Texte intégral
Jean-Marc SYLVESTRE
Notre invité est aujourd'hui Alain Madelin, après Nicolas Sarkozy et Jack Lang. Vous êtes un candidat déclaré à l'élection présidentielle. Les mouvements de revendication catégoriels se multiplient en ce moment. Vous avez semblé comprendre les revendications des gendarmes et des internes mais vous avez également indiqué ne pas comprendre la réaction du gouvernement. Est-ce une contradiction ?
Alain MADELIN
Comme trop souvent, on réagit dans l'urgence, faute de savoir proposer les réformes à temps. Le gouvernement fait alors figure d'un prunier, que l'on secoue d'autant plus fortement que les fruits à récolter son maigres. Cela est dommage car nous avons connu des années de croissance exceptionnelles et l'on n'a pas fait les réformes qui s'imposaient (sécurité, justice), auxquelles on a, de surcroît, préféré les 35 heures.
Jean-Marc SYLVESTRE
Est-ce possible de faire une réforme à six mois des élections présidentielles ?
Alain MADELIN
Je prends l'exemple de la police et de la justice : pour se convaincre de l'étendue des situations à corriger, il suffit de rappeler qu'au total, ces deux budgets représentent moins que la somme consacrée par l'Etat au déficit de la SNCF. L'effort pour la sécurité et la justice aurait dû être fait depuis longtemps.
Gilles LE GENDRE
Vous êtes candidat à l'élection présidentielle. Selon un sondage IFOP-L'Expansion, les chefs d'entreprise considèrent que vous êtes le mieux placé pour conduire la réforme de l'Etat. Si vous étiez élu, comment vous y prendriez-vous ?
Alain MADELIN
Tout d'abord, je vais mettre la réforme de l'Etat au coeur de ma campagne électorale, comme elle est au coeur de mon action depuis toujours, notamment dans les fonctions ministérielles que j'ai exercées. La réforme de l'Etat, il faut le dire et le répéter, n'est pas une punition. C'est une chance ! Je suis convaincu que l'on peut obtenir de formidables gains de productivité, que l'on peut valoriser davantage les agents de l'Etat, et que l'on a tous à y gagner.
Jean-Marc SYLVESTRE
Mais cela passe, à tout coup, par une modification du statut de la Fonction publique.
Alain MADELIN
Je ne propose pas de le remettre en cause, mais simplement d'y ajouter quelques éléments qui permettront de motiver les agents de l'Etat. Une réforme de l'Etat bien conduite, c'est 1 point de croissance. C'est dire que nous avons tous à y gagner ! Et si la réforme de l'Etat permet de réaliser un bénéfice, d'engranger des ressources fiscales supplémentaires, il y aura matière à donner aux agents de l'Etat une motivation financière pour évoluer.
Jean-Marc SYLVESTRE
Vous comptez donner des stock-options aux fonctionnaires ?
Alain MADELIN
Je constate que les fonctionnaires de France Télécom ont fait évoluer leur manière de travailler en devenant actionnaires. Je n'ai aucunement l'intention de supprimer les avantages acquis. Je propose soit de les éteindre, soit de les échanger, soit de les racheter. Les éteindre : par exemple, le système de retraite des cheminots n'a pas forcément vocation à être appliqué aux nouveaux entrants. Les échanger : c'est l'exemple des salariés actionnaires de France Télécom. Les racheter : je l'ai fait à travers la création de zones d'entreprise défiscalisées qui ont proposé de nouveaux emplois aux salariés licenciés des chantiers navals de la Normed.
Gilles LE GENDRE
En 1995, vous avez dû quitter précipitamment le ministère de l'Economie pour avoir voulu aller trop vite dans la réforme. Comment comptez-vous mettre les syndicats de votre côté ?
Alain MADELIN
Nous allons bénéficier d'une conjoncture d'éléments favorables. D'abord, un agent sur deux va partir à la retraite dans les dix ans qui viennent. Par ailleurs, le développement des TIC va forcément, un jour ou l'autre, engendrer des gains de productivité. La mise en place des 35 heures sera aussi l'occasion de procéder à des remodelages. Administration par administration, service par service, on va donc pouvoir procéder à un reengineering de l'Etat : créations d'agences, mise en concurrence, privatisation ou délégation de service public.
Gilles LE GENDRE
Je répète : comment comptez-vous mettre les syndicats de votre côté ? On sait que c'est un point central !
Alain MADELIN
Face un obstacle puissant, on pratique la stratégie de la brèche, de l'expérimentation. Par exemple, je ne sais pas réformer l'Education nationale d'en haut. Mais il est possible de créer un statut d'établissement autonome, où les enseignants volontaires seront libres de l'utilisation de leurs moyens et seraient jugés sur leurs performances. Si l'expérience est concluante, cela ne manquera pas d'en séduire d'autres. Avec la suppression de la carte scolaire, ce sont les parents qui distingueront tout naturellement les bonnes écoles des mauvaises.
Jean-Marc SYLVESTRE
Réformer l'Etat, est-ce forcément le faire maigrir ?
Alain MADELIN
Je dirais plutôt qu'il faut muscler l'Etat, et répartir ses forces autrement. Il faut manifestement accroître les moyens de la justice et de la police. A contrario, les administrations centrales de l'agriculture ou des anciens combattants pourraient sans doute être réduites.
Jean-Marc SYLVESTRE
Alain Madelin, quel est, pour vous, le périmètre idéal de l'Etat ?
Alain MADELIN
Je ne peux vous le dire. Bien sûr, les fonctions régaliennes doivent être incluses dans ce périmètre. Mais certaines autres fonctions doivent être assurées par l'Etat. En tout état de cause, la frontière n'est pas si facile à tracer. Il faut, à mon avis, développer la délégation, qui est une formule intermédiaire permettant notamment d'introduire une certaine dose de concurrence. Ainsi, dans le domaine de la santé, la délégation aurait pour avantage de réaliser des économies en comparant les coûts et la qualité de services de deux entités distinctes. La concurrence est un formidable moyen d'émulation. C'est pourquoi je propose, en particulier, de renforcer l'ordonnance de décembre 1946 pour dire que, lorsqu'une entité publique et une autre privée sont chargées d'une même activité, le Conseil de la concurrence doit être chargé de vérifier l'égalité des conditions de concurrence. Ceci me semblerait une avancée considérable.
Gilles LE GENDRE
Souhaiteriez-vous inscrire dans un projet de référendum la réforme de l'Etat ?
Alain MADELIN
Je ne le ferais qu'en dernier recours. Quelle question pourrait y être posée, de façon raisonnable ?
Gilles LE GENDRE
Ce pourrait être le nombre de fonctionnaires, par exemple.
Alain MADELIN
Mais je ne sais pas quel est le nombre optimal de fonctionnaires ! Par ailleurs, sur des questions comme le droit de grève, nous avons besoin de courage politique, et non d'un référendum ! Il faut adapter un projet à une réalité concrète : le droit de grève, par exemple, est le droit d'arrêter son travail et non celui des autres, en conséquence de quoi, parfois, le service minimum ou la réquisition sont nécessaires. Je crois au courage politique de la réforme mais non au référendum spectacle.
Jean-Marc SYLVESTRE
Est-ce possible, dans un pays où le nombre de personnes qui dépendent directement de l'Etat est aussi important, d'avoir ce courage politique ?
Alain MADELIN
Je ne veux pas blâmer les fonctionnaires. Mais nous sommes pris dans un système lourd, difficile à manoeuvrer et souvent incohérent. Par exemple, nous avons supprimé la vignette mais nous ne savons que faire des 700 personnes qui travaillaient dans ce service. Il y a un réel problème d'affectation et de redistribution des ressources humaines dans la fonction publique.
Cela dit, il me semble important de préciser que ce sont les lois trop lourdes et les réglementations trop compliquées qui font, bien souvent, la part peu utile du travail des fonctionnaires. Il faut donc déréglementer, simplifier et alléger le droit dans les années à venir, en ne se limitant qu'à des lois de cadrage, fixant les grands principes, pour laisser au niveau local ou opérationnel les modalités d'application.
Echanges avec la salle
Denis KESSLER
Il existe en France le statut de la fonction publique, qui couvre les salariés des trois fonctions publiques. Mais ce statut date de l'immédiat après-guerre, époque où les règles de gestion du personnel étaient évidemment fort différentes. Peut-on réformer ce statut pour enfin considérer en France que l'on peut gérer les ressources humaines nécessaires au fonctionnement de l'Etat selon des principes plus proches d'une logique d'efficacité et de compétences, par exemple ?
Alain MADELIN
Il est vrai qu'il existe plusieurs fonctions publiques. A cet égard, la Cour de justice européenne distingue particulièrement les fonctions régaliennes de la fonction publique, dont on a voulu préserver le titulaire de l'arbitraire politique, tout en préservant le citoyen de l'abus de pouvoir. Pour la partie non régalienne de la fonction publique, l'on peut se demander s'il faut créer un nouveau statut plus proche de celui du privé. D'autres pays se sont plus ou moins engagés dans cette voie, comme la Suisse. Pour ma part, je ne ferai pas de débat idéologique sur cette question. Je crois surtout qu'il faut pouvoir introduire des éléments de motivation et d'efficacité des fonctionnaires.
Nicole NOTAT
Entre l'Etat et les citoyens, entre l'Etat et l'entreprise, entre l'Etat et le marché, croyez-vous à des contre-pouvoirs, et quel rôle leur donnez-vous ?
Alain MADELIN
En tant que libéral convaincu, je crois profondément aux contre-pouvoirs. C'est la raison pour laquelle je suis très attentif au chantier de la refondation sociale. Au delà des syndicats, je suis favorable à ce que la société civile joue un rôle accru. Au travers d'une réforme des fondations et des associations, assortie d'un nouveau statut fiscal, je pense que l'on peut décharger les pouvoirs publics de la gestion d'un hôpital, d'un orchestre ou d'un patrimoine culturel.
Denis KIBLER, président d'Infra+
Voilà 25 ans que le budget de l'Etat est déficitaire. Aucune entreprise ne pourrait supporter une période déficitaire aussi longue ! On l'exprime d'ailleurs en pourcentage du PIB, et non pas du budget lui-même. Si vous êtes élu, parlerez-vous aux Français le langage de la vérité, en leur disant qu'il n'est plus possible de maintenir un déficit représentant, en cumul, trois ans de chiffre d'affaires ?
Alain MADELIN
Le déficit budgétaire a en effet été l'instrument d'ajustement favori des gouvernements, après la planche à billets et la hausse des prélèvements fiscaux. C'est d'ailleurs de mon bref passage au ministère des Finances, en 1995, que date l'inversion de la tendance. En réalité, nous n'avons guère le choix : les Etats sont entrés en concurrence. Ceux qui pratiquent la fuite en avant dans l'endettement sont aussitôt sanctionnés par les marchés, par le biais des taux d'intérêt. Quant au remboursement de la dette existante, elle pourrait se faire sous la forme d'une opération de titrisation de la dette publique, comme en Italie.
Jean-Marc SYLVESTRE
La politique budgétaire peut-elle avoir un rôle de soutien de l'économie ?
Alain MADELIN
Nous sommes dans une économie de l'offre. En cas de crise, il ne s'agit pas d'augmenter les dépenses publiques, mais de libérer les initiatives.
Gilles LE GENDRE
Pouvez-vous donner un ordre de grandeur pour un plan de réduction des impôts et d'économies budgétaires ?
Alain MADELIN
J'envisage une baisse des prélèvements obligatoires de 5 points, d'abord sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les successions. Je plaide par ailleurs pour une réduction des dépenses publiques de 10 points.
Philippe Peuch-Lestrade, associé d'Andersen
Pour la première fois, les administrations ont publié des rapports d'activité. Quel usage faut-il en faire ?
Alain MADELIN
Il faut que les parlementaires changent de méthode de travail. Ils doivent être jugés non pas sur le volume de lois qu'ils votent, mais sur leur contribution à la simplification et à l'amélioration de la qualité de vie des citoyens. Je plaide pour un système similaire aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne, où il existe des outils de contrôle forts. Je plaide aussi pour un dispositif de benchmarking permanent. Je souhaite enfin que se crée un marché concurrentiel de l'audit, du contrôle et de l'évaluation des dépenses publiques par des cabinets privés. J'ajoute un élément concret : je plaide pour une loi de simplification administrative annuelle, comme les Italiens viennent d'en reprendre l'idée. Cette loi serait à l'ordre du jour tous les ans, à l'initiative des parlementaires, afin de corriger les lourdeurs ou les complexités patentes.
Véronique JEROME, Maître de conférences, Université de Metz
Dans le contexte de ralentissement de croissance et de hausse des dépenses publiques qui se profile pour l'année prochaine, pensez-vous que le candidat élu en 2002 aura les coudées suffisamment franches pour mettre en oeuvre son programme ?
Alain MADELIN
Cela dépend qui ! Pour ma part, je veux miser sur l'audace et sur des projets audacieux, en particulier à travers la régionalisation et la baisse des impôts, qui, pour cette dernière, semble coûter, mais dont nous recueillerons les fruits en termes de croissance. En fait, il faudrait s'entendre au niveau européen sur les réformes structurelles à mettre en place et sur celles qui sont prioritaires. Cela serait sans doute bien accueilli par l'ensemble de nos partenaires, qui sont plutôt orientés dans cette direction.
Jean-Marc SYLVESTRE
Vous baissez les impôts et vous financez par la croissance future, est-ce bien cela ?
Alain MADELIN
Un candidat ne peut dire qu'il la financera par la baisse des dépenses publiques : pour ma part, je mise surtout sur la croissance.
Marie-Christine CARRATI, Inspecteur des impôts
Ne pensez-vous pas que la réforme de l'Etat serait plus facile si les fonctionnaires avaient davantage confiance dans leur Etat-patron ?
Alain MADELIN
Certes. Mais cette confiance me paraît tout aussi importante dans le sens inverse : les fonctionnaires doivent recevoir et percevoir cette confiance. Pour cela, il faut rassembler, motiver et mobiliser autour d'un projet. C'est ainsi que l'on procède parfois de façon spectaculaire
Jean-Marc SYLVESTRE
Quelle sera la toute première réforme que vous mettrez en oeuvre si vous êtes élu ?
Alain MADELIN
Je l'ai dit : il s'agit de la régionalisation, qui permet de diviser certains problèmes et de multiplier les expérimentations.
(Source http://www.alainmadelin.com, le 14 janvier 2002)
Notre invité est aujourd'hui Alain Madelin, après Nicolas Sarkozy et Jack Lang. Vous êtes un candidat déclaré à l'élection présidentielle. Les mouvements de revendication catégoriels se multiplient en ce moment. Vous avez semblé comprendre les revendications des gendarmes et des internes mais vous avez également indiqué ne pas comprendre la réaction du gouvernement. Est-ce une contradiction ?
Alain MADELIN
Comme trop souvent, on réagit dans l'urgence, faute de savoir proposer les réformes à temps. Le gouvernement fait alors figure d'un prunier, que l'on secoue d'autant plus fortement que les fruits à récolter son maigres. Cela est dommage car nous avons connu des années de croissance exceptionnelles et l'on n'a pas fait les réformes qui s'imposaient (sécurité, justice), auxquelles on a, de surcroît, préféré les 35 heures.
Jean-Marc SYLVESTRE
Est-ce possible de faire une réforme à six mois des élections présidentielles ?
Alain MADELIN
Je prends l'exemple de la police et de la justice : pour se convaincre de l'étendue des situations à corriger, il suffit de rappeler qu'au total, ces deux budgets représentent moins que la somme consacrée par l'Etat au déficit de la SNCF. L'effort pour la sécurité et la justice aurait dû être fait depuis longtemps.
Gilles LE GENDRE
Vous êtes candidat à l'élection présidentielle. Selon un sondage IFOP-L'Expansion, les chefs d'entreprise considèrent que vous êtes le mieux placé pour conduire la réforme de l'Etat. Si vous étiez élu, comment vous y prendriez-vous ?
Alain MADELIN
Tout d'abord, je vais mettre la réforme de l'Etat au coeur de ma campagne électorale, comme elle est au coeur de mon action depuis toujours, notamment dans les fonctions ministérielles que j'ai exercées. La réforme de l'Etat, il faut le dire et le répéter, n'est pas une punition. C'est une chance ! Je suis convaincu que l'on peut obtenir de formidables gains de productivité, que l'on peut valoriser davantage les agents de l'Etat, et que l'on a tous à y gagner.
Jean-Marc SYLVESTRE
Mais cela passe, à tout coup, par une modification du statut de la Fonction publique.
Alain MADELIN
Je ne propose pas de le remettre en cause, mais simplement d'y ajouter quelques éléments qui permettront de motiver les agents de l'Etat. Une réforme de l'Etat bien conduite, c'est 1 point de croissance. C'est dire que nous avons tous à y gagner ! Et si la réforme de l'Etat permet de réaliser un bénéfice, d'engranger des ressources fiscales supplémentaires, il y aura matière à donner aux agents de l'Etat une motivation financière pour évoluer.
Jean-Marc SYLVESTRE
Vous comptez donner des stock-options aux fonctionnaires ?
Alain MADELIN
Je constate que les fonctionnaires de France Télécom ont fait évoluer leur manière de travailler en devenant actionnaires. Je n'ai aucunement l'intention de supprimer les avantages acquis. Je propose soit de les éteindre, soit de les échanger, soit de les racheter. Les éteindre : par exemple, le système de retraite des cheminots n'a pas forcément vocation à être appliqué aux nouveaux entrants. Les échanger : c'est l'exemple des salariés actionnaires de France Télécom. Les racheter : je l'ai fait à travers la création de zones d'entreprise défiscalisées qui ont proposé de nouveaux emplois aux salariés licenciés des chantiers navals de la Normed.
Gilles LE GENDRE
En 1995, vous avez dû quitter précipitamment le ministère de l'Economie pour avoir voulu aller trop vite dans la réforme. Comment comptez-vous mettre les syndicats de votre côté ?
Alain MADELIN
Nous allons bénéficier d'une conjoncture d'éléments favorables. D'abord, un agent sur deux va partir à la retraite dans les dix ans qui viennent. Par ailleurs, le développement des TIC va forcément, un jour ou l'autre, engendrer des gains de productivité. La mise en place des 35 heures sera aussi l'occasion de procéder à des remodelages. Administration par administration, service par service, on va donc pouvoir procéder à un reengineering de l'Etat : créations d'agences, mise en concurrence, privatisation ou délégation de service public.
Gilles LE GENDRE
Je répète : comment comptez-vous mettre les syndicats de votre côté ? On sait que c'est un point central !
Alain MADELIN
Face un obstacle puissant, on pratique la stratégie de la brèche, de l'expérimentation. Par exemple, je ne sais pas réformer l'Education nationale d'en haut. Mais il est possible de créer un statut d'établissement autonome, où les enseignants volontaires seront libres de l'utilisation de leurs moyens et seraient jugés sur leurs performances. Si l'expérience est concluante, cela ne manquera pas d'en séduire d'autres. Avec la suppression de la carte scolaire, ce sont les parents qui distingueront tout naturellement les bonnes écoles des mauvaises.
Jean-Marc SYLVESTRE
Réformer l'Etat, est-ce forcément le faire maigrir ?
Alain MADELIN
Je dirais plutôt qu'il faut muscler l'Etat, et répartir ses forces autrement. Il faut manifestement accroître les moyens de la justice et de la police. A contrario, les administrations centrales de l'agriculture ou des anciens combattants pourraient sans doute être réduites.
Jean-Marc SYLVESTRE
Alain Madelin, quel est, pour vous, le périmètre idéal de l'Etat ?
Alain MADELIN
Je ne peux vous le dire. Bien sûr, les fonctions régaliennes doivent être incluses dans ce périmètre. Mais certaines autres fonctions doivent être assurées par l'Etat. En tout état de cause, la frontière n'est pas si facile à tracer. Il faut, à mon avis, développer la délégation, qui est une formule intermédiaire permettant notamment d'introduire une certaine dose de concurrence. Ainsi, dans le domaine de la santé, la délégation aurait pour avantage de réaliser des économies en comparant les coûts et la qualité de services de deux entités distinctes. La concurrence est un formidable moyen d'émulation. C'est pourquoi je propose, en particulier, de renforcer l'ordonnance de décembre 1946 pour dire que, lorsqu'une entité publique et une autre privée sont chargées d'une même activité, le Conseil de la concurrence doit être chargé de vérifier l'égalité des conditions de concurrence. Ceci me semblerait une avancée considérable.
Gilles LE GENDRE
Souhaiteriez-vous inscrire dans un projet de référendum la réforme de l'Etat ?
Alain MADELIN
Je ne le ferais qu'en dernier recours. Quelle question pourrait y être posée, de façon raisonnable ?
Gilles LE GENDRE
Ce pourrait être le nombre de fonctionnaires, par exemple.
Alain MADELIN
Mais je ne sais pas quel est le nombre optimal de fonctionnaires ! Par ailleurs, sur des questions comme le droit de grève, nous avons besoin de courage politique, et non d'un référendum ! Il faut adapter un projet à une réalité concrète : le droit de grève, par exemple, est le droit d'arrêter son travail et non celui des autres, en conséquence de quoi, parfois, le service minimum ou la réquisition sont nécessaires. Je crois au courage politique de la réforme mais non au référendum spectacle.
Jean-Marc SYLVESTRE
Est-ce possible, dans un pays où le nombre de personnes qui dépendent directement de l'Etat est aussi important, d'avoir ce courage politique ?
Alain MADELIN
Je ne veux pas blâmer les fonctionnaires. Mais nous sommes pris dans un système lourd, difficile à manoeuvrer et souvent incohérent. Par exemple, nous avons supprimé la vignette mais nous ne savons que faire des 700 personnes qui travaillaient dans ce service. Il y a un réel problème d'affectation et de redistribution des ressources humaines dans la fonction publique.
Cela dit, il me semble important de préciser que ce sont les lois trop lourdes et les réglementations trop compliquées qui font, bien souvent, la part peu utile du travail des fonctionnaires. Il faut donc déréglementer, simplifier et alléger le droit dans les années à venir, en ne se limitant qu'à des lois de cadrage, fixant les grands principes, pour laisser au niveau local ou opérationnel les modalités d'application.
Echanges avec la salle
Denis KESSLER
Il existe en France le statut de la fonction publique, qui couvre les salariés des trois fonctions publiques. Mais ce statut date de l'immédiat après-guerre, époque où les règles de gestion du personnel étaient évidemment fort différentes. Peut-on réformer ce statut pour enfin considérer en France que l'on peut gérer les ressources humaines nécessaires au fonctionnement de l'Etat selon des principes plus proches d'une logique d'efficacité et de compétences, par exemple ?
Alain MADELIN
Il est vrai qu'il existe plusieurs fonctions publiques. A cet égard, la Cour de justice européenne distingue particulièrement les fonctions régaliennes de la fonction publique, dont on a voulu préserver le titulaire de l'arbitraire politique, tout en préservant le citoyen de l'abus de pouvoir. Pour la partie non régalienne de la fonction publique, l'on peut se demander s'il faut créer un nouveau statut plus proche de celui du privé. D'autres pays se sont plus ou moins engagés dans cette voie, comme la Suisse. Pour ma part, je ne ferai pas de débat idéologique sur cette question. Je crois surtout qu'il faut pouvoir introduire des éléments de motivation et d'efficacité des fonctionnaires.
Nicole NOTAT
Entre l'Etat et les citoyens, entre l'Etat et l'entreprise, entre l'Etat et le marché, croyez-vous à des contre-pouvoirs, et quel rôle leur donnez-vous ?
Alain MADELIN
En tant que libéral convaincu, je crois profondément aux contre-pouvoirs. C'est la raison pour laquelle je suis très attentif au chantier de la refondation sociale. Au delà des syndicats, je suis favorable à ce que la société civile joue un rôle accru. Au travers d'une réforme des fondations et des associations, assortie d'un nouveau statut fiscal, je pense que l'on peut décharger les pouvoirs publics de la gestion d'un hôpital, d'un orchestre ou d'un patrimoine culturel.
Denis KIBLER, président d'Infra+
Voilà 25 ans que le budget de l'Etat est déficitaire. Aucune entreprise ne pourrait supporter une période déficitaire aussi longue ! On l'exprime d'ailleurs en pourcentage du PIB, et non pas du budget lui-même. Si vous êtes élu, parlerez-vous aux Français le langage de la vérité, en leur disant qu'il n'est plus possible de maintenir un déficit représentant, en cumul, trois ans de chiffre d'affaires ?
Alain MADELIN
Le déficit budgétaire a en effet été l'instrument d'ajustement favori des gouvernements, après la planche à billets et la hausse des prélèvements fiscaux. C'est d'ailleurs de mon bref passage au ministère des Finances, en 1995, que date l'inversion de la tendance. En réalité, nous n'avons guère le choix : les Etats sont entrés en concurrence. Ceux qui pratiquent la fuite en avant dans l'endettement sont aussitôt sanctionnés par les marchés, par le biais des taux d'intérêt. Quant au remboursement de la dette existante, elle pourrait se faire sous la forme d'une opération de titrisation de la dette publique, comme en Italie.
Jean-Marc SYLVESTRE
La politique budgétaire peut-elle avoir un rôle de soutien de l'économie ?
Alain MADELIN
Nous sommes dans une économie de l'offre. En cas de crise, il ne s'agit pas d'augmenter les dépenses publiques, mais de libérer les initiatives.
Gilles LE GENDRE
Pouvez-vous donner un ordre de grandeur pour un plan de réduction des impôts et d'économies budgétaires ?
Alain MADELIN
J'envisage une baisse des prélèvements obligatoires de 5 points, d'abord sur l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les successions. Je plaide par ailleurs pour une réduction des dépenses publiques de 10 points.
Philippe Peuch-Lestrade, associé d'Andersen
Pour la première fois, les administrations ont publié des rapports d'activité. Quel usage faut-il en faire ?
Alain MADELIN
Il faut que les parlementaires changent de méthode de travail. Ils doivent être jugés non pas sur le volume de lois qu'ils votent, mais sur leur contribution à la simplification et à l'amélioration de la qualité de vie des citoyens. Je plaide pour un système similaire aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne, où il existe des outils de contrôle forts. Je plaide aussi pour un dispositif de benchmarking permanent. Je souhaite enfin que se crée un marché concurrentiel de l'audit, du contrôle et de l'évaluation des dépenses publiques par des cabinets privés. J'ajoute un élément concret : je plaide pour une loi de simplification administrative annuelle, comme les Italiens viennent d'en reprendre l'idée. Cette loi serait à l'ordre du jour tous les ans, à l'initiative des parlementaires, afin de corriger les lourdeurs ou les complexités patentes.
Véronique JEROME, Maître de conférences, Université de Metz
Dans le contexte de ralentissement de croissance et de hausse des dépenses publiques qui se profile pour l'année prochaine, pensez-vous que le candidat élu en 2002 aura les coudées suffisamment franches pour mettre en oeuvre son programme ?
Alain MADELIN
Cela dépend qui ! Pour ma part, je veux miser sur l'audace et sur des projets audacieux, en particulier à travers la régionalisation et la baisse des impôts, qui, pour cette dernière, semble coûter, mais dont nous recueillerons les fruits en termes de croissance. En fait, il faudrait s'entendre au niveau européen sur les réformes structurelles à mettre en place et sur celles qui sont prioritaires. Cela serait sans doute bien accueilli par l'ensemble de nos partenaires, qui sont plutôt orientés dans cette direction.
Jean-Marc SYLVESTRE
Vous baissez les impôts et vous financez par la croissance future, est-ce bien cela ?
Alain MADELIN
Un candidat ne peut dire qu'il la financera par la baisse des dépenses publiques : pour ma part, je mise surtout sur la croissance.
Marie-Christine CARRATI, Inspecteur des impôts
Ne pensez-vous pas que la réforme de l'Etat serait plus facile si les fonctionnaires avaient davantage confiance dans leur Etat-patron ?
Alain MADELIN
Certes. Mais cette confiance me paraît tout aussi importante dans le sens inverse : les fonctionnaires doivent recevoir et percevoir cette confiance. Pour cela, il faut rassembler, motiver et mobiliser autour d'un projet. C'est ainsi que l'on procède parfois de façon spectaculaire
Jean-Marc SYLVESTRE
Quelle sera la toute première réforme que vous mettrez en oeuvre si vous êtes élu ?
Alain MADELIN
Je l'ai dit : il s'agit de la régionalisation, qui permet de diviser certains problèmes et de multiplier les expérimentations.
(Source http://www.alainmadelin.com, le 14 janvier 2002)