Déclaration de M. Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, sur l'avenir des régions ultrapériphériques dans le cadre de la réforme de la politique régionale de l'Union européenne et de l'élargissement, îles Canaries le 4 février 2002.

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Circonstance : Réunion des présidents des régions ultrapériphériques, des secrétaires d'Etat de l'Espagne, de la France et du Portugal et de la Commission européenne aux îles Canaries (Espagne) le 4 février 2002

Texte intégral

Monsieur le Commissaire,
Madame et Messieurs les Ministres,
Madame et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens à remercier personnellement M. Ramon DE MIGUEL qui, au nom du gouvernement espagnol, a bien voulu m'inviter à participer à la conférence d'aujourd'hui.
Je voudrais aussi dire au Président du gouvernement des Canaries, M. Roman RODRIGUEZ, combien j'ai apprécié la qualité de son accueil.
Je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui car notre conférence porte sur un thème qui préoccupe au plus haut point nos trois gouvernements, Madame et Messieurs les Ministres, et qui interpelle les régions des Açores, des Canaries, de la Guadeloupe, de la Guyane, de Madère, de la Martinique et de la Réunion dont je salue les présidents.
La question de l'avenir de ces régions, dans le cadre de la réforme de la politique régionale de l'Union, est en effet une interrogation essentielle qui est aujourd'hui marquée par les conditions d'intégration à l'Union de vos régions et la prise en compte de vos intérêts dans le débat sur le prochain élargissement. A ces deux questions s'ajoutent les nouvelles contraintes de la mondialisation compte tenu de votre positionnement géographique; bien maîtrisées, elles peuvent être l'occasion de repenser la politique régionale.
Tout d'abord, la question de la réforme de la politique régionale se pose au moment où l'Union entreprend de tirer toutes les conséquences de l'intégration différenciée des régions ultrapériphériques.
L'Union a reconnu le particularisme et la singularité des régions ultrapériphériques grâce aux initiatives et aux efforts conjugués des gouvernements de l'Espagne, du Portugal et de la France et des présidents des sept régions ultrapériphériques.
La réflexion commune et la conjugaison de nos efforts, Madame et Messieurs les Ministres, Madame et Messieurs les Présidents de régions, notre persévérance ont permis que l'Union intègre et explicite dans le traité la situation unique de l'ultrapériphérie. L'article 299 § 2 du traité recense désormais les critères objectifs de cette situation et constate que la permanence et la combinaison d'un certain nombre de facteurs nuisent gravement au développement des sept régions ultrapériphériques.
Ce texte a permis que s'engage avec la Commission un dialogue nourri, bien que parfois difficile, sur les mesures à prendre pour que soient définis le traitement et l'intégration différenciée dont le traité permet désormais la mise en uvre.
Le rapport présenté par la Commission en mars 2000, en réponse aux mémorandums adressés par les Etats membres et les régions ultrapériphériques, précise qu'en se fondant sur la volonté politique exprimée par l'article 299 § 2, l'action de l'Union doit désormais prendre la forme d'une stratégie globale pour l'ultrapériphérie. Sans nos efforts communs et constants, cette avancée n'aurait pas été obtenue. Cette même communauté d'efforts avait permis en son temps d'obtenir de la Communauté les Programmes d'option spécifique à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) dont bénéficient vos sept régions. Elle devrait permettre à l'avenir de sauvegarder les régimes de fiscalité adaptés à vos spécificités régionales que sont l'Arbitrio et l'octroi de mer.
La mise en place du Groupe Inter Services a traduit la pleine prise en compte par la Commission du caractère transversal des problèmes de l'ultrapériphérie qui relèvent de la politique régionale mais aussi bien de la politique agricole, commerciale, des transports et bien d'autres encore. Au-delà des aménagements institutionnels au sein de la Commission, nous croyons tous ici que cette approche transversale est un acquis à conserver précieusement. Je sais, Monsieur le Commissaire, que vous y êtes sensible, ainsi qu'aux moyens humains nécessaires à la bonne mise en uvre de cette politique.
L'interrogation d'aujourd'hui prend une acuité particulière à la veille du prochain élargissement.
Quel en sera l'apport?
Sur le plan politique, l'élargissement consacrera " la fin de la blessure " que constitue la division de l'Europe en deux blocs séparés depuis 50 ans. Ce sera là un facteur de consolidation et de stabilité du continent, qui en outre ouvrira de nouveaux marchés et des possibilités d'investissement. J'ajoute que les retards économiques de ces pays assurent que la problématique de la cohésion économique et sociale et de la solidarité interne sera pour longtemps au cur des préoccupations de l'Union.
Cependant, à l'évidence, l'élargissement est aussi porteur de certains risques. Le centre de gravité de l'Europe se déplace vers une nouvelle zone d'intérêt, qui si l'on n'y veille pas emporte comme conséquence de concentrer les efforts communautaires et par là de marginaliser vos régions, alors que leurs handicaps économiques et sociaux justifieront autant qu'auparavant le maintien d'une solidarité active. Le plus inquiétant est qu'elles risquent d'apparaître, du fait de l'abaissement du revenu moyen par habitant au sein de la Communauté, comme de " nouveaux riches " dans une Europe élargie à 27. Ce ne serait là qu'un pur effet statistique.
Le rapport sur la cohésion économique et sociale nous indique que, dans une Europe à 15, ce sont 71 millions d'habitants qui vivent dans des régions où le PIB est inférieur à 75 % de la moyenne communautaire ; dans une Union à 25, c'est 115 millions d'habitants et dans une Europe à 27, ce seront 174 millions d'habitants en dessous de ce seuil.
Si nous ne voulons pas que les régions ultrapériphériques soient les oubliées de la future politique de cohésion économique et sociale, il faut refuser toute fatalité, toute résignation et mettre en place ensemble un cadre de réflexion sur le traitement futur de l'ultrapériphérie.
En effet, et comme la Commission le reconnaît elle-même, la logique du développement sur laquelle repose la politique régionale européenne s'apparente à une course à pied dans laquelle un athlète très en forme commencerait l'épreuve avec une tête d'avance sur un rival plus faible. Si le coureur plus faible veut se maintenir dans la course, il faut au moins qu'il suive l'allure de son adversaire. Mais s'il espère réduire l'écart qui le sépare du premier athlète, il doit courir plus vite que lui . Le moins que l'on puisse dire c'est que nos sept régions ne sont pas dans le peloton de tête. Gardons nous donc de l'illusion d'optique qui ferait d'elles les premières du nouveau groupe des régions de l'élargissement et de la tentation de les maintenir à cette nouvelle place faussement complaisante.
C'est pourquoi, il faut que la réflexion sur la réforme de la politique régionale s'appuie sur un refus et une affirmation.
Le refus est celui de l'effet d'éviction automatique. Le seuil d'abaissement du PIB moyen de l'Union et l'amélioration apparente du sort des RUP en termes relatifs ne sauraient avoir pour effet de les mettre dans une situation moins favorable, au plan de la politique régionale, que celle qu'elles connaissent aujourd'hui.
L'affirmation est que le concept d'ultrapériphérie, non seulement n'a pas perdu de sa pertinence et ne doit pas être dilué, mais a encore un potentiel qui n'est pas suffisamment mis en valeur dans le cadre communautaire. L'Union a reconnu expressément une notion qui n'est réductible, ni à celle de périphérie, ni à celle d'insularité. Sans nier la pertinence et la portée de ces concepts voisins il importe de les distinguer. Les RUP, ce ne sont pas seulement des iles. Les RUP, ce sont plus que des situations périphériques.
L'Union a recensé les composantes de l'ultrapériphérie et en a défini les conséquences au plan du traitement spécifique dont les sept collectivités - qu'elle retient dans l'énumération de la catégorie unique de l'article 299 - peuvent être bénéficiaires. C'est bien le cumul de caractères particuliers qui fait l'originalité de ce concept qui marque sept régions dont six font partie aujourd'hui des 10 régions les plus pauvres de l'Union.
L'application bien comprise de l'article 299 suppose une évaluation précise des surcoûts qui affectent le développement économique de vos régions, pour lesquels les solutions doivent être recherchées, au-delà de la politique régionale, dans les différentes politiques de l'Union. Je pense en particulier à la politique des transports, qui doit s'intéresser de près à la manière de mieux assurer en ce qui concerne vos régions la continuité territoriale au sein de l'Union. Les départements d'outre-mer français ont à cet égard des handicaps tout particuliers sur lesquels une réflexion approfondie doit s'engager au niveau national et communautaire.
La pleine appartenance de ces régions à l'Union ne peut nous faire oublier que, se situant aux avant-postes extérieurs de l'Union, elles sont peut-être encore plus que d'autres concernées par les inévitables enjeux de la mondialisation.
Le gouvernement français a en plusieurs circonstances rappelé qu'à travers le débat sur la cohésion l'Europe aborde en fait inévitablement la question de son implantation dans un monde globalisé et des effets de cette mondialisation sur sa cohésion interne.
Les régions ultrapériphériques, par leur situation géographique, constituent une interface de l'Union avec les pays du Sud. Cela peut leur offrir des opportunités de développement au travers de leur insertion dans une dynamique de coopération régionale. Cela peut constituer aussi le cadre d'une redoutable concurrence avec des pays aux coûts de production beaucoup plus faibles. C'est pourquoi, le nouveau contexte de la mondialisation doit nous conduire à attendre de l'Europe une politique de coopération régionale ambitieuse et cohérente, qui permette à la fois d'éviter le protectionnisme et de favoriser les échanges, tout en évitant de fragiliser des tissus productifs dont nous connaissons la vulnérabilité.
En effet au-delà des aspects budgétaires, l'Europe doit valoriser l'apport qu'est pour elle sa présence, au travers des régions ultrapériphériques, dans de tels espaces. Il faut approfondir le contenu de l'article 299 pour en faire le cadre politique de conduite d'une telle action qui peut constituer un bon exemple de mondialisation plus équitable. Je reviens moi-même du Brésil. Avant de participer en fin de semaine au Forum de Porto Alegre, je viens ainsi d'avoir l'occasion d'engager, avec le Conseil Régional de la Guyane, des contacts prometteurs avec l'Etat brésilien voisin du Macapa. Ces discussions m'ont permis de constater qu'il existe un riche potentiel encore largement sous-exploité de relations mutuellement profitables. Des possibilités aussi fortes existent dans la Caraibe et l'Océan Indien. Je crois que c'est un excellent horizon à explorer pour la politique de l'ultrapériphérie et de la concilier avec une mondialisation plus équitable.
Le moment me paraît donc venu d'ouvrir une réflexion et une concertation qui associent nos trois Etats membres et les exécutifs des régions afin de rechercher des réponses constructives aux différents défis que j'ai évoqués. Il nous faut une initiative commune et forte. Cette démarche aurait pour but d'élaborer un mémorandum argumenté qui recense les voies et moyens permettant de tirer pleinement les effets de l'article 299 § 2 du traité, tant au plan de la politique régionale dans le contexte de l'élargissement, qu'à celui des autres politiques de l'Union. Ce mémorandum exprimerait les attentes communes des sept régions et des trois Etats et nourrirait le travail de la Commission. Je livre cette proposition à votre réflexion. C'est un appel à un renouvellement de notre démarche commune dont les effets positifs sont reconnus par chacun d'entre nous.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 5 février 2002)