Déclaration de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur la production et la consommation de gaz en Europe et en France et sur le projet de directive européenne sur le marché du gaz, à Paris le 6 novembre 1997.

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Circonstance : 2ème Conférence sur le gaz, le 6 novembre 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
Je suis très heureux de m'adresser à vous à l'occasion de cette deuxième Conférence sur le gaz qui sera le lieu, je l'espère, d'un échange de points de vue franc et constructif. L'idée d'un forum importateurs producteurs me semble particulièrement la bienvenue car c'est bien par le dialogue que des relations viables à long terme peuvent être mises en oeuvre.
1) Il suffit de jeter un regard sur les résultats obtenus au cours des dernières années pour constater combien le développement du gaz a été important.
Les réserves gazières, qui représentaient la moitié des réserves pétrolières en 1970 sont aujourd'hui du même ordre de grandeur. Longtemps considéré comme produit fatal de l'industrie pétrolière, le gaz naturel a su conquérir une dimension d'énergie internationale à part entière.
Mais, à l'inverse du marché pétrolier, il n'existe pas de marché mondial du gaz car il est handicapé par des coûts de transport élevés. Chaque marché régional a ses spécificités propres ; le marché américain est très atomisé avec de nombreux acteurs et une dérégulation déjà ancienne. Le marché extrême-oriental reste dominé par le débouché électrique du gaz et par des flux d'importation sous forme exclusivement liquide.
Mais revenons à l'Europe. La demande européenne de gaz a fortement progressé au cours des trois dernières décennies. Alors qu'il était à peine mentionné dans les statistiques énergétiques avec 2% des besoins en énergie de l'Europe des quinze en 1965, le gaz représente aujourd'hui près de 20% de son bilan énergétique.
C'est là la traduction d'une contribution accrue du gaz à la diversification de nos sources d'approvisionnement qui avait été recherchée à la suite des chocs pétroliers de la décennie soixante-dix.
En France, le gaz représente aujourd'hui 13% de la consommation énergétique française et c'est une part importante si l'on tient compte de la structure de notre parc électrique, dominé comme vous le savez par le nucléaire.
Pour accompagner le développement du gaz en Europe, un large réseau gazier s'est mis en place permettant de s'approvisionner en gaz local mais également importé de pays extérieurs. Et c'est grâce à ce réseau que l'Europe représente aujourd'hui près de 60% du commerce mondial par gazoduc.
2) Le gaz devrait voir se poursuivre et augmenter sa contribution au bilan énergétique.
Le marché du gaz va s'appuyer pour quelques années encore sur ses débouchés traditionnels, mais de nouvelles applications permettent déjà d'élargir l'éventail des ses utilisations.
Avec le développement de la technologie des turbines à cycles combinés, dont le rendement est sans cesse amélioré, le gaz est de plus en plus compétitif pour la génération d'électricité. Le secteur électrique sera l'un des pôles majeurs pour le développement futur du gaz en Europe, puisque l'on estime que la moitié des nouveaux besoins en gaz de l'Union Européenne servira à produire de l'électricité. Nous devons toutefois être vigilants sur les risques que pourraient faire peser sur la sécurité de nos approvisionnements une dépendance excessive par rapport au gaz dans la génération d'électricité.
A propos du débouché électrique du gaz, je peux vous dire que la France n'exclut pas que la contribution du gaz naturel à la production électrique nationale soit plus importante à l'avenir dans un souci de diversification énergétique.
En France, nous cherchons également à encourager le développement de la cogénération et celui du Gaz Naturel pour Véhicule qui devrait, grâce aux qualités environnementales intrinsèques du gaz naturel, connaître un certain succès dans un contexte où nos concitoyens supportent de moins en moins la pollution urbaine.
A plus long terme, la conversion du gaz naturel en hydrocarbures liquides ouvre des perspectives nouvelles de débouchés. Elle pourrait dans le futur avoir un impact très important sur le bilan énergétique en remettant en cause le "quasi-monopole" des produits pétroliers dans le secteur des transports.
Ces différents axes de développement ne manqueront pas d'être évoqués à la Conférence sur le Changement Climatique qui aura lieu dans un mois à Kyoto. La position de l'Union européenne va dans le sens d'une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre ; nous proposons globalement, pour l'Europe, pour 2010 une baisse de 10 à 15% par rapport au niveau enregistré en 1990 et nous avons été déçus par le manque d'ambition des propositions faites en ce domaine par les Etats-Unis.
Je reste cependant persuadé que quelque soit le résultat des discussions à venir, le gaz naturel fera partie des voies prometteuses pour la réduction des gaz à effet de serre, compte tenu des avantages dont il bénéficie à cet égard par rapport aux autres énergies fossiles.
3) La croissance de la consommation de gaz va conduire à un développement important des échanges internationaux, dans lequel les opérateurs français seront amenés à jouer un rôle important.
Les évolutions que j'évoquai à l'instant vont tout d'abord nécessiter la mise en place de nouvelles connexions à partir des grandes zones de production :
- Le réseau de gazoducs liant les champs de Mer du Nord aux terminaux gaziers connaît une extension continue avec de nouveaux points d'atterrage. Le futur gazoduc Norfra, liant la Norvège à la France, ou encore l'Interconnecteur entre la Grande Bretagne et la Belgique renforceront également cette évolution.
- Le gazoduc Maghreb-Europe crée une voie nouvelle entre l'Europe et le Maghreb via l'Espagne, s'ajoutant à la liaison préexistante qui relie l'Algérie à l'Italie via la Tunisie.
- Enfin , il faut citer le 2ème gazoduc sibérien, le Yamal-Europe, attendu au cours des prochaines années et qui a été déclaré "projet d'intérêt pour l'Europe" dans le cadre du développement des réseaux trans-européens voulu par l'Union européenne.
Tous ces développements vont renforcer les relations de l'Europe avec ses principaux fournisseurs et multiplier les interdépendances entre les Etats du Vieux Continent : ils conduiront ainsi à placer la France au carrefour du système gazier européen.
Grâce à l'atterrage du Norfra à Dunkerque et à la construction d'une nouvelle liaison vers la Suisse, la France va ainsi assurer, dans un proche avenir, le transit du gaz norvégien vers l'Italie comme elle l'assure déjà vers l'Espagne.
Mais le développement du gaz en Europe, conjugué à l'épuisement prévisible des réserves domestiques, va alourdir notre dépendance pour une proportion importante de nos approvisionnements gaziers. De l'ordre de 40% aujourd'hui, la dépendance de l'Union européenne devrait croître dans les années à venir pour atteindre 50% environ en 2010 et près de 70% en 2020, selon les estimations actuelles.
Cela revient à dire qu'en l'absence de nouvelles découvertes significatives en Europe, et hormis nos sources traditionnelles d'approvisionnement, il faudra demain atteindre - à un niveau de coût économiquement viable - des sources gazières éloignées. La réduction du coût de transport du gaz est par conséquent l'un des défis technologiques majeurs pour les années à venir.
Les acteurs de l'industrie pétrolière et gazière française qui sont - comme vous le savez - présents à tous les stades de la chaîne gazière et dont la compétence est internationalement reconnue, ne manqueront pas de relever ces défis.
Parmi ces acteurs, je voudrais citer l'Institut Français du Pétrole, organisme de recherche de notoriété internationale, qui mène des travaux - notamment de réduction de coûts - sur l'ensemble des technologies gazières. Dans le domaine de la production de gaz naturel, les compagnies pétrolières françaises, avec une présence sur tous les continents, sont actives dans les plus grands projets gaziers, notamment de GNL. Les compétences de Gaztransport Technigaz dans la technologie des méthaniers et celle de Sofregaz dans l'ingénierie gazière et le conseil en font des acteurs dynamiques dans le monde entier. Le développement d'une stratégie vigoureuse de Gaz de France dans le domaine international a lui même été confirmé par le récent contrat de plan signé avec les pouvoirs publics.
Tous ces éléments me rendent confiants dans la place que tiendront les opérateurs français sur la scène gazière européenne et mondiale, elle même promise à un bel avenir.
4) Je souhaiterais maintenant évoquer la Directive sur le marché du gaz en Europe en soulignant - pour commencer - combien les travaux qui se déroulent depuis juillet 1996 ont permis d'avancer dans la compréhension mutuelle entre les Etats membres.
Des points de convergence semblent émerger, notamment sur la nécessité de préserver des contrats d'approvisionnement à long terme, dits contrats "Take or Pay".
Je le disais précédemment, et je pense qu'il faut s'en réjouir, de nouvelles capacités de production et des nouveaux moyens de transport vont mettre à notre disposition d'importantes quantités de gaz à des prix vraisemblablement moindres. Il ne faut pas cependant que cette abondance attendue à moyen terme nous fasse oublier que le secteur gazier est très capitalistique et que ce sont les contrats de long terme qui ont permis jusqu'ici d'assurer le financement des énormes investissements nécessaires.
Préserver des contrats de long terme nous semble constituer l'unique moyen de se prémunir contre la "myopie" du marché en ce qui concerne un horizon temporel aussi éloigné. Et c'est le rôle de l'Etat dans le cadre de sa politique énergétique d'assurer cette sécurité à long terme.
Sur d'autres aspects couverts par la Directive, force est de constater que des progrès importants restent à faire.
S'agissant des canalisations amont, il me semble qu'une solution équilibrée pourra être obtenue, permettant de ne pas les exclure purement et simplement du champs d'application de la Directive, conformément aux orientations favorables à la libéralisation et à l'ouverture prônée par nombre de nos partenaires de l'Union, sans toutefois handicaper les opérations des producteurs de gaz de la Mer du Nord notamment. Dans le même esprit nous avons bon espoir que les stockages souterrains ne se voient pas imposer de contraintes particulières d'accès qui n'existent pas pour l'amont.
Mais une solution satisfaisante sur des points que la France juge essentiels doit également être trouvée. Il s'agit de l'ouverture du marché et de l'organisation de la distribution, points sur lesquels subsiste malheureusement encore une grande différence d'appréciation entre certains de nos partenaires et nous.
1) Concernant l'ouverture des marchés gaziers, il est vrai que le système gazier européen est aujourd'hui relativement rigide ne permettant pas ou peu d'accès direct des consommateurs aux fournisseurs de gaz.
Or la compétitivité de nos industries dans un contexte de mondialisation accrue dépend, entre autres, de la disponibilité d'une énergie dans des conditions aussi favorables que celles dont bénéficient leurs concurrents. C'est un élément important dans le combat mené pour l'emploi et contre les délocalisations d'entreprises.
Mais s'il y a lieu d'améliorer l'accès de nos industriels à une énergie compétitive, il serait préjudiciable de basculer vers une concurrence non maîtrisée incompatible avec la gestion à long terme de nos approvisionnements gaziers. Une telle concurrence non seulement mettrait en danger notre sécurité d'approvisionnement mais remettrait en cause les principes même de notre service public.
La faible consommation de gaz par le secteur électrique singularise fortement la structure du marché gazier français. Dans cette spécificité, il faudra bien qu'il soit tenu compte pour déterminer l'ampleur et le rythme de l'ouverture du marché, et ce d'autant plus que la France, faut-il le rappeler, est fortement importatrice avec une production nationale couvrant à peine 7% de ses approvisionnements.
Elle a nécessairement des préoccupations différentes des pays producteurs enclins à une ouverture du marché beaucoup trop rapide à nos yeux.
2) Enfin, nous sommes très attachés au principe du service public garant d'une disponibilité continue de l'énergie pour le consommateur final de manière équitable. La subsidiarité est dans ce cas la meilleure réponse que la Directive pourrait apporter pour garantir l'obligation de service public.
Je me félicite à cet égard que la Cour de Justice européenne ait confirmé dans sa récente décision déboutant la Commission que le maintien de monopole d'importation de Gaz de France pouvait être justifié par les missions de service public confiées à l'établissement.
Je note cependant que si des divergences existent sur le contenu de la Directive, le Conseil Energie du 27 octobre dernier a montré que tous les Etats membres avaient la volonté d'aboutir à une convergence rapide et je souhaite sincèrement qu'un accord rééquilibré tenant compte des préoccupations des différents Etats-membres puisse être atteint.
Je vous remercie de votre attention.

(source http://www.minefi.gouv.fr, le 29 novembre 2001)