Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, candidat du MDC à l'élection présidentielle 2002, dans "Le Havre libre" le 25 octobre 2001, sur l'abstention du MDC de voter le volet recette du budget 2002, la révision souhaitable de la loi sur la présomption d'innocence, le ralliement de personnalités politiques sous sa bannière électorale.

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Média : Le Havre libre

Texte intégral

Le groupe MDC s'est abstenu mardi sur le vote de la partie recettes du budget 2002. N'y a-t-il pas le risque de fragiliser encore un peu plus la gauche plurielle alors que le budget devrait apparaître comme le ciment de ce que Lionel Jospin, en parlant de la majorité plurielle, avait, à une époque, appelé un concept ?
JPC : Les députés du MDC n'ont pas voulu cautionner un budget qui repose sur des hypothèses économiques totalement dépassées et qui ne sont pas à hauteur de la récession qui se profile à l'horizon. J'ai demandé que la France propose un plan d'investissement au niveau européen à hauteur de quatre-vingt dix milliards d'euros (le plan américain est de cent-vingt milliards de dollars). La France pourrait oeuvrer à ce que la Banque Centrale européenne procède à une baisse drastique des taux d'intérêt à l'image de la politique suivie aux Etats-Unis par la Réserve Fédérale. Le Gouvernement se contente de mesurettes.
Cela dit, le vote des députés du MDC n'a pas empêché le budget d'être adopté. J'ajoute enfin que sous le nom trompeur de " gauche plurielle " l'alliance privilégiée du PS et des Verts me paraît une idée très dangereuse pour le pays, par exemple pour assurer l'avenir de nos approvisionnements énergétiques. Il est temps d'avancer des solutions républicaines, c'est-à-dire conformes à l'intérêt général, au-delà des combinaisons politiciennes qui ne tiennent pas la route.
Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS à l'Assemblée, vous compare à Michel Jobert en soulignant que l'ancien ministre des affaires Etrangères a aujourd'hui disparu de la scène politique. Encore un signe de fragmentation de la gauche plurielle ?
JPC : Michel Jobert est un ami pour lequel j'éprouve une grande estime. Cela dit, Jean-Marc Ayrault devrait être plus réaliste : je ne suis pas du tout en train de disparaître de la scène politique. Il serait bien avisé de s'en apercevoir.
La Police et la Justice sont en désaccord et en pleine polémique après l'affaire dite " du chinois ". Mme Lebranchu rejette la responsabilité sur les juges. Partagez-vous ce sentiment ?
JPC : A coup sûr la décision de la Chambre d'instruction a été une grave erreur, alors que Jean-Claude Bonnal semble être l'auteur de l'atroce assassinat de deux jeunes policiers. Les juges ont anticipé à tort le vote de la loi modifiant le code de procédure pénale et visant à réduire la durée de la détention provisoire. J'ai été l'un des rares à mettre en garde, au moment où cette loi a été discutée, contre les conséquences funestes que ne manqueraient pas d'avoir ses dispositions et particulièrement l'alourdissement des charges procédurales pesant sur les policiers et les magistrats. Je rappelle que cette loi a été votée à l'unanimité - droite et gauche confondues - par le Sénat et par la Commission des Lois de l'Assemblée Nationale. Il y a donc autant de démagogie dans les cris d'orfraie de la droite qu'il y a d'angélisme persistant dans les cris de vierges effarouchées de la gauche.
Faut-il aujourd'hui abroger la loi sur la présomption d'innocence ?
JPC : Il ne faut pas abroger toute la loi qui comporte, à mon sens, des dispositions utiles comme la désignation d'un juge des libertés, mais tout ce qui va dans le sens de l'alourdissement des charges procédurales et de la multiplication des recours offerts aux prévenus doit être revu. Une proposition de loi sera déposée par les députés du MDC à moins que le gouvernement, ce qui serait souhaitable, prenne les devants .
Comment ne pas voir en effet que cette loi démobilise policiers et magistrats à un moment où ils ont besoin de se sentir soutenus ?
Les sondages vous font apparaître comme le troisième homme dans cette campagne électorale. Vous tentez de rallier une partie des gaullistes souverainistes et, d'un autre côté, une figure historique du PCF dans le Nord de la France, Rémy Auchedé, vous rejoint, tout comme l'ancien ministre communiste Anicet Le Pors. N'y a-t-il pas là un grand écart qui risque, à terme, de vous devenir préjudiciable ?
JPC : Il n'y a pas de grand écart dans ma démarche. Je suis le seul candidat à avoir, au moment du lancement de ma campagne, formulé dix grandes orientations de fond dans mon discours de Vincennes : retour aux principes républicains ; missions claires fixées à l'Ecole ; politique cohérente de sécurité ; revalorisation du travail à commencer par la feuille de paye ; garantie d'un bon niveau de retraite et de protection sociale par la mobilisation de tous nos atouts qui sont encore nombreux ; souci d'aider les femmes à pouvoir concilier leurs aspirations professionnelles et leur épanouissement personnel et familial, en ayant autant d'enfants qu'elles le souhaitent ; réforme de l'Etat ; décentralisation dans le cadre de la loi et dans le respect de la solidarité nationale ; Europe de projets ambitieux qui prolonge les nations sans s'y substituer, etc. En tous domaines je préconise le retour de la France et celui de la République et je suis compris par beaucoup de nos concitoyens, quelle que soit leur sensibilité d'origine :. communistes fidèles à leur enracinement national ; gaullistes qui n'ont pas oublié les leçons du Général de Gaulle ; socialistes qui se souviennent de Jaurès. Je ne demande à personne d'où il vient ; l'essentiel c'est la direction dans laquelle nous devons aller ensemble.
Vous êtes aujourd'hui à Rouen. La région havraise, qui avait nettement voté à gauche au second tour de la présidentielle en 1995, fait-elle partie de vos étapes de campagne ?
JPC : Bien sûr j'irai au Havre au début de l'année prochaine. Je n'ai jamais oublié que Le Havre, comme Rouen, constituent une grande région industrielle et un débouché naturel de notre pays, et particulièrement de l'Ile de France, vers l'Océan. J'ai toujours regretté que " Port 2000 " ne soit pas suffisamment doté, car la politique d'aménagement du territoire aujourd'hui juxtapose vingt-deux plans Etats-régions, mais a perdu de vue la nécessaire valorisation du territoire national dans l'espace européen.
Au Havre, le maire RPR, Antoine Rufenacht, est aussi le président de l'Association des amis de Claude Erignac. Il attache une importance toute particulière à ce que les assassins présumés du préfet soient interpellés. Avez-vous le sentiment que le gouvernement, plus de trois ans et demi après cet assassinat, continue encore de tout mettre en oeuvre pour faire aboutir cette enquête ?
JPC : Je rappelle que six sur sept des membres du commando qui a assassiné le préfet Erignac ont été arrêtés dont leur chef Ferrandi. Certes Ivan Colonna court toujours. Mais ma conviction est que la police finira un jour par l'arrêter. Il est évident que les policiers et les magistrats ont beaucoup de mérite à poursuivre leurs recherches car le retournement de politique opéré par le gouvernement sur le dossier corse aurait plutôt pour effet de les démobiliser.
Je constate en tout cas qu'il ne se passe pas de jour sans qu'un attentat soit commis dans l'île. Le gouvernement s'est mis à la merci de surenchères d'une minorité violente qui n'a jamais renoncé à son objectif : l'indépendance de la Corse dont 90 % des Corses ne veulent pas. Il est temps que Paris, là comme ailleurs, défende la majorité plutôt que de courir derrière les revendications d'une petite minorité.
(source http://www.chevenement2002.net, le 26 octobre 2001)