Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur les missions des commissaires de police et les mesures en faveur de la police contenues dans le projet de loi relatif à la sécurité, Saint-Cyr-Au-Mont d'or le 28 juin 1994.

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Circonstance : Cérémonie de sortie de la promotion Saint-Exupéry des commissaires de police, Saint Cyr au Mont d'Or le 28 juin 1994

Texte intégral

Monsieur le Ministre d'État,
Messieurs les Préfets et Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Commissaires de Police,
Mesdames et Messieurs,
Il n'est pas habituel que le Chef du Gouvernement préside la cérémonie de sortie d'une promotion de Commissaires de Police. Avec le Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire, j'ai pourtant tenu - et je le fais avec plaisir - à venir saluer l'entrée en fonction des Commissaires de Police de votre 44ème promotion. C'est pour moi l'occasion de souligner d'abord une nouvelle fois l'importance que revêt à mes yeux pour notre pays la mission qui est la vôtre.
Le nom que vous avez choisi de donner à votre promotion, Mesdames et Messieurs les Commissaires, est prestigieux : il est celui d'un homme qui, avec foi et courage, ouvrit des chemins inexplorés. Un homme pour qui l'aventure donnait un vrai sens à la vie, un homme qui servit l'Etat et son pays avec héroïsme.
Ce choix du nom d'Antoine de Saint-Exupéry est juste.
Parce qu'il rend hommage à une personnalité d'exception. Parce qu'il honore également ceux qui placent leur vie professionnelle sous les heureux auspices de sa mémoire.
Votre métier ne sera jamais comme les autres : par la grandeur de votre mission, il représente bien plus qu'un emploi, c'est une aventure et une vocation que, chaque jour, vous renouvellerez au service de la cité. Mais il ne sera jamais comme les autres, surtout, par les risques qu'il comporte. Mes pensées se tournent à cet instant vers le Sous-Brigadier de Police Yves MOIGNARD qui a été tué dimanche à Hyères et le Brigadier-Chef Jean-Marie SANCHO qui a été gravement blessé alors qu'ils tentaient d'arrêter un malfaiteur. J'assure de ma profonde sollicitude les familles de ces deux fonctionnaires courageux qui méritent le respect de la Nation et je vous invite à observer une minute de silence à la mémoire d'Yves MOIGNARD.
Les héros de Saint Exupéry sont des êtres de coeur. Ces héros, courageux, et pourtant si humains, sont des exemples d'énergie et de droiture. Je vous invite à les prendre pour exemples.
Inspirez-vous de l'esprit dans lequel ils menaient leur action. Insufflez à votre tour ce sens du bien commun et du service public qui donnera noblesse et efficacité à votre action.
Du métier lui-même, disait Saint Exupéry, on "retient en fin de compte non pas l'aspect technique ou exaltant, mais simplement l'occasion qu'il donne à quelques hommes de reconnaître leurs limites, la puissance de leur volonté, leur responsabilité à l'égard de tous et la primauté d'un but qui vaut plus que la vie".
Ce métier que vous allez exercer est étroitement lié à l'essence même de l'État dont la raison d'être première est d'assurer la sécurité des personnes et des biens.
Dès le 8 avril 1993, lors de la déclaration de politique générale devant l'Assemblée Nationale, j'ai eu l'occasion de préciser le prix que le Gouvernement attache à cette mission essentielle et la priorité qu'il entend lui accorder dans son action.
Depuis quinze mois, le Gouvernement s'emploie -et tout particulièrement le Ministre d'Etat, Ministre de l'intérieur et de l'Aménagement du Territoire auquel je tiens à rendre hommage- à faire reculer l'insécurité et la délinquance, à préserver et affermir l'Etat de droit, à le rétablir chaque fois qu'il est mis à mal.
Vous savez quelles réformes ont été mises en oeuvre : rétablissement des contrôles d'identité, révision de la procédure pénale pour faciliter les enquêtes que certaines dispositions adoptées à la fin de 1992 avaient gravement entravées, élargissement de la compétence territoriale des Officiers de Police judiciaires dans les grandes agglomérations, adoption de mesures nouvelles pour prévenir et réprimer les violences à l'occasion des manifestations sportives...
Des plans départementaux de sécurité ont été établis sous la double autorité des Préfets et des Procureurs de la République. Ils permettent de renforcer l'efficacité conjointe des différents services de l'Etat qui concourent à la sécurité : la Police nationale et la Gendarmerie nationale, bien sûr, mais aussi la Douane et d'autres administrations qui telles l'Éducation Nationale ou les affaires sociales ont leur part dans toute politique de sécurité qui se doit de conjuguer prévention, dissuasion et répression.
En 1993 et 1994, 3 000 policiers auxiliaires, 300 inspecteurs de Police, 1 300 agents administratifs supplémentaires ont été recrutés. Le développement de la formation en alternance a permis d'affecter 1 000 élèves gardiens de la Paix en renfort sur la voie publique.
Le Ministre d'Etat, Ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire avait fixé aux chefs de service de la Police nationale l'objectif d'augmenter de 10 % en un an la présence des personnels sur la voie publique. Cet objectif a été atteint et souvent dépassé.
Au budget de 1994 enfin les crédits d'équipement et de fonctionnement de la Police nationale ont été augmentés de 12 %.
Tout ceci traduit assez la priorité qu'accorde le Gouvernement à la lutte contre la délinquance.
Mais il nous faut aller encore plus loin pour répondre à l'attente des Français.
C'est l'ambition du projet de loi de programmation et d'orientation relative à la sécurité qui vient d'être adopté en Conseil des Ministres et dont le Parlement entamera la discussion dès le début du mois prochain.
Il s'agit d'abord d'apporter à la Police nationale les moyens nécessaires à l'exercice de ses missions au prix d'un effort budgétaire accru et soutenu. Les mesures programmées sur les 5 années à venir représenteront une augmentation de 10 milliards de Francs de crédits par rapport aux 5 années précédentes. 5 000 agents administratifs et techniques supplémentaires seront recrutés, dont 500 dès 1995. L'augmentation des crédits d'équipement de plus des 2/3 permettra en particulier de doubler le rythme des constructions ou des rénovations des commissariats et autres locaux de police, des moyens consacrés à l'informatique et aux transmissions, et de l'effort, en faveur du logement des fonctionnaires en particulier dans les grandes agglomérations.
Les orientations du projet de loi relatif à la sécurité s'articulent autour de trois objectifs principaux :
- clarifier et harmoniser les responsabilités en matière de sécurité,
- compléter les moyens juridiques afin d'améliorer l'efficacité des policiers et des gendarmes,
- poser les fondements d'une nouvelle organisation de la Police nationale.
Le devoir qu'a L'Etat d'assurer le droit de chacun à la sécurité se trouve solennellement réaffirmé. Il doit conduire, sous l'autorité du Préfet, à une meilleure coordination des actions de la Police et de la Gendarmerie, de la Douane aussi dans ses missions de sécurité. Sur le plan géographique, le critère démographique qui depuis 1941 définit en principe la compétence de la Police d'Etat, cédera la place à une analyse de la situation réelle des communes au regard de la sécurité.
Mais la sécurité est aussi l'affaire d'autres acteurs, collectivités territoriales et entreprises privées, dont il convient de clarifier les missions respectives et d'harmoniser les actions.
Il est clairement précisé que les Polices municipales dont une loi fixera le statut ont pour mission d'exécuter les tâches relevant de la compétence du Maire. Les entreprises privées de gardiennage, de surveillance, de transports de fonds, et de recherches voient leur rôle reconnu mais seront soumises à un dispositif juridique approprié destiné à encadrer leur activité.
De nouvelles dispositions seront prises par ailleurs pour alléger les servitudes qui détournent les policiers de leurs missions prioritaires. C'est ainsi notamment que les commissaires de Police ne seront plus tenus d'assister personnellement aux opérations funéraires et qu'un décret restituera au Juge d'Instance le soin de désigner les délégués habilités à recevoir les procurations de vote.
La décision de principe est prise de donner à l'Administration pénitentiaire la charge d'assurer les transfèrements et les extractions des détenus : les études et discussions sur les moyens à mettre en oeuvre seront engagées à cette fin.
Le projet de loi vise également à introduire le souci de la sécurité dans diverses réglementations. C'est ainsi que les programmes d'aménagement et de construction d'une certaine importance devront faire l'objet d'une analyse préalable des mesures de sécurité à prendre pour prévenir les agressions contre les personnes et biens de la même façon qu'ils comportent des dispositions en matière de lutte contre l'incendie.
Des obligations de surveillance ou de gardiennage pourront être imposées pour les ensembles de bureaux, d'activités ou habitations. Pour prévenir le vol et le recel, le marquage de certains biens pourra être exigé. L'encadrement des conditions d'emploi de la vidéo-surveillance permettra d'y recourir plus largement dans le respect des libertés individuelles et de la vie privée de chacun.
De nouvelles dispositions destinées à faciliter les dépositions en protégeant les témoins, permettront aux membres de la Police et de la Gendarmerie ainsi qu'à tout témoin de se faire domicilier à l'adresse d'un commissariat de Police ou d'une Brigade de Gendarmerie.
Le texte soumis au Parlement prévoit aussi d'assurer une meilleure protection des forces de l'Ordre contre les violences à l'occasion des manifestations. Il est proposé au Parlement de permettre au Préfet d'interdire pour le temps qui précède une manifestation et pendant son déroulement le port et le transport de matériels pouvant porter atteinte à la sécurité des personnes et des biens ; dans des conditions bien précises, la fouille des véhicules et la saisie de ces matériels seront autorisées. Faut-il rappeler que le droit de manifester, essentiel dans toute société de liberté, n'est pas celui de casser ou d'agresser ?
Le projet de loi relatif à la sécurité a, enfin, pour objet de permettre à la Police nationale de retrouver toute sa place dans la cité. Elle doit se faire reconnaître par son aptitude à se mobiliser et s'adapter. Elle doit aussi trouver dans son statut la juste contrepartie des obligations qui sont les siennes.
Le statut spécial des fonctionnaires actifs de la Police nationale datant de 1948 se trouve confirmé et modernisé. Les corps des personnels en tenue et en civil seront unifiés par niveau. Une réserve sera constituée à partir des policiers auxiliaires. Une meilleure protection juridique des fonctionnaires de Police et de leur famille est également prévue ainsi qu'une meilleure prise en compte de la situation matérielle des familles de fonctionnaires victimes de leur devoir en opération.
L'organisation de la Police nationale, enfin, excessivement centralisée et uniforme sera profondément modifiée dans le sens d'une large déconcentration aidant les chefs de service à mieux exercer leurs responsabilités.
Toutes ces mesures constituent un ensemble cohérent qui doit permettre à la Police de s'adapter aux caractéristiques de la délinquance d'aujourd'hui et d'évoluer avec elles. Elles doivent contribuer à répondre à l'aspiration des Français à une Police de proximité qui fera de la protection contre les atteintes à la sécurité quotidienne des personnes et des biens, la première de ses priorités.
En prenant votre commandement Mesdames et Messieurs les Commissaires, vous participerez à cette réforme de grande envergure que le Gouvernement entend conduire, vous serez les artisans d'une police nouvelle nécessaire à la France.
Je viens de brosser un large tableau de ce que nous avons accompli et entrepris en un peu plus d'une année de Gouvernement.
L'ensemble de ces mesures a permis d'insuffler un nouveau dynamisme aux fonctionnaires de la Police nationale et les premiers résultats, positifs, encourageants, sont là.
La courbe de la criminalité et de la délinquance s'est inversée après plusieurs années d'évolution constante à la hausse.
Après une augmentation de près de 5 % d'avril 1992 à mars 1993, l'ensemble des crimes et délits constatés par la Police nationale a très légèrement baissé d'avril 1993 à mars 1994. Pour les quatre premiers mois de cette année, les seuls délits de voie publique dont je rappelle qu'ils ont augmenté de près de 45 % de 1988 à 1992 en zone de police d'État, ont enregistré une Baisse sensible de 4 % par rapport aux quatre mois correspondants de 1993.
Pendant la même période le nombre des personnes arrêtées a augmenté de 10 % et celui des personnes écrouées de 24 %.
Le seul rapprochement de ces chiffres illustre le regain de motivation et d'efficacité de nos policiers auxquels je tiens à rendre hommage.
Mais, bien entendu rien dans ce domaine n'est jamais acquis définitivement ; ces résultats très encourageants doivent être consolidés, amplifiés.
C'est à vous désormais, là où vous serez affectés, qu'il appartiendra d'y parvenir.
L'histoire de votre corps, le prestige qui s'y attache, votre double appartenance à l'ordre administratif et judiciaire, tout vous désigne pour être responsables de la Police nationale.
Les succès que nous vous souhaitons seront d'abord les vôtres et ceux des hommes et des femmes dont vous avez la charge. Mais, assumant pleinement vos responsabilités, vous serez aussi comptables des échecs. La police a, devant le pays, une obligation de résultats dont vous êtes les premiers dépositaires dès lors, et c'est le cas, que les moyens humains, juridiques et matériels vous sont donnés pour accomplir votre mission.
Il vous appartient de promouvoir partout cette police active et proche des citoyens que les Français appellent de leurs voeux et qui doit mériter leur confiance. Une police solidaire, responsable, humaine, entraînée par une hiérarchie présente et attentive. C'est cette police là que vous devez incarner.
Vous ne pourrez le faire que guidés par une déontologie stricte. Vous devez conduire votre action dans cet espace, qui entre un État policier et un laxisme tout aussi inadmissible, définit l'État Républicain.
La réussite de notre politique de sécurité passe avant tout par votre action personnelle. La tâche est lourde, je le sais, mais elle est à la mesure de vos aspirations et de vos capacités, à la mesure aussi de la confiance qui vous est accordée.
Vous allez diriger des hommes. Vous devrez donc démontrer votre sens du commandement dont Saint Exupéry donnait l'une des meilleures définitions qui fût : "L'autorité repose d'abord sur la raison. J'ai le droit d'exiger l'obéissance parce que mes ordres sont raisonnables".
Vous qui détiendrez une parcelle de l'autorité de l'État, vous qui interviendrez dans des situations critiques où l'intégrité physique et morale des personnes est souvent menacée, gardez cette maxime en mémoire.
Vous venez de recevoir une formation de qualité dans une institution qui, depuis 1988, a reçu le statut de Grande École, mais qui n'avait pas attendu ce label pour mériter sa réputation.
La renommée de l'École Nationale Supérieure de Police de Saint-Cyr-au-Mont d'Or a largement franchi nos frontières. J'en veux pour preuve la présence des nombreux auditeurs étrangers qui en suivent chaque année la scolarité. Je suis heureux d'avoir pu leur manifester ma sympathie en remettant son diplôme à leur Major.
Le rôle de cette école est d'assurer une formation continue, dont le besoin est d'autant plus fort que le métier de policier doit en permanence épouser les évolutions de notre temps.
Je félicite son équipe de direction, son encadrement, son corps enseignant pour la qualité de leur travail et leur confirme aussi le rôle éminent qu'il leur appartient de jouer pour permettre à la Police nationale de répondre aux attentes du pays.
Mesdames et Messieurs les Commissaires de Police, vous allez, dans quelques jours, rejoindre votre nouvelle affectation. Soyez reconnus par vos collaborateurs comme les hommes et les femmes du "savoir" ! Mais sachez aussi les accompagner et les guider dans l'accomplissement des missions que vous leur aurez confiées ! Sachez motiver et entraîner l'ensemble des personnels de la Police nationale ! Soyez dignes de votre commandement et donnez à cette institution la force qui doit être la sienne.
Rien ne remplacera votre engagement personnel, ni votre exemple.C'est à ce prix, à ce prix d'abord, que votre métier gardera sa légitimité et sa grandeur.