Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le plan de relance du bâtiment et des travaux publics, les mesures gouvernementales pour l'emploi et le CIP dit "SMIC jeunes", Paris le 3 mars 1994.

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Circonstance : Assemblée générale de la Fédération nationale des travaux publics, à Paris le 3 mars 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
L'Assemblée Générale de votre Fédération me donne l'occasion de m'exprimer sur les choix économiques et sociaux du Gouvernement pour le redressement de notre pays, et sur le rôle privilégié que vos entreprises sont appelées à y jouer.
Je remercie vos dirigeants de me l'avoir donnée, et tout particulièrement le Président LEVAUX. Je tiens à saluer l'action efficace qu'il conduit à la tête de votre profession.
La priorité absolue de la politique économique et sociale du Gouvernement, c'est l'emploi. Elle peut s'exprimer en deux objectifs : plus de croissance ; une croissance davantage créatrice d'emplois. Pour atteindre l'un et l'autre de ces deux objectifs, le Gouvernement entend donner à vos entreprises les moyens nécessaires et s'appuyer sur leur mobilisation.
Plus de croissance. Lorsque le Gouvernement a pris ses fonctions, la France connaissait une récession, la plus grave depuis près de 20 ans.
Nous avons donc voulu prendre sans tarder des mesures importantes pour soutenir l'activité. Ces mesures ont pour une très grande partie d'entre elles concerné le secteur du bâtiment et des travaux publics, en retenant trois directions principales : un plan de relance immédiat, la recherche d'une levée des blocages administratifs, une politique orientée vers les investissements de l'avenir.
Le plan de relance du bâtiment et des travaux publics a été d'une ampleur sans précédent. Permettez-moi d'en rappeler les principaux aspects :
- 6 milliards de Francs supplémentaires ont été alloués au logement, avec notamment une enveloppe exceptionnelle de 11 000 logements HLM en plus des 90 000 du budget ;
- 5 milliards de Francs supplémentaires pour la politique de la ville ; le Gouvernement a décidé, la semaine dernière, de conforter cette politique en lui assignant des objectifs clairs et vérifiables pour les 5 prochaines années ;
- 3 milliards de Francs pour achever la génération précédente des Contrats de Plan Etat-Régions, à qui nos prédécesseurs n'avaient pas donné tous les moyens correspondant aux engagements pris ;
- le remboursement de la créance de TVA des entreprises sur l'Etat, remboursement qui a été intégral et immédiat pour les petites et moyennes entreprises, nombreuses dans votre activité ;
- des crédits supplémentaires, en 1993 et 1994, pour les autoroutes, les travaux d'environnement, l'enfouissement des lignes électriques et les transports collectifs.
Lorsque nous avons annoncé cet ensemble considérable de mesures, certains n'ont pas caché leur scepticisme. Le collectif budgétaire a été voté à la fin de juillet 1993. Que constatons-nous, sept mois après :
- dans le domaine du logement, une incontestable reprise. Le rythme annuel des mises en chantier était de 225 000 en juin 1993 ; il a atteint 280 000 en novembre, soit une progression de 27 %. La progression des permis de construire est la même et constitue un encouragement très net pour 1994 ;
- dans le domaine des travaux publics, si l'année 1993 a globalement été une année difficile, avec une baisse de l'activité de 4 %, les enquêtes réalisées en janvier montrent une nette amélioration des perspectives des entreprises.
Bien entendu, cette amélioration est encore insuffisante. Elle montre cependant que les mesures prises ont permis d'enrayer la dégradation de l'activité et de contribuer à regarnir les carnets de commandes pour 1994.
Votre Fédération est venue de façon très judicieuse et opportune appuyer les efforts du Gouvernement.
Conjointement avec la Fédération Nationale du Bâtiment, vous avez puisé dans les ressources gérées par vos professions pour constituer une enveloppe de 4 Milliards de Francs de prêts bonifiés, mis à la disposition des communes pour de nouveaux investissements. Je sais que cette initiative exemplaire a rencontré tout le succès qu'elle méritait.
Nos efforts communs contribueront ainsi de manière décisive à conforter la reprise amorcée par l'économie française. La France vient de sortir de la récession. La croissance vient d'être révisée à la hausse avec 0,4 % au troisième trimestre et 0,2 % au quatrième trimestre de 1993. En 1994 la croissance atteindra un rythme annuel de l'ordre de 1,4 à 1,5 %. Permettez-moi de rappeler qu'au début de 1993 nous étions à près de 1 % de rythme de décroissance.
Deuxième volet de l'action du Gouvernement en faveur de votre secteur : essayer de lever les blocages administratifs.
Il ne suffit pas en effet de prendre des mesures utiles : encore faut-il veiller à leur application réelle sur le terrain.
Dès que le Gouvernement a été formé, votre Fédération lui a signalé "100 chantiers" bloqués pour des causes diverses, alors même que leur financement était assuré. Nous nous sommes attelés à la tâche et nous sommes parvenus dans beaucoup de cas à lancer les travaux : par exemple pour l'autoroute A.14 ou l'autoroute de la Maurienne.
Je suis cependant conscient de ce que les blocages subsistent, encore beaucoup trop nombreux. Je souhaite poursuivre, avec votre concours, la démarche engagée au Printemps 1993 : n'hésitez pas à alerter le Gouvernement chaque fois que cela sera nécessaire.
Je serai personnellement attentif à ce que les administrations fassent diligence. Pour illustrer mon propos, sachez que j'ai décidé de retirer les crédits alloués au titre de la Politique de la Ville à toute administration qui ne les aura pas engagés avant le 1er juin. Cet argent pourra servir plus utilement à d'autres actions de la Politique de la Ville.
Troisième volet de l'action du Gouvernement en faveur de la croissance : le soutien apporté aux investissements d'avenir.
Votre secteur d'activité joue un rôle essentiel dans la réalisation d'équipements indispensables au service de la collectivité, au développement économique et à la modernisation du pays.
Je retiendrai particulièrement trois grands investissements d'avenir : les transports collectifs urbains, le TGV et les autoroutes.
Le Gouvernement a décidé une relance de la politique des transports collectifs, particulièrement nécessaire pour améliorer la qualité de vie de nos concitoyens. Le Ministre de l'Equipement, M. BOSSON, a arrêté de nouveaux critères d'aide, objectifs et incontestables, qui respectent la liberté de décision des collectivités. Cette politique permettra une sensible accélération de ces projets notamment dans les villes moyennes.
En ce qui concerne les trains à grande vitesse, qui sont un instrument essentiel pour l'aménagement du territoire, le Gouvernement a pris les décisions qui s'imposaient pour réaliser les deux grandes lignes de TGV Méditerranée et du TGV Est européen. Ces deux projets représenteront près de 45 Milliards de Francs d'investissement d'infrastructure d'ici à l'horizon 2000 et conforteront l'avance prise par la France dans les technologies de la grande vitesse.
Enfin j'ai personnellement décidé une accélération très sensible du programme autoroutier. L'intégralité du schéma autoroutier, qui représente 140 Milliards de Francs de travaux, sera lancée en 10 ans, de 1994 à 2004, au lieu des 15 ans initialement prévus. Dès 1994 les travaux lancés atteindront le rythme de 14 Milliards de Francs.
Cette accélération sera facilitée par une réforme ambitieuse du système autoroutier, réforme qui sera mise en oeuvre dès le premier semestre de cette année. Elle garantira désormais une planification sur plusieurs années des investissements, qui seront libérés de la tutelle des autorisations annuelles du FDES. Elle apportera aussi une souplesse dans la gestion des péages, en respectant une norme moyenne d'évolution fixée pour 5 ans à l'intérieur d'un contrat de plan.
Les autoroutes seront ainsi l'exemple d'une gestion moderne des grandes infrastructures. Le Gouvernement étudiera d'autres mesures avec ce même objectif de faciliter le financement de projets d'intérêt commun, notamment à la suite du rapport de M. Jean-René BERNARD sur les marchés d'entreprises de travaux publics et les délégations de service public. Naturellement le Gouvernement veillera à préserver la place des PME, qui est essentielle pour l'emploi.
La même recherche de financements originaux s'appliquera aux Trains à Grande Vitesse, en suivant l'exemple du TGV Est. Des financements spécifiques de projet pourront ainsi faciliter la réalisation du TGV Bretagne, du TGV Rhin-Rhône, du TGV Montpellier-Barcelone, du TGV Aquitaine et du TGV Lyon-Turin, dans laquelle les régions et partenaires intéressés ainsi que la Communauté Européenne pourront venir épauler la SNCF.
Tels sont les efforts accomplis pour faire repartir l'économie française. J'aurais pu en citer d'autres, en dehors de votre secteur d'activité, comme la prime de 5000 Francs donnée pour le remplacement des automobiles de plus de 10 ans. Certains avaient ironisé sur cette mesure. Les constructeurs français nous disent aujourd'hui que dès le mois de février, cette décision leur a procuré 40 % d'immatriculations supplémentaires.
Mais ces efforts pour relancer la croissance, qui commencent aujourd'hui à donner leurs résultats, ne suffiront pas si cette nouvelle croissance ne devient pas davantage créatrice d'emplois.
Revenons un instant sur la situation que nous avons trouvée à notre arrivée au Gouvernement. En avril 1993, le cap des 3 Millions de chômeurs a été dépassé. En janvier, février et mars 1993, le nombre des demandeurs d'emplois s'est accru de 75 000 personnes. Pendant chacun des mois d'avril et mai 1993, le nombre des chômeurs s'est accru de 40 000 personnes.
Plus grave encore, chacun s'accorde aujourd'hui à constater que, de tous les pays industriels développés, la France est celui qui créé le moins d'emplois lorsqu'il y a croissance, qui détruit le plus d'emplois lorsqu'il n'y a pas assez de croissance.
Il était temps de réagir et de chercher à changer un fonctionnement de notre économie, qui, si nous n'y prenons pas garde, finira par mettre en péril la cohésion de la société française.
Le Gouvernement s'y est engagé avec résolution. Pour la première fois depuis bien des années, les cotisations pesant sur les emplois les moins rémunérés ont été diminuées. Les cotisations familiales qui grèvent les salaires inférieurs à 1,5 SMIC ont été ainsi intégralement mises à la charge du budget de l'Etat. Cette démarche d'allégement des charges est la seule capable d'inverser la tendance autrement inévitable à substituer la machine à l'homme et à priver d'accès à l'emploi les travailleurs les moins qualifiés.
Le Gouvernement a porté une attention spéciale à la lutte contre le chômage des jeunes. C'est tout le sens de l'action menée pour la relance de l'apprentissage et qui commence à porter ses fruits. Je rappelle qu'entre décembre 1992 et décembre 1993, le nombre des apprentis a ainsi pu augmenter de 25 %. Je profite de cette occasion pour remercier votre Fédération et vos entreprises qui se sont activement engagées, et avec succès, en faveur de l'apprentissage.
Enfin le Gouvernement a adopté une mesure importante pour aider les jeunes à franchir les portes de l'entreprise. Le contrat d'insertion professionnelle offre aux jeunes la possibilité d'acquérir une formation à l'intérieur du monde du travail, par la voie d'un enseignement ou par la voie innovante du tutorat. Il s'agit de leur donner, en plus de la formation de base qu'ils ont acquise dans leur scolarité, une première expérience professionnelle. Vous le savez bien, c'est l'absence d'une telle expérience qui très souvent fait obstacle à l'embauche des jeunes.
A l'issue de leur contrat, qui ne durera pas plus d'un an, les jeunes pourront, s'ils ne sont pas embauchés par l'entreprise qui les aura formés, chercher du travail avec de meilleures chances et une véritable expérience.
Vous le voyez bien, cette mesure n'a rien à voir avec ce que certains appellent, avec des intentions polémiques, le "SMIC Jeunes". Il ne s'agit en aucun cas de payer des heures de travail en dessous du SMIC ; il s'agit de donner aux jeunes une formation adaptée permettant l'entrée dans l'entreprise. J'ajoute que je n'ai pas voulu toucher au SMIC, pas plus pour les jeunes que pour les autres et que je n'ai pas l'intention de changer d'attitude.
J'ai d'ailleurs eu l'occasion, aujourd'hui même, de dissiper ces malentendus en recevant les partenaires sociaux à l'Hôtel Matignon.
Les décrets du 23 février 1994 sont maintenus. Mais ils devront être complétés.
Ainsi, j'ai proposé qu'un décret complémentaire, pris après concertation avec les partenaires sociaux, vienne, avant le 31 mars, préciser le contenu de la notion de tutorat, qui comportera, de la part de l'entreprise, un véritable effort de formation.
S'agissant des jeunes diplômés bénéficiaires du C.I.P., les décrets qui ont été publiés seront complétés de telle manière que leur rémunération, qui sera d'un montant au moins égal à 80 % du salaire conventionnel, ne puisse en aucun cas être inférieure au SMIC.
Enfin, une instance interprofessionnelle paritaire vérifiera les conditions d'application du C.I.P.
La détermination du gouvernement dans la lutte contre le chômage commence, elle aussi, à donner des résultats. Pendant les trois derniers mois de nos prédécesseurs, il y a eu, je le rappelai tout à l'heure, 75 000 chômeurs de plus. Pendant les trois derniers mois de ce Gouvernement, il y a eu moins de 20 000 chômeurs supplémentaires. C'est encore trop, mais c'est déjà le signe d'un ralentissement qui doit se poursuivre pendant l'année 1994.
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Le message que j'ai voulu vous délivrer ce soir est un message de courage, de civisme et de foi en l'avenir.
Le courage, je sais qu'il ne vous fait pas défaut. Vous l'avez montré dans cette période difficile à la tête de vos entreprises.
Votre civisme, je sais que je peux aussi lui faire appel. En vous mobilisant pour l'apprentissage, pour l'insertion professionnelle des jeunes, vous nous aiderez à vaincre ensemble le chômage et à ramener la France vers une société où la croissance créée à nouveau l'emploi.La foi en l'avenir nous habite, à la tête du Gouvernement comme dans vos entreprises, parce que la France sait qu'elle peut toujours compter sur sa seule vraie ressource, la valeur de ses hommes, pour trouver le chemin de son redressement.