratique de la Sécurité sociale, un champ immense est ouvert aux Françaises et aux Français pour qu'ils prennent en mains leur destin, pour qu'ils deviennent les acteurs du changement de leur vie quotidienne.
La victoire de la gauche cela signifie bien sûr d'abord que la loi est au service de la justice et de la liberté.
La loi crée le droit mais c'est à vous, citoyens de faire de vos droits un pouvoir. Cela nul Gouvernement ne peut le faire à votre place.
Je sais que les Françaises et les Français attendent beaucoup de leur Gouvernement.
Je sais qu'ils imaginent parfaitement l'ampleur de la tâche qui lui incombe. Je sais qu'ils sont tout à la fois impatients de voir le changement s'accomplir et étonnés de voir tant de changement mis en chantier d'un seul coup.
Il est vrai qu'il y a bien longtemps que dans ce pays les Gouvernements avaient perdu le goût et la volonté du changement. Qu'ils s'étaient résignés à gérer au jour le jour les soubresauts de l'économie et la permanence des inégalités.
Eh bien, le Gouvernement qui est maintenant celui de la France se refuse "à gérer l'imprévisible" comme le proposaient les dirigeants d'hier.
La gauche au pouvoir préfère mettre en oeuvre la formule de Pierre MENDES-FRANCE : "gouverner c'est choisir". Et donc vouloir et prévoir.
Ce que veut le Gouvernement, ce qu'a fait le Gouvernement, ce que fera le Gouvernement, c'est ce que les Français eux-mêmes ont choisi en confiant à la gauche la responsabilité du pouvoir ; le vote des Français a clairement marqué les trois priorités de notre action. C'est l'emploi - et donc la nouvelle croissance économique.- C'est la solidarité - et donc la justice sociale.- C'est la nouvelle citoyenneté - et donc le progrès social par la négociation et par la responsabilité.
Mais les Français savent bien aussi dans quelle situation économique nous avons trouvé le pays il y a un an et ils sont conscients des contraintes que l'évolution de l'économie mondiale fait peser sur notre pays.
Cela signifie donc que notre pays doit relever trois défis.
- Défi du retour à la croissance, qui ne se fera que si nous maîtrisons les grands équilibres et les grands outils de politique économique que sont les prix, la monnaie, le commerce extérieur et le budget.
- Défi de la nouvelle révolution technologique qui nous impose d'assurer notre indépendance énergétique, de maintenir et de renforcer le dynamisme et la compétitivité de notre industrie et notre potentiel de recherche.
- Défi d'un nouvel ordre économique international qui, si nous voulons préserver la paix et assurer l'avenir de nos économies, doit nous conduire à aider les pays les plus pauvres à devenir des partenaires.
Là est la cohérence, là est la logique de notre action.
L'emploi, la solidarité, la nouvelle citoyenneté ces trois priorités sont les priorités du Gouvernement depuis un an et elles le resteront.
Parce que les Français l'ont voulu.
Parce qu'elles sont celles du Président de la République.
Parce qu'elles sont celles de la majorité parlementaire.
Parce qu'elles seules peuvent nous permettre de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.
La solidarité que nous mettons en oeuvre n'est pas seulement une exigence morale, une mesure de justice sociale. Elle est aussi l'une des conditions du renouveau économique de notre pays
Ainsi la réduction de la durée du travail qui est une des plus vieilles revendications des travailleurs, si elle connaît aujourd'hui une accélération, ce n'est pas seulement - encore que cela seul aurait pu la justifier - une amélioration des conditions de travail et de vie pour les travailleurs. C'est aussi - et, dans les circonstances actuelles, c'est d'abord - un moyen essentiel pour donner du travail à ceux qui n'en ont pas.
Le partage du travail, les 39 heures aujourd'hui, les 35 heures en 1985, c'est donc tout à la fois une mesure de justice sociale et un moyen de relance économique.
Car le progrès social est désormais la condition de la relance économique.
C'est le sens de toute notre action depuis un an.
Qu'avons nous fait depuis un an ? Nous avons accompli les deux premiers étapes du changement.
- La première étape, celle que j'ai appelé "le socle du changement"; ce fut l'élaboration et le vote des grandes réformes de structures.
Les nationalisations, qui donneront à la collectivité des moyens sans précédent de progrès industriel et économique.
La décentralisation qui donnera aux régions, aux départements et aux communes des possibilités considérablement accrues d'améliorer la vie quotidienne des Français.
Et comme l'effet de ces réformes ne sera sensible que progressivement, il était nécessaire de les lancer au plus tôt.
- La deuxième étape, ce fut l'élaboration dans la plus large concertation, des 18 ordonnances sociales qui viennent d'entrer en vigueur : il s'agissait de créer le cadre juridique nouveau de la solidarité nécessaire à la bataille contre le chômage : les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la réglementation du travail à temps partiel et du travail temporaire, le droit à la retraite à 60 ans, l'insertion professionnelle des jeunes de 16 à 18 ans, l'institution des contrats de solidarité-emploi avec les entreprises et les collectivités locales.
- Aujourd'hui, la voie s'ouvre à la troisième étape, celle de la concrétisation du changement, celle qui verra s'inscrire le changement dans la vie quotidienne de chacun, dans sa vie de travail, dans ses loisirs, dans sa vie de famille.
Et ce changement au quotidien, il va devenir possible parce que nous avons eu la volonté de donner des bases solides à notre politique. En procédant par étapes, je vous l'ai montré, mais aussi en relançant la machine économique avec vigueur et rigueur.
Et les résultats sont là.
- Nous avons ramené le rythme de la hausse des prix, même s'il demeure excessif, à un niveau nettement inférieur à ce qu'il était sous le Gouvernement de M. Barre. Et nous maintiendrons notre effort.
- Le pouvoir d'achat des salariés, et d'abord, celui des plus défavorisés, a progressé, en particulier grâce à l'augmentation sensible du SMIC et des prestations sociales.
- Surtout, - et nous sommes les premiers en Europe à y être parvenus - la courbe d'augmentation du chômage s'est infléchie sensiblement. Alors que le chômage progressait de 21% au cours de la dernière année du gouvernement précédent, alors que des taux équivalents ou supérieurs sont enregistrés aux Etats-Unis et en Allemagne Fédérale, nous avons déjà freiné l'augmentation du chômage en France. Elle n'est déjà plus que de l'ordre de 6 à 7% et nous pensons pouvoir stabiliser la situation à la fin de l'année.
Croyez-moi, les historiens de demain s'apercevront que rarement dans l'histoire de la République, un gouvernement aura en si peu de temps engagé autant de réformes et respecté aussi scrupuleusement ses engagements. Et cela, dans un climat de débat démocratique et de concertation sociale dont notre pays avait perdu la pratique et jusqu'au souvenir.
Je le dis tout net : le dialogue, la négociation, la liberté, la responsabilité, resteront les marques de ce Gouvernement et le moyen du progrès social.
On ne bâtit pas une société nouvelle, de liberté et de responsabilité en décrétant le changement du balcon des palais gouvernementaux.
Le Gouvernement fait respecter l'ordre public et la paix civile. Avec fermeté.
Le Gouvernement assurera l'exécution des lois et la mise en oeuvre des réformes.
Le Gouvernement garantit les grands équilibres économiques.
Mais tout autant, le gouvernement s'attache à lever toutes les barrières, à renouer partout le dialogue et la concertation, à faire de la négociation sociale l'outil permanent du changement.
* La négociation, elle conditionne la mise en oeuvre des contrats de solidarité. Ils permettent à l'ensemble des partenaires sociaux, en liaison avec la puissance publique, de réaliser des avancées sociales significatives aussi bien en matière de départ en pré-retraite que dans le domaine de la réduction de la durée du travail. Mais ce qui est encore plus important, c'est que ces progrès permettent dans le même temps d'offrir des emplois à des jeunes et à des chômeurs, c'est-à-dire de manifester ce sentiment de solidarité si profondément enraciné au coeur de la communauté des travailleurs.
* La négociation, elle est au coeur des 4 projets de lois sur les droits des travailleurs que le Parlement va examiner dans quelques jours.
C'est par la négociation que les travailleurs, reconnus comme partenaires à part entière, deviendront dans leurs entreprises des citoyens à part entière.
La démocratie désormais ne doit plus s'arrêter aux portes de l'usine !
Les salariés ont maintenant un droit et un pouvoir de négociation accrus. Ils doivent l'utiliser pour que le partage du travail, esquissé par le passage aux 39 heures, s'adapte le mieux possible aux réalités : en 1982 et en 1983 les réductions de la durée du travail devront se faire à l'initiative des partenaires sociaux, et d'eux seuls, par des accords de branches et d'entreprises. L'action des partenaires sociaux sur le terrain devra précéder la réduction de la durée légale du travail.
La loi a permis le changement, dans ce domaine comme dans bien d'autres. Il convient à présent de l'amplifier, de le faire pénétrer dans l'ensemble du corps social. Car, nous ne sommes plus en 1936. Nous ne sommes plus à une période où il fallait conquérir des mesures sociales qui étaient imposées par le Gouvernement. Cela ne correspond plus aux mécanismes de notre société et il n'est d'ailleurs pas souhaitable que le Gouvernement décide de tout, tranche tout. Gouverner autrement, c'est aussi refuser l'Etat omniprésent, d'abord tutélaire, écrasant, sans imagination, sans renouvellement.
Le Gouvernement de gauche n'impose pas le changement. Il donne aux partenaires sociaux les moyens de le faire passer dans les faits.
Je sais bien que c'est difficile. Je sais bien que, d'un coté comme de l'autre, on préférerait parfois nous obliger à trancher. Mais il est nécessaire que chacun, dans la mutation en cours, assume ses responsabilités.
C'est ce que fait le Gouvernement.
Et ce que j'appelle à faire toutes les grandes forces sociales. Le changement - dans ce qu'il y a de plus quotidien, de plus concret - ne se réalisera pas si elles ne le prennent pas en charge, si elles ne se saisissent pas, avec détermination, et sans complexe, des droits collectifs nouveaux que la loi reconnaît - et reconnaîtra de plus en plus - aux travailleurs, aux citoyens et aux usagers.
-Je connais, et je respecte, la diversité syndicale qui est désormais en France une réalité bien installée. Il existe en effet en France, une tradition, maintenant bien établie, du pluralisme -voire de la concurrence- des syndicats, une volonté manifeste, et d'ailleurs souhaitée par les travailleurs français, d'indépendance des organisations par rapport au Gouvernement.
- Je sais bien que le Gouvernement de gauche bénéficie aux yeux de tous les Français, et donc des syndicats, de la garantie de la durée. Je comprends que la réalité institutionnelle - qui donne à la gauche la garantie d'un exercice durable de la responsabilité présidentielle, législative et gouvernementale - puisse contribuer d'une certaine façon à amener une partie des forces populaires - et de leurs organisations - à penser qu'il n'est pas nécessaire d'apporter le soutien d'un mouvement social unifié à un pouvoir installé pour longtemps dans des institutions solides. Mais, en ce jour - qui voit presque partout défiler dans des cortèges séparés et un peu nostalgiques, ceux dont l'unité a permis les victoires de 1981 - je voudrais leur dire que, dans une pratique du changement par le dialogue et la négociation qui est celle de la responsabilités le légitime "quant-à-soi" des organisations sociales, et notamment des syndicats, leur volonté respectable de signifier clairement leurs divergences réciproques et à l'égard du Gouvernement, s'ils ont l'avantage de la franchise ne donnent pas à tous ceux qui au fond d'eux-mêmes le souhaitent l'occasion de manifester ensemble la force du changement.
En ce premier Mai, en cette fête des travailleurs, tous et toutes ici, tous et toutes à gauche partagent, j'en suis convaincu, le souhait que l'unité d'action des forces sociales viennent appuyer l'unité des forces politiques qui travaillent ensemble au Parlement et au Gouvernement.
Bien sûr, cette unité d'action des forces sociales - comme celle des forces politiques au pouvoir - suppose un compromis. Mais un compromis qui ajouterait l'enthousiasme à la force qui est aujourd'hui celle du changement. Ici. à Fourmies, je sais et je vois que cà en vaut la peine !
Cette journée du travail que nous célébrons aujourd'hui tous ensemble à Fourmies nous n'oublions pas ni les uns ni les autres qu'avant d'être une fête elle fut une conquête et une volonté.
Conquête des travailleurs, volonté de la classe ouvrière d'obtenir la journée de 8 heures.
Et ici à Fourmies, nous savons qu'avant de devenir la fête de tous les travailleurs, ce 1er mai fut aussi une tragédie. Oui, ici on est mort pour la journée de 8 heures. Ici on a tué des hommes, des femmes, des enfants. On a tué des travailleurs qui réclamaient simplement et tranquillement le droit de vivre dignement.
Oui, la journée de 8 heures, on se battait déjà pour ce la en 1890. Mais il a fallu attendre 1936 et le gouvernement de Front Populaire pour obtenir les 40 heures par semaine, il a fallu attendre 1982 et la victoire de François Mitterrand pour les 39 heures ! mais en 1985 on travaillera en France 35 heures par semaine !
Et les congés payés il a fallu aussi les conquérir. Souvenez vous : 15 jours de congés payés en 1936, trois semaines en 1956 sous le Gouvernement de Guy MOLLET, quatre semaines en 1963, cinq semaines en 1982.
Que de chemin parcouru par la classe ouvrière !
Mais quel long et difficile chemin. Mais que d'attentes, que de combats. Et voyez, presque à chaque fois le progrès social conquis par les travailleurs n'a pu être inscrit dans les faits que par un Gouvernement des travailleurs, que par un Gouvernement de gauche.
Il faut s'en souvenir, en ce-premier Mai du premier Gouvernement de gauche de la Vème République.
Ma présence ici comme Premier ministre du Gouvernement de la gauche est donc un hommage, un témoignage et un engagement.
Hommage de tout le Gouvernement aux martyrs d'un des épisodes les plus poignants de la lutte ouvrière pour les libertés et les droits.
Témoignage du refus de chasser de notre mémoire collective le souvenir de ces moments tragiques dont le rappel justifie toujours notre combat pour la liberté et la justice.
Engagement du Gouvernement, et, j'en suis convaincu, de toutes les forces populaires, d'être fidèles à ces martyrs, à leurs espérances et à leur combat. En travaillant tous ensemble au succès et à la durée de la politique que la victoire de la gauche en mai et juin derniers rend enfin possibles.
Nous sommes tous ici les héritiers de cette grande espérance qui, le 1er Mai 1980, avait réuni les travailleurs du monde entier, de cette grande révolte et de cette grande douleur qui avaient été les leurs en 1891 au lendemain du 1er mai sanglant de Fourmies.
Pour ma part, je ne l'oublie jamais. Comme ne l'oubliait pas Léo LAGRANGE, le député de cette circonscription, le Ministre du Front Populaire, quand il était venu ici même célébrer le 1er Mai 1937.
Ce jour-là, Léo LAGRANGE avait évoqué trois dates de l'histoire de Fourmies : le 1er Mai 1891, bien sûr. Et aussi le 1er mai 1936 qui déjà voyait poindre l'aurore de la victoire du Front Populaire, et scellant l'union de tous les ouvriers dans la joie et dans l'espérance. Et puis, justement, le 1er Mai 1937 où la classe ouvrière célébrait les premiers résultats de son union.
Et Léo LAGRANGE disait ceci : "Nous avons presque entièrement réalisé en onze mois le programme du Rassemblement populaire que nous devions réaliser en quatre années. Maintenant, il faut mettre sur pied et s'attacher à réaliser un programme complet de réformes sociales et, pour cela, s'attaquer résolument à la structure même du régime capitaliste".
Et, reprenant les termes même qu'avait employés quelques instants plus tôt le Délégué de la CGT pour rappeler les masses ouvrières "à consolider et amplifier les réformes sociales" : - "discipline, vigilance et unité" - Léo LAGRANGE concluait : "nous faisons l'expérience de la maturité politique et sociale de la classe ouvrière. Tous les travailleurs doivent être conscients de leur rôle et de leur tâche."
Citoyennes, citoyens, revenant aujourd'hui, 45 années après, dans la circonscription du Ministre du Front Populaire qui a sans doute laissé - avec Léon BLUM et Roger SALENGRO - le plus grand souvenir dans la mémoire collective des travailleurs, le Premier ministre du premier Gouvernement de la gauche de la Vème République pourrait reprendre terme pour terme le propos final de Léo LAGRANGE.
Les victimes, les proscrits, les exploités de 1891, c'est leur Gouvernement qui est aujourd'hui au pouvoir, c'est leur espérance qui s'est incarnée dans le sursaut populaire de mai et juin derniers et qui doit s'incarner aujourd'hui encore dans la mobilisation tranquille de toutes les forces populaires.
Car le Gouvernement, votre Gouvernement, ne changera pas tout tout seul. Le changement, il dépend aussi de vous, citoyens, travailleurs, usagers, de votre action collective dans votre commune, dans votre entreprise, dans votre temps libre, de votre engagement dans les syndicats, les partis, les associations.
Pour bâtir le changement que nous souhaitons tous, il ne suffit pas de changer de Gouvernement, il faut gouverner autrement. Il ne suffit pas de changer la majorité politique, il faut vivre autrement. Pour que dans sa vie quotidienne chacun d'entre nous puisse se sentir plus libre, plus digne, plus responsable.
Il ne suffit pas que le Gouvernement propose et que le Parlement vote des lois nouvelles. Il faut que les citoyens, les travailleurs, les usagers s'organisent, se mobilisent pour exercer vraiment et concrètement les droits nouveaux, les libertés nouvelles, les responsabilités nouvelles qui sont et qui seront désormais les leurs : droit des travailleurs, décentralisation, démocratisation et extension du secteur public, gestion démocratique de la Sécurité sociale, un champ immense est ouvert aux Françaises et aux Français pour qu'ils prennent en mains leur destin, pour qu'ils deviennent les acteurs du changement de leur vie quotidienne.
La victoire de la gauche cela signifie bien sûr d'abord que la loi est au service de la justice et de la liberté.
La loi crée le droit mais c'est à vous, citoyens de faire de vos droits un pouvoir. Cela nul Gouvernement ne peut le faire à votre place.
Je sais que les Françaises et les Français attendent beaucoup de leur Gouvernement.
Je sais qu'ils imaginent parfaitement l'ampleur de la tâche qui lui incombe. Je sais qu'ils sont tout à la fois impatients de voir le changement s'accomplir et étonnés de voir tant de changement mis en chantier d'un seul coup.
Il est vrai qu'il y a bien longtemps que dans ce pays les Gouvernements avaient perdu le goût et la volonté du changement. Qu'ils s'étaient résignés à gérer au jour le jour les soubresauts de l'économie et la permanence des inégalités.
Eh bien, le Gouvernement qui est maintenant celui de la France se refuse "à gérer l'imprévisible" comme le proposaient les dirigeants d'hier.
La gauche au pouvoir préfère mettre en oeuvre la formule de Pierre MENDES-FRANCE : "gouverner c'est choisir". Et donc vouloir et prévoir.
Ce que veut le Gouvernement, ce qu'a fait le Gouvernement, ce que fera le Gouvernement, c'est ce que les Français eux-mêmes ont choisi en confiant à la gauche la responsabilité du pouvoir ; le vote des Français a clairement marqué les trois priorités de notre action. C'est l'emploi - et donc la nouvelle croissance économique.- C'est la solidarité - et donc la justice sociale.- C'est la nouvelle citoyenneté - et donc le progrès social par la négociation et par la responsabilité.
Mais les Français savent bien aussi dans quelle situation économique nous avons trouvé le pays il y a un an et ils sont conscients des contraintes que l'évolution de l'économie mondiale fait peser sur notre pays.
Cela signifie donc que notre pays doit relever trois défis.
- Défi du retour à la croissance, qui ne se fera que si nous maîtrisons les grands équilibres et les grands outils de politique économique que sont les prix, la monnaie, le commerce extérieur et le budget.
- Défi de la nouvelle révolution technologique qui nous impose d'assurer notre indépendance énergétique, de maintenir et de renforcer le dynamisme et la compétitivité de notre industrie et notre potentiel de recherche.
- Défi d'un nouvel ordre économique international qui, si nous voulons préserver la paix et assurer l'avenir de nos économies, doit nous conduire à aider les pays les plus pauvres à devenir des partenaires.
Là est la cohérence, là est la logique de notre action.
L'emploi, la solidarité, la nouvelle citoyenneté ces trois priorités sont les priorités du Gouvernement depuis un an et elles le resteront.
Parce que les Français l'ont voulu.
Parce qu'elles sont celles du Président de la République.
Parce qu'elles sont celles de la majorité parlementaire.
Parce qu'elles seules peuvent nous permettre de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.
La solidarité que nous mettons en oeuvre n'est pas seulement une exigence morale, une mesure de justice sociale. Elle est aussi l'une des conditions du renouveau économique de notre pays
Ainsi la réduction de la durée du travail qui est une des plus vieilles revendications des travailleurs, si elle connaît aujourd'hui une accélération, ce n'est pas seulement - encore que cela seul aurait pu la justifier - une amélioration des conditions de travail et de vie pour les travailleurs. C'est aussi - et, dans les circonstances actuelles, c'est d'abord - un moyen essentiel pour donner du travail à ceux qui n'en ont pas.
Le partage du travail, les 39 heures aujourd'hui, les 35 heures en 1985, c'est donc tout à la fois une mesure de justice sociale et un moyen de relance économique.
Car le progrès social est désormais la condition de la relance économique.
C'est le sens de toute notre action depuis un an.
Qu'avons nous fait depuis un an ? Nous avons accompli les deux premiers étapes du changement.
- La première étape, celle que j'ai appelé "le socle du changement"; ce fut l'élaboration et le vote des grandes réformes de structures.
Les nationalisations, qui donneront à la collectivité des moyens sans précédent de progrès industriel et économique.
La décentralisation qui donnera aux régions, aux départements et aux communes des possibilités considérablement accrues d'améliorer la vie quotidienne des Français.
Et comme l'effet de ces réformes ne sera sensible que progressivement, il était nécessaire de les lancer au plus tôt.
- La deuxième étape, ce fut l'élaboration dans la plus large concertation, des 18 ordonnances sociales qui viennent d'entrer en vigueur : il s'agissait de créer le cadre juridique nouveau de la solidarité nécessaire à la bataille contre le chômage : les 39 heures, la cinquième semaine de congés payés, la réglementation du travail à temps partiel et du travail temporaire, le droit à la retraite à 60 ans, l'insertion professionnelle des jeunes de 16 à 18 ans, l'institution des contrats de solidarité-emploi avec les entreprises et les collectivités locales.
- Aujourd'hui, la voie s'ouvre à la troisième étape, celle de la concrétisation du changement, celle qui verra s'inscrire le changement dans la vie quotidienne de chacun, dans sa vie de travail, dans ses loisirs, dans sa vie de famille.
Et ce changement au quotidien, il va devenir possible parce que nous avons eu la volonté de donner des bases solides à notre politique. En procédant par étapes, je vous l'ai montré, mais aussi en relançant la machine économique avec vigueur et rigueur.
Et les résultats sont là.
- Nous avons ramené le rythme de la hausse des prix, même s'il demeure excessif, à un niveau nettement inférieur à ce qu'il était sous le Gouvernement de M. Barre. Et nous maintiendrons notre effort.
- Le pouvoir d'achat des salariés, et d'abord, celui des plus défavorisés, a progressé, en particulier grâce à l'augmentation sensible du SMIC et des prestations sociales.
- Surtout, - et nous sommes les premiers en Europe à y être parvenus - la courbe d'augmentation du chômage s'est infléchie sensiblement. Alors que le chômage progressait de 21% au cours de la dernière année du gouvernement précédent, alors que des taux équivalents ou supérieurs sont enregistrés aux Etats-Unis et en Allemagne Fédérale, nous avons déjà freiné l'augmentation du chômage en France. Elle n'est déjà plus que de l'ordre de 6 à 7% et nous pensons pouvoir stabiliser la situation à la fin de l'année.
Croyez-moi, les historiens de demain s'apercevront que rarement dans l'histoire de la République, un gouvernement aura en si peu de temps engagé autant de réformes et respecté aussi scrupuleusement ses engagements. Et cela, dans un climat de débat démocratique et de concertation sociale dont notre pays avait perdu la pratique et jusqu'au souvenir.
Je le dis tout net : le dialogue, la négociation, la liberté, la responsabilité, resteront les marques de ce Gouvernement et le moyen du progrès social.
On ne bâtit pas une société nouvelle, de liberté et de responsabilité en décrétant le changement du balcon des palais gouvernementaux.
Le Gouvernement fait respecter l'ordre public et la paix civile. Avec fermeté.
Le Gouvernement assurera l'exécution des lois et la mise en oeuvre des réformes.
Le Gouvernement garantit les grands équilibres économiques.
Mais tout autant, le gouvernement s'attache à lever toutes les barrières, à renouer partout le dialogue et la concertation, à faire de la négociation sociale l'outil permanent du changement.
* La négociation, elle conditionne la mise en oeuvre des contrats de solidarité. Ils permettent à l'ensemble des partenaires sociaux, en liaison avec la puissance publique, de réaliser des avancées sociales significatives aussi bien en matière de départ en pré-retraite que dans le domaine de la réduction de la durée du travail. Mais ce qui est encore plus important, c'est que ces progrès permettent dans le même temps d'offrir des emplois à des jeunes et à des chômeurs, c'est-à-dire de manifester ce sentiment de solidarité si profondément enraciné au coeur de la communauté des travailleurs.
* La négociation, elle est au coeur des 4 projets de lois sur les droits des travailleurs que le Parlement va examiner dans quelques jours.
C'est par la négociation que les travailleurs, reconnus comme partenaires à part entière, deviendront dans leurs entreprises des citoyens à part entière.
La démocratie désormais ne doit plus s'arrêter aux portes de l'usine !
Les salariés ont maintenant un droit et un pouvoir de négociation accrus. Ils doivent l'utiliser pour que le partage du travail, esquissé par le passage aux 39 heures, s'adapte le mieux possible aux réalités : en 1982 et en 1983 les réductions de la durée du travail devront se faire à l'initiative des partenaires sociaux, et d'eux seuls, par des accords de branches et d'entreprises. L'action des partenaires sociaux sur le terrain devra précéder la réduction de la durée légale du travail.
La loi a permis le changement, dans ce domaine comme dans bien d'autres. Il convient à présent de l'amplifier, de le faire pénétrer dans l'ensemble du corps social. Car, nous ne sommes plus en 1936. Nous ne sommes plus à une période où il fallait conquérir des mesures sociales qui étaient imposées par le Gouvernement. Cela ne correspond plus aux mécanismes de notre société et il n'est d'ailleurs pas souhaitable que le Gouvernement décide de tout, tranche tout. Gouverner autrement, c'est aussi refuser l'Etat omniprésent, d'abord tutélaire, écrasant, sans imagination, sans renouvellement.
Le Gouvernement de gauche n'impose pas le changement. Il donne aux partenaires sociaux les moyens de le faire passer dans les faits.
Je sais bien que c'est difficile. Je sais bien que, d'un coté comme de l'autre, on préférerait parfois nous obliger à trancher. Mais il est nécessaire que chacun, dans la mutation en cours, assume ses responsabilités.
C'est ce que fait le Gouvernement.
Et ce que j'appelle à faire toutes les grandes forces sociales. Le changement - dans ce qu'il y a de plus quotidien, de plus concret - ne se réalisera pas si elles ne le prennent pas en charge, si elles ne se saisissent pas, avec détermination, et sans complexe, des droits collectifs nouveaux que la loi reconnaît - et reconnaîtra de plus en plus - aux travailleurs, aux citoyens et aux usagers.
-Je connais, et je respecte, la diversité syndicale qui est désormais en France une réalité bien installée. Il existe en effet en France, une tradition, maintenant bien établie, du pluralisme -voire de la concurrence- des syndicats, une volonté manifeste, et d'ailleurs souhaitée par les travailleurs français, d'indépendance des organisations par rapport au Gouvernement.
- Je sais bien que le Gouvernement de gauche bénéficie aux yeux de tous les Français, et donc des syndicats, de la garantie de la durée. Je comprends que la réalité institutionnelle - qui donne à la gauche la garantie d'un exercice durable de la responsabilité présidentielle, législative et gouvernementale - puisse contribuer d'une certaine façon à amener une partie des forces populaires - et de leurs organisations - à penser qu'il n'est pas nécessaire d'apporter le soutien d'un mouvement social unifié à un pouvoir installé pour longtemps dans des institutions solides. Mais, en ce jour - qui voit presque partout défiler dans des cortèges séparés et un peu nostalgiques, ceux dont l'unité a permis les victoires de 1981 - je voudrais leur dire que, dans une pratique du changement par le dialogue et la négociation qui est celle de la responsabilités le légitime "quant-à-soi" des organisations sociales, et notamment des syndicats, leur volonté respectable de signifier clairement leurs divergences réciproques et à l'égard du Gouvernement, s'ils ont l'avantage de la franchise ne donnent pas à tous ceux qui au fond d'eux-mêmes le souhaitent l'occasion de manifester ensemble la force du changement.
En ce premier Mai, en cette fête des travailleurs, tous et toutes ici, tous et toutes à gauche partagent, j'en suis convaincu, le souhait que l'unité d'action des forces sociales viennent appuyer l'unité des forces politiques qui travaillent ensemble au Parlement et au Gouvernement.
Bien sûr, cette unité d'action des forces sociales - comme celle des forces politiques au pouvoir - suppose un compromis. Mais un compromis qui ajouterait l'enthousiasme à la force qui est aujourd'hui celle du changement. Ici. à Fourmies, je sais et je vois que cà en vaut la peine !