Texte intégral
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Ségolène ROYAL.
SEGOLENE ROYAL
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci beaucoup d'être avec nous dans ce studio de RTL. Vous publiez « Manifeste pour une justice climatique » chez Plon, avec d'ailleurs une magnifique photo de la terre, photo prise par Thomas PESQUET, qu'il vous a autorisé à utiliser pour ce livre sur lequel on va revenir tout à l'heure, avec ce sous-titre : « Vous pouvez agir. » Assez loin de ce climat et de cette belle image, Ségolène ROYAL, Donald TRUMP a ordonné des frappes sur une base syrienne cette nuit, en représailles de l'attaque au gaz chimique du régime de Bachar, décision unilatérale. Est-ce qu'elle vous inquiète ou est-ce qu'elle va dans le bon sens ?
SEGOLENE ROYAL
Elle va dans le bon sens, je crois, mais il faut que la communauté internationale, aussi, puisse décider collectivement de ce qui se passe, que ce régime puisse sentir qu'en face de lui il a maintenant une communauté internationale déterminée pour stopper ses exactions.
ELIZABETH MARTICHOUX
Le fait que Donald TRUMP, finalement, ait changé d'avis, assez radicalement, par rapport aux Russes et au régime syrien Bachar EL-ASSAD, c'est une bonne nouvelle, et le fait qu'il montre ses muscles, pour vous, ça va dans le bon sens, vous le disiez.
SEGOLENE ROYAL
Oui, peut-être que ça commence à prouver qu'il écoute aussi son Administration, qu'il écoute ceux qui connaissent les sujets, qu'il écoute aussi la communauté internationale. J'observe aussi, contrairement à ce qu'il avait dit, qu'il n'a pas annoncé qu'il sortirait de l'accord de Paris sur le climat, donc je crois qu'on est dans une phase, peut-être, de prise en main des responsabilités, qui sont peut-être plus rationnelles que ce que l'on aurait pu imaginer.
ELIZABETH MARTICHOUX
Dernière question sur ce dossier, est-ce que vous savez si, oui ou non, Donald TRUMP a tenu au courant François HOLLANDE de sa décision de lancer les frappes ?
SEGOLENE ROYAL
Je n'ai pas cette information.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'Elysée, effectivement, est encore assez discret, c'est le moins qu'on puisse dire, ce matin par rapport à cette décision assez imprévisible de Donald TRUMP. On va revenir sur l'actualité française, et votre actualité, avec ce décret, hier, le décret permettant l'arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim, promesse de campagne de François HOLLANDE, qui ne sera pas pris avant la fin de son mandat, EDF a en effet, hier, obtenu de son conseil d'administration un nouveau délai. Vous confirmez que ce décret ne sera pas signé avant la fin du mandat de HOLLANDE ?
SEGOLENE ROYAL
Ce décret sera pris, et ce qui vient de se passer est très important dans l'histoire du modèle énergétique français, c'est-à-dire que pour la première fois un conseil d'administration d'EDF admet qu'il faut fermer la plus ancienne centrale, puisque ce conseil utilise même les mots « d'irréversible » et « d'inéluctable », donc la centrale de Fessenheim sera fermée. Elle sera fermée à l'échéance qui était prévue, 2018, et par conséquent le décret sera pris, je l'ai d'ailleurs déjà mis en rédaction.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors attendez, il faut qu'on comprenne, parce que ce n'est pas très clair. Depuis hier, au contraire, on explique que le conseil d'administration d'EDF a obtenu un délai pour la demande qu'il doit vous faire à vous, l'Etat, vous représentez l'Etat dans ce dossier, d'abroger l'autorisation de l'exploitation de la centrale. L'Etat, vous nous dites, va signer avant le 7 mai un décret qui abroge l'autorisation d'exploiter Fessenheim ?
SEGOLENE ROYAL
Oui, l'Etat va reprendre dans un décret la délibération du conseil d'administration, qui n'est pas différente de celle qui avait été envisagée il y a quelques mois. Le 9 octobre 2015 j'ai reçu une lettre de Jean-Bernard LEVY qui me demande la fermeture, qui dit que la fermeture est l'unique hypothèse étudiée pour appliquer la loi de Transition énergétique que j'ai fait voter par le Parlement, d'ailleurs non sans difficulté, c'est-à-dire c'est une loi équilibrée qui rejette d'un côté ceux qui nous disaient 0 nucléaire, qui rejette, de l'autre côté, le tout nucléaire, et aujourd'hui, en effet, nous mettons fin au tout nucléaire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Attendez, vous interprétez la délibération d'EDF dans le sens qui vous autorise à signer le décret d'abrogation.
SEGOLENE ROYAL
Absolument, puisque cette délibération dit clairement que la centrale de Fessenheim devra fermer en 2018, et par conséquent ça n'a rien changé par rapport à la délibération précédente
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais on explique depuis hier que l'Etat ne peut pas le faire si l'Etat n'est pas sollicité officiellement par EDF, or ce n'est pas le cas, l'entreprise a justement décidé de différer cette demande, jusqu'à l'ouverture de Flamanville.
SEGOLENE ROYAL
Eh bien je considère que le la décision du conseil d'administration vaut demande et ce décret sera pris. Pourquoi ce décret sera pris ? Parce que je crois qu'il faut cesser de tergiverser. C'est vrai que le lobby nucléaire a cru pouvoir ralentir la décision
ELIZABETH MARTICHOUX
Il était encore à l'oeuvre hier, le lobby nucléaire, dans le conseil d'administration ?
SEGOLENE ROYAL
Mais bien sûr
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est lui qui a obtenu ce
?
SEGOLENE ROYAL
Mais bien sûr, mais c'est tout à fait respectable, sauf que le Parlement a voté. Le Parlement a voté, j'ai passé plus de 500 heures au Parlement pour que la France adopte enfin un modèle énergétique équilibré, c'est-à-dire d'un côté ceux qui voulaient ne rien changer, ceux qui voulaient pousser EDF à continuer le tout nucléaire, l'immobilisme, l'aveuglement sur ce qui est en train de se passer à l'échelle de la planète, et notamment la nécessité de monter en puissance sur les énergies renouvelables, et notamment le vrai coût du nucléaire, et en particulier le coût du traitement des déchets nucléaires, et le coût de l'entretien des vieilles centrales, tous ceux-là je ne les ai pas entendus. Et j'ai plafonnée à 63,5 gigawatts la capacité de production d'énergie nucléaire, et nous avons rabaissée de 75 à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité. Donc, maintenant
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais en faisant cela, Ségolène ROYAL
SEGOLENE ROYAL
Attendez. Donc maintenant
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous engagez un bras de fer avec EDF.
SEGOLENE ROYAL
Non, j'engage la France sur le chemin qui est
ELIZABETH MARTICHOUX
Par le biais d'un bras de fer.
SEGOLENE ROYAL
Mais, vous savez, au bout du compte
aujourd'hui Fessenheim est à l'arrêt, dont un réacteur depuis plus d'1 an, avec des investissements très lourds, qui finit par payer tout ça ? Ce sont les consommateurs sur leur facture d'électricité. Donc, moi, ma responsabilité c'est d'engager le pays, ce que fait le gouvernement, sur un choix énergétique, qui est maintenant voté par la loi, qui est équilibré. J'ai refusé d'opposer les énergies les unes aux autres, ça a été vraiment la ligne de conduite que je me suis fixée, c'est pour ça que j'ai réussi à faire voter cette loi que l'on disait impossible, en refusant d'opposer le nucléaire aux renouvelables. Nous avons besoin de l'énergie nucléaire, elle reste la base
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais Cécile DUFLOT, vous l'avez entendue, elle n'y est pas allée par quatre chemins, on l'a entendue à 7h30 tout à l'heure, « elle ment », elle parle de vous, « elle ment, elle n'a pas la possibilité de signer le décret. »
SEGOLENE ROYAL
Oui, ce n'est pas un vocabulaire très respectueux, ni très raisonnable, encore faudrait-il qu'elle connaisse ce dossier. Cécile DUFLOT elle demandait l'arrêt, du jour au lendemain, de l'ensemble des centrales nucléaires, comme une partie des écologistes, ce qui était totalement irresponsable, et ce n'est bien évidemment pas le choix que nous avons fait, donc nous avons trouvé un choix équilibré, et aujourd'hui la centrale de Fessenheim ne serait même plus autorisée. Elle pompe directement l'eau dans le canal du Rhin, elle rejette l'eau dans le canal du Rhin, et il faudrait fermer les yeux, il faudrait
ELIZABETH MARTICHOUX
Florian PHILIPPOT hier, du FN, qui était dans ce studio avec Marc-Olivier FOGIEL, dit, beaucoup de gens le font, « il y a un rapport de l'ASN, l'Autorité de Sûreté Nucléaire, il y a 1 an, qui dit que Fessenheim peut continuer. »
SEGOLENE ROYAL
Oui, sauf qu'elle est à l'arrêt, et qui paye tout ça ? C'est le contribuable sur la facture d'électricité. Donc, il faut absolument, aujourd'hui, pousser en avant l'entreprise, c'est de l'intérêt de l'entreprise d'avoir des capacités d'investir dans les énergies renouvelables, c'est là que se trouvent les chantiers et le potentiel de développement économique sur l'ensemble de la planète
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais ça l'entreprise
puisqu'elle acte effectivement, mais elle diffère.
SEGOLENE ROYAL
Je voudrais juste dire, là-dessus, qu'EDF devrait mettre davantage en valeur tout ce qu'elle fait sur les énergies renouvelables.
ELIZABETH MARTICHOUX
Elle ne le fait pas suffisamment ?
SEGOLENE ROYAL
Par exemple, c'est EDF qui a été lauréat des 3 parcs éoliens en mer, de Courseulles, de Saint-Nazaire et de Fécamp. C'est EDF qui a réussi à mettre en place le projet hydrolien sous-marin du Raz-Blanchard dans la Manche. C'est EDF qui construit l'éolien flottant en Méditerranée sur l'appel à projets, que j'ai lancé, sur la nouvelle génération des éoliens. C'est EDF qui a investi dans la géothermie
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, plutôt mettre ça en valeur plutôt que de tenter de différer la décision.
SEGOLENE ROYAL
Voilà, il faut qu'à l'intérieur d'EDF, ceux qui s'occupent de transition énergétique, ceux qui portent, avec courage, les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique, aient davantage de poids que ceux qui défendent le tout nucléaire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ségolène ROYAL, le décret qui met fin à l'autorisation d'exploiter la centrale va être signé par François HOLLANDE avant la fin de son mandat ?
SEGOLENE ROYAL
Il le sera, j'en prends l'engagement aujourd'hui, vous savez que mon métier initial c'est magistrat administratif, donc je sais de quoi je parle, et regardez
ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous travaillez juridiquement pour en avoir l'autorisation.
SEGOLENE ROYAL
Hier il y a eu une décision très importante qui a été prise, qui a annulé la condamnation de l'Etat par rapport à cette affaire de GDE, de décharge près des Haras du Pin, vous avez vu que ça avait défrayé la chronique. On m'avait dit qu'il était absolument impossible d'obtenir la condamnation de GDE et l'annulation de la condamnation de l'Etat, ce qui a été obtenu, hier, devant les tribunaux administratifs, et je m'en réjouis.
ELIZABETH MARTICHOUX
Est-ce que ce décret empêchera, par exemple François FILLON ou Marine LE PEN de revenir sur la décision d'arrêter Fessenheim
SEGOLENE ROYAL
Non.
ELIZABETH MARTICHOUX
Puisque ce sont les deux candidats qui aujourd'hui veulent poursuivre l'exploitation de la centrale, sans tenir compte de l'ouverture de Flamanville.
SEGOLENE ROYAL
Ils ne pourront pas revenir sur cette interdiction, sauf à changer la loi. Tout gouvernement qui arrive peut démolir ce qu'a fait le gouvernement précédent, mais je pense qu'ils ne le feront pas, parce que d'abord c'est l'intérêt de l'entreprise. Je pense aussi que les consommateurs, ceux qui payent les factures d'électricité, sont de plus en plus conscients que les choix doivent être transparents par rapport aux choix énergétiques, que trop longtemps le manque de démocratie et de transparence a conduit EDF à faire des choix sur le tout nucléaire, en catimini. Aujourd'hui, pour la première fois, le Parlement a débattu de ces sujets, a fait les choix, a plafonné l'énergie nucléaire, qui devient l'énergie extrêmement chère, par rapport aux énergies renouvelables, et qui n'a pas résolu le problème écologique majeur du traitement des déchets nucléaires. Donc, il faut absolument que les choix soient judicieux, et ce qui a été fait avec la fermeture de Fessenheim.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ce sera votre dernier acte fort au gouvernement. Vous arrêtez la politique nationale, c'est irréversible ? Vous ne vous présentez pas aux législatives.
SEGOLENE ROYAL
Moi, je ne parle pas de moi, ce n'est pas ce qui est important. Je porte, comme vous venez de le dire, les projets et les dossiers du ministère jusqu'au bout, avec beaucoup beaucoup de détermination
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais vous arrêtez la politique nationale, vous nous confirmez que vous ne serez pas candidate aux législatives
SEGOLENE ROYAL
Ah oui, je ne serai pas candidate aux législatives.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et que vous êtes candidate déclarée à la présidence du PNUD, le Programme des Nations Unies pour le Développement. Décision au mois de mai, à peu près
SEGOLENE ROYAL
Oui, oui, on verra. Il y a un jury, donc
ELIZABETH MARTICHOUX
Un petit mot quand même de l'élection présidentielle, qui est un événement considérable pour la vie des Français. Vous ne voulez pas dire pour qui vous allez voter, pourquoi ? Vous ne voulez pas gêner ?
SEGOLENE ROYAL
Parce que je pense que ce n'est pas la tradition politique française d'aller sur les plateaux pour dire pour qui on vote, le vote est secret. J'observe, comme tous les Français, le déroulement de la campagne
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous ne voulez pas prendre vos responsabilités par rapport à des choix qui, pour la gauche notamment, ne sont pas toujours simples ?
SEGOLENE ROYAL
Mais je prendrai mes responsabilités en votant, maintenant je n'ai pas à la donner, je n'ai pas envie, et je crois que ce n'est pas ce qu'attendent les électeurs, de donner des indications sur ce qu'il faut voter, sur ce qu'il ne faut pas voter, les électeurs sont majeurs
ELIZABETH MARTICHOUX
Vous dites on verra comment je serai le plus utile, vous pourriez quand même vous prononcer avant le premier tour ? Benoît HAMON est passé sous la barre des 10, il est à la peine, Emmanuel MACRON est assez haut, mais ça reste fragile, est-ce que vous pourriez, face au risque de Marine LE PEN, vous prononcer avant le premier tour ?
SEGOLENE ROYAL
Bien sûr, si je peux être utile et s'il y a un danger quelconque, bien sûr.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est dans ce sens que vous pourriez le faire ?
SEGOLENE ROYAL
Oui, si le candidat le souhaite.
ELIZABETH MARTICHOUX
L'entrée en vigueur de l'accord de Paris, en une seconde, il est irréversible aussi ?
SEGOLENE ROYAL
Il est irréversible, puisque, à l'heure où je vous parle 141 pays l'ont ratifié, c'est un travail de longue haleine, là aussi c'est un tournant historique. L'Humanité, pour la première fois, a parlé d'une seule voix, pour réconcilier l'homme et la nature.
ELIZABETH MARTICHOUX
Sur lequel, d'ailleurs, vous revenez largement dans votre livre « Manifeste pour une justice climatique » chez Plon.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 avril 2017