Texte intégral
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Je souhaite d'abord vous exprimer le plaisir d'être parmi vous. Je suis heureux de rencontrer beaucoup de maires de votre magnifique département. Il fait bon être parmi vous, en pays catalan.
Je viens de visiter la belle exposition sur les Mariannes municipales qu'avec Christian Bourquin vous avez conçue. C'est une excellente idée au service du civisme. C'est aussi un hommage de la sculpture et de la culture à la démocratie. Au lieu d'aligner, buste après buste, une représentation triste et formelle, ces visages de la Nation ont à la fois une élégance citoyenne et une beauté plastique. Leur abondance dans la générosité des volumes me fait douter qu'on puisse être à la fois républicain et totalement ascète. Ces femmes au bonnet phrygien, au regard farouche ou aux yeux si doux, nous rappellent que les valeurs de l'Etat, les vertus civiques sont compatibles avec les joies de la vie.
Je ferai une autre constatation sur le fait que la plupart de ces allégories appartiennent au beau sexe. Nos mairies accueillent traditionnellement deux hommes pour une femme : le maire, la photographie du Chef de l'État et le buste de Marianne. Je ne sais quand viendra l'ère des bustes barbus dans nos salles des mariages. Il n'en reste pas moins que nous avons des progrès à accomplir. Il y a encore de vrais combats pour la parité à livrer. Une première étape serait déjà qu'il y ait plus de femmes dans les assemblées, au Sénat comme au palais Bourbon. Autant que dans les textes, c'est dans l'évolution des comportements qu'il faut espérer! C'est ce à quoi nous incitera le 28 juin, le Congrès du Parlement à Versailles. Il ne serait pas normal pour la représentation de la deuxième moitié du ciel que nous restions les avant-derniers de la classe européenne.
Je pensais aussi en voyant ces nombreuses représentations de la France à la figure qui pourrait être l'incarnation du temps présent, de la République de l'an 2000. Pour moi, la réponse est simple. Notre Nation a 500.000 visages, les visages des 500.000 élus locaux qu'elle s'est choisis et qui l'ont choisie pour exprimer sa voix et défendre ses intérêts. Maires, conseillers municipaux, conseillers généraux, régionaux, vous êtes le lien entre la France et les Français. Nous sommes les premiers acteurs d'une démocratie de proximité et d'efficacité que nos concitoyens plébiscitent car ils refusent la technocratie lointaine. Sans vous, parfois, que de situations sociales ou économiques dégénéreraient. Présents quand la sécurité est défaillante. Pédagogues lorsque l'école vient à fermer. Les élus sont les hussards tricolores de la République. Au moment où le monde cherche sa voie entre la violence et la paix, entre les catastrophes humanitaires du siècle qui s'achève et les promesses numériques de celui qui vient, la République doit préserver ce qui fait sa force: un lien puissant et transparent entre le peuple et ses élus. Pour cette raison et parce qu'au-delà de Marianne, c'est notre modèle démocratique que nous fêtons, l'occasion est propice pour partager quelques réflexions sur l'avenir de notre démocratie locale au quotidien.
Première remarque: il faut que la solidarité et l'action de l'Etat puissent être également disponibles et accessibles à tous aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Il faut un service public en milieu rural qui ne soit pas minimal, mais optimal. Afin d'y parvenir, il faut de vraies maisons de service public, polyvalentes, par exemple dans nos mairies qui en sont l'espace naturel ou, au besoin, en association avec un commerce, en un lieu identifié où toutes les administrations seraient contactables au plus près.
Deuxième remarque: depuis quelques mois, l'Assemblée nationale s'est beaucoup intéressée aux questions locales: aménagement du territoire, intercommunalité, cumul des mandats, polices municipales Autant de textes qui ne manqueront pas d'avoir des incidences sur notre action au quotidien. Tout au long de ces débats parlementaires lourds, j'ai perçu l'écho d'une inquiétude. Comme si on n'entendait pas suffisamment, à Paris, les préoccupations des villes moyennes et des campagnes. Comme si on voulait artificiellement opposer ruralité et urbanité. Comme si on ne prenait pas en compte certains problèmes de cette France qui pour ne pas être Paris n'est pas un désert inhabité.
Troisième remarque: je veux souligner l'insécurité juridique dont les élus sont les victimes. Je connais les réactions de désarroi de certains de nos collègues élus locaux quand ils constatent que, presque chaque jour, l'un d'entre eux qui a fait son travail avec honnêteté et conscience, se retrouve devant un juge. Chacun d'entre eux s'est investi dans la vie locale pour se mettre au service de sa collectivité et faire bouger les choses. Les voilà désignés comme taillables à merci. Ce n'est pas normal. Il est temps de définir un statut de l'élu, qu'il s'agisse des conditions de travail ou de retraite, des modalités de formation ou de reconversion, des règles d'éthique ou de responsabilité. Ne décourageons pas les vocations municipales, sans cela on ne trouvera plus grand monde pour exercer ces mandats qui fonctionnent pour le moment à l'enthousiasme et au bénévolat ! C'est une condition pour conforter le civisme.
A propos du civisme, comment ne pas évoquer le phénomène très préoccupant que constitue la montée de l'abstention, constatée notamment dimanche dernier lors des élections européennes ? A quoi s'ajoute le grand nombre de bulletins blancs et nuls. Les causes sont nombreuses qui tiennent à la fois au caractère souvent lointain et abstrait de la politique européenne, au mode de scrutin très contestable, à l'offre des partis politiques jugés fréquemment peu attrayants, à un mouvement général de recul, malheureusement, vis-à-vis des préoccupations civiques. Les remèdes sont multiples, complexes, ils relèvent de différents niveaux et de différents acteurs. Pour le législateur - et même s'il ne s'agit pas de l'aspect déterminant - je me demande s'il ne conviendrait pas au moins de reconnaître et d'identifier comme tel le vote blanc, ainsi que cela a été proposé dans le passé mais jamais réalisé. Personnellement, j'y serais favorable dans le cadre de la modernisation nécessaire de la vie politique. Cela serait plus clair et plus transparent.
Je parlais du statut juridique des élus : il ne faut pas mélanger la responsabilité politique qui concerne le citoyen et celui qu'il choisit pour le représenter, la responsabilité administrative - l'erreur du service - et enfin la faute pénale personnelle. Si le favoritisme ou la corruption, doivent être impitoyablement sanctionnés, la recherche outrancière d'une responsabilité personnelle sans aucune faute peut conduire paradoxalement à l'irresponsabilité et à la paralysie des décideurs. La Chancellerie a engagé une réflexion sur cette question. Souhaitons que cette réflexion débouche.
La dernière observation que je souhaite partager sur ce point avec vous concerne l'évolution nécessaire de nos institutions. Elles doivent répondre à un défi majeur : combler le fossé entre nos concitoyens et leurs représentants. Je crois que nous devons nous engager dans une refonte et une avancée nouvelle des lois initiées par Gaston Defferre. Dans les années 80, l'enjeu principal était, par une logique descendante, de rompre avec notre tradition jacobine et de déléguer vers les collectivités certaines des compétences de l'État. Ce processus a rempli la plupart de ses objectifs. Il n'est plus envisagé par personne de revenir en arrière. Mais aujourd'hui les enjeux ne sont plus les mêmes. Il s'agit de réformer l'État et de le doter d'une véritable politique des territoires permettant de conforter et de valoriser les dynamiques locales. Bref votre action.
Cet acte II de la décentralisation ne pourra-t-il s'accomplir grâce à une méthode souple et pragmatique ? Autour d'une logique partenariale, s'appuyant sur le contrat et le volontariat, on pourrait confier conventionnellement aux collectivités qui le souhaitent, de nouvelles compétences et les financements qui vont avec, par exemple, en matière de tourisme, de jeunesse et de sport, d'environnement ou de culture. Le bilan des expériences menées déciderait le cas échéant d'un transfert définitif. Partir du local pour dessiner des politiques plus lisibles pour les citoyens, définir une nouvelle " donne locale ": c'est ce chemin qu'il faut emprunter afin de combler la distance qui s'est parfois creusée entre les Français et leurs élus et leur redonner confiance en la démocratie. Merci en tous cas d'être ce que vous êtes, des élus au service de nos concitoyens.
Vive la démocratie locale! Vive la République! Vive la France!
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 21 juin 1999)
Je souhaite d'abord vous exprimer le plaisir d'être parmi vous. Je suis heureux de rencontrer beaucoup de maires de votre magnifique département. Il fait bon être parmi vous, en pays catalan.
Je viens de visiter la belle exposition sur les Mariannes municipales qu'avec Christian Bourquin vous avez conçue. C'est une excellente idée au service du civisme. C'est aussi un hommage de la sculpture et de la culture à la démocratie. Au lieu d'aligner, buste après buste, une représentation triste et formelle, ces visages de la Nation ont à la fois une élégance citoyenne et une beauté plastique. Leur abondance dans la générosité des volumes me fait douter qu'on puisse être à la fois républicain et totalement ascète. Ces femmes au bonnet phrygien, au regard farouche ou aux yeux si doux, nous rappellent que les valeurs de l'Etat, les vertus civiques sont compatibles avec les joies de la vie.
Je ferai une autre constatation sur le fait que la plupart de ces allégories appartiennent au beau sexe. Nos mairies accueillent traditionnellement deux hommes pour une femme : le maire, la photographie du Chef de l'État et le buste de Marianne. Je ne sais quand viendra l'ère des bustes barbus dans nos salles des mariages. Il n'en reste pas moins que nous avons des progrès à accomplir. Il y a encore de vrais combats pour la parité à livrer. Une première étape serait déjà qu'il y ait plus de femmes dans les assemblées, au Sénat comme au palais Bourbon. Autant que dans les textes, c'est dans l'évolution des comportements qu'il faut espérer! C'est ce à quoi nous incitera le 28 juin, le Congrès du Parlement à Versailles. Il ne serait pas normal pour la représentation de la deuxième moitié du ciel que nous restions les avant-derniers de la classe européenne.
Je pensais aussi en voyant ces nombreuses représentations de la France à la figure qui pourrait être l'incarnation du temps présent, de la République de l'an 2000. Pour moi, la réponse est simple. Notre Nation a 500.000 visages, les visages des 500.000 élus locaux qu'elle s'est choisis et qui l'ont choisie pour exprimer sa voix et défendre ses intérêts. Maires, conseillers municipaux, conseillers généraux, régionaux, vous êtes le lien entre la France et les Français. Nous sommes les premiers acteurs d'une démocratie de proximité et d'efficacité que nos concitoyens plébiscitent car ils refusent la technocratie lointaine. Sans vous, parfois, que de situations sociales ou économiques dégénéreraient. Présents quand la sécurité est défaillante. Pédagogues lorsque l'école vient à fermer. Les élus sont les hussards tricolores de la République. Au moment où le monde cherche sa voie entre la violence et la paix, entre les catastrophes humanitaires du siècle qui s'achève et les promesses numériques de celui qui vient, la République doit préserver ce qui fait sa force: un lien puissant et transparent entre le peuple et ses élus. Pour cette raison et parce qu'au-delà de Marianne, c'est notre modèle démocratique que nous fêtons, l'occasion est propice pour partager quelques réflexions sur l'avenir de notre démocratie locale au quotidien.
Première remarque: il faut que la solidarité et l'action de l'Etat puissent être également disponibles et accessibles à tous aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Il faut un service public en milieu rural qui ne soit pas minimal, mais optimal. Afin d'y parvenir, il faut de vraies maisons de service public, polyvalentes, par exemple dans nos mairies qui en sont l'espace naturel ou, au besoin, en association avec un commerce, en un lieu identifié où toutes les administrations seraient contactables au plus près.
Deuxième remarque: depuis quelques mois, l'Assemblée nationale s'est beaucoup intéressée aux questions locales: aménagement du territoire, intercommunalité, cumul des mandats, polices municipales Autant de textes qui ne manqueront pas d'avoir des incidences sur notre action au quotidien. Tout au long de ces débats parlementaires lourds, j'ai perçu l'écho d'une inquiétude. Comme si on n'entendait pas suffisamment, à Paris, les préoccupations des villes moyennes et des campagnes. Comme si on voulait artificiellement opposer ruralité et urbanité. Comme si on ne prenait pas en compte certains problèmes de cette France qui pour ne pas être Paris n'est pas un désert inhabité.
Troisième remarque: je veux souligner l'insécurité juridique dont les élus sont les victimes. Je connais les réactions de désarroi de certains de nos collègues élus locaux quand ils constatent que, presque chaque jour, l'un d'entre eux qui a fait son travail avec honnêteté et conscience, se retrouve devant un juge. Chacun d'entre eux s'est investi dans la vie locale pour se mettre au service de sa collectivité et faire bouger les choses. Les voilà désignés comme taillables à merci. Ce n'est pas normal. Il est temps de définir un statut de l'élu, qu'il s'agisse des conditions de travail ou de retraite, des modalités de formation ou de reconversion, des règles d'éthique ou de responsabilité. Ne décourageons pas les vocations municipales, sans cela on ne trouvera plus grand monde pour exercer ces mandats qui fonctionnent pour le moment à l'enthousiasme et au bénévolat ! C'est une condition pour conforter le civisme.
A propos du civisme, comment ne pas évoquer le phénomène très préoccupant que constitue la montée de l'abstention, constatée notamment dimanche dernier lors des élections européennes ? A quoi s'ajoute le grand nombre de bulletins blancs et nuls. Les causes sont nombreuses qui tiennent à la fois au caractère souvent lointain et abstrait de la politique européenne, au mode de scrutin très contestable, à l'offre des partis politiques jugés fréquemment peu attrayants, à un mouvement général de recul, malheureusement, vis-à-vis des préoccupations civiques. Les remèdes sont multiples, complexes, ils relèvent de différents niveaux et de différents acteurs. Pour le législateur - et même s'il ne s'agit pas de l'aspect déterminant - je me demande s'il ne conviendrait pas au moins de reconnaître et d'identifier comme tel le vote blanc, ainsi que cela a été proposé dans le passé mais jamais réalisé. Personnellement, j'y serais favorable dans le cadre de la modernisation nécessaire de la vie politique. Cela serait plus clair et plus transparent.
Je parlais du statut juridique des élus : il ne faut pas mélanger la responsabilité politique qui concerne le citoyen et celui qu'il choisit pour le représenter, la responsabilité administrative - l'erreur du service - et enfin la faute pénale personnelle. Si le favoritisme ou la corruption, doivent être impitoyablement sanctionnés, la recherche outrancière d'une responsabilité personnelle sans aucune faute peut conduire paradoxalement à l'irresponsabilité et à la paralysie des décideurs. La Chancellerie a engagé une réflexion sur cette question. Souhaitons que cette réflexion débouche.
La dernière observation que je souhaite partager sur ce point avec vous concerne l'évolution nécessaire de nos institutions. Elles doivent répondre à un défi majeur : combler le fossé entre nos concitoyens et leurs représentants. Je crois que nous devons nous engager dans une refonte et une avancée nouvelle des lois initiées par Gaston Defferre. Dans les années 80, l'enjeu principal était, par une logique descendante, de rompre avec notre tradition jacobine et de déléguer vers les collectivités certaines des compétences de l'État. Ce processus a rempli la plupart de ses objectifs. Il n'est plus envisagé par personne de revenir en arrière. Mais aujourd'hui les enjeux ne sont plus les mêmes. Il s'agit de réformer l'État et de le doter d'une véritable politique des territoires permettant de conforter et de valoriser les dynamiques locales. Bref votre action.
Cet acte II de la décentralisation ne pourra-t-il s'accomplir grâce à une méthode souple et pragmatique ? Autour d'une logique partenariale, s'appuyant sur le contrat et le volontariat, on pourrait confier conventionnellement aux collectivités qui le souhaitent, de nouvelles compétences et les financements qui vont avec, par exemple, en matière de tourisme, de jeunesse et de sport, d'environnement ou de culture. Le bilan des expériences menées déciderait le cas échéant d'un transfert définitif. Partir du local pour dessiner des politiques plus lisibles pour les citoyens, définir une nouvelle " donne locale ": c'est ce chemin qu'il faut emprunter afin de combler la distance qui s'est parfois creusée entre les Français et leurs élus et leur redonner confiance en la démocratie. Merci en tous cas d'être ce que vous êtes, des élus au service de nos concitoyens.
Vive la démocratie locale! Vive la République! Vive la France!
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 21 juin 1999)