Déclaration de Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer, sur l'intégration régionale des outre-mer, à Paris le 29 août 2017.

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Circonstance : Dîner des Trois Océans organisé à l'occasion de la Semaine des ambassadeurs, à l'hôtel Montmorin, à Paris le 29 août 2017

Texte intégral

Monsieur le secrétaire d'Etat,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs et les préfets,
Mesdames et messieurs,
Le Dîner des trois Océans constitue, depuis longtemps, un rendez-vous incontournable pour échanger autour des enjeux diplomatiques des outre-mer.
J'y ai participé à plusieurs reprises dans d'autres fonctions et déjà à l'époque j'évoquais la question essentielle de l'intégration régionale des outre-mer.
Les gouvernements changent, les ambassadeurs et les préfets aussi, mais les enjeux demeurent. De nombreuses avancées sont intervenues : la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale en 2014, la loi Letchimy en 2016, la loi EROM en 2017. Fidèle à sa réputation, la France a beaucoup légiféré.
Mais l'évolution la plus notable concerne les mentalités : notre République, comme ceux qui la servent, a su s'ouvrir à une approche plus pragmatique du rôle des territoires en matière de coopération régionale et internationale. A présent que la révolution est faite dans les esprits, il faut y parvenir en pratique. Et vous devez en être les acteurs principaux.
La coopération régionale est un impératif pour le développement des outre-mer.
Tout l'enjeu est là : les territoires d'outre-mer doivent sortir de la relation quasi-exclusive héritée du passé colonial qui les lie à la métropole. Pensons les outre-mer dans leur environnement régional et nos politiques régionales en fonction de nos outre-mer.
Nous avons tous à y gagner : les territoires ultramarins bien sûr, mais la France hexagonale aussi, qui se pense en acteur mondial mais qui, souvent, ne valorise pas assez l'atout extraordinaire que constitue une présence dans tous les océans du globe. Le Premier ministre a écrit dans ma feuille de route : « les outre-mer offrent des perspectives stratégiques majeures à notre nation et des atouts sur lesquels repose en partie sa puissance ».
Je suis convaincue que c'est également l'intérêt des Etats voisins de nos territoires ultramarins. Bien souvent, à l'exception sans doute de l'océan indien où les relations restent difficiles, ils ont dépassé les querelles postcoloniales du 20e siècle pour voir la présence française comme un facteur de stabilité et un atout économique. Il nous appartient de répondre à leurs attentes.
1. Je l'évoquais à l'instant, nous disposons d'un cadre juridique.
Le cadre juridique a été largement modifié ces dernières années. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française et dans une moindre mesure Saint-Martin Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon, disposaient déjà de compétences importantes en matière de coopération.
Au 70e anniversaire de la Communauté du Pacifique, j'ai constaté que dans ce bassin maritime, l'Etat et les territoires savent travailler ensemble à la définition d'une politique régionale cohérente et innovante.
La loi Letchimy a offert aux collectivités de l'article 73, nos départements et régions d'outre-mer, des facultés nouvelles dans ce domaine. Il appartient aux exécutifs locaux de définir des programmes-cadre de coopération régionale.
A ceux qui auraient encore des réticences, je tiens à rappeler que l'exercice de ces compétences est encadré par une triple contrainte :
- Une contrainte juridique d'abord qui est le respect des engagements internationaux de la France : il n'y a qu'une voix de la France et il ne saurait être question de laisser s'exprimer des divisions. C'est précisément votre rôle que de travailler avec les élus locaux pour éviter les incidents et, le cas échéant, les rappeler à leurs obligations ;
- Une contrainte pratique ensuite qui est, dans les territoires où plusieurs collectivités coexistent, la mise en cohérence de leurs stratégies, ce qui n'est pas une mince affaire mais qui conditionne leur crédibilité aux yeux des partenaires régionaux ;
- Une contrainte budgétaire enfin qui est l'utilisation efficiente des deniers publics. Le contexte ne se prête pas à la gabegie.
Il vous appartient d'être les vigies de l'Etat sur ces questions. Dès lors que les collectivités inscrivent leur action dans ce cadre, je suis convaincue que leur concours sera pour la France un atout.
Mais la politique régionale ne se résume pas à l'association des territoires et des élus à notre travail diplomatique. Ce serait s'arrêter au milieu du gué. L'Etat, et les diplomates qui le représentent, doivent prendre en compte les outre-mer dans leur approche. Le réflexe outre-mer passe aussi par vous ! Il faut mettre en cohérence les politiques de développement que nous conduisons avec l'intérêt de nos territoires. Il faut en matière économique soutenir les entreprises ultramarines et leur offrir des débouchés régionaux.
La France, certes c'est Paris, mais quand on est en poste dans une île de l'océan Indien, des Antilles ou du Pacifique, la France, c'est d'abord l'île d'en face et nos compatriotes qui y vivent.
2. Pour ouvrir nos territoires d'outre-mer à leur environnement régional, nous disposons de nombreux outils qu'il faut mobiliser
Le premier d'entre eux est l'inclusion des territoires ultramarins dans les instances de coopération régionale politique et économique. Beaucoup de chemin a été accompli. Deux de nos territoires vont intégrer comme membres de plein droit le Forum des îles du Pacifique en septembre, tandis que Wallis-et-Futuna souhaite voir son statut rehaussé. Mais beaucoup reste à faire.
Pour la zone Antilles-Guyane, il convient d'obtenir l'adhésion de la Guyane à la Commission Economique pour l'Amérique Latine et les Caraïbes des Nations Unies et à Organisation du Traité de Coopération Amazonienne, ce qui suppose de lever les réticences du Pérou, de l'Equateur et – question éminemment épineuse à l'heure actuelle – du Venezuela.
Concernant la Guadeloupe, il faut soutenir l'adhésion à l'Organisation des Etats de Caraïbe Centrale, comme nous l'avons obtenu pour la Martinique et comme nous sommes en train de l'obtenir pour Saint-Martin.
Plus globalement, je souhaite que nos partenaires en matière de coopération régionale économique – Business France, Expertise France – raisonnent eux aussi en termes de bassins maritimes. L'Agence Française de développement doit décloisonner ses activités internationales et outre-mer en s'appuyant sur des stratégies régionales de développement durable. Le « monde en commun », signifie aussi que les difficultés des pays voisins de nos territoires ont des répercussions sur le développement des outre-mer eux-mêmes.
L'AFD doit aussi mettre en oeuvre plus de programmes européens. A ce titre, j'attire votre attention sur trois enjeux de l'Union Européenne en matière de coopération régionale. Là aussi, vous devez en être les acteurs.
Premièrement, la question des fonds Interreg et des crédits FED. Pour la zone Antilles/Guyane, il convient de débloquer la relation transfrontalière de Saint Martin avec Sint Maarten.
Pour La Réunion, il faut poursuivre le dialogue constructif avec le président du conseil régional afin de coproduire une politique de coopération régionale. Concernant Mayotte, l'amélioration de la coopération avec les Comores est un impératif afin de pouvoir y décliner la politique européenne de voisinage.
Deuxième enjeu pour l'UE, la perspective de la fin des accords de l'UE-ACP en 2020. Trois ans en diplomatie, c'est demain ! Il faut défendre le positionnement des Etats de la Caraïbes et du Pacifique au titre de l'aide européenne au développement, sous peine de mettre en péril nos outils budgétaires d'intervention. Enfin, au regard du Brexit qui se précise, analysons bien la place accordée aux RUP / PTOM dans le système européen. Les PTOM britanniques quitteront à terme l'UE. Conséquence directe ? Le poids du lobby des PTOM dans les réflexions européennes sera réduit et la France sera le seul pays européen possessionné dans certaines régions du monde.
Dans ce contexte, je vois le levier des échanges de formations professionnelles, scientifiques et universitaires comme un formidable outil pour la coopération régionale. Vous connaissez mon appétence pour la francophonie. La coopération régionale est un vecteur de diffusion de la langue française à l'échelle régionale. La Nouvelle Calédonie a ainsi adhéré en 2016 à l'OIF et son entrée au Forum des îles du Pacifique doit être l'occasion d'y faire résonner notre langue aux côtés de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et du Vanuatu.
Pour ce qui est des échanges universitaires, je suis pour le développement d'un Erasmus régional. J'irai même au-delà : je suis favorable à la création d'un « visa outre-mer » à destination des ressortissants des pays voisins. L'idée serait de faciliter les modalités d'obtention d'un visa pour des raisons légitimes : le regroupement familial, la formation professionnelle, les déplacements pour des enjeux économiques, sanitaires et scientifiques. Un tel visa outre-mer permettrait de mieux maîtriser les mouvements migratoires.
Ce qui me conduit à évoquer les outils de coopération en matière de sécurité et de souveraineté. Les instances communes Préfets/Ambassadeurs ne doivent pas être des coquilles vides. Pour la zone Antilles-Guyane, contrairement à l'Océan Indien ou au Pacifique, aucun préfet de région dans la zone ne dispose d'un conseiller diplomatique. Une situation problématique pour la Guyane où les questions migratoires et de sécurité intérieure sont un enjeu de stabilité. Le Centre de coopération policière et douanière Guyane/Brésil fonctionne, il est à étendre avec les autres voisins que sont le Guyana et le Surinam. Des engagements ont été pris dans le plan d'urgence pour la Guyane, il faut s'y tenir.
Concernant les conflits de souveraineté, il me semble essentiel que ceux-ci n'obèrent pas nos projets de coopération économiques maritimes. D'ailleurs dans l'Océan indien, je suis convaincue que c'est ce qui facilitera la reconnaissance de notre souveraineté dans la région.
3. Les Assises des outre-mer passent par la coopération régionale
Je crois en l'outre-mer des solutions. La coopération régionale en est une. Elle est l'un des vecteurs essentiels pour transformer les outre-mer en territoires d'excellence et d'innovation. Je souhaite que soient associées à nos échanges les organisations régionales de coopération.
Ces Assises seront le terrain idéal pour proposer des solutions de développement pérennes et pour inscrire la coopération régionale sur le long terme. Surtout, elles réuniront les acteurs institutionnels, économiques et issus de la société civile pour mettre en oeuvre ces solutions.
La coopération régionale permettra de faire face aux défis et déséquilibres des sociétés d'outre-mer. Des déséquilibres locaux qui s'inscrivent eux-mêmes dans des déséquilibres régionaux. Identifier une solution pour un territoire d'outremer, c'est aussi identifier une solution pour un pays voisin.
En 2015, la France a signé l'accord de Paris sur le climat. Les 17 objectifs de développement durable (ODD) constituent un défi pour les outre-mer. Par leur situation géographique, leur conscience environnementale et leurs spécificités, certains des outre-mer pourraient atteindre les ODD avant la métropole. En s'appuyant sur la coopération régionale dans leur bassin maritime et en misant notamment sur l'économie bleue, les territoires ultramarins ont vocation à devenir des territoires d'excellence sur ces enjeux. Je rappelle d'ailleurs que le Président de la République a fixé un « sommet d'étape » sur la lutte contre le réchauffement climatique le 12 décembre prochain.
Mesdames et messieurs, la coopération passe aussi par une meilleure connaissance des acteurs qui la font au quotidien. En travaillant ensemble de façon coordonnée, nous obtiendrons à coup sûr de meilleurs résultats.
Je vous souhaite donc bon appétit et de fructueux échanges.Source http://www.guadeloupe.pref.gouv.fr, le 26 septembre 2017