Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à "France Inter" le 3 août 2017 sur les premieres mesures prises par le gouvernement en matière de politique budgétaire (réduction des dotations aux collectivités locales, baisse des aides au logement, annonce de la hausse de la CSG..).

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN, bonjour.
GERALD DARMANIN
Bonjour.
PIERRE WEILL
Ministre de l'Action et des Comptes publics. 300 millions d'euros de dotation aux collectivités locales annulés par décret, Emmanuel MACRON avait promis de ne pas y toucher le 17 juillet lors de la Conférence des territoires. Pourquoi ce changement ?
GERALD DARMANIN
Ah non, il n'y a pas de changement. Le décret de cette année c'est pour éviter d'augmenter les impôts, et ces 300 millions c'est 0,3 % du budget consacré aux collectivités locales. Et j'entends aujourd'hui des gens qui disent « ah, ça n'a jamais été fait », l'année dernière c'était le même montant annulé, tout simplement parce que c'était des montants annulés en fin d'année. Ça ne correspond pas à des budgets que nous allons refuser aujourd'hui, tous les engagements de l'Etat, auprès des territoires, seront tenus. Ce que souhaite le président de la République c'est tout l'inverse, c'est dans les prochains budgets, et il n'y a pas, ni d'annulation d'années, ça évite d'avoir un budget insincère, c'est ce qu'on va faire, on va présenter un budget sincère, avec des vrais montants de budgétisation, ni des baisses de dotation aux collectivités.
PIERRE WEILL
Des élus parlent de trahison, de déception, des maires attendaient des crédits pour lancer des opérations, et cet argent n'arrivera pas.
GERALD DARMANIN
Alors certains élus sont en campagne sénatoriale. Je vois le président du Sénat, qui d'habitude est un homme modéré, nous dire…
PIERRE WEILL
Non, mais je parle de communes rurales.
GERALD DARMANIN
Vous savez, les sénatoriales…
PIERRE WEILL
Des petites communes.
GERALD DARMANIN
Les sénatoriales c'est souvent les communes rurales également ; je vois le président du Sénat nous dire « c'est incroyable, c'est inacceptable. » Le Sénat, la commission des Finances du Sénat, où j'ai été présenter ce décret, voilà quasiment un mois désormais, ce décret il est public depuis le 20 juillet, la commission des Finances du Sénat, majorité Républicains, a adopté ce décret. Donc voyez, je pense qu'il faut en toute chose éviter la démagogie, 0,3 % du budget des collectivités territoriales, des concours financiers de l'Etat. Ce qui est sûr c'est que nous avons fait des économies, ces économies – d'une part parce que le budget présenté par nos prédécesseurs, d'après la Cour des comptes, avait des biais d'insincérité, et parce que nous avons fait le choix de ne pas augmenter les impôts. D'habitude quand on dit il y a un mauvais héritage, lorsqu'on arrive au pouvoir, on augmente les impôts pour justifier les trous dans la raquette, eh bien nous n'avons pas fait ça, nous avons fait des économies. Et oui, nous faisons moins de dépense publique, et nous le ferons de manière intelligente, avec des réformes de structure, dès l'année prochaine.
PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN, la baisse des APL, est-ce définitif, pourriez-vous faire marche-arrière ?
GERALD DARMANIN
La baisse des APL elle correspond, encore une fois, à cette sous-budgétisation, il manquait 140 millions d'euros pour payer les APL.
PIERRE WEILL
Selon Le Canard Enchaîné, Emmanuel MACRON a dit que « c'est une connerie sans nom. »
GERALD DARMANIN
Alors je n'ai jamais entendu le président de la République utiliser de tels mots, tels mots choisis, et par ailleurs je n'étais pas dans ce genre de réunion, je ne pense pas qu'il ait tenu ces propos. Ce qui est sûr c'est que le président de la République et le Premier ministre nous ont demandé de faire des réformes de structure. La réforme de structure ce n'est pas, effectivement, -1 euro, -2 euros, -3 euros, sur des prestations, la réforme de structure c'est considérer que les APL c'est 18 milliards, 18 milliards les APL, et en même temps le prix du mètre carré en France est 2 fois plus important que le prix du mètre carré en Allemagne. Pourquoi ? Parce que votre APL, souvent, ça donne l'inflation des loyers. Quand j'étais étudiant à Lille, on m'a demandé le montant de mes APL, avant de fixer mon loyer, eh bien c'est tout ce qu'on ne veut pas faire. Donc, il y aura des réformes de structure, elles sont en ce moment en train d'être réfléchies et montées par Jacques MEZARD et Julien DENORMANDIE, et à l'automne nous présenterons une réforme des APL.
PIERRE WEILL
Cette réforme des APL, cette baisse des APL, de 5 euros par mois, ça fait une économie de 32 millions par mois pour l'Etat. Ce n'est pas étonnant de susciter un tel mécontentement avec cette baisse des APL, une tempête politique, un sentiment d'injustice, tout ça pour une somme finalement, qui est tellement importante pour votre budget ?
GERALD DARMANIN
Alors, c'est avec des raisonnements comme les vôtres qu'on arrive à 2200 milliards de dette et 2400 euros de déficit chaque seconde. Ça, c'est sûr que, si on fait comme avant, on va continuer à creuser le déficit, on va dire la dette ce n'est pas grave, quelqu'un d'autre la paiera. Eh bien quelqu'un d'autre la paiera, c'est effectivement, depuis 40 ans, un budget qui n'est pas en équilibre, et depuis plus de 10 ans un budget qui est à plus de 3 % du déficit. Nous sommes aujourd'hui dans un moment où il faut savoir être responsable. Par ailleurs, sur la baisse des APL, je voudrais quand même dire que si les propriétaires baissaient leurs loyers, le parc social comme les propriétaires, nous pourrions avoir une baisse des APL qui correspond, non pas à une baisse de pouvoir d'achat pour nos concitoyens, mais à quelque chose qui devient raisonnable. Sur 5 euros, je prends les APL étudiants, 5 euros de baisse d'APL c'est 4 euros pour les propriétaires. Je suis l'élu d'une ville populaire, je sais très bien ce que veut dire l'accompagnement social de l'Etat par rapport aux personnes les plus fragiles, mais c'est justement parce que ça ne marche pas qu'il y a 900.000 personnes, d'après la Fondation Abbé Pierre, qui ne vivent pas chez eux, qu'il y a des millions de personnes mal logées, qu'on doit construire des logements, qu'on doit revoir la réforme du logement, c'est ce que nous ferons à l'automne prochain.
PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN, le couperet tombe sur les ministères, avec les lettres plafonds, qui fixent les crédits et les effectifs, on leur demande 10 milliards d'euros d'économies en 2018. Quels sont les ministères qui devront, plus que d'autres, se serrer la ceinture ?
GERALD DARMANIN
Alors d'abord, vous avez une façon assez ancien monde de présenter les choses. Un bon ministre ce n'est pas un ministre qui obtient plus et qui dépense plus, un bon ministre c'est un ministre qui dépense mieux. Donc, il n'y a pas à juger les ministères et les actions politiques au montant de crédits qu'on donne à chacun des ministères, et il n'y a pas de couperet, il y a simplement un budget de l'Etat qui correspond aux impôts des Français que nous allons baisser. Nous allons d'abord, et c'est la stratégie du gouvernement, baisser les impôts pour les entreprises…
PIERRE WEILL
On va en parler.
GERALD DARMANIN
Oui, mais c'est très important, parce que s'il y a moins de recettes, il faut moins de dépenses, ça paraît du bon sens. Moi je suis un maire d'une commune provinciale, effectivement, mais je pense que le bon sens, parfois, c'est bon en politique. Donc moins, effectivement, d'impôts pour les entreprises, ce sera zéro charge pour quelqu'un qui sera au SMIC dans une entreprise…
PIERRE WEILL
Mais dans l'immédiat, dans les ministères, des économies.
GERALD DARMANIN
Evidemment qu'il faut faire des économies, mais ça, chaque Français peut comprendre que quand depuis 40 ans on dépense plus qu'on ne reçoit, soit on veut creuser sa dette de façon abyssale, soit on considère qu'on ne peut pas continuer comme ça et qu'on fait des économies.
PIERRE WEILL
Avec ces coups de rabot est-ce que vous craignez une grogne sociale à la rentrée ?
GERALD DARMANIN
Mais c'est tout le contraire des coups de rabot. Le coup de rabot c'est effectivement de faire -1 %, -2 % pour tout le monde, nous ferons des réformes structurelles, la réforme du travail, et le Parlement a adopté – en quelques semaines on nous avait promis la litanie des critiques et la litanie du blocage institutionnel sur la réforme du travail, Muriel PENICAUD a fait adopter, d'ailleurs, sans deuxième lecture à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire que même l'opposition au Sénat a voté la réforme du travail…
PIERRE WEILL
Mais je vous parle des budgets des ministères…
GERALD DARMANIN
Bien sûr.
PIERRE WEILL
Est-ce que vous craignez une grogne sociale des fonctionnaires à la rentrée ?
GERALD DARMANIN
Je ne le crois pas, je pense que chacun comprend que nous faisons des réformes très importantes pour le pays, qu'on ne peut pas toujours demander plus de moyens. On a vu d'ailleurs que dans le précédent quinquennat c'était plus de moyens, et ça n'a pas résolu les grands problèmes des Français.
PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN, les baisses d'impôts en 2018, que répondez-vous aux économistes qui notent que 10 % des contribuables les plus aisés sont ceux qui gagneront le plus dans cette refonte de la fiscalité que vous lancez, ils capteront 46 % des gains des mesures fiscales ?
GERALD DARMANIN
C'est tout à fait faux. D'abord nous allons baisser les impôts des Français, 80 % des Français vont voir un tiers de leur taxe d'habitation en moins l'année prochaine, la fin de la taxe d'habitation c'est, en moyenne, 550 euros de moins d'impôt pour les Français, pour tous les Français qui payent la taxe d'habitation, en tout cas les 80 % qui sont concernés.
PIERRE WEILL
Mais la suppression de la taxe d'habitation ça va se faire progressivement, sur plusieurs années.
GERALD DARMANIN
Trois années, un tiers dès l'année prochaine, voulu par le président de la République, donc c'est, concrètement, 150 à 200 euros de moins d'impôt, l'année prochaine, pour les foyers français.
PIERRE WEILL
En revanche, la hausse de la CSG, 1,7 point, c'est tout de suite.
GERALD DARMANIN
L'augmentation de la CSG ça permettra surtout aux salariés… un ouvrier, au SMIC, il va gagner 260 euros de plus de pouvoir d'achat parce qu'on va lui supprimer ses cotisations sociales et maladie, 3,5 points de cotisations supprimés. Donc c'est, si je fais le calcul, 150 à 200 euros, l'année prochaine, d'impôt en moins, et 260 euros, pour quelqu'un qui est au SMIC, de pouvoir d'achat en plus. L'année prochaine nous allons augmenter l'Allocation Adulte Handicapé, nous allons l'augmenter dans des proportions qui n'ont pas été augmentées depuis bien longtemps. Nous allons augmenter la prime d'activité, c'était voulu par Emmanuel MACRON dans sa campagne, c'est-à-dire que nous allons encourager ceux qui reprennent un travail à 100 % à être payés plus par rapport à ne pas payés. Nous allons augmenter le minimum vieillesse. Nous allons pouvoir être à côté de tous ceux qui, comme les indépendants, vont voir leur pouvoir d'achat augmenter, notamment grâce à cette augmentation de la CSG d'une part, et à la suppression de cotisations d'autre part. Donc, nous allons redonner du pouvoir d'achat à nos concitoyens, et nous allons, enfin, donner une philosophie politique, une réalité, c'est-à-dire le travail doit payer.
PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN, à la Une de l'actualité ce matin, le transfert de Neymar au PSG avec des sommes astronomiques, vous, le ministre des impôts, le ministre des Comptes publics, pour vous c'est une bonne nouvelle l'arrivée de Neymar au PSG ?
GERALD DARMANIN
Alors si, effectivement, Neymar vient dans un club français, effectivement, le ministre des Comptes publics se réjouit des impôts qu'il va pouvoir payer en France.
PIERRE WEILL
Et l'homme politique élu d'une ville de province, Tourcoing, est-ce que vous ressentez un malaise face à l'ampleur des montants en jeu ?
GERALD DARMANIN
Moi, vous savez, je me sens ministre de la République, et quand on est ministre de la République il me semble qu'on a un devoir qui consiste à défendre les intérêts de l'Etat et les intérêts de l'Etat c'est que les gens payent des impôts en France.
PIERRE WEILL
Dans la presse il y a un mot qui revient souvent ce matin, c'est « indécence. »
GERALD DARMANIN
Il vaut mieux…
PIERRE WEILL
30 millions d'euros par an, le salaire de Neymar.
GERALD DARMANIN
Il vaut mieux que ce joueur de football paye ses impôts en France, me semble-t-il, qu'il les paye ailleurs. Ensuite, moi, si vous souhaitez avoir mon avis profond sur les injustices, je suis plus concerné par les injustices des gens qui n'arrivent pas à se loger dans ma commune, parce qu'on n'a pas construit les logements, parce que l'ANRU n'avait pas de moyens, et on va doubler les crédits ANRU, que par ce qui se passe pour quelques personnes en France.
PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN, ministre des Comptes publics, vous allez quand même suivre de près, avec vos services, le montage financier qui entoure ce transfert de Neymar ?
GERALD DARMANIN
Je n'ai pas l'habitude de dévoiler ce que font les services de mon ministère, surtout les services fiscaux, qui sont couverts par un certain secret, mais ne vous inquiétez pas, les intérêts du pays, et notamment ses intérêts financiers, seront bien observés.
PIERRE WEILL
Gérald DARMANIN est notre invité ce matin sur France Inter, dans une dizaine de minutes vous pourrez l'interroger dans Interactiv'.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 août 2017