Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les Députés,
Je suis très heureuse d'être aujourd'hui parmi vous pour cette première communication hebdomadaire du gouvernement
de cette session parlementaire. L'occasion m'est ainsi donnée de faire, au nom du gouvernement, le point sur
l'action gouvernementale en matière de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Comme vous le savez, il s'agit là de l'un des problèmes les plus complexes que nos sociétés développées aient à
affronter. Il s'agit aussi d'une menace pour les individus bien sûr, mais aussi pour les familles et le corps
social tout entier.
La toxicomanie, c'est d'abord des hommes et femmes, et particulièrement des jeunes, qui par suite de faiblesse
personnelle ou du poids des circonstances en sont réduits à la souffrance. Après les moments éphémères de plaisir
vient la souffrance de leur dépendance, de leur désocialisation, de la souffrance qu'ils infligent à ceux qui
jusqu'au bout essaieront de les aider dans leur parcours : c'est, plus encore depuis l'arrivée de l'épidémie de
sida, des hommes et des femmes en danger de mort : mort d'overdose, mort de maladies comme le sida ou les
hépatites.
La toxicomanie, c'est aussi la prostitution et la petite délinquance pour ceux qui cherchent, par n'importe quelle
voie, à se procurer de l'argent pour acheter des produits ; c'est le raz-le-bol de certains quartiers, déjà
durement touchés par le chômage, qui sont envahis de petits trafiquants : c'est la fascination d'une jeunesse pour
quelques caïds qui promettent monts et merveilles.
Mais la toxicomanie, c'est aussi, pour notre société, la confrontation à la grande délinquance, ce sont les
trafiquants internationaux qui contournent les frontières, qui font fi des organisations internationales, qui
amassent des milliards de dollars qu'ils investissent dans toute forme de trafic, voire de subversion, parfois même
le terrorisme.
Notre pays est durement touché. C'est pourquoi le Premier Ministre a réuni il y a un peu plus d'un an le Comité
interministériel de lutte contre la drogue et la toxicomanie qui ne s'était pas réuni depuis 1986.
Une trentaine de décisions ont été prises ce 21 septembre 1993. Je suis heureuse que l'occasion me soit donnée, un
an après, d'en faire le bilan et de vous annoncer aujourd'hui qu'elles ont toutes été suivies d'actions, et que les
objectifs que les ministres s'étaient alors engagé à atteindre ont parfois même été dépassés.
Lutter contre la drogue et la toxicomanie, cela demande d'abord de lutter contre l'offre de produits.
Les chiffres de l'Office Central pour la répression du trafic illicite sont éloquents : 47 tonnes de produits
illicites ont été saisis en 1993 ce qui représente un doublement en trois ans. Plus de 51 000 personnes ont été
interpellée et environ 20 000 condamnées.
Le plan gouvernemental du 21 septembre dernier a d'abord voulu renforcer l'arsenal juridique permettant de lutter
contre les trafiquants.
En premier lieu, il a été préparé un projet de loi autorisant la ratification de la convention signée le 8 novembre
1991 sous l'égide du Conseil de l'Europe, relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation
des produits du crime. Il sera ainsi possible de confisquer les biens des trafiquants dans un pays autre que celui
qui a prononcé la confiscation.
En outre, il sera bientôt possible d'intervenir en haute mer sur un navire soupçonné de transporter des produits
stupéfiants.
Depuis le 1er mars, le nouveau Code Pénal est entré en vigueur. Les infractions les plus graves à la législation
sur les stupéfiants ont été criminalisées : leurs auteurs seront jugés par des cours d'assises composées
exclusivement de magistrats professionnels.
Enfin, un projet de loi examiné par le Conseil des Ministres du 24 août dernier comporte 3 innovations majeures :
1) le recours à des mineurs pour assister les trafiquants dans leurs activités illicites devient un délit, réprimé
comme tel.
2) les personnes qui sont en relations habituelles avec un trafiquant ou plusieurs toxicomanes et ne pouvant
justifier de ressources légitimes correspondant à leur train de vie pourront être sanctionnées.
3) les associations de lutte contre le trafic de stupéfiants et la toxicomanie pourront désormais se constituer
partie civile dans certaines conditions.
En élaborant ce texte, le gouvernement sest largement inspiré des propositions par la représentation nationale
faites lors du débat parlementaire d'avril 1993 sur la politique de la ville.
Mais rien ne sera possible sans une coopération internationale accrue, tant il est vrai que le trafic des
stupéfiants se joue des frontières et des barrières étatiques.
Dans les zones constituant une menace directe pour la France, ou pour lesquelles existent des obligations
particulières de coopération (notamment l'Afrique, le Maghreb, le Proche et le Moyen-Orient, la zone Caraïbes),
notre action internationale a été renforcée.
A l'intérieur de l'Europe ensuite, la France soutient les efforts d'organisation de la lutte contre le trafic.
C'est ainsi que le dispositif Europol et l'Observatoire européen des drogues se mettent progressivement en place.
Le plan européen de lutte contre la drogue en cours d'élaboration, auquel la France apporte une contribution
importante, exprimera clairement la volonté des Etats de l'Union de se donner les moyens d'une lutte tous azimuts
contre le trafic des stupéfiants.
Par ailleurs, les zones frontalières ont fait l'objet d'une attention particulière des services répressifs. Ainsi,
les services de Police et de Douanes français, belges et hollandais ont à deux reprises en mars 1994 et juin 1994
réalisé en coordination des opérations pour lutter contre "le tourisme de la drogue". Elles ont abouti à de
nombreux contrôles d'automobiles, des saisies de produits stupéfiants et des interpellations.
De plus, la surveillance des frontières extérieures de l'union européenne sera renforcée, des propositions
concrètes seront présentées lors de la présidence française de l'union européenne.
Enfin, la coopération internationale pour accroître la surveillance de l'outre-mer français, notamment dans la zone
"Antilles-Guyane" a été intensifiée, notamment par de meilleurs contrôles effectués dans lîle franco-hollandaise
de Saint-Martin.
L'union européenne constitue, chaque jour davantage, le cadre adapté à une action répressive efficace et coordonnée
entre les douze.
Il faut lutter, lutter sans répit contre l'offre, lutter sans répit contre les trafiquants. Mais il faut aussi
guérir les toxicomanes, et leur permettre de se réinsérer. Nous avons fait dans ce domaine, au cours des derniers
mois, un effort tout à fait exceptionnel, au sens propre du terme, un effort comme il n'y en a pas eu depuis au
moins 20 ans.
Nous sommes partis de quelques faits, de quelques chiffres : un toxicomane sur deux ne fréquente pas le dispositif
de soins : 30 % des héroïnomanes sont déjà infectés par le VIH, 70 % par les hépatites B ou C : les délais
d'attente pour une place de post-cure peuvent atteindre parfois plusieurs mois.
Pourquoi donc si peu de toxicomanes fréquentent-ils le dispositif d'accueil et de soins qui existe spécifiquement
pour eux ?
La première, c'est l'insuffisance de centres et de places dans les centres existants. C'est pourquoi une de mes
priorités a été de conforter ce que j'appellerai le dispositif "classique" de prise en charge, -ce terme de
"classique" n'est bien-sûr en aucun cas un jugement de valeur.
Il y avait 610 places de post-cure en mars 1993. Le plan gouvernemental du 21 Septembre a prévu le doublement en
trois ans du dispositif : d'ores et déjà 447 places supplémentaires ont été agréés et financées et la plupart de
ces places ouvriront avant la fin de l'année.
Pour ce qui est du sevrage à l'hôpital, et d'ailleurs plus généralement de l'accueil des toxicomanes à l'hôpital, 3
à 5 lits devront dorénavant être réservés pour le sevrage des toxicomanes dans les grandes agglomérations.
La deuxième raison qui explique que le dispositif de soins soit fréquenté par une trop faible partie de toxicomane
c'est qu'il n'est pas adapté aux toxicomanes les plus désocialisés qui sont aussi les plus fragiles. Il nous
fallait donc diversifier le dispositif.
Première mesure, développer les Boutiques, ces lieux où l'on ne demande rien d'autre aux toxicomanes que de ne pas
prendre de produit dans les locaux. Il y avait une Boutique ouverte il y a un an : 8 sont agréées aujourd'hui.
Seconde mesure, développer l'utilisation des produits de substitution, et en particulier de la méthadone, qui
permettent à la fois de réduire les risques de contamination par le virus du SIDA ou des hépatites, et une
resocialisation des toxicomanes. Des mesures ont été prises, des moyens financiers dégagés. Résultat : de la
situation d'exception - 52 possibilités de prescription de méthadone en mars 1993 - nous sommes passés à 1645
possibilités de prescription de méthadone à la fin de cette année : 575 sont aujourd'hui ouvertes au public.
Troisième mesure, multiplier les réseaux ville-hôpital-toxicomanie, qui doivent permettre de mieux impliquer les
médecins généralistes et j'espère demain les pharmaciens d'officine, dans la prise en charge des toxicomanes. Il y
avait 2 réseaux il y a un an, il y en aura 11 à la fin de l'année.
Réduire les risques de contamination par le SIDA et les hépatites demande de notre part de tous une mobilisation
exceptionnelle.
C'est pourquoi les mesures arrêtées en septembre 1933 ont été complétées par une série de dix mesures annoncées en
juillet dernier. Le débat parlementaire sur le Sida du printemps dernier avait en particulier insisté sur la
question fondamentale de laccès à des seringues propres pour ceux des toxicomanes qui n'arrivent pas à
"décrocher".
Ces mesures entrent rapidement en application. Comme prévu, les premières trousses STERIBOX commencent à être
disponibles en pharmacie au prix de 5 fr.
Dernier axe du plan gouvernemental sur lequel je souhaiterais faire le point : la prévention.
Nous savons aujourd'hui que la prévention primaire, c'est à dire celle qui s'adresse aux jeunes qui n'ont jamais
touché de produit, doit s'appuyer sur un travail éducatif qui insiste sur tout ce qui est de nature à consolider
l'équilibre d'un jeune, à lui permettre d'affirmer sa personnalité. Tout ce qui initie à l'autonomie, à la maîtrise
de l'excès, à la responsabilité dans les rapports avec les autres, tout ce qui sensibilise aux risques de la
dépendance et de l'abus de produits, tout ceci a valeur préventive.
C'est pourquoi le comité du 21 septembre a prévu que, dès l'école primaire, les élèves de CM2 devraient, à
l'avenir, recevoir une information d'une durée de deux heures intégrée dans un programme plus vaste d'éducation à
la santé.
Quant au dispositif des comités d'environnement social, conçus pour rapprocher les acteurs de la prévention dans et
autour de l'établissement scolaire, il a déjà été notablement étendu (980 comités le 21 Septembre 1993 - 1 554 le
1er juillet 1994 - l'objectif est de 2 000 au 30 juin 1995).
En dehors du système scolaire, la formation des cadres bénévoles et d'animateurs professionnels a été améliorée. De
nombreux stages locaux sont ainsi aujourd'hui proposés aux responsables et personnels associatifs, en particulier
associations de parents d'élèves. Des points d'accueil et d'information ont été mis en place sur les lieux de
rassemblement de la jeunesse.
Enfin, une première journée nationale de prévention des toxicomanies inaugurera, le 15 Octobre 1994 la semaine
européenne de prévention des toxicomanies. Des actions nombreuses et variées, utilisant diverses approches et
auxquelles les jeunes, les parents, les familles, tous les professionnels et la population dans son ensemble sont
invités à participer, se dérouleront sur tout le territoire afin d'illustrer une campagne générale de prévention.
J'ai personnellement écrit à de très nombreux élus, maires, présidents de conseils généraux, députés, sénateurs
pour leur demander de se mobiliser. Ils sont très nombreux à m'avoir déjà assuré de leur soutien et de leur
participation à cette journée. Je les en remercie chaleureusement.
"Contre la drogue, on n'est jamais trop". C'est là le slogan de cette journée du 15 octobre.
J'espère vous avoir montré que la détermination du gouvernement est totale. Les budgets 1995 sont d'ailleurs en
forte augmentation (+ 20 % au total, + 28% pour le seul dispositif sanitaire), ce qui garantit que les intentions
sont effectivement suivies d'actions.
Je rappellerai pour conclure que le gouvernement attend pour la fin du mois les conclusions de la Commission
Henrion qui a été chargée de réfléchir en particulier aux adaptations éventuelles de la loi de 1970. Certains
d'entre vous ont été auditionnés. Son rapport qui sera comme prévu rendu public, vous sera communiqué dès que
possible.
Mes derniers mots seront aujourd'hui pour tous ceux qui luttent contre la drogue, qui luttent pour protéger notre
jeunesse. Policiers, gendarmes, douaniers, juges qui luttent contre le trafic, qu'il soit international ou dans les
rues de nos cités. Enseignants, éducateurs, médecins scolaires qui mènent quotidiennement une action de prévention.
Médecins, pharmaciens, travailleurs des centres de soins, bénévoles qui écoutent, accueillent, soignent. A tous la
Nation peut et doit dire sa reconnaissance.