Déclaration de Mme Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la formation des professionnels de la justice, le renforcement des règles de déontologie les concernant et la modernisation des structures des professions judiciaires et juridiques, à Paris le 23 janvier 2002.

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Circonstance : Voeux de Mme Marylise Lebranchu aux professions judiciaires et juridiques, à Paris le 23 janvier 2002.

Texte intégral

La cérémonie des vux aux professions, la quatrième du nom aujourd'hui est désormais institutionnalisée. C'est le moment privilégié pour moi de vous rassembler, en vos qualités de représentants des différentes professions du droit et de vous remercier du travail encore accompli, durant l'année écoulée, sans ménager ni votre peine ni votre temps passé pour vos confrères et plus généralement, pour le service public de la justice auquel nous sommes tous, ici, particulièrement attachés.
C'est avec plaisir mais aussi avec confiance que je vous présente mes voeux de réussite pour la poursuite de vos mandats au service des professions judiciaires et juridiques.
Je voudrais donc profiter de l'occasion qui m'est donnée pour adresser des remerciements particuliers, pour leur investissement dans le cadre de leur mandat électif, à Maîtres Bernard MENUT, Bertrand LISSARAGUE, et Gérard CHAMPIN, devenu Président du Conseil des ventes que j'ai eu le plaisir d'inaugurer récemment, en leurs qualités respectives d'anciens présidents des chambres nationales des huissiers de justice, des avoués et des commissaires-priseurs judiciaires et des vux de bienvenue aux trois personnalités nouvellement élues pour leur remplacement, Maîtres Jean-Claude BELOT, Jean-Pierre GARNERIE et Dominique RIBEYRE.
L'année écoulée aura été marquée par l'aboutissement ou tout au moins l'avancée de réformes de statuts de vos professions, après parfois de longs mois voire de longues années de maturation, et de réformes dans des domaines plus circonscrits et plus techniques, mais non moins importantes. Ces projets ou réformes démontrent, s'il en était encore besoin, que les professions que vous représentez s'inscrivent dans un environnement économique qui les fait inéluctablement évoluer dans le sens d'une modernisation et d'une internationalisation.
Vos professions, malgré ces nécessaires adaptations, doivent conserver leur propre identité, et se démarquer par une forte exigence de qualité qui nécessite des formations rénovées et des déontologies renforcées que vous soyez officier public ou ministériel, auxiliaire de justice ou collaborateur occasionnel de la justice.
FORMATION RENOVEE
La formation, tout d'abord, et c'est je crois une évidence, est un des facteurs essentiels de qualité des prestations que vous délivrez.
La réforme des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, qui a nécessité outre la loi du 10 juillet 2000, trois décrets d'application, a amené la mise en place d'un cursus de formation pour les nouveaux acteurs économiques et plus particulièrement de ceux qui auront la qualité de personne habilitée à diriger les ventes. Cette formation a été bâtie à partir de celle existant pour les commissaires-priseurs, qui a été dans le même temps rénovée notamment par des modifications du programme de l'examen d'aptitude.
Cette question du rééquilibrage des programmes doit également être abordée pour les examens d'accès au centre régional de formation professionnelle et d'aptitude à la profession d'avocat. Les critères de sélection des étudiants, comme le contenu même de la formation dispensée par les centres, privilégient, en effet, l'activité de défense par rapport à celle de conseil. L'introduction de certaines matières et notamment du droit des affaires aux programmes des deux examens afin de répondre au besoin croissant de juristes dans ce domaine pourrait se faire par de simples arrêtés. Mes services travaillent à ce rééquilibrage des programmes, que votre profession, je crois le savoir, appelle de ses voeux.
Cette nécessité de former les étudiants désirant intégrer une profession judiciaire ou juridique s'est concrétisée dans le cadre, plus discret il est vrai mais motivé par la même exigence, d'un élargissement du contenu de l'enseignement du DESS de droit notarial désormais plus ouvert au droit des affaires. Cette évolution du programme pour y intégrer la matière commerciale est une fois encore révélatrice de la pénétration de la sphère économique dans vos pratiques professionnelles.
Au-delà des aménagements des programmes d'examens ou des enseignements, la formation rénovée doit souvent se traduire par des modifications de structures et des dispositifs de financement plus adaptés. C'est là l'objectif poursuivi par les différents projets consacrés à la réforme de la formation des avocats qui ont été soumis à la concertation. Le premier de ces projets, à mes yeux, a une grande importance puisqu'il renforce les pouvoirs du CNB et favorise le regroupement des centres. C'est essentiel pour sauvegarder l'égalité des jeunes qui accèdent à la profession. La profession et mes services ont longuement travaillé à l'élaboration d'un projet de loi équilibré. Malheureusement, ces travaux ont été quelque temps suspendus car la question du financement a pris les devants de l'actualité, de notre actualité, depuis que la Cour de cassation, dans le courant de l'été dernier, par une décision au demeurant fort logique en droit a remis en cause les dispositifs de financement de la formation professionnelle. Il nous a fallu dans la hâte introduire dans la loi de finances pour 2002 des dispositions législatives de rénovation de ces dispositifs puis élaborer un projet de décret, aujourd'hui en voie d'adoption.
Et je voudrais rendre hommage à la réactivité du CNB pour ses contributions dans le cadre des travaux conduits ensemble. Mais je souhaite que sur le fond, nos réflexions puissent reprendre tant sur la question de l'organisation de la formation que des programmes.
Cette même exigence de qualité doit nous amener à penser, une réforme des experts judiciaires. Ces collaborateurs du service de la justice ne constituent pas à proprement parler une profession mais ceci ne doit pas éluder la question de la formation. Les experts doivent maîtriser non seulement leur art de médecin, d'architecte ou d'ingénieur mais aussi être rompus à l'encadrement juridique de la procédure d'expertise. C'est la raison pour laquelle, en concertation avec les instances représentatives des experts et notamment, la fédération nationale des compagnies, nous travaillons à une réforme du statut des experts introduisant pour les intéressés une formation initiale puis permanente, doublée d'une amélioration de la procédure de sélection des experts judiciaires. Cette réforme suppose vraisemblablement des modifications tant législatives que réglementaires. J'espère pouvoir engager cette réforme et être là pour la conduire...
DEONTOLOGIE RENFORCEE
La qualité de la prestation juridique est aussi liée étroitement aux exigences morales et intellectuelles que s'impose le professionnel lui-même, qui doit être guidé par les principes fondamentaux d'une déontologie forte.
Vos différentes professions sont attachées à cette déontologie, j'ai pu à maintes reprises le constater, qui est synonyme pour vous d'obligations mais aussi et surtout de liberté. Un cadre strict, une procédure respectueuse des droits de la défense, imprégnée du principe de loyauté, garantissent les droits des justiciables mais aussi les vôtres. La réglementation européenne nous fait évoluer dans ce sens et nous impose, et c'est une bonne chose, de modifier nos textes pour les mettre en conformité avec la convention européenne des droits de l'homme et notamment l'article 6-1 et la notion de procès équitable.
Cette déontologie renforcée est un des dénominateurs communs de deux grandes réformes en cours : le projet de loi relatif au statut des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la liquidation des entreprises et la réforme de la discipline des greffiers des tribunaux de commerce.
La première réforme complète le dispositif de contrôle mis en place en 1998 notamment par le renforcement des pouvoirs des contrôleurs et du régime disciplinaire. La seconde, qui est "couplée", si je puis dire, avec la première, puisqu'elle sera introduite par des amendements au projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce, fournit les bases législatives à une réforme réglementaire des procédures disciplinaires et de contrôle. Elle élargit également l'échelle des sanctions.
Ces deux textes seront discutés au Sénat dans les prochaines semaines.
Le renforcement des exigences déontologiques et la mise en conformité de notre réglementation avec les principes directeurs posés par la CEDH a également conduit mon ministère à élaborer des projets de réforme concernant d'autres professions. Pour les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, tout d'abord, un projet de décret instaure une procédure disciplinaire et détermine une échelle des peines. Pour les avocats, ensuite, un avant-projet de loi relative à la discipline confie les attributions en la matière, actuellement dévolues au conseil de l'ordre, à une instance régionale de discipline créée auprès de chaque cour d'appel. Ce projet scinde également les fonctions de poursuite et de jugement.
Mais la déontologie ne se confond pas avec la discipline...
En amont, la définition même des règles déontologiques a été relancée par la décision récente du Conseil d'Etat déniant au règlement intérieur harmonisé du Conseil National des Barreaux toute portée normative. Selon les termes de cet arrêt, une distinction doit être faite entre les règles et usages que le CNB doit veiller à harmoniser (et son rôle à cet égard demeure entier) et un code de déontologie qui doit être adopté par décret en Conseil d'Etat selon les voeux mêmes du législateur de 1990. Ce chantier est considérable et difficile. La concertation est indispensable. Je souhaiterais que les pouvoirs publics puissent y travailler avec les avocats comme cela s'est produit avec les médecins il y a quelques années. Avec une difficulté supplémentaire puisque l'éthique professionnelle et les usages ne se confondent pas, puisque le RIH et le code de déontologie ont vocation à coexister.
Il nous faudra donc rechercher, ensemble, une frontière délimitant ces deux corps de règles.
Il est toujours très délicat de travailler sur la déontologie mais on y arrive. La réforme des ventes des meubles aux enchères publiques avec un important volet sur la question a abouti et l'un de ses décrets d'application a construit une procédure disciplinaire pour les acteurs de ce nouveau marché anciennement dévolu aux commissaires-priseurs.
L'ENVIRONNEMENT ECONOMIQUE COMME FACTEUR DE MODERNISATION
L'internationalisation de l'économie entraîne aussi nécessairement des adaptations des structures d'exercice elles-mêmes.
La réforme des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, qui a introduit dans notre réglementation le principe de libre prestation des services posé par le traité de Rome, a ainsi doté les professionnels français d'un cadre d'exercice mieux adapté à un marché ouvert à la concurrence : les sociétés de ventes. Ces sociétés doivent comprendre une personne remplissant les conditions pour exercer l'activité de commissaire-priseur ou titulaire d'un titre ou d'un diplôme équivalents.
L'avenir nous dira quelles seront les conséquences réelles de cette réforme sur le marché de l'art et plus particulièrement sur la place qu'y prendront les sociétés de ventes comme sur l'évolution de la profession de commissaire-priseur.
Une deuxième illustration de l'influence de l'environnement économique sur les structures d'exercice de vos professions est la loi portant mesures urgentes à caractère économique et financier, dite loi M.U.R.C.E.F votée le 11 décembre dernier. Cette législation vous offre désormais, à l'exception des greffiers des tribunaux de commerce, la possibilité (ainsi qu'aux autres professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé), de constituer des sociétés d'exercice libéral dont le capital social sera majoritairement détenu par une holding, En favorisant les regroupements, en facilitant l'intégration des jeunes professionnels et en permettant la déduction fiscale des intérêts d'emprunts contractés pour l'acquisition de parts sociales, les sociétés de participations financières de professions libérales constituent d'importants outils de modernisation et de développement de vos professions.
Je vous ai parlé de qualité tout au début de mon propos... Or qui dit qualité de prestations dans une environnement économique internationalisé, dit aussi démarche qualité et certification. L'accès à la certification pose, pour les professions judiciaires et juridiques que vous êtes, des interrogations particulières.
Elles portent essentiellement sur la publicité, dès lors que la certification a vocation à être portée à la connaissance du public, sur le respect du secret professionnel au moment de la délivrance de la norme ou de son renouvellement ainsi que sur le risque de confusion dans l'esprit du public quant à l'objet de la certification. En effet, la certification porte sur les qualités d'organisation et de gestion des structures d'exercice et non sur la qualité des prestations intellectuelles et juridiques du professionnel. A cet égard, une attention particulière devra être portée, pour éviter toute confusion sur ce point, au libellé du certificat lui-même.
L'intérêt de la certification et les conséquences positives sur le service rendu aux justiciables doivent toutefois conduire, en concertation avec vous, à résoudre ces difficultés.
Je ne peux que me féliciter en ce domaine du dynamisme de vos professions qui ont su jouer le jeu de la qualité tout en réfléchissant au respect de leurs règles professionnelles propres. Mes services seront, à cet égard, toujours disponibles et vigilants, en concertation avec vous, pour en assurer le respect.
CONCLUSION
L'année écoulée a été riche en réformes, en travaux de réflexion et d'élaboration de textes et l'année qui vient de commencer ne s'annonce pas moins riche.
Cette année commencera par le dépôt d'un texte de réforme de l'accès au droit et à la justice, indispensable pour permettre l'égalité de nos concitoyens devant la justice.
Tous ces travaux ne pourront être menés à bien et aboutir que dans le cadre d'une concertation permanente et fructueuse avec les professions que vous représentez. Votre tâche est lourde et délicate, je le sais, mais passionnante. Et je ne doute pas que nous saurons trouver les terrains d'entente qui permettront de faire aboutir ces projets dans l'intérêt commun.
Je vous souhaite, à vous et à l'ensemble de vos confrères, une excellente année 2002 qui, je l'espère, vous apportera les joies et satisfactions que vous attendez, dans vos vies personnelle et professionnelle.
(source http://www.justice.gouv.fr, le 24 janvier 2002)