Interview de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, avec Radio Classique le 21 novembre 2017, sur la politique judiciaire.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
C'est une bonne idée de parler avec vous donc de la politique judiciaire française, bonjour, bienvenue, merci de nous rejoindre ce matin.
NICOLE BELLOUBET
Bonjour, merci.
GUILLAUME DURAND
Vous savez, alors je plaisante un petit peu, vous êtes un peu menacée par Michel SARDOU, il dit qu'il allait écrire enfin une dernière chanson si finalement l'âge du consentement sexuel était à 13 ans, ça le révolte complètement - a-t-il dit – on sait que c'est 13 - c'est ce que préconise le conseil, 15 – 15 disent les autres, est-ce qu'on saura exactement quand on va prendre cette décision qui visiblement est importante pour SARDOU mais pour tous ceux qui sont évidemment concernés ?
NICOLE BELLOUBET
Oui c'est une décision importante, parce qu'en réalité c'est un principe nouveau dans notre droit si nous allons vers ce principe de non consentement - ça n'existait pas jusqu'à présent dans notre droit - et il y a un véritable débat sur l'âge auquel ce principe pourrait être fixé, est-ce que c'est 13, 14, 15 ? Dans certains pays il arrive même que ce soit 16 ans. C'est un débat qui est très ouvert et dont il faut surtout mesurer très exactement les conséquences juridiques, c'est ce que nous sommes en train de faire, c'est-à-dire qu'à la fois il y a une écoute de tous ceux qui ont une expertise sur ce sujet, je parle des magistrats, des sociologues - les parlementaires évidemment sont également en train de travailler là-dessus – et puis il y a également...
GUILLAUME DURAND
Parce que ça va s'inscrire dans le contexte d'une loi ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, absolument. Il y a également une analyse juridique sur les conséquences que cela entraîne.
GUILLAUME DURAND
Et est-ce que je peux vous demander à vous ce que vous souhaiteriez, parce que vous avez une idée maintenant sur cette affaire-là ?
NICOLE BELLOUBET
Non ! Non, non, moi je n'ai pas une idée qui est définitivement arrêtée si vous voulez, pour le moment nous sommes vraiment en train d'écouter. Moi au départ j'avais pensé que 13 ans était un âge pertinent...
GUILLAUME DURAND
Ce sont des bébés, dit SARDOU.
NICOLE BELLOUBET
Non, mais... bien sûr, mais si vous voulez il faut bien avoir à l'esprit que le viol évidemment d'un majeur sur un mineur en toute hypothèse est sanctionné, il est même aggravé en dessous de 15 ans, ce dont nous parlons là c'est d'introduire un autre principe qui est encore plus protecteur du mineur qui est le non consentement et, donc, c'est là-dessus que nous réfléchissons - sur l'âge - et sur la question également de savoir si cette présomption de non consentement elle est absolument irréfragable ou bien si, au contraire, le juge pourra en apprécier la pertinence. C'est encore une autre...
GUILLAUME DURAND
Quand est-ce qu'on aura la réponse ?
NICOLE BELLOUBET
Quand le projet de droit sera soumis au Parlement...
GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire début 2018 ?
NICOLE BELLOUBET
Oui, je pense que ce sera en début 2018, c'est ma collègue Marlène SCHIAPPA avec laquelle je travaille sur ce sujet qui devrait porter ce texte avec moi à ses côtés, je pense que ce sera début 2018.
GUILLAUME DURAND
Dans les interrogations qui sont sorties ces dernières semaines on voit que les plaintes ont considérablement augmenté, que la moitié des femmes considère qu'elles ont été harcelées sexuellement et, en même temps, je sortais un dossier du 2 novembre dernier concernant un principal adjoint de collège à Paris, dans le XIème, on s'est aperçus que la jeune femme ou plutôt la mère de famille qui l'accusait de harcèlement sexuel était disons dans une période un peu délirante, donc est-ce qu'il n'y a pas un risque ? C'est-à-dire comment on va mesurer le risque entre le déclaratif qui devient incroyablement massif et la réalité des faits, parce que c'est quand même une affaire de justice ?
NICOLE BELLOUBET
Oui. Moi, je voudrais juste dire trois choses : c'est très bien que les victimes, essentiellement des femmes, que les victimes parlent, je crois que c'est un point d'évolution de notre société qui est important ; deuxièmement, cette parole ne peut se transformer en acte de justice qu‘à partir du moment où il y a une plainte qui est déposée, c'est la raison pour laquelle j'avais incité les femmes à porter plainte - je n'étais pas la seule – et cela été d'ailleurs...
GUILLAUME DURAND
Même en ligne, au départ en ligne.
NICOLE BELLOUBET
Non, ça n'existe pas pour le moment la plainte en ligne, la pré-plainte en ligne n'existe pas, donc nous souhaitons la mettre en oeuvre ; et troisièmement - donc si vous voulez la parole, la plainte – et troisièmement évidemment il y a l'acte de justice qui suppose une preuve, il n'est pas pensable que la preuve ne soit pas apportée – et c'est bien là qu'est la difficulté et c'est cela que nous devons essayer de mieux mettre en oeuvre – et c'est la raison pour laquelle nous allons proposer un certain nombre d'évolutions, je pense notamment à la possibilité pour les femmes comme cela existe parfois d'aller dans les hôpitaux pour recueillir, pour que les hôpitaux puissent recueillir des preuves avant même que la femme ait porté plainte, preuves qu'elle pourrait mobiliser ensuite. Je travaille cette question-là avec Marlène SCHIAPPA et avec ma collègue Agnès BUZYN ; Nous évoquons aussi la possibilité pour les femmes de déposer une pré-plainte en ligne, elles sont chez elles, elles déposent une plainte en ligne et elles peuvent être reçues ensuite au commissariat ou à la gendarmerie par des gens qui savent ce qu'elles vont venir faire et qui seront adaptés à leur écoute.
GUILLAUME DURAND
Mais vous voyez cette matinée où on se retrouve madame BELLOUBET ensemble, Charlie ROSE, qui est la super star de l'interview américaine accusée par huit femmes donc de harcèlement sexuel, il est viré avant même que la moindre preuve soit apporté, Kevin SPACEY on ne doute pas de son... enfin on ne doute pas, on devrait douter moralement des accusations qui lui sont portées, c'est-à-dire effectivement le harcèlement semble dans son cas évident, mais la justice n'a toujours pas tranché et les gens sont virés, Woody ALLEN parle de chasse aux sorcières, donc entre la juste révolte des femmes et justement cette angoisse qui monte chez d'autres et qui considèrent - FINKIELKRAUT ce matin dans Le Figaro – qu'on est dans une période bizarre, d'un féminisme bizarre ?
NICOLE BELLOUBET
Moi je suis très soucieuse de dissocier les temps, il y a le temps de l‘émotion et le temps de la parole, et ça je trouve je l'ai dit que c'est indispensable ; et puis il y a le temps de la justice, qui d'ailleurs ne doit pas être nécessairement éloigné, mais qui suppose de changer de registre et, encore une fois, qui suppose l'établissement de preuves. Cela veut bien entendu dire que, et les policiers, et les magistrats doivent savoir écouter les femmes, savoir les accompagner, je pense que la justice ne doit pas être un moment d'appréhension mais devrait être un moment également d'accompagnement, mais la preuve est indispensable parce que nous sommes dans un état de droit.
GUILLAUME DURAND
Question, là on change totalement de registre, nous sommes dans une journée de remaniement ministériel, ce qui veut dire que CASTANER va partir. Vous appartenez à cette équipe, il va y avoir une petite modification ou est-ce que vous pensez comme Benjamin GRIVEAUX hier que, finalement, il est possible de cumuler les deux fonctions ?
NICOLE BELLOUBET
Si vous voulez moi je trouve que Christophe CASTANER a été désigné comme chef des Marcheurs, je trouve qu'il a absolument l'étoffe pour conduire ce parti, dont je rappelle que le gouvernement a besoin - puisqu'évidemment dans notre fonctionnement, dans notre système, le gouvernement a toujours besoin d'un parti qui puisse l'accompagner, qui puisse d'ailleurs dialoguer avec le gouvernement pour faire évoluer les choses – il me semble que ce travail-là Christophe le fera formidablement et que ce sera pour lui sans doute un temps plein.
GUILLAUME DURAND
Un temps plein, donc remaniement aujourd'hui. Question, est-ce qu'il y a un risque de censure constitutionnelle justement concernant la fameuse affaire de la taxe d'habitation ?
NICOLE BELLOUBET
J'ai lu bien sûr le dépôt, la saisine du Conseil constitutionnel qui devrait être faite par certains députés, je ne vais pas me prononcer là sur ce que dira le Conseil constitutionnel, il y a des risques qui sont invoqués en termes de rupture d'égalité notamment, je laisserai le Conseil constitutionnel se prononcer. Evidemment, si le gouvernement a proposé une telle écriture, c'est qu'il a auparavant analysé...
GUILLAUME DURAND
Les risques !
NICOLE BELLOUBET
Les risques et que, si l'a proposé de cette manière-là, c'est qu'il pense que ces risques n'existent pas.
GUILLAUME DURAND
Conseil des enfants, journée internationale des enfants...
NICOLE BELLOUBET
C'était hier !
GUILLAUME DURAND
Ca signifie quoi ? Ca signifie quoi pour la garde des Sceaux que vous êtes ?
NICOLE BELLOUBET
Il y a deux choses : il y a d'abord le rapport qu'a remis Jacques TOUBON sur l'application, enfin sur la manière dont les droits de l'enfant sont appliqués en France, et ce rapport soulève un certain nombre de difficultés, voire même de situations extrêmement choquantes, il articule ces difficultés très simplement autour de deux termes qui seraient la pauvreté et la violence on va dire pour faire court ; et puis il y a d'autre part les implications précises que cela signifie pour la ministre de la Justice que je suis et, là, il y a plusieurs points évidemment sur lesquels la justice intervient, c'est la prise en charge des mineurs qui sont placés par décision de justice avec le travail que fait la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse, c'est aussi tout le travail des.. ce qu'on appelle les mineurs non accompagnés, vous savez qui arrivent en France, la manière dont nous traitons ces mineurs-là, vous savez que les départements notamment se plaignent de devoir prendre en charge un nombre toujours plus important de mineurs non accompagnés et, donc, le Premier ministre a souhaité là-dessus que l'Etat puisse ré-intervenir – c'est également à la demande du président de la République que cela été fait – donc il y a plusieurs dossiers sur lesquels la justice intervient.
GUILLAUME DURAND
J'ai beaucoup de questions à vous poser, il nous reste trois minutes, je suis ravi de vous recevoir, nous sommes avec Nicole BELLOUBET qui est garde des Sceaux. Dans l'affaire du rapatriement de ceux qui ont combattu éventuellement la France donc en Syrie, il y a des gens comme Eric CIOTTI qui disent : « on n'en veut pas, peut-être éventuellement les enfants, les autres qu'ils soient jugés à l'étranger et qu'ils ne rentrent pas », quelle est la position du gouvernement ?
NICOLE BELLOUBET
Mais si vous voulez la position du gouvernement elle est très simple, c'est-à-dire que dans certaines hypothèses nous reconnaissons que d'autres Etats étrangers peuvent juger les Français qui sont sur leur territoire, mais en revanche si des Français arrivent – on ne faut pas se fermer les yeux – donc nous avons une règle qui est très claire, si des Français reviennent des terrains de combat, ils sont immédiatement présentés à un juge, que ce soit des adultes ou que ce soit des enfants, ils sont immédiatement présentés à un juge qui en fonction de ce qu'ils ont fait auparavant va, soit les placer en détention, soit pour des enfants les...
GUILLAUME DURAND
Ca va être compliqué de savoir exactement ce qu'ils ont fait à Raqqa ou ailleurs ?
NICOLE BELLOUBET
Non, mais ils ne sont pas si nombreux que cela, si vous voulez actuellement nous avons à peu près 240 Français qui sont revenus des terrains de combat - 58 enfants - donc ils ne sont pas si nombreux que cela et nous sommes en capacité de les judiciariser et de trouver les solutions adaptées.
GUILLAUME DURAND
Il y a un énorme dossier qui vous concerne madame BELLOUBET, parce que c'est à la fois un dossier de droit, de justice et une interrogation politique concernant le quinquennat démarrant d'Emmanuel MACRON, on dit beaucoup, on l'écrit dans les journaux vous voyez tous les matins, nous en avons un paquet que nous lisons avec attention : « finalement Emmanuel MACRON c‘est le président des riches » malgré la tournée qu'il a faite vous le savez dans la région parisienne, puis dans le nord de la France, on a l'impression qu'on lui a collé cette étiquette et qu'en matière de justice les Français sont – et ce sera ma dernière question – extrêmement dubitatifs. Vous êtes la ministre de la Justice, est-ce qu'on est face à un quinquennat de droite déguisée qui ne tiendrait pas compte de la justice sociale, malgré les efforts que vous pouvez faire ou ceux de BLANQUER ?
NICOLE BELLOUBET
Moi je n'ai pas un sentiment que nous sommes dans un quinquennat qui ne tienne pas compte de la justice, à la fois sur le plan fiscal le président a pris des mesures qui vont permettre aux plus démunis d'entre nous de voir leur revenu augmenter, sur le plan social il en va de même et sur le plan stricto sensu de la justice l'ensemble des chantiers de la justice que je mets en oeuvre consisteront pour partie à aider les plus démunis, je pense à l'aide juridictionnelle, je pense également à l'aide aux victimes de violences ou de terrorisme, il y a différentes mesures qui sont censées prendre et vraiment prendront en charge les plus démunis d'entre nous. Je pense que c'est un fau procès qui a été fait au président.
GUILLAUME DURAND
Merci beaucoup, Nicole BELLOUBET était l'invitée politique de la matinale, il est 7 h 57, bonne journée à vous...
NICOLE BELLOUBET
Merci.
GUILLAUME DURAND
Et on attend cette loi donc au début 2018 concernant justement le harcèlement sexuel, donc bonne journée, merci beaucoup, 7 h 57, bonne journée à vous, le deuxième invité politique de la matinale sera le Général Pierre De VILLIERS, « Servir » aux éditions Fayard, bonne journée madame.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 novembre 2017