Déclaration de Mme Estelle Grellier, secrétaire d'Etat aux collectivités locales, sur le développement des initiatives de modernisation de l'action publique locale dans le cadre des lois MAPTAM et NOTRe, à Paris le 18 janvier 2017.

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Circonstance : Séminaire organisé par la Fondation Jean Jaurès sur le thème "Co-production publique-privée : quelles innovations dans les territoires ?", à Paris le 18 janvier 2017

Texte intégral

Je tiens en premier lieu à vous remercier de m'avoir invitée à conclure ce colloque.
C'est dans la richesse et la qualité de nos débats que se forgent les convictions qui guident notre action. Cette discussion démocratique, la Fondation Jean Jaurès l'entretient depuis toujours avec talent et constance. Je tiens à saluer ici son travail.
Je crois que nous partageons le même constat : les territoires sont le siège de transformations profondes. Technologiques, économiques, écologiques et sociales.
Ces transitions, déjà bien engagées, placent les territoires au coeur des enjeux de la mondialisation. Alors même que certains prédisaient la fin des territoires dans une économie globalisée, force est de constater que dans les territoires s'organise aussi une économie ouverte sur le monde.
C'est là que s'inventent les nouveaux usages, notamment numériques, que naissent les nouveaux besoins, notamment démocratiques, qu'émergent les nouveaux modèles de financement, notamment participatifs, que se nouent les relations d'une économie collaborative en plein essor, que se gère la ressource environnementale.
Alors, pour relever le défi de ces transformations constantes dans un monde qui change, les territoires se font laboratoires d'innovation. Cette nouvelle donne, tant les acteurs privés que les acteurs publics souhaitent l'investir.
C'est opportun car ils sont complémentaires : la collectivité a besoin des solutions que le secteur privé met au point, et les entreprises ont besoin de la collectivité pour s'engager sur de nouveaux marchés dans un environnement sécurisé et propice à l'innovation.
Je parle bien de toutes les collectivités, qu'elles soient rurales, périurbaines ou urbaines, de montagne ou de littoral. Si les grands opérateurs et les start-ups hésitent à expérimenter leurs solutions dans les espaces moins densément peuplés, faute d'une rentabilité suffisante, ils doivent cependant réaliser le potentiel d'innovation qui réside dans ces territoires et dans leur synergie avec les grands centres urbains. Ils doivent prendre conscience de la demande forte des élus des villes petites et moyennes pour accueillir des services nouveaux. C'est l'élue d'une ville moyenne depuis plus de 15 ans qui vous parle.
Vous posez la question de la régulation de cette co-production publique et privée : je crois cette question essentielle. Il faut préserver l'équilibre de cette relation, très ancienne mais jamais stabilisée. Certes les collectivités savent faire : en témoigne la vitalité de l'économie mixte locale qui pèse aujourd'hui plus de 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 50 000 emplois.
Mais la complexité croissante des modèles de financement et des solutions techniques ainsi que la diversification des acteurs privés qui interviennent dans la fabrique des territoires font courir le risque d'une déprise de la collectivité sur son destin. Car si nos villes et nos campagnes deviennent plus durables, intelligentes, et participatives, elles ne peuvent pour autant se dispenser d'élus locaux. Car seule la collectivité est garante de l'intérêt général.
C'est le sens des réformes que vous avez pu évoquer au cours de ce séminaire : sous ce quinquennat, les collectivités territoriales ont été renforcées, leurs rôles ont été clarifiés, leur action simplifiée. Mais elles se sont également vues confier plus de responsabilités, assorties d'objectifs ambitieux. Car il s'agit bien pour nos territoires de sortir de ces transitions par le haut.
La loi NOTRe a mis fin à l'enchevêtrement des compétences et aux politiques publiques difficilement lisibles, notamment en matière de développement économique stratégique - son principe : porter le bon dispositif à la bonne échelle. Avec la loi sur la délimitation des régions, elle recompose la carte de nos collectivités en leur donnant la taille critique pour mener une réelle action stratégique. Elles sont adossées pour cela à des intercommunalités (2062 à 1266 entre le 1er janvier 2016 et le 1er janvier 2017).
Il faut bien entendu évoquer le cas des métropoles, dont le statut a été rénové par la loi MAPTAM et le rôle renforcé par la loi NOTRe : les métropoles françaises portent le dynamisme économique de notre pays. Elles concentrent en effet les centres universitaires et de recherche, déposent 70% des brevets français et réalisent la moitié de la richesse nationale.
La loi de transition énergétique, quant à elle, renforce les objectifs de développement durable et consacre les principes de l'économie circulaire, dont le potentiel en termes d'innovation et d'emploi durable est régulièrement salué.
D'ailleurs, la loi de transition énergétique et la loi NOTRe forment un ensemble cohérent. Ces deux lois font preuve d'une philosophie commune, permettant de penser le développement durable à travers le prisme de deux de ses composantes : le développement économique et l'environnement. En effet, si la région et les intercommunalités forment un binôme en termes d'élaboration et de mise en œuvre des politiques économiques, en toute cohérence, ces mêmes entités sont également chargées, depuis la loi NOTRe, de l'essentiel des compétences en matière environnementale.
Il est important de favoriser cette articulation des différents niveaux d'intervention publique, entre l'intercommunalité et les régions, mais aussi l'Etat et le niveau international. Les transitions énergétique et écologique ne peuvent réussir que dans une articulation pertinente entre local et global. C'est l'esprit de l'accord de Paris, qui reconnaît, pour la première fois, le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre le changement climatique.
Aux côtés de cette nécessaire transition énergétique, c'est une révolution que nous devons réussir dans nos territoires : les technologies numériques changent tout à grande vitesse. Les territoires doivent se mettre à la page, ou ils seront rapidement dépassés.
A la suite de la loi NOTRe, la loi pour une République Numérique crée une obligation pour les délégataires de service public de mettre à disposition leurs données à la collectivité. Cette-dernière a la faculté de les exploiter ou d'en confier l'exploitation à un tiers pour développer de nouveaux services.
C'est un formidable levier de développement, d'innovation et un gage de transparence et de démocratie.
C'est aussi, avec les ordonnances de 2015 et 2016 sur le droit des concessions, une garantie supplémentaire dans l'équilibre de la relation publique-privée.
Car l'obligation d'une meilleure évaluation des coûts des contrats de concession, la limitation de leur durée et la mise à disposition des données des opérateurs sont autant d'assurances de la transparence et de l'équité de cette relation.
Pour poursuivre les objectifs du service public (intérêt général, qualité du service rendu, maîtrise des coûts), la collectivité doit pouvoir toujours faire le choix politique du mode de gestion le plus approprié, en régie ou en délégation. Au minimum, elle doit pouvoir opposer au délégataire la possibilité d'un retour en régie. Pour cela, elle doit maîtriser les process techniques ainsi qu'une information complète sur les coûts et la qualité du service. Cette condition est indispensable pour garantir que le délégataire agisse toujours dans l'intérêt public.
Je ne crois pas aux oppositions dogmatiques entre modes de gestion : chaque collectivité doit trouver l'organisation la plus efficace. Le renforcement de la concurrence entre les opérateurs intervenant au service des collectivités est un moyen d'y parvenir. Le droit européen, vous le savez, joue un rôle déterminant dans ce domaine. Aujourd'hui encore avec une jurisprudence récente de la Cour de justice invitant les autorités publiques à développer plus de transparence et de mise en concurrence dans les actes autorisant l'occupation du domaine public. Bien maîtrisé, un tel développement va dans le sens de l'intérêt général.
Mais chaque territoire doit disposer des instruments nécessaires à cette maîtrise, dans l'intérêt du citoyen et de l'usager qui, au final, reste le vrai destinataire de ces politiques publiques. Je crois que les réformes que nous avons entreprises vont dans ce sens, permettant le renforcement de l'ingénierie locale.
Une autre illustration à laquelle je tiens beaucoup. Depuis la loi NOTRe, il existe une obligation d'ouverture de données pour toutes les collectivités de plus de 3 500 habitants. Grâce à la loi République Numérique, l'ouverture des données publiques n'est plus l'exception mais la règle.
Si aujourd'hui une centaine de collectivités ont déjà ouvert leurs données, le nombre de collectivités concernées par les dispositions de la loi République Numérique est de 3 800 ! C'est un saut quantitatif immense qu'il conviendra d'accompagner.
C'est la raison pour laquelle nous avions confié l'été dernier, avec Axelle Lemaire, à l'association OpenDataFrance une mission sur l'accompagnement des collectivités à l'ouverture de leurs données dont les préconisations font l'objet d'une expérimentation soutenue financièrement par l'Etat (9 territoires pilotes annoncés dans le cadre du PGO).
Innover dans nos territoires c'est aussi innover dans nos modes d'organisation et de prise de décision.
J'observe que la plupart des initiatives de modernisation de l'action publique locale sont issues directement des territoires. C'est en effet la raison d'être de la décentralisation que de faciliter la participation des citoyens et d'encourager les pratiques de gestion innovantes au plus près du terrain. Et, la responsabilité du Gouvernement est de créer un contexte global propice à l'innovation locale.
Les collectivités sont d'ores et déjà en première ligne. Dans certains cas, les recompositions dans le cadre de la réforme territoriale ont servi d'impulsion pour revoir les modes de fonctionnement. En effet, les fusions (de régions, d'intercommunalités, de communes) offrent une opportunité pour bâtir une nouvelle administration modernisée, notamment à travers les usages du numérique et de nouvelles méthodes de travail (mutualisation, télétravail, management…).
Néanmoins, l'innovation territoriale se heurte encore trop souvent à des contraintes ou à des difficultés en matière de capitalisation des projets locaux. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'assouplir la mise en œuvre du droit à l'expérimentation prévue par la Constitution en ne faisant plus référence à la généralisation ou, à défaut, à l'abandon du projet au bout d'une période déterminée. Accepter des expérimentations de long terme et qui puissent être différentes d'un territoire à l'autre c'est donner encore plus de marge pour une différenciation territoriale que chacun appelle de ses vœux.
Il convient également d'améliorer la formation des élus et des agents en matière d'innovation, en développant, par exemple, des cadres d'échange de bonnes pratiques entre collectivités et avec l'Etat. La Semaine de l'innovation publique, dont la troisième édition s'est déroulée en novembre 2016 et a été rythmée par l'organisation de plus de 270 événements partout en France, démontre toute la pertinence d'une collaboration étroite entre l'Etat et les collectivités pour promouvoir et soutenir des initiatives de modernisation de l'action publique.
Enfin, il est clair que l'innovation démocratique, visant à renforcer la participation et la co-construction des politiques publiques, a pour épicentre le niveau local car il constitue l'échelon de proximité avec le citoyen.
L'open data des collectivités permettra de développer de nouveaux outils de participation (la civic tech) et facilitera l'animation du débat public. Je plaide aussi pour la généralisation des budgets participatifs, aux niveaux communal et intercommunal.
J'ai porté ce message de soutien à l'innovation démocratique locale à l'occasion du Sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO), organisé du 7 au 9 décembre dernier à Paris. Le PGO est un partenariat mondial de plus de 70 Etat-membres dédié à la promotion de la transparence de l'action publique et de l'innovation démocratique. J'ai tenu à ce que les collectivités françaises soient représentées pour montrer le meilleur d'elles-mêmes en la matière et participent directement aux travaux du Sommet en émettant leurs propositions pour mieux accompagner et développer les innovations démocratiques.
Qu'elles portent sur les pratiques démocratiques, l'organisation interne des collectivités ou les politiques publiques, qu'elles impliquent ou non une collaboration directe avec le secteur privé, l'ensemble des innovations mentionnées aujourd'hui démontre le dynamisme de nos territoires, qui repose avant tout sur la proximité et la capacité d'expérimentation propres à l'échelon local, dont nous sommes ici, je crois, très convaincus.
Je vous remercie.
Source https://jean-jaures.org, le 7 mars 2017