Texte intégral
Mesdames, messieurs
Je suis très heureux de participer à vos débats aujourd'hui sur le thème " service public et Europe ". Très heureux car la place du service public est un enjeu essentiel du modèle social et économique que l'Europe promeut. Depuis plus de 4 ans, j'ai l'occasion de le mesurer - et de le faire valoir - à l'occasion de tous les conseils auxquels je participe, qu'ils concernent le service public de l'énergie, celui des télécommunications ou encore le service public postal.
Faire vivre le débat démocratique au sein de l'Union sur ces enjeux de société essentiels est une tâche difficile car il faut savoir convaincre ceux qui opposent service public et efficacité économique, ceux qui souhaitent " résoudre le service public dans le marché " de quitter des postures idéologiques ; car il faut aussi faire comprendre que préservation et développement du service public ne sont pas synonymes d'immobilisme mais de qualité et de modernité au service des citoyens européens : ceci est très différent de l'idéologie au fil de l'eau de nos nombreux partenaires.
Pour toutes ces raisons, le débat d'aujourd'hui qui réunit élus, partenaires sociaux, milieux économiques, universitaires et associatifs répond à un réel besoin et trace les contours d'une méthode qui mérite d'être poursuivie au plan européen. Je vais donc mettre l'accent sur trois points : (1) les enjeux du service public dans le modèle européen ; (2) les résultats qui sont les nôtres, (3) la méthode pour faire progresser ces questions.
1/ Renforcer les missions d'intérêt économique général en Europe au travers de l'enrichissement du service universel .
Le principe fondateur de l'action du Gouvernement dont Pierre Moscovici a parlé ce matin et que Jean-Claude Gayssot réévoquera, c'est l'engagement en faveur d'une construction européenne solidaire. L'Union européenne ne doit pas être considérée comme un facteur de remise en cause du service public, mais comme un moyen de faire partager au niveau communautaire notre vision de services d'intérêt général mis à disposition de tous.
Certes, il existe des forces libérales en Europe qui s'accommoderaient fort bien de services publics moins ambitieux. Certes, il existe des pays où le service public n'est pas synonyme d'efficacité au bénéfice de tous. Certes, il peut exister une sorte de tentation concurrentielle en Europe.
Mais dès le traité de Rome, le service public est inscrit au cur des missions de l'Union européenne, et il en constitue une valeur fondatrice. Notre responsabilité,
dans un monde qui évolue, est de savoir faire vivre cette valeur sans verser dans l'immobilisme ou, à l'inverse, dans des réformes radicales qui remettraient en cause l'esprit du service public lui-même. Il nous faut, c'est ma conviction profonde, savoir faire évoluer le service public au bénéfice des consommateurs et des citoyens européens. Car, si nous savons nous ancrer dans cette perspective, alors nous sommes en mesure de fédérer nos partenaires autour d'une ambition collective, celle d'un service pour tous, partout, de la meilleure qualité, offert au prix le plus bas possible. Bref, un service public moderne, solidaire et démocratique.
Cette conviction, cet état d'esprit animent l'action du Gouvernement depuis plus de 4 ans et nous avons obtenu collectivement des résultats importants lors du Sommet de Nice avec la déclaration sur les services d'intérêt économique général et l'article 36 de la charte des droits fondamentaux : ils reconnaissent l'apport des services publics en Europe et nous invitent à développer au bénéfice des consommateurs les services d'intérêt économique général. L'adoption de cette déclaration montre notre capacité à faire avancer l'Europe sur ces dossiers.
La France a ainsi soumis cet été à ses partenaires un mémorandum afin de poursuivre cette dynamique en clarifiant les règles applicables aux services d'intérêt économique général et en définissant les moyens permettant d'affermir leurs missions, selon les termes du Premier ministre. Ce sujet sera l'un des thèmes du Sommet de Laeken.
2/ Les acquis de notre Présidence pour l'énergie, les services postaux et les télécommunications.
Comment faire vivre ces exigences de service public dans des domaines précis ? C'est ce que je vais essayer de montrer maintenant en donnant trois coups de projecteurs. Energie, poste et télécommunications sont des sujets forts différents :
a) dans le cas des télécommunications, la diversité des technologies disponibles, l'existence de nombreux acteurs compétitifs font que des services de qualité et à bas prix peuvent être rendus à l'ensemble des citoyens en utilisant essentiellement les ressources du marché.
Mais il faut s'assurer que ce développement se fait au bénéfice de tous. Développement harmonisé de l'internet à haut débit, affirmation de l'Europe sur internet, enrichissement du service universel, telle est donc ma feuille de route en matière de télécommunications, pour laquelle la Présidence française nous a permis d'obtenir des acquis très positifs et substantiels.
Le compromis obtenu sur le texte phare que constitue la directive cadre relative aux communications électroniques a permis d'aboutir à une position commune. S'agissant du service universel des télécommunications, la France a plaidé auprès de ses partenaires européens pour qu'il soit enrichi par la téléphonie mobile et par les services à haut débit. Nous avons obtenu que, lors de la révision du contenu du service universel prévue dans les directives, il sera notamment tenu compte de leur développement.
b) dans le secteur de l'énergie, la nécessité d'assurer la sécurité de notre approvisionnement et de participer activement à la politique de lutte contre le
réchauffement climatique exigent des politiques volontaristes pour orienter les acteurs vers de nouvelles formes d'énergie.
La transposition de la directive sur l'électricité dans la loi du 10 février 2000, et celle de la directive sur le gaz dans le projet de loi sur le gaz adopté par le Conseil des ministres du 17 mai 2000, ont permis ou permettront, d'une part, d'offrir un plus large choix de fournisseurs d'énergie aux entreprises et, dans le même temps, de conforter le service public au bénéfice des particuliers, - avec par exemple un nouveau droit à l'électricité pour tous et une accélération de la desserte gazière du territoire.
La Commissaire européenne en charge du secteur de l'énergie, Madame de Palacio, a élaboré un projet de nouvelle directive sur le gaz et l'électricité qui a pour objet de poursuivre le processus engagé. La France examine ces propositions avec prudence et raison. Nul ne pourra nous faire renoncer à ce principe, à savoir continuer à garantir à tous un droit à l'énergie la moins chère possible.
La Présidence française également a été l'occasion d'aboutir à un accord politique en faveur des énergies renouvelables. Cette directive définit pour la France un objectif ambitieux conduisant à passer de 15% à 21% la part d'électricité produite à partir de telles énergies. Si le développement de l'énergie nucléaire a permis à la France de se situer à la meilleure place mondiale avec la Suède pour la lutte contre le réchauffement climatique et d'augmenter considérablement son taux d'indépendance énergétique, il s'est accompagné sous notre gouvernement de la mise en place d'une véritable transparence du secteur nucléaire et d'outils au service du développement des énergies renouvelables. Ces choix et ces résultats font également partie des objectifs de services publics que les citoyens attendent de nous.
c) enfin en matière de services postaux, desservir l'ensemble du territoire par des services de qualité, alors que toutes les zones sont loin d'être rentables, impose une organisation du marché qui fasse clairement et durablement appel à un monopole.
On peut se féliciter de l'accord sur la révision de la directive postale auquel nous sommes parvenus le 15 octobre, après de difficiles négociations. S'inscrivant dans la perspective des travaux que j'avais mené tout au long de la Présidence française de l'Union, cet accord est déterminant pour l'avenir de l'Europe postale.
Nous avons tout d'abord écarté l'hypothèque d'une caducité automatique de cette directive en 2004 et celle de la libéralisation totale programmée du secteur : elles auraient jeté à terre la construction d'un cadre juridique spécifique pour les activités postales et, tout particulièrement, le service universel postal. J'ai uvré pour qu'un secteur aussi sensible pour le développement économique et pour la cohésion sociale et territoriale de l'Union ne soit pas sous l'emprise des seules forces de la concurrence, et je suis heureux de voir ainsi concrétisés les efforts déployés en ce sens.
La directive apporte des garanties pour le service universel : d'une part, nous avons donné sur 10 ans au service public postal la visibilité nécessaire pour continuer à se développer : moins de 10% du chiffre d'affaires de La Poste sera
ouvert à la concurrence d'ici à 2009. D'autre part, nous avons reconnu la capacité du service universel à s'enrichir dans le temps, en récusant la libéralisation totale des nouveaux services.
Vous pouvez le constater les réalités dans le domaine de l'énergie, des postes et des télécommunications sont différentes. Mais dans tous les cas, la volonté est la même : assurer pour tous le meilleur service collectif. Savoir s'adapter aux spécificités de chaque secteur avec pragmatisme pour répondre au même enjeu, voici à mon sens la clé de la réussite.
3 - La méthode : le débat démocratique
Pour terminer, je souhaiterai revenir sur la méthode qu'il convient d'adopter au plan communautaire. Par delà les différences entre les secteurs concernés, c'est une vision commune et cohérente du service public qui prévaut. Elle est marquée par des exigences et des devoirs qu'il nous faut continuer à faire partager démocratiquement à nos partenaires.
Je retiendrai 3 exigences : la qualité, des tarifs bas, l'accès aux dernières technologies. Ces trois exigences sont à mon sens au cur de la modernisation indispensable de nos services publics. Et moderniser les outils du service public, c'est renforcer ses missions.
Ces exigences s'accompagnent de devoirs de solidarité. La continuité du service pour laquelle l'action de nos entreprises lors de la tempête de l'hiver 1999 a été exemplaire. La solidarité envers les plus démunis dont l'abonnement social téléphonique est l'emblème, tout comme le droit pour tous à l'énergie inscrit dans la loi du 10/02/2000. L'égalité des territoires enfin dont l'illustration majeure est la péréquation tarifaire.
C'est sur le socle de ces valeurs que nous pouvons continuer à fédérer nos partenaires et à construire, selon un vocabulaire qui nous devient maintenant plus familier, des services universels européens continuellement enrichis.
Je suis persuadé que si nous avons pu obtenir de bons résultats en matière de service public, c'est en raison de la détermination politique du Gouvernement. C'est aussi parce que nous avons toujours eu comme méthode d'associer étroitement le Parlement européen et le Parlement national aux dossiers traités, ce qui n'est pas la méthode spontanée de l'ensemble de nos partenaires. J'en veux pour preuve, en matière postale, l'avis donné le 15 décembre par le Parlement européen qui a été un appui essentiel et pour la France une confirmation de ses orientations politiques. J'en veux pour preuve également le dégroupage où le travail noué avec le Parlement européen nous a permis en un temps record, 4 mois, de faire aboutir ce dossier complexe. Je tiens à saluer l'action des parlementaires européens français sur l'ensemble de ces sujets.
Car Mesdames et Messieurs, c'est l'association des Parlements nationaux, du Parlement européen, du Conseil et des acteurs concernés, qui sont le gage d'un débat non pas technocratique, mais essentiellement démocratique. Le service public, en France et en Europe, et son développement sont un enjeu démocratique parce que le service public est une exigence citoyenne, une exigence des français et des européens. Le chemin est long et difficile mais c'est la conviction du Gouvernement et nous entendons bien continuer à la faire valoir au plan européen !
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 8 novembre 2001)