Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Dès octobre 1997 au colloque de Villepinte, quelques mois seulement après la constitution du gouvernement de Lionel JOSPIN, Jean-Pierre CHEVENEMENT dressait un tableau alarmant de la situation. Il tentait alors d'alerter le Premier ministre ainsi que ses collègues sur l'évolution préoccupante de la délinquance des mineurs, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif.
Il s'appuyait alors sur des données objectives, dont quelques chiffres précis permettent de rendre compte : entre 1986 et 1997, le nombre des mineurs mis en cause était passé d'environ 90 000 à plus de 150 000. Ceux-ci représentaient déjà prés de 24 % de la délinquance générale, et 36 % de la délinquance de voie publique. Le nombre de mineurs mis en cause dans des affaires de stupéfiants avait, par exemple, augmenté de 274 % en dix ans !
Qualitativement aussi, il était clair que la gravité des actes commis par des mineurs tendait à augmenter, avec un accroissement sensible de la délinquance violente, comme les rackets et les vols à main armée, ainsi qu'une véritable explosion des actes de violence urbaine. Il faut savoir qu'à l'époque déjà, un vol avec violence sur deux était commis par un mineur.
Dans son allocution, Jean-Pierre CHEVENEMENT, posait alors, je le cite, une question essentielle : " peut-on encore, à cinquante ans de distance, traiter la délinquance des mineurs par des moyens identiques ? ".
Face à la montée évidente de ce fléau, il était impératif que le gouvernement se donne immédiatement les moyens d'agir efficacement mais, pour cela, il eut fallu que Lionel JOSPIN écoute son ministre de l'intérieur plutôt que les sirènes libérales-libertaires.
Il faut dire qu'un combat idéologique d'une rare violence s'engagea contre les orientations défendues par Jean-Pierre CHEVENEMENT. Souvenons-nous : en évoquant, il y a trois ans, la nécessité de créer rapidement une centaine de centres de retenue fermés où les mineurs seraient pris en charge dans un cadre contraignant, il fut immédiatement l'objet une véritable campagne de désinformation. Toutes les bonnes consciences de la pensée unique l'accusèrent en choeur de vouloir stigmatiser la jeunesse, en retenant une expression - les " sauvageons " -, en vérité parfaitement juste, et de vouloir revenir aux " bagnes d'enfants " !.
Il faut le rappeler aujourd'hui : ni la ministre de la Justice, ni même le Premier ministre n'eurent le courage, face aux menaces d'excommunications proférées, d'apporter leur soutien à ces propositions. Celles-ci, pourtant, étaient frappées du sceau du bon sens.
Après quelques hésitations, Lionel JOSPIN avait cédé aux bien pensants des beaux quartiers et décida de suivre les recommandations du rapport BALDUYCK-LAZERGES, remis en avril 1998, qui préconisait...de ne rien faire !
Un mois plus tard, en mai, Jean-Pierre CHEVENEMENT revenait encore à la charge en lui faisant part, par écrit, de son désaccord. Dans un texte limpide il indiquait de nouveau le chemin à suivre, affirmant, je le cite encore, " qu'il est temps de donner au pays une nouvelle politique en matière de traitement de la délinquance des mineurs en procédant à la refondation du dispositif en vigueur ".
Il ne fut pas écouté et on connaît la suite, regrettable à bien des égards, car le gouvernement demeura impuissant face à ce phénomène. La délinquance des mineurs constitue désormais une des principales manifestations de l'insécurité vécue par nos concitoyens. Ceux-ci vivent très mal cette impunité dont certains mineurs délinquants, les plus durs, semblent bénéficier puisque ni la Police ni la Justice n'ont aujourd'hui encore les moyens d'agir.
Car la vérité est là, qui résonne comme un implacable désaveu pour les théoriciens de l'angélisme et de la bonne conscience : quatre ans plus tard, rien ou presque n'a été fait pour endiguer ce fléau qui inquiète les Français et " marque " toute une génération de jeunes qui seront les citoyens de demain.
Madame LEBRANCHU, comme Madame GUIGOU avant elle peut bien se payer de mots en évoquant la nécessité de sanctionner plus durement et d'imposer des séjours de rupture. Elle sait bien qu'elle se trouve pour l'instant fort démunie, puisque les moyens humains sont insuffisants, que les structures adéquates n'existent pas, que les centres actuels sont des passoires, et que les textes sont inadaptés. Elle sait bien, aussi et surtout, que rien de tout cela n'est prévu pour la bonne et simple raison que c'est une question de volonté politique et que cette volonté fait défaut.
Prenons le projet de budget du ministère de la Justice pour 2002. Il est en effet, comme les précédents, en augmentation. Une progression de 29 % en cinq ans, ce n'est pas rienCependant, il faut bien reconnaître que notre Justice est sinistrée. Les juridictions pénales et civiles, celles qui traitent les affaires qui concernent la vie quotidienne, disposent toujours de moyens très insuffisants et manquent de tout : personnel, magistrats, locaux, matériel informatique...
C'est ainsi qu'à Paris, le parquet des mineurs compte toujours le même nombre de substituts, le même nombre de juges pour enfants, le même nombre de fonctionnaires, qu'il y a cinq ans, alors que la création d'un centre de placement immédiat se fait toujours attendre. Il y en a, en tout, trois pour toute la région Ile-de-France, ce qui représente trente places !
Pour ce qui concerne la Justice des mineurs, je ne vois rien, dans ce projet de budget, qui puisse laisser espérer une mobilisation à la hauteur du défi. Sur 2,4 milliards de francs de crédits d'équipement, par exemple, 16 millions de francs seront consacrés à la création de centres de placement immédiat. Autre exemple : 46 postes nouveaux seront crées en 2002 pour la réforme des tribunaux de commerce et 80 pour la mise en oeuvre de la loi sur la présomption d'innocence, mais seulement 25 postes de juges pour enfants !
En ce qui concerne la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, il est devenu urgent, un an plus tard, d'avoir le courage de s'interroger sur son application : son effet très négatif sur l'activité des services de police saute désormais aux yeux, puisque le nombre des gardes à vues diminue de façon inquiétante et que le taux d'élucidation des affaires stagne depuis plusieurs mois. Le bon sens même devrait amener le gouvernement à arrêter les frais et c'est pourquoi il convient de suspendre l'application de cette loi.
Le garde des Sceaux doit également cesser de se réfugier derrière l'indépendance de la Justice pour abdiquer. Il lui appartient de définir et de faire appliquer la politique pénale appropriée en donnant des instructions claires aux procureurs. Demander à tous les services de coopérer, c'est très bien. Encore faut-il leur fixer des objectifs précis. La délinquance des mineurs est un fléau national. C'est au gouvernement, et non aux procureurs, de fixer les orientations permettant d'en venir à bout.
S'agissant de l'éloignement durable des mineurs gravement récidivistes de leurs quartiers, on voit bien où l'angélisme nous a mené. Le système actuel est totalement dépassé. Les centres de placement immédiats (CPI ), dont le nombre est de toute façon insuffisant, ne sont pas rigoureusement fermés, les mineurs qui y sont placés fuguent régulièrement et n'y sont absolument pas formés et éduqués.
Trop souvent donc, ces mineurs finissent un jour en prison, et il est alors trop tard. Lorsque Madame LEBRANCHU déclare qu'il y a actuellement 700 jeunes emprisonnés, elle fait un triste constat. Car les quartiers des mineurs n'ont pas été rénovés. Faute de locaux et d'un encadrement adaptés et suffisants, ces quartiers réservés sont de véritables pépinières du banditisme : les mineurs y sont livrés à eux-mêmes. Ils y reconstituent et développent au contraire les pratiques qu'ils connaissaient à l'extérieur : racket, drogue, violence, caïdat...
Pour ces mineurs, pourtant, l'utilité de séjours de rupture avec le milieu criminogène saute aux yeux. Quand on sait que l'escalade des infractions ne peut finalement que déboucher sur l'emprisonnement pur et simple... on mesure l'ampleur du gâchis qui est permis, sous couvert de bons sentiments !
Le gouvernement a également commis l'erreur, cédant là encore à la facilité, d'opposer, la répression et la prévention, comme si l'une pouvait aller sans l'autre. C'est une absurdité car il ne peut y avoir de prévention efficace si l'Etat laisse croire qu'il renonce à faire respecter la loi, donc s'il n'y a plus de repères. Inversement, la répression seule ne peut suffire, si on ne s'attaque pas à la source du mal, c'est à dire l'absence d'une politique en faveur de la citoyenneté qui façonne l'exclusion aujourd'hui.
Dans ce procès en sorcellerie qui fut intenté contre lui, Jean-Pierre CHEVENEMENT a été accusé des pires dérives sécuritaires par ses adversaires, il est vrai peu avares de raccourcis confortables.
Or je rappelle qu'il fut le premier à mettre en place des Commissions d'Accès à la Citoyenneté (CODAC) dont l'action ne devait pas se résumer en un numéro vert à l'usage des jeunes refoulés des discothèques, comme c'est le cas désormais. Il s'agissait en effet de lutter contre toutes les formes de discrimination, et en particulier les discriminations à l'embauche, qui touchent trop souvent les jeunes issus de l'immigration.
Ne nous voilons pas la face, ces jeunes pâtissent de cette injustice qui les maintient dans une marginalité dangereuse, pour eux-mêmes, et pour la société toute entière. C'est pourquoi il faut une politique volontariste pour relancer le modèle républicain d'intégration, en mobilisant tous les services de l'Etat.
Enfin, et c'est l'objet de la proposition de loi que nous vous présentons aujourd'hui, le gouvernement est resté sourd à tout appel à l'adaptation de la législation actuelle en ce qui concerne la délinquance des mineurs. Une fois de plus, la crainte de sembler vouloir remettre en cause des dogmes désuets l'a emportée.
Pourtant, que des mineurs récidivistes ou réitérants puissent, quelques heures seulement après avoir été interpellés par les services de police, revenir librement dans les quartiers où ils sévissent est anormal. Que d'autres ne soient convoqués devant le juge compétent que plusieurs mois après avoir été interpellés, tandis que leurs parents ne sont même pas alertés et rappelés à leurs devoirs est également anormal.
En l'état actuel de la législation, il n'est pas possible de retenir après son interpellation, un jeune de moins de 16 ans, présumé auteur de faits délictuels. De même, il n'est pas possible d'engager contre lui une procédure de comparution immédiate. Il serait pourtant plus sain, y compris pour les mineurs eux-mêmes, d'instaurer une telle procédure, pour ce qui concerne, du moins, les mineurs multiréitérants ou multirécidivistes. C'est donc dans cette direction qu'il faut aller.
Est-il si difficile d'admettre que l'ordonnance de 1945, qui constitue le socle législatif sur lequel les magistrats peuvent s'appuyer, a été conçue pour une société qui n'est plus ? Est-il si difficile de comprendre que la délinquance des mineurs, loin d'être un phénomène exprimant une crise passagère, propre à l'âge adolescent, traduit plutôt aujourd'hui l'enfermement d'une très faible minorité de jeunes dans une identité négative et violente, qui tourne à vide ?
Face à ces quelques milliers de mineurs délinquants qui empoisonnent la vie de millions d'habitants, il faut de nouveaux outils : éloignement durable des mineurs mutirécidivistes de leurs quartiers, instauration de la comparution immédiate, responsabilisation des parents, et sanctions plus fermes dès les premiers actes commis. Loin de constituer un risque de dérive sécuritaire, il s'agit, au contraire, d'orientations qui servent l'intérêt bien compris de ces mineurs eux-mêmes, comme celui de la société toute entière.
Ce qui est immoral, c'est de fermer pudiquement les yeux devant la réalité. La droite l'a fait, parce qu'elle avait parfaitement compris que l'insécurité lésait avant tout les plus modestes de nos concitoyens, dans les quartiers défavorisés suspectés de " mal voter ". Quitte, à l'occasion, à se saisir de cette question à des fins démagogiques. Elle reste, en effet, dominée par une approche désuète, et, pour tout dire, inique, de la sécurité qu'elle s'est toujours essentiellement contentée d'assurer aux beaux quartiers. Elle n'a jamais, fondamentalement, réussi à admettre que l'Etat devait en être le garant auprès de tous les citoyens, sans distinction.
La gauche a hélas de son côté, malgré des débuts encourageants, finalement lâché la proie pour l'ombre par angélisme, et par souci de flatter les exigences des élites bien pensantes qu'elle croyait être acquises à sa cause.
Nous voulons, nous, rompre avec ces pratiques, en proposant dans un premier temps, non pas de réduire la portée de l'ordonnance de 1945, mais au contraire de la compléter utilement, par quelques dispositions simples.
Tel est l'esprit dans lequel nous avons élaboré cette proposition de loi tendant à réformer l'ordonnance du 2 février 1945 relative à la délinquance des mineurs. Si cette réforme était adoptée nous pourrions enfin aller de l'avant.
(source http://www.mdc-France.org, le 17 octobre 2001)
Dès octobre 1997 au colloque de Villepinte, quelques mois seulement après la constitution du gouvernement de Lionel JOSPIN, Jean-Pierre CHEVENEMENT dressait un tableau alarmant de la situation. Il tentait alors d'alerter le Premier ministre ainsi que ses collègues sur l'évolution préoccupante de la délinquance des mineurs, tant d'un point de vue quantitatif que qualitatif.
Il s'appuyait alors sur des données objectives, dont quelques chiffres précis permettent de rendre compte : entre 1986 et 1997, le nombre des mineurs mis en cause était passé d'environ 90 000 à plus de 150 000. Ceux-ci représentaient déjà prés de 24 % de la délinquance générale, et 36 % de la délinquance de voie publique. Le nombre de mineurs mis en cause dans des affaires de stupéfiants avait, par exemple, augmenté de 274 % en dix ans !
Qualitativement aussi, il était clair que la gravité des actes commis par des mineurs tendait à augmenter, avec un accroissement sensible de la délinquance violente, comme les rackets et les vols à main armée, ainsi qu'une véritable explosion des actes de violence urbaine. Il faut savoir qu'à l'époque déjà, un vol avec violence sur deux était commis par un mineur.
Dans son allocution, Jean-Pierre CHEVENEMENT, posait alors, je le cite, une question essentielle : " peut-on encore, à cinquante ans de distance, traiter la délinquance des mineurs par des moyens identiques ? ".
Face à la montée évidente de ce fléau, il était impératif que le gouvernement se donne immédiatement les moyens d'agir efficacement mais, pour cela, il eut fallu que Lionel JOSPIN écoute son ministre de l'intérieur plutôt que les sirènes libérales-libertaires.
Il faut dire qu'un combat idéologique d'une rare violence s'engagea contre les orientations défendues par Jean-Pierre CHEVENEMENT. Souvenons-nous : en évoquant, il y a trois ans, la nécessité de créer rapidement une centaine de centres de retenue fermés où les mineurs seraient pris en charge dans un cadre contraignant, il fut immédiatement l'objet une véritable campagne de désinformation. Toutes les bonnes consciences de la pensée unique l'accusèrent en choeur de vouloir stigmatiser la jeunesse, en retenant une expression - les " sauvageons " -, en vérité parfaitement juste, et de vouloir revenir aux " bagnes d'enfants " !.
Il faut le rappeler aujourd'hui : ni la ministre de la Justice, ni même le Premier ministre n'eurent le courage, face aux menaces d'excommunications proférées, d'apporter leur soutien à ces propositions. Celles-ci, pourtant, étaient frappées du sceau du bon sens.
Après quelques hésitations, Lionel JOSPIN avait cédé aux bien pensants des beaux quartiers et décida de suivre les recommandations du rapport BALDUYCK-LAZERGES, remis en avril 1998, qui préconisait...de ne rien faire !
Un mois plus tard, en mai, Jean-Pierre CHEVENEMENT revenait encore à la charge en lui faisant part, par écrit, de son désaccord. Dans un texte limpide il indiquait de nouveau le chemin à suivre, affirmant, je le cite encore, " qu'il est temps de donner au pays une nouvelle politique en matière de traitement de la délinquance des mineurs en procédant à la refondation du dispositif en vigueur ".
Il ne fut pas écouté et on connaît la suite, regrettable à bien des égards, car le gouvernement demeura impuissant face à ce phénomène. La délinquance des mineurs constitue désormais une des principales manifestations de l'insécurité vécue par nos concitoyens. Ceux-ci vivent très mal cette impunité dont certains mineurs délinquants, les plus durs, semblent bénéficier puisque ni la Police ni la Justice n'ont aujourd'hui encore les moyens d'agir.
Car la vérité est là, qui résonne comme un implacable désaveu pour les théoriciens de l'angélisme et de la bonne conscience : quatre ans plus tard, rien ou presque n'a été fait pour endiguer ce fléau qui inquiète les Français et " marque " toute une génération de jeunes qui seront les citoyens de demain.
Madame LEBRANCHU, comme Madame GUIGOU avant elle peut bien se payer de mots en évoquant la nécessité de sanctionner plus durement et d'imposer des séjours de rupture. Elle sait bien qu'elle se trouve pour l'instant fort démunie, puisque les moyens humains sont insuffisants, que les structures adéquates n'existent pas, que les centres actuels sont des passoires, et que les textes sont inadaptés. Elle sait bien, aussi et surtout, que rien de tout cela n'est prévu pour la bonne et simple raison que c'est une question de volonté politique et que cette volonté fait défaut.
Prenons le projet de budget du ministère de la Justice pour 2002. Il est en effet, comme les précédents, en augmentation. Une progression de 29 % en cinq ans, ce n'est pas rienCependant, il faut bien reconnaître que notre Justice est sinistrée. Les juridictions pénales et civiles, celles qui traitent les affaires qui concernent la vie quotidienne, disposent toujours de moyens très insuffisants et manquent de tout : personnel, magistrats, locaux, matériel informatique...
C'est ainsi qu'à Paris, le parquet des mineurs compte toujours le même nombre de substituts, le même nombre de juges pour enfants, le même nombre de fonctionnaires, qu'il y a cinq ans, alors que la création d'un centre de placement immédiat se fait toujours attendre. Il y en a, en tout, trois pour toute la région Ile-de-France, ce qui représente trente places !
Pour ce qui concerne la Justice des mineurs, je ne vois rien, dans ce projet de budget, qui puisse laisser espérer une mobilisation à la hauteur du défi. Sur 2,4 milliards de francs de crédits d'équipement, par exemple, 16 millions de francs seront consacrés à la création de centres de placement immédiat. Autre exemple : 46 postes nouveaux seront crées en 2002 pour la réforme des tribunaux de commerce et 80 pour la mise en oeuvre de la loi sur la présomption d'innocence, mais seulement 25 postes de juges pour enfants !
En ce qui concerne la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, il est devenu urgent, un an plus tard, d'avoir le courage de s'interroger sur son application : son effet très négatif sur l'activité des services de police saute désormais aux yeux, puisque le nombre des gardes à vues diminue de façon inquiétante et que le taux d'élucidation des affaires stagne depuis plusieurs mois. Le bon sens même devrait amener le gouvernement à arrêter les frais et c'est pourquoi il convient de suspendre l'application de cette loi.
Le garde des Sceaux doit également cesser de se réfugier derrière l'indépendance de la Justice pour abdiquer. Il lui appartient de définir et de faire appliquer la politique pénale appropriée en donnant des instructions claires aux procureurs. Demander à tous les services de coopérer, c'est très bien. Encore faut-il leur fixer des objectifs précis. La délinquance des mineurs est un fléau national. C'est au gouvernement, et non aux procureurs, de fixer les orientations permettant d'en venir à bout.
S'agissant de l'éloignement durable des mineurs gravement récidivistes de leurs quartiers, on voit bien où l'angélisme nous a mené. Le système actuel est totalement dépassé. Les centres de placement immédiats (CPI ), dont le nombre est de toute façon insuffisant, ne sont pas rigoureusement fermés, les mineurs qui y sont placés fuguent régulièrement et n'y sont absolument pas formés et éduqués.
Trop souvent donc, ces mineurs finissent un jour en prison, et il est alors trop tard. Lorsque Madame LEBRANCHU déclare qu'il y a actuellement 700 jeunes emprisonnés, elle fait un triste constat. Car les quartiers des mineurs n'ont pas été rénovés. Faute de locaux et d'un encadrement adaptés et suffisants, ces quartiers réservés sont de véritables pépinières du banditisme : les mineurs y sont livrés à eux-mêmes. Ils y reconstituent et développent au contraire les pratiques qu'ils connaissaient à l'extérieur : racket, drogue, violence, caïdat...
Pour ces mineurs, pourtant, l'utilité de séjours de rupture avec le milieu criminogène saute aux yeux. Quand on sait que l'escalade des infractions ne peut finalement que déboucher sur l'emprisonnement pur et simple... on mesure l'ampleur du gâchis qui est permis, sous couvert de bons sentiments !
Le gouvernement a également commis l'erreur, cédant là encore à la facilité, d'opposer, la répression et la prévention, comme si l'une pouvait aller sans l'autre. C'est une absurdité car il ne peut y avoir de prévention efficace si l'Etat laisse croire qu'il renonce à faire respecter la loi, donc s'il n'y a plus de repères. Inversement, la répression seule ne peut suffire, si on ne s'attaque pas à la source du mal, c'est à dire l'absence d'une politique en faveur de la citoyenneté qui façonne l'exclusion aujourd'hui.
Dans ce procès en sorcellerie qui fut intenté contre lui, Jean-Pierre CHEVENEMENT a été accusé des pires dérives sécuritaires par ses adversaires, il est vrai peu avares de raccourcis confortables.
Or je rappelle qu'il fut le premier à mettre en place des Commissions d'Accès à la Citoyenneté (CODAC) dont l'action ne devait pas se résumer en un numéro vert à l'usage des jeunes refoulés des discothèques, comme c'est le cas désormais. Il s'agissait en effet de lutter contre toutes les formes de discrimination, et en particulier les discriminations à l'embauche, qui touchent trop souvent les jeunes issus de l'immigration.
Ne nous voilons pas la face, ces jeunes pâtissent de cette injustice qui les maintient dans une marginalité dangereuse, pour eux-mêmes, et pour la société toute entière. C'est pourquoi il faut une politique volontariste pour relancer le modèle républicain d'intégration, en mobilisant tous les services de l'Etat.
Enfin, et c'est l'objet de la proposition de loi que nous vous présentons aujourd'hui, le gouvernement est resté sourd à tout appel à l'adaptation de la législation actuelle en ce qui concerne la délinquance des mineurs. Une fois de plus, la crainte de sembler vouloir remettre en cause des dogmes désuets l'a emportée.
Pourtant, que des mineurs récidivistes ou réitérants puissent, quelques heures seulement après avoir été interpellés par les services de police, revenir librement dans les quartiers où ils sévissent est anormal. Que d'autres ne soient convoqués devant le juge compétent que plusieurs mois après avoir été interpellés, tandis que leurs parents ne sont même pas alertés et rappelés à leurs devoirs est également anormal.
En l'état actuel de la législation, il n'est pas possible de retenir après son interpellation, un jeune de moins de 16 ans, présumé auteur de faits délictuels. De même, il n'est pas possible d'engager contre lui une procédure de comparution immédiate. Il serait pourtant plus sain, y compris pour les mineurs eux-mêmes, d'instaurer une telle procédure, pour ce qui concerne, du moins, les mineurs multiréitérants ou multirécidivistes. C'est donc dans cette direction qu'il faut aller.
Est-il si difficile d'admettre que l'ordonnance de 1945, qui constitue le socle législatif sur lequel les magistrats peuvent s'appuyer, a été conçue pour une société qui n'est plus ? Est-il si difficile de comprendre que la délinquance des mineurs, loin d'être un phénomène exprimant une crise passagère, propre à l'âge adolescent, traduit plutôt aujourd'hui l'enfermement d'une très faible minorité de jeunes dans une identité négative et violente, qui tourne à vide ?
Face à ces quelques milliers de mineurs délinquants qui empoisonnent la vie de millions d'habitants, il faut de nouveaux outils : éloignement durable des mineurs mutirécidivistes de leurs quartiers, instauration de la comparution immédiate, responsabilisation des parents, et sanctions plus fermes dès les premiers actes commis. Loin de constituer un risque de dérive sécuritaire, il s'agit, au contraire, d'orientations qui servent l'intérêt bien compris de ces mineurs eux-mêmes, comme celui de la société toute entière.
Ce qui est immoral, c'est de fermer pudiquement les yeux devant la réalité. La droite l'a fait, parce qu'elle avait parfaitement compris que l'insécurité lésait avant tout les plus modestes de nos concitoyens, dans les quartiers défavorisés suspectés de " mal voter ". Quitte, à l'occasion, à se saisir de cette question à des fins démagogiques. Elle reste, en effet, dominée par une approche désuète, et, pour tout dire, inique, de la sécurité qu'elle s'est toujours essentiellement contentée d'assurer aux beaux quartiers. Elle n'a jamais, fondamentalement, réussi à admettre que l'Etat devait en être le garant auprès de tous les citoyens, sans distinction.
La gauche a hélas de son côté, malgré des débuts encourageants, finalement lâché la proie pour l'ombre par angélisme, et par souci de flatter les exigences des élites bien pensantes qu'elle croyait être acquises à sa cause.
Nous voulons, nous, rompre avec ces pratiques, en proposant dans un premier temps, non pas de réduire la portée de l'ordonnance de 1945, mais au contraire de la compléter utilement, par quelques dispositions simples.
Tel est l'esprit dans lequel nous avons élaboré cette proposition de loi tendant à réformer l'ordonnance du 2 février 1945 relative à la délinquance des mineurs. Si cette réforme était adoptée nous pourrions enfin aller de l'avant.
(source http://www.mdc-France.org, le 17 octobre 2001)