Déclaration de M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, sur la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale et à l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions ayant un impact sur l'environnement, à l'Assemblée nationale le 18 juillet 2017.

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Circonstance : Discussion, après engagement de la procédure accélérée, des projets de loi ratifiant les ordonnances relatives à l'évaluation environnementale et à l'information du public, à l'Assemblée nationale le 18 juillet 2017

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi ratifiant les ordonnances no 2016-1058 du 3 août 2016 relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes et no 2016-1060 du 3 août 2016 portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement (nos 11, 91).
Présentation
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État auprès du ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la présidente, madame la présidente de la commission du développement durable, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter ce soir au nom du Gouvernement le projet de loi ratifiant deux ordonnances prises le 3 août 2016 dans le cadre de la loi dite « Macron », l'une relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes et l'autre portant réforme des procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement.
Mardi dernier, lors de leur examen en commission du développement durable, vingt amendements ont été discutés et douze ont été adoptés. Je remercie tous les membres de la commission pour leur travail, ainsi que M. le rapporteur Jean-Marc Zulesi dont la réflexion a permis de faire évoluer positivement le texte. Nous aurons dans un instant l'occasion de prolonger nos débats par l'examen d'une quarantaine d'amendements, ce qui constitue certainement la preuve que, même si le Gouvernement présente parfois des ordonnances, les parlementaires conservent un véritable rôle de co-constructeurs de la loi par le biais du droit d'amendement.
Rentrons sans plus attendre dans le détail de la présentation de ces deux ordonnances. La première est relative à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes, selon une expression tirée du droit communautaire. Pourquoi ratifier cette ordonnance ? Il s'agit tout d'abord de se conformer au droit européen, grâce à l'ordonnance qui transpose la nouvelle directive 2014/52/UE relative à l'évaluation environnementale des projets.
Celle-ci permet notamment de définir des critères d'évaluation visant à mieux prendre en compte la santé, la biodiversité, le changement climatique ou les incidences visuelles des projets sur le patrimoine culturel et le paysage. Elle permet également de séparer les phases d'instruction et d'évaluation de certaines procédures environnementales à l'échelon local. Surtout, elle procède à une simplification pour les porteurs de projet tout en renforçant la protection de notre environnement. Nous retrouvons là l'esprit qui animait le ministre de l'économie de l'époque, Emmanuel Macron, lors de l'examen du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.
Cette simplification et cette protection se déclinent en trois aspects concrets. Le premier réside dans la simplification des procédures d'étude d'impact. Les projets seront désormais appréhendés dans leur ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l'espace et de multiplicité des maîtres d'ouvrage. Cela signifie qu'une étude d'impact sera réalisée en une seule fois pour chaque projet et non plus par procédure. On brise là pour la première fois la logique de silo qui ajoutait jusqu'alors du délai au délai au détriment de la vision globale de l'autorité environnementale.
Le deuxième aspect réside dans le développement des procédures dites « au cas par cas » consistant, d'une part, à élever le degr d'exigence environnementale et, d'autre part, à permettre à l'autorité environnementale – souvent les services déconcentrés de l'État, parfois l'administration centrale – de traiter ces demandes dans des délais plus courts. Le troisième aspect réside dans la mise en place d'une nouvelle nomenclature des projets à forte empreinte sur l'environnement pour lesquels un ciblage de l'évaluation environnementale est réalisé par un décret pris en Conseil d'État.
Enfin, le travail effectué en commission a permis de traduire dans l'ordonnance le triptyque « éviter, réduire, compenser » – ERC – cher à Mme Barbara Pompili et consacré par la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La rédaction de l'ordonnance étant antérieure à l'adoption de la loi, il fallait procéder à cette remise à niveau ; c'est chose faite à l'issue des travaux de la commission et je sais que certains amendements similaires ont été déposés sur plusieurs bancs de l'hémicycle.
La seconde ordonnance que nous soumettons à votre vote, mesdames et messieurs les députés, est relative à l'information et la participation du public à l'élaboration de certaines décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement. Pourquoi ratifier cette ordonnance prise dans le cadre de la loi Macron ? Il s'agissait d'abord d'une réponse du gouvernement de l'époque, reprise par le gouvernement d'Édouard Philippe, à un changement de mentalité dans notre société illustré par le drame de Sivens. Apprendre à perdre du temps en amont d'un projet ou d'une procédure pour ne pas en perdre ensuite : tel est l'esprit de bon sens qui sous-tend la philosophie du texte que nous présentons ce soir. Consulter en amont nos concitoyens permet de lever les inquiétudes, de faire preuve de pédagogie et de dialogue et de répondre éventuellement à leurs doutes et à leurs craintes.
Conformément à l'esprit de la convention d'Aarhus et de l'article 7 de la Charte de l'environnement, cette ordonnance crée des droits nouveaux en réponse à une véritable demande de nos concitoyens qui souhaitent participer davantage et même être associés à l'élaboration des décisions susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement, qu'ils se sentent concernés par sa protection, qu'ils y soient sensibilisés ou même qu'ils adoptent une posture de profonde défiance et doutent de la légitimité ou de l'efficience des procédures prévues par les pouvoirs publics. Il nous incombe donc de veiller à ce que nos concitoyens puissent participer et, surtout, qu'ils le puissent au bon moment de la procédure.
Deuxièmement, il ne s'agit pas seulement de protéger l'environnement, mais aussi de libérer les porteurs de projet, privés comme publics. L'équilibre entre ces deux exigences –protéger et libérer – est un principe cher au gouvernement d'Édouard Philippe et voulu par le chef de l'État. Cette ordonnance offre en effet aux porteurs de projet davantage de visibilité en amont de la procédure et permet d'aller au-devant des problèmes pour les traiter le plus tôt possible. Nous y reviendrons, car cette philosophie respectueuse inspire également le projet de loi relatif au droit à l'erreur qui sera présenté prochainement au Parlement.
Concrètement, cette ordonnance consacre de manière inédite des droits nouveaux pour les citoyens : un droit d'accès aux informations pertinentes visant à rendre la participation de chaque citoyen effective ; un droit de demander l'engagement d'une procédure de participation dans des conditions que nous allons préciser dans un instant ; un droit à disposer de délais raisonnables pour formuler des observations et des propositions ; surtout – et là réside potentiellement la plus grande nouveauté – un droit à disposer d'un véritable suivi de la concertation et d'un retour positif ou négatif sur les observations formulées. Un tel droit, qui n'existait pas, constitue tout simplement une marque de respect vis-à-vis du citoyen contributeur.
Ces nouveaux droits appellent de nouvelles modalités de consultation. Il en résulte une série d'importantes nouveautés qui feront leur apparition dans notre droit si vous en êtes d'accord, mesdames et messieurs les députés. La première nouveauté consiste à prvoir que la CNDP – Commission nationale du débat public – sera obligatoirement saisie sur l'opportunité du débat pour les plans et programmes nationaux soumis à évolution environnementale. Auparavant, seuls les très grands projets, dont le coût dépassait 300 millions d'euros, étaient concernés.
La deuxième nouveauté, c'est l'élargissement de la saisine de la CNDP pour les grands projets, c'est-à-dire ceux dont le coût est compris entre 150 et 300 millions d'euros, actuellement rendus publics par les maîtres d'ouvrage ou par la personne publique responsable du projet qui indiquent leur décision de saisir ou non la CNDP et l'informent ensuite de la participation qu'ils prévoient. Grâce à cette ordonnance, les citoyens ont désormais un droit de saisine de la CNDP sur ces grands projets. Le seuil a été fixé à 10 000 citoyens de l'Union européenne, ce qui constitue une innovation majeure.
La troisième nouveauté, c'est l'ouverture du droit d'initiative citoyenne aux projets sous maîtrise d'ouvrage publique ou privée percevant initialement au moins 10 millions d'euros d'argent public.
M. Jean-Paul Lecoq. Ce qui n'arrive jamais !
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. Un amendement de votre rapporteur examiné en commission prévoit d'abaisser ce seuil à 5 millions d'euros. Lors de l'examen des amendements, nous aurons à nouveau l'occasion de débattre sur l'abaissement du seuil de pétitionnaires applicable au droit d'initiative citoyenne. Sans vouloir anticiper sur notre discussion, il me semble néanmoins que nous avons trouvé là un compromis, un point d'équilibre qui rend le droit d'initiative citoyenne réellement exécutable ou du moins susceptible d'être sollicité directement par nos concitoyens.
Pour rappel, le droit d'initiative citoyenne est ouvert à 20 % de la population recensée dans les communes du périmètre de la déclaration d'intention ou à 10 % de la population recensée dans les départements ou régions où se trouve tout ou partie du territoire mentionné dans la déclaration, à un conseil régional, départemental ou municipal en vertu du droit des collectivités territoriales ou à l'une des nombreuses associations de protection de l'environnement agréées au niveau national.
Par ailleurs, nos échanges en commission ont permis d'allonger à quatre mois au lieu de deux le délai offert pour exercer un droit d'initiative, ce qui constitue une avancée, notamment pour nos concitoyens les plus éloignés des décisions et procédures publiques.
La quatrième nouveauté réside dans l'évolution des consultations lors des débats publics nationaux. L'ordonnance rend possible le débat public national grâce à l'ouverture de la saisine à 500 000 citoyens de l'Union européenne ou à soixante députés ou sénateurs ou au Gouvernement sur un projet de réforme relatif à une politique publique ayant un effet important sur l'environnement ou l'aménagement du territoire.
Ce seuil de saisine a fait l'objet d'un premier débat en commission et je ne doute pas que nous y reviendrons tout à l'heure. Un tel seuil correspond à celui fixé par la loi organique du 29 juin 2010 permettant de saisir le Conseil économique, social et environnemental – CESE. Un effectif de 500 000 citoyens est facilement mobilisable, notamment à l'heure d'internet. Cette nouvelle saisine engage une vraie responsabilité de l'État qui devra publier les enseignements tirés du débat et ses suites.
Pour autant, ces droits nouveaux ne doivent pas bloquer les porteurs de projets, et ils ne les bloqueront pas. Il convient toujours de chercher l'équilibre entre libérer et protéger. La CNDP veillera au respect des procédures et à la qualité de la concertation et des débats. C'est à elle que le rôle d'organisateur des concertations a été attribué. Elle joue donc un rôle central dans ce dispositif. Ces nouvelles modalités de consultation nous ont obligés à encadrer davantage le rôle du garant, qui sera directement désigné par la CNDP. Plusieurs amendements examinés en commission ont permis d'expliciter ses missions, notamment la diffusion au public des expertises présentées par les parties prenantes à la procédure de participation. Certains amendements présentés par le groupe REM accordent au garant un véritable rôle d'intermédiaire et de facilitateur du débat.
Ces concertations ou débats devront répondre aux exigences d'un État moderne avec une nécessaire dématérialisation. J'ai entendu les doutes exprimés par certains députés, notamment pour les territoires ruraux. La transition numérique, y compris pour ces questions, doit être accompagnée, et la CNDP y veillera pour ne pas exclure les citoyens du débat. Si besoin est, la concertation papier sera toujours possible.
Ces concertations devront également s'organiser dans des délais raisonnables. C'est une nécessité pour les porteurs de projets, qui doivent avoir de la visibilité ; c'est une nécessité pour éviter tout contentieux. Aussi, la concertation préalable ne dépassera jamais trois mois et la durée de l'enquête publique sera réduite de trente à quinze jours pour les projets ne relevant pas de l'obligation de l'étude d'impact.
Enfin, je dirai un mot sur la méthode avec laquelle ces deux ordonnances ont été élaborées. Ce projet de loi de ratification est avant tout le fruit d'une riche concertation au sein de la commission spécialisée du conseil national de la transition énergétique – CNTE – menée par le sénateur et ancien ministre de la défense Alain Richard, avec une cinquante de participants de qualités et d'horizons divers. Cette concertation a permis d'obtenir un large consensus, comme je l'ai expliqué en commission.
Au terme de la réunion de la commission du développement durable, nous sommes parvenus à de vrais équilibres, en emmenant le texte plus loin, sans jamais rompre le consensus et le subtil point d'équilibre initial. Nous y avons veillé ensemble ; au nom du Gouvernement, je vous en suis reconnaissant.
Je vous propose donc de faire preuve de la même habileté et de la même sagesse ce soir, pour mettre en place une première évaluation de l'application de ces deux ordonnances. Elle nous permettra, d'ici à deux ou trois ans, de mesurer l'impact de ce texte et de procéder alors aux modifications éventuelles. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM et LC.)
(…)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. Mesdames et messieurs les députés, je ne serai pas trop long, afin de ne pas empiéter sur la discussion des nombreux amendements déposés par des députés issus de tous les bancs de cet hémicycle. Je reviendrai toutefois sur quelques points, qui comportent en effet des aspects politiques. Ces ordonnances recouvrent aussi des réalités extraordinairement techniques et juridiques.
Monsieur le rapporteur, je peux comprendre que le seuil de 500 000 citoyens fixé pour la saisine de la CNDP sur les grandes politiques publiques puisse inquiéter ou poser question, car nous n'avons encore jamais eu recours à cette saisine en droit français – ou plutôt si, et j'y reviendrai dans un instant, mais pas en matière de concertation. Il est donc difficile de se faire une idée de la réalité de ce recours.
Néanmoins, les parlementaires réclament souvent au Gouvernement des efforts en matière de simplification. Je l'ai dit tout à l'heure, 500 000 est le nombre de signatures permettant de déclencher la saisine du Conseil économique, social et environnemental. Le premier argument justifiant cette mesure est donc qu'elle permet cet alignement et cette visibilité.
Le deuxième argument – à propos duquel vous pourrez dire dans quelques mois si j'ai eu tort ou raison – est que, sur les dossiers importants de très grandes politiques publiques, on peut atteindre facilement ce seuil de 500 000 signatures. C'est le cas par exemple pour les OGM, pour la loi travail, comme on l'a vu récemment, ou pour le secret dans le droit des affaires – autant de sujets qui ont suscité des pétitions sur internet, en format dématérialisé.
Sur ces questions de seuil, cependant, comme je l'ai dit et le redirai, le Gouvernement s'engage à procéder à une évaluation et à revenir devant vous s'il apparaissait que le taux de recours était nul ou insignifiant. J'en prends l'engagement devant la commission.
M. le député Pancher n'étant plus là, je vais m'adresser à son esprit autant qu'à son groupe ! (Sourires.)
Je vous remercie pour vos encouragements en matière de co-construction. Certains parmi vous ont souligné qu'il était peut-être un peu iconoclaste de se servir d'une ordonnance pour transposer et pour introduire les différents dispositifs que nous étudions ce soir dans le droit français. La réalité, c'est que le mécanisme des ordonnances a permis d'obtenir un véritable consensus entre différents partenaires – les organisations non gouvernementales, le monde économique, les élus locaux, les parlementaires – sur les textes que nous vous proposons ce soir.
Vous avez également insisté, monsieur Pancher, qui n'êtes toujours pas là, sur la dématérialisation en disant qu'elle va dans le bon sens. Je souscris également à ces propos mais je tiens à répéter ce que j'ai dit lors de la discussion générale : la CNDP gardera la capacité de réintroduire le format papier si, notamment pour des raisons sociales ou dans certains territoires ruraux, le besoin s'en faisait sentir.
Monsieur le député Bouillon, représenté par le ministre Guillaume Garot, que je salue, a eu raison de rappeler, avec son groupe et comme le député Sermier, que la Charte de l'environnement et la convention d'Aarhus prévoient l'intégration dans le droit positif d'éléments de participation citoyenne. C'est précisément ce que nous faisons ce soir : nous créons du droit positif concret, opérationnel pour nos concitoyens, à des fins de participation à des projets pouvant porter une atteinte particulière à l'environnement.
Vous nous demandez, avec votre groupe, monsieur Garot, de définir la notion de « participation publique ». C'est intéressant d'un point de vue juridique : il s'agit, au-delà de l'opportunité politique, de proposer une écriture juridique de cette notion – j'y reviendrai lors de l'examen des amendements. Avec cette ordonnance, nous commençons à inscrire dans le droit positif des éléments de définition de cette notion.
Je m'interroge aussi sur la question de savoir si cette ordonnance est le bon véhicule pour y parvenir. Cette question se pose également à propos de la « clause balai » – j'y reviendrai dans quelques instants en réponse à M. le député Wulfranc – : cette ordonnance est-elle le bon véhicule pour changer le droit, l'écriture de l'amendement recelant beaucoup d'incertitudes ? Je n'en suis pas certain.
Enfin, vous le savez, nous avons lancé un atelier pour réfléchir aux moyens de transformer le Conseil national pour la transition écologique, le CNTE, de façon à l'intégrer dans nos procédures de participation.
Pour résumer en une phrase la position de votre groupe, madame la députée Mathilde Panot, cela ne va pas assez loin. C'est votre droit et je respecte votre position. Néanmoins, l'avancée de ce soir est concrète, inédite, unique, opérationnelle. Ce droit-là, ça fait longtemps qu'on en parle, qu'il fait l'objet de déclarations, de promesses, et voilà que ce soir, mine de rien, nous le traduisons en droit positif opérationnel.
Vous vous inquiétez beaucoup que la fixation de seuils n'entrave le recours à la CNDP, ôtant à ce droit toute effectivité réelle. Vous me permettrez de considérer que l'instauration de seuils permet au contraire de véritables débats. Je ne voudrais pas que vous ayez mal compris le propos que j'ai tenu en commission – je n'ose croire que vous l'ayez caricaturé – : ce n'est pas parce qu'il manque des agents à la CNDP que nous fixons des seuils, d'autant que les moyens de la CNDP ont été augmentés. Je vous l'ai d'ailleurs expliqué en commission, madame la députée. J'ai même expliqué qu'on avait augmenté le nombre de garants, qu'on les avait formés. Je vous ai déjà répondu sur tous ces points.
Si on fixe des seuils, c'est aussi, tout simplement, pour organiser un peu le débat. Sans vouloir offenser quelque conviction que ce soit, un bon débat est un débat qui a lieu dans l'ordre. Ici même, dans le temple de la démocratie, il y a un règlement intérieur : on ne prend pas la parole n'importe comment, la prise de parole est organisée et cela n'empêche pas la démocratie de fonctionner. Nos concitoyens nous en voudraient beaucoup si tout cela devait se dérouler dans le bazar, ouvrant la possibilité de recours abusifs.
En effet, là où vous pensez peut-être rendre service, des intérêts contraires pourraient détourner cette capacité à saisir la CNDP pour retarder de vrais bons projets écologiques. Un parlementaire a rappelé que certains de ces projets participent à la transition écologique et se heurtent à l'opposition de groupes d'intérêts que vous connaissez. C'est parce que nous sommes là pour raisonner en droit et pas seulement en opportunité politique que je me suis permis de rappeler ces arguments.
Vous avez par ailleurs, avec d'autres, évoqué l'examen au cas par cas. Je ne voudrais pas qu'on considère cet examen comme une procédure de valeur inférieure, la procédure « du pauvre » – pardonnez-moi l'expression. Ce n'est pas le cas en droit. En tant que membre du Gouvernement – et je suis certain que les parlementaires partageront ce souci –, je pense en outre que cela serait profondément irrespectueux à l'égard des fonctionnaires de l'État qui instruisent ces dossiers dans les DREAL – directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement –, les DRIEE – directions régionales et interdépartementales de l'environnement et de l'énergie –, et les DEAL – directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement – dans les départements d'outre-mer. Croyez-moi, madame la députée, ils le font avec beaucoup de célérité et de sérieux.
Ce n'est pas parce qu'un examen est au cas par cas – je le dis aussi pour vous, monsieur le député Wulfranc – qu'il s'agit d'une autorisation environnementale au rabais. Si vous avez constaté un tel cas dans votre circonscription, ça m'intéresserait de le connaître. Je tenais à le dire afin de ne pas laisser prospérer au sein de la représentation nationale l'idée que le « cas par cas » n'est pas une bonne étude.
Vous avez enfin pointé un ou deux dysfonctionnements de la CNDP : c'est justement ce qui justifie ces ordonnances, madame la députée ! Le texte que vous adopterez ce soir permettra de répondre à cela. Je le répète, une fois ces dispositifs évalués, même par le Parlement– car une évaluation ne ment pas –, on pourra en reparler.
Monsieur le député Wulfranc, j'ai noté la référence purement normande au contournement routier : les députés normands l'apprécieront.
Vous parlez de la « clause balai », monsieur le député. Cette clause est intelligente, intellectuellement intéressante, pour moi en tout cas. Cependant l'introduire ce soir dans cette ordonnance, dont ce n'est pas l'objet principal, créerait une véritable incertitude juridique, étant donné surtout la manière dont est rédigé votre amendement.
L'introduction d'une telle clause pourrait laisser supposer qu'on en aurait fini avec toute nomenclature précise des risques environnementaux. Dans la tradition juridique française, la définition de seuils et de risques ciblés, soit par le pouvoir législatif, soit par le pouvoir réglementaire, apporte des garanties en matière de préservation et de protection de notre environnement. Nous pourrons en rediscuter, et la commission pourrait en débattre – mais cela ne me regarde pas. En tout cas, le Gouvernement prendra sa part à ce débat et s'efforcera de le faire avancer.
Vous avez évoqué les vices de forme, monsieur le député. Je rappelle qu'une loi de simplification de 2011, telle que le Parlement a l'habitude d'en voter, dispose que les vices de forme n'affectent pas la légalité de la procédure dès lors qu'ils n'ont aucun impact sur le fond. Par conséquent, et dans la continuité du vote du Parlement, je ne souhaite pas que l'on revienne sur des efforts de simplification que le Gouvernement a fait approuver par le Parlement sous le quinquennat précédent.
Je vous remercie pour vos propos, monsieur le député Djebbari. Nous vous devons, au rapporteur et à vous-même ainsi qu'à la bienveillance de sa présidente, les avancées importantes adoptées en commission, que cela soit en matière de seuils – dix millions ou cinq millions, ce n'est pas la même chose –, de délais, afin notamment de les aligner avec ceux du code de l'urbanisme, de modalités ou de clarification. Merci pour vos propos et surtout pour votre action.
Merci, monsieur le député Sermier, pour les vœux républicains de réussite que vous avez adressés aux membres du Gouvernement : je reconnais là votre état d'esprit constructif, en quelque sorte, sur les questions environnementales en tout cas ! (Sourires.) Je ne vous connais pas d'aujourd'hui, monsieur le député et votre bienveillance m'est connue : sachez qu'elle me touche.
Que Mme la députée Panot et le groupe de La France insoumise contestent le recours aux ordonnances, je peux le comprendre : ils sont cohérents avec eux-mêmes et avec ce qu'ils ont toujours dit. Quand les Républicains, que je connais bien, s'émeuvent du recours aux ordonnances, je rappelle que tous les candidats à la primaire de la droite et du centre ont fait du recours à l'ordonnance l'alpha et l'oméga de l'efficacité gouvernementale et parlementaire : le candidat François Fillon en avait même fait l'un des éléments importants de son programme !
M. Pierre Cordier. Comme Bruno Le Maire !
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. Moi, je n'ai pas la mémoire courte, monsieur le député, je me souviens bien de tous ces échanges et je tiens à ce qu'on reste cohérent sur ce sujet.
Vous l'avez dit, monsieur le député Sermier, il se trouve que l'autorisation de recourir à ces ordonnances a été demandée par le gouvernement précédent et accordée par la majorité précédente. Néanmoins je ne proposerai pas, au nom de Nicolas Hulot et du Gouvernement d'Edouard Philippe, cette ratification au Parlement si nous n'adhérions pas au fond et à l'esprit de ces textes. Merci, une fois de plus, pour vos propos sur le fond et l'esprit : vous qui êtes un spécialiste de ces questions, vous savez que ce texte va dans le bon sens et qu'il permettra un certain nombre d'avancées.
Je connais votre sensibilité aux questions agricoles. Voilà un texte, mesdames et messieurs les députés, qui réconcilie écologie, transition écologique, écoute des populations, quelles qu'elles soient, respect des porteurs de projets, quels qu'ils soient, y compris des agriculteurs. Comme il n'est pas interdit d'être intelligent, en tout cas d'y tendre, je pense que, ce soir, nous faisons collectivement de la belle ouvrage pour notre droit français, même si c'est par ordonnance – je suis sûr que cela sera vite oublié.
J'ai noté, monsieur le député Millienne, que vous aviez résumé la méthode du ministre d'État, Nicolas Hulot, en parlant de pragmatisme, de transversalité et de vérité. Le ministre étant actuellement à Roissy pour saluer une saisie record d'écailles de tortue réalisée par les douanes, il ne peut pas être au banc des ministres ce soir mais je vous remercie en son nom. Sachez que je lui transmettrai vos encouragements.
Vous insistez également sur le fait que les droits doivent être effectifs. Vous abordez vous aussi la question des seuils, mais de façon différente. Concernant les projets dont la maîtrise d'ouvrage est soit publique, soit privée, avec désormais au moins cinq millions d'euros d'argent public et sur la zone d'impact concernée, vous voudriez voir les taux redescendre à 15 % d'une part, et à 7,5 % d'autre part – je le redirai de manière beaucoup plus brève, rassurez-vous : si je suis long maintenant, c'est pour être plus rapide sur les amendements.
Je ne le souhaite pas à ce stade, non pas parce que je pense que vous avez tort, mais parce qu'un équilibre a été trouvé à l'issue d'un long travail de recherche d'un consensus avec les organisations non gouvernementales, avec les associations, avec le monde économique, avec le monde consulaire, avec les parlementaires, avec les élus locaux. Si cela ne se passe pas si mal dans cet hémicycle, c'est qu'il y a quand même eu une symbiose sur ce texte. Nous ne pouvons pas commencer à toucher à ces seuils sans risquer de déstabiliser les choses dans un sens ou dans un autre. Je vous prie de croire, monsieur le député, que je suis allé en commission au maximum de ce que je pouvais faire, notamment en ramenant le seuil de dix millions à cinq millions. Je pense que nous avons trouvé un point d'équilibre. Il y aura une évaluation et s'il s'avérait que cela ne fonctionne pas nous pourrons toujours le changer dans deux à trois ans. Le Parlement s'en saisira bien évidemment quand il le souhaitera et le Gouvernement reste à sa disposition.
Monsieur le député Prud'homme, vous avez raison. (« Ah ! »sur les bancs du groupe FI.) – je m'attendais à cette réaction ! – : nous devons être plus économes de nos ressources naturelles. Oui, monsieur le député Prud'homme, vous avez raison : nous devons même changer notre modèle productif. C'est ce que disent Nicolas Hulot et le Gouvernement et je suis sûr que vous les soutiendrez en la matière, avec pragmatisme et objectivité.
Vous avez même tellement raison qu'on ne peut plus tout accepter – et là je parle sérieusement. Ce changement de mode de production est au cœur de la transition écologique et solidaire que veut porter le Gouvernement. Il n'est plus seulement question de développement durable : il s'agit d'un changement de société.
Pour qu'il y ait un changement de société, il faut un changement dans l'appréhension de la captation des ressources naturelles, d'un côté – on doit apprendre à faire avec plus de rareté –, et, de l'autre côté, de notre manière de consommer. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cadre de projets de loi à venir ou de textes déclinant le plan Climat, notamment dans le cadre des contrats de transition écologique.
C'est mon histoire personnelle qui l'explique : je pense que les réponses les plus pragmatiques et les plus opérationnelles pour faire avancer les choses nous viendront des territoires.
Vous dites que certains dossiers sont urgents – vous en avez cité un grand nombre – et que toutes les concertations de la terre n'y changeront rien. Une fois de plus, vous avez raison. Vous nous invitez simplement à prendre collectivement des décisions, soit parce qu'il faudra changer la loi – je souhaite que vous puissiez nous y aider lorsque nous le ferons, notamment à l'automne en ce qui concerne les exploitations d'hydrocarbure – soit parce qu'il faudra aménager un certain nombre de régimes d'autorisation dont le ministère de Nicolas Hulot a la responsabilité.
Ne faisons pas dire à ce texte ce qu'il ne dit pas : il constitue une avancée en droit positif pour nos concitoyens. Peut-être ne va-t-elle pas suffisamment loin pour votre groupe mais elle existe, elle est réelle et, quoi que vous en disiez, c'est une première.
Je remercie M. le député Jacques Krabal -– ou du moins son esprit ! – d'avoir rappelé que les ordonnances ont permis de travailler de façon consensuelle et de transposer correctement des directives européennes difficiles à inscrire dans notre droit. Techniquement, là encore, il a raison.
Monsieur le député Ludovic Pajot, je veux bien tout entendre mais passer cinq minutes et quatorze secondes à dire que le Parlement est dépossédé de son pouvoir à cause de Bruxelles ou du Gouvernement …
M. Ludovic Pajot. C'est la vérité !
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d'État. … sans évoquer une seule fois le fond du texte, c'est tout de même un peu bizarre – je vous le dis comme je le pense. Je n'ai même pas compris votre position et celle de votre groupe sur le fond. Nous discutons de ce texte depuis tout à l'heure, nous avons commencé la semaine dernière en commission, nous avons accepté ou refusé des amendements mais je me demande, monsieur le député, si nous avons partagé la même expérience législative sur ce dossier. J'ai tout de même l'impression que les parlementaires ont pu user de leur droit d'amendement et ils le pourront à nouveau dans un instant. Je n'ai d'ailleurs pas vu d'amendement proposé par vous, monsieur le député.
Une fois de plus, je veux bien tout entendre mais je constate que les élus du Front national font preuve de la même mauvaise foi ici, dans cette assemblée, que dans mon conseil municipal de Vernon. Au moins, nous ne sommes pas surpris (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM et sur quelques bancs du groupe GDR.) !
Madame la députée Bérangère Abba, mon dernier mot est pour vous et je répéterai pour la troisième fois la même chose – on ne pourra pas dire que le Gouvernement n'a pas été clair – : oui, mille fois oui à une évaluation d'ici trois ans, et on changera ce qui doit l'être, je vous en donne ma parole (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.)source http://www.assemblee-nationale.fr, le 24 juillet 2017