Texte intégral
Comme vous le savez, à l'initiative de la France et, sous sa présidence, le G8 Recherche (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Russie, Japon, Canada et France), élargi à l'Inde, à la Chine, au Mexique et au Brésil, se réunit samedi et dimanche dans le Bordelais.
J'ai souhaité que les ministres de la Recherche de ces 12 pays puissent réfléchir ensemble à deux thèmes principaux : les cellules-souches humaines, d'une part, et, d'autre part, l'éventuelle brevetabilité du génome humain.
J'ai voulu aussi que cette réunion des 12 ministres soit précédée d'un colloque international réunissant, à Bordeaux, biologistes et juristes de ces mêmes 12 pays sur le thème" Sciences du vivant, éthique et société ".
Ces deux réunions successives ont un triple objectif :
D'abord, permettre aux biologistes et aux juristes de dialoguer et de réfléchir côte à côte pour conjuguer ensemble science et conscience.
Ensuite, rapprocher cette double expertise scientifique de la décision publique. Les ministres, les décideurs politiques doivent pouvoir être éclairés par les analyses et les avis des femmes et des hommes de science.
Enfin, mettre ensemble les représentants de 12 grandes nations scientifiques pour essayer de commencer à dégager ensemble des principes éthiques communs et, à terme, des règles juridiques convergentes ou communes, qui accompagnent et encadrent le progrès scientifique.
Science du vivant et éthique
Les progrès très rapides des sciences du vivant nous confrontent tous et partout aux mêmes interrogations et à une demande d'éthique fortement exprimée par la société, face au bouleversement des sciences qui est perçue de manière ambivalente comme étant à la fois un facteur de progrès et un facteur d'inquiétude.
Ainsi, les découvertes sur le génome humain devraient avoir des effets très positifs pour l'invention de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments.
Mais, en même temps, elles font craindre parfois soit des manipulations de la substance vivante avec le clonage reproductif, soit une commercialisation, une " marchandisation " du vivant.
Les nouvelles découvertes et inventions seront bénéfiques si elles s'accompagnent d'un encadrement éthique adapté. Il faut dégager ensemble de nouvelles règles éthiques, puis juridiques qui, par ailleurs, devront être harmonisées au plan international. Pour faire image, le Professeur Daniel COHEN, spécialiste de la génomique parlait récemment d'une "ONU d'éthique".
Votre colloque porte sur 3 thèmes, le premier concerne les cellules souches.
LES CELLULES SOUCHES
Des recherches ont démontré que les cellules souches embryonnaires (dites E.S. : embryonnic stem cells) peuvent se différencier en cellules précurseurs des différents tissus (musculaires, nerveux, sanguin...).
Ces recherches ouvrent des perspectives importantes pour de nombreuses maladies, pour lesquelles des greffes cellulaires pourraient représenter une indication nouvelle : couverture de surfaces brûlées, greffes de cellules souches hématapoïétiques pour les leucémies et autres maladies du sang, greffes de cellules neuronales pour la maladie de Parkinson, greffes de cellules du pancréas endocrines dans le diabète, etc.
Ces recherches pourraient également permettre d'éviter qu'un enfant ne soit porteur des mêmes anomalies génétiques graves que ses parents.
Enfin, les cellules E.S. sont capables de se différencier en teracarcinome indiquant leur aptitude à la tumorisation, ce qui laisse espérer une meilleure compréhensuion des mécanismes de développement de cancers.
Sur le plan clinique, ce qui est en perspective, c'est un élargissement considérable des interventions thérapeutiques de demain. Avec l'implantation de ces cellules de jouvence, telles quelles ou génétiquement modifiées, afin de réparer l'organe ou l'organisme malade.
Plus encore, il est possible d'envisager une thérapie permettant l'introduction de cellules normales potentiellement actives dans des organes dont les cellules expriment un trouble génétique.
La voie est donc ouverte au développement des thérapies cellulaires.
L'obtention de cellules souches
Il a été démontré récemment que des cellules souches existent chez l'adulte et sont capables de multiplier presque indéfiniment. Mais il est encore trop tôt pour pouvoir apprécier pleinement leurs caractéristiques par rapport aux cellules souches d'origine embryonnaire.
Cette voie étant éthiquement moins problématique, il est absolument nécessaire de l'explorer pour étudier et comparer les capacités des cellules souches d'origine adulte et celles des cellules souches embryonnaires.
Celles-ci peuvent avoir des origines embryonnaires ou ftales à partir d'embryons in vitro ou de ftus avortés.
Les premières nécessitent une collecte de cellules ES à partir d'un embryon in vitro âgé de 6-7 jours. Les secondes ont pour origine les cellules germinales primitives, qui apparaissent après quelques semaines de développement.
Les cellules souches, selon leur origine embryonnaire, ftale ou adulte, paraissent n'être pas équivalentes. Aujourd'hui, il semble que les potentialités des premières soient plus importantes que celles des deuxièmes et des troisièmes. Mais aucune piste de recherche ne doit être a priori écartée.
Ce qui nous conduit bien sûr à un débat éthique, puis juridique
Le débat éthique
En France, la loi de bioéthique de 1994 interdit la recherche sur l'embryon. Alors que celle-ci est autorisée, sous plusieurs conditions, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède et au Danemark.
En France, dans son avis du 11 mars 1997, le Comité consultatif national d'éthique s'est déclaré favorable à l'autorisation des recherches sur l'embryon : "Compte tenu des importantes perspectives dans les recherches thérapeutiques ouvertes par l'établissement de lignées de cellules E.S. à partir de blastocytes humains obtenus par fécondation in vitro et cultivés in vitro, des dispositions nouvelles prises dans le cadre de la révision de la loi devraient permettre de modifier l'interdiction résultant de l'interdiction de l'article L 152-8 du Code de la santé publique.
Dans ce but, seuls pourraient être utilisés à fins de recherche les embryons congelés provenant de dons des couples qui, par consentement écrit, ont abandonné leur projet parental et décidé de l'arrêt de la conservation. "
Par un avis du 23 juin 1998, l'Académie de médecine s'est également prononcée pour l'autorisation de la recherche sur l'embryon, mais dans le but d'améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation.
Enfin, dans un avis du 2 Juillet 1999, la Commission nationale consultative des droits de l'homme s'est également prononcé pour la modification du régime fixé en 1994 "dans le cas où la recherche se justifierait par une finalité médicale et éthiquement défendable ".
Les termes du débat
Tels sont les termes du débat, qui invite à concilier deux principes éthiques essentiels.
D'un côté, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, qui, dans son acceptation la plus stricte, conduit à l'interdiction des recherches sur l'embryon in vitro.
De l'autre côté, le droit des personnes atteintes de maladies très graves à ce que la recherche médicale progresse de manière déterminante pour leur venir en aide.
Dans un rapport du 25 novembre 1999, le Conseil d'Etat propose d'aménager les dispositions de la loi de 1994 qui interdisent les recherches sur l'embryon, sans renoncer pour autant au principe de respect de l'être humain dès le commencement de sa vie et à la conception selon laquelle un embryon ne saurait évidemment être considéré comme une chose susceptible d'instrumentalisation, étant une personne humaine potentielle.
Le Conseil d'Etat propose donc un régime d'autorisation des recherches sur l'embryon in vitro qui reposerait sur les 3 principes suivants :
1°) Seuls les embryons in vitro congelés qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui ne sont pas susceptibles d'être accueillis par une autre couple, et les embryons jugés d'emblée non viables, pourraient faire l'objet de ces recherches.
2°) Il convient de poser comme condition à ces recherches qu'elles ne puissent pas aboutir à l'implantation de l'embryon en ayant fait l'objet.
3°) Ces recherches sur l'embryon devraient être strictement encadrées et n'être autorisés que dans le cadre d'une procédure spécifique d'autorisation préalable. Celle-ci pourrait être accordée par une Autorité créée à cet effet : l'Agence française de médecine de la reproduction.
Cette nouvelle Autorité, qui pourrait être dotée du statut d'établissement public administratif, devrait être composée de membres réunissant des compétences scientifiques, médicales et éthiques nécessaires pour juger d'un projet de recherche dans toutes ses dimensions.
Le ministère de la recherche et les autres ministères concernés (Justice, Emploi et solidarité, Santé) sont en train d'étudier ces différents avis, qui contribuent très utilement à leur réflexion.
A ce stade, leur position n'est pas encore arrêtée. Quand elle le sera, elle fera l'objet d'un débat devant le Parlement dans le cadre de la révision des dispositions des lois de bioéthique de 1994 prévue par celles-ci.
Bien sûr, les analyses de ce Colloque sur les cellules souches contribueront aussi à nous éclairer dans ces choix difficiles.
COLLECTIONS D'ECHANTILLONS BIOLOGIQUES D'ORIGINE HUMAINE
Deuxième thème de ce colloque : la constitution de collections d'échantillons biologiques d'origine humaine, également appelées banques scientifiques ou centres de ressources biologiques.
Le champ d'utilisation de ces banques de données est immense, puisqu'il est hors du temps, depuis la conception jusqu'après la mort, et ce à partir de n'importe quel tissu.
Des grandes inquiétudes se font jour quant à une possibilité d'utilisation abusive de ces tests génétiques sur le marché de l'assurance et de l'emploi.
Mais, en revanche, la connaissance scientifique peut grandement bénéficier de ces données de séquence qui doivent être libres pour les chercheurs. Il faut favoriser cette liberté de la recherche.
Ces collections biologiques étant sans ambiguïté des produits du corps humain, elles doivent selon moi rester en dehors de tout circuit marchand. Elles ne doivent pas en tant que telles être vendues ni brevetées.
Par ailleurs, sur le plan éthique et juridique, le principe de non discrimination entre les personnes en raison de leur patrimoine génétique s'affirme dans le droit international. Ce principe montre, d'ailleurs, que, parallèlement aux avancées scientifiques, il est nécessaire qu'une réflexion éthique émerge et s'affirme. Loin d'être un frein, la réflexion éthique doit également permettre d'élaborer un droit nouveau et c'est le rôle des Etats que de favoriser son émergence.
BREVETS ET GENOME HUMAIN
Troisième thème de votre colloque : brevets et génome humain.
L'achèvement du séquençage
Je souhaite, tout d'abord, adresser mes félicitations les plus vives à l'ensemble des chercheurs qui ont rendu possible le séquençage du génome humain. L'achèvement de ce " working draft ", de cette ébauche, devrait faire l'objet d'une annonce officielle en début de semaine prochaine.
Ce décodage du génome humain, ce décryptage du " livre de la vie ", touche donc aujourd'hui à son terme grâce surtout au consortium international public HGP (Human Genome Project), qui rassemble Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Japon et Chine.
Il est hautement symbolique que cet achèvement ait pu être atteint plus rapidement qu'initialement prévu grâce à une coopération internationale exemplaire.
Au sein de ce consortium Projet Génome Humain, le Génoscope-Centre national de séquençage d'Evry, dirigé par Jean Weissenbach, a joué un rôle important. Il se situe aujourd'hui au 7ème rang des grands centres mondiaux.
Ce décodage du génome humain ouvre des perspectives considérables pour la prévention et le traitement de certaines maladies, jusqu'ici incurables, et pour l'invention de nouveaux médicaments.
Nous passons donc maintenant au " post-génome " ou à " l'après-séquençage ", c'est-à-dire à la recherche des applications susceptible d'être tirées de ces nouvelles connaissances génétiques.
Ce qui pose la question des brevets.
A cet égard, il existe un débat sur la transposition de la directive européenne du 6 juillet 1998 sur la protection juridique des inventions biothechnologiques.
Il importe donc de mieux circonscrire.
Il importe de mieux circonscrire les points d'accord, ceux sur lesquels il existe un consensus, d'une part, et, d'autre part, les points sur lesquels subsistent encore des divergences ou des interrogations.
Les données brutes du séquençage doivent être accessibles à tous
Les données brutes du séquençage humain doivent être mises dans le domaine public. Elles doivent être librement accessibles aux scientifiques du monde entier.
Le génome humain constitue le patrimoine commun de l'humanité. Sa connaissance ne peut être appropriée par certains ; elle doit appartenir à tous.
Les prétentions de tel organisme privé de recherche américain, comme Clera genomics, de breveter les séquences brutes du génome humain sont donc irrecevables au plan éthique. Elles doivent l'être également au plan juridique.
C'est la position exprimée dans la Déclaration universelle sur le génome humain de l'UNESCO. C'est la position prise par la France depuis 1998 et rejointe depuis par la déclaration Blair-Clinton du 14 mars 2000. C'est aussi la règle posée par l'article 5-1 de la directive européenne : les séquences brutes, dites généralement séquences " nues ", du génome humain ne sont pas brevetables.
Comme le souligne le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son avis du 13 juin 2000 : " La connaissance sur le génome humain est à ce point liée à la nature de l'être humain, à ce point fondamentale et nécessaire à son bien-être, qu'elle ne peut être en aucune manière appropriée. Elle doit être ouverte à la communauté des chercheurs ; elle doit rester disponible pour l'humanité dans son ensemble."
La simple découverte n'est pas brevetable
Second point d'accord : la simple découverte n'est pas brevetable.
C'est ce que rappelle la directive européenne à son 16ème considérant : " Une simple découverte ne peut faire l'objet d'un brevet. "
C'est la destination classique en droit des brevets entre découverte, non brevetable, et invention véritable.
A son 23ème considérant, la directive européenne comporte une autre précision, très utile : " Une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique ; elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable. "
Comme le rappelle le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son avis du 13 juin 2000, " la protection de l'inventeur ne s'étend pas à la découverte de ce qui existe à l'état naturel. Cette distinction entre découverte et invention est établie dans le droit des brevets lui-même. "
En revanche, on peut légitimement s'interroger sur la brevetabilité des séquences d'ADN dont la fonction a été caractérisée et/ou les applications techniques ont été déterminées.
Peut-on déposer des brevets sur des inventions à partir des gènes quant les inventions remplissent les 3 conditions classiques de la brevetabilité : c'est-à-dire la nouveauté, l'inventivité et l'applicabilité industrielle ?
Où fixer la barre dans cette activité inventive, qui peut s'exercer à trois niveaux : la simple annotation d'une séquence, réalisée " in silico " par ordinateur, l'identification précise de la fonction d'un gène, démontrée par méthode expérimentale et, enfin, la mise au point d'outils diagnostiques ou de moyens thérapeutiques issue de cette identification ?
La simple annotation n'est pas brevetable
Il semble y avoir consensus pour estimer que la simple annotation ne doit pas être brevetable.
On ne doit pas pouvoir breveter ce qui résulte de simples comparaisons informatiques entre des éléments de séquence du gène visé dans le brevet et la séquence d'autres gènes dont la fonction est connue.
Comme l'écrit le CCNE, " les organismes de séquençage d'ADN ont aujourd'hui des programmes informatiques qui leur permettent de faire automatiquement de telles comparaisons de séquences grâce à toutes les données de base accessibles. "
L'identification de la fonction d'un gène
L'identification, la caractérisation de la fonction d'un gène doit-elle être brevetable ?
Beaucoup de chercheurs répondent oui, à condition que cette fonction ait été déterminée expérimentalement, par une méthode expérimentale.
L'application industrielle
D'autres chercheurs estiment que l'identification de la fonction d'un gène n'est pas à elle seule brevetable et qu'elle doit s'accompagner en outre de la détermination des applications potentielles à des fins diagnostiques ou thérapeutiques. C'est la question de l'applicabilité.
Il faudrait donc mettre au point des tests diagnostiques ou des outils thérapeutiques - par exemple un gène utilisé comme médicament, définir et mettre au point les effets diagnostiques ou les effets thérapeutiques de ce gène pour pouvoir déposer un brevet.
Cela dit, certains chercheurs font observer qu'entre la phase 2 -identification de la fonction d'un gène - et la phase 3 -mise au point d'un médicament par exemple - la distance intellectuelle est réduite.
Une fois la fonction caractérisée, l'essentiel du travail d'invention est fait et le passage à la mise au point d'un médicament nouveau s'en déduit, même se celle-ci peut être longue.
Par exemple, une fois identifiée la fonction de l'insuline, hormone pancréatique élaborée dans les îlots de Langherans, la mise au point de médicaments contre le diabète s'en déduit. La part d'inventivité supplémentaire est limitée.
Il y a donc débat entre les scientifiques, sur le point de savoir si la caractérisation de la fonction d'un gène, démontrée expérimentalement, doit permettre le dépôt d'un brevet ou si elle doit s'accompagner, en outre, de la mise au point de ses applications diagnostiques ou thérapeutiques.
La directive européenne et l'avant-projet de loi portant transposition paraissent retenir la solution la plus exigeante. D'une part, en effet, l'article 5 de la directive comporte un alinéa 3 qui semble ajouter une condition cumulative à l'alinéa 2 en précisant : " L'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet. " D'autre part, l'avant-projet de loi à son article 3 reprend cette condition en précisant en outre, très légitimement, que la demande de brevet doit préciser " quelle fonction assure la séquence ".
Les effets réels de la brevetabilité
Comme le CCNE, nous sommes très attachés à trois principes éthiques fondamentaux :
le principe de la non-commercialisation du corps humain ;
le principe du libre accès à la connaissance du gène ;
le principe du partage de cette connaissance.
Le dépôt d'un brevet, dans les conditions précisées ci-dessus, fait-il obstacle à l'application de ces principes ? Je ne le pense pas car, en réalité, les effets de la brevetabilité sont plus limités qu'on ne le croit généralement.
Un brevet ne constitue ni une appropriation matérielle ni une appropriation intellectuelle.
D'une part, un brevet sur une invention à partir d'un gène n'implique nullement l'appropriation matérielle et la patrimonialité du gène qui a été à l'origine de l'invention. Le brevet confère à son titulaire un droit sur l'invention et non pas un droit d'appropriation matérielle sur le gène.
Comme le rappelle le CCNE, " la jouissance d'un brevet n'est pas synonyme d'un droit de propriété sur la réalité brevetée ".
D'autre part, le brevet sur une invention à partir d'un gène n'est une "confiscation du savoir génétique". Le brevet donne un droit exclusif d'exploitation de l'invention. Il n'empêche pas l'utilisation de l'invention pour faire de la recherche. C'est l'exception recherche, classique en droit des brevets. Le brevet n'emporte pas l'appropriation intellectuelle par l'inventeur du gène : celui-ci reste évidemment accessible pour la connaissance ou pour d'autres champs d'application accessible pour la connaissance d'autres champs d'application.
En réalité, le brevet ne fait pas obstacle au libre accès à la connaissance.
Ce titre, délivré par les pouvoirs publics, confère un monopole temporaire d'exploitation (20 ans) sur une invention à celui qui la révèle et en donne une description suffisante et complète.
Le CCNE le reconnaît lui-même : " Certes l'existence d'un brevet ne soustrait pas la réalité brevetée à toute recherche ".
Au demeurant, le brevet doit être publié, ce qui assure la diffusion de l'invention brevetée dans la communauté scientifique.
Le dépôt de brevets sur de véritables inventions biothechnologiques à partir de gènes, sur l'identification de la fonction d'un gène débauchant sur la mise au point de nouveaux outils diagnostiques ou thérapeutiques, me semble donc pas contredire les principes éthiques de non-commercialisation du corps humain, de libre accès à la connaissance et de partage de cette connaissance.
De plus, le dépôt de brevets à l'avantage de protéger et donc d'encourager l'activité inventive des chercheurs qui mettront au point de nouveaux médicaments ou tests diagnostiques.
Guérir davantage de patients, mieux les soigner, améliorer la santé humaine, n'est-ce pas aussi un grand enjeu éthique ?
Mesdames et Messieurs,
Le siècle nouveau qui va commencer en 2001, sera plus que jamais celui de la science.
Nous voulons que cette science soit humaine. Nous voulons qu'elle respecte les grands principes éthiques de l'humanité. Nous voulons qu'elle permette un nouvel humanisme adapté à la révolution scientifique de notre temps.
C'est ici, ensemble, à Bordeaux, la volonté commence qui nous anime : faire vivre et progresse la science au service de l'homme.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 juin 2000)
J'ai souhaité que les ministres de la Recherche de ces 12 pays puissent réfléchir ensemble à deux thèmes principaux : les cellules-souches humaines, d'une part, et, d'autre part, l'éventuelle brevetabilité du génome humain.
J'ai voulu aussi que cette réunion des 12 ministres soit précédée d'un colloque international réunissant, à Bordeaux, biologistes et juristes de ces mêmes 12 pays sur le thème" Sciences du vivant, éthique et société ".
Ces deux réunions successives ont un triple objectif :
D'abord, permettre aux biologistes et aux juristes de dialoguer et de réfléchir côte à côte pour conjuguer ensemble science et conscience.
Ensuite, rapprocher cette double expertise scientifique de la décision publique. Les ministres, les décideurs politiques doivent pouvoir être éclairés par les analyses et les avis des femmes et des hommes de science.
Enfin, mettre ensemble les représentants de 12 grandes nations scientifiques pour essayer de commencer à dégager ensemble des principes éthiques communs et, à terme, des règles juridiques convergentes ou communes, qui accompagnent et encadrent le progrès scientifique.
Science du vivant et éthique
Les progrès très rapides des sciences du vivant nous confrontent tous et partout aux mêmes interrogations et à une demande d'éthique fortement exprimée par la société, face au bouleversement des sciences qui est perçue de manière ambivalente comme étant à la fois un facteur de progrès et un facteur d'inquiétude.
Ainsi, les découvertes sur le génome humain devraient avoir des effets très positifs pour l'invention de nouvelles thérapies et de nouveaux médicaments.
Mais, en même temps, elles font craindre parfois soit des manipulations de la substance vivante avec le clonage reproductif, soit une commercialisation, une " marchandisation " du vivant.
Les nouvelles découvertes et inventions seront bénéfiques si elles s'accompagnent d'un encadrement éthique adapté. Il faut dégager ensemble de nouvelles règles éthiques, puis juridiques qui, par ailleurs, devront être harmonisées au plan international. Pour faire image, le Professeur Daniel COHEN, spécialiste de la génomique parlait récemment d'une "ONU d'éthique".
Votre colloque porte sur 3 thèmes, le premier concerne les cellules souches.
LES CELLULES SOUCHES
Des recherches ont démontré que les cellules souches embryonnaires (dites E.S. : embryonnic stem cells) peuvent se différencier en cellules précurseurs des différents tissus (musculaires, nerveux, sanguin...).
Ces recherches ouvrent des perspectives importantes pour de nombreuses maladies, pour lesquelles des greffes cellulaires pourraient représenter une indication nouvelle : couverture de surfaces brûlées, greffes de cellules souches hématapoïétiques pour les leucémies et autres maladies du sang, greffes de cellules neuronales pour la maladie de Parkinson, greffes de cellules du pancréas endocrines dans le diabète, etc.
Ces recherches pourraient également permettre d'éviter qu'un enfant ne soit porteur des mêmes anomalies génétiques graves que ses parents.
Enfin, les cellules E.S. sont capables de se différencier en teracarcinome indiquant leur aptitude à la tumorisation, ce qui laisse espérer une meilleure compréhensuion des mécanismes de développement de cancers.
Sur le plan clinique, ce qui est en perspective, c'est un élargissement considérable des interventions thérapeutiques de demain. Avec l'implantation de ces cellules de jouvence, telles quelles ou génétiquement modifiées, afin de réparer l'organe ou l'organisme malade.
Plus encore, il est possible d'envisager une thérapie permettant l'introduction de cellules normales potentiellement actives dans des organes dont les cellules expriment un trouble génétique.
La voie est donc ouverte au développement des thérapies cellulaires.
L'obtention de cellules souches
Il a été démontré récemment que des cellules souches existent chez l'adulte et sont capables de multiplier presque indéfiniment. Mais il est encore trop tôt pour pouvoir apprécier pleinement leurs caractéristiques par rapport aux cellules souches d'origine embryonnaire.
Cette voie étant éthiquement moins problématique, il est absolument nécessaire de l'explorer pour étudier et comparer les capacités des cellules souches d'origine adulte et celles des cellules souches embryonnaires.
Celles-ci peuvent avoir des origines embryonnaires ou ftales à partir d'embryons in vitro ou de ftus avortés.
Les premières nécessitent une collecte de cellules ES à partir d'un embryon in vitro âgé de 6-7 jours. Les secondes ont pour origine les cellules germinales primitives, qui apparaissent après quelques semaines de développement.
Les cellules souches, selon leur origine embryonnaire, ftale ou adulte, paraissent n'être pas équivalentes. Aujourd'hui, il semble que les potentialités des premières soient plus importantes que celles des deuxièmes et des troisièmes. Mais aucune piste de recherche ne doit être a priori écartée.
Ce qui nous conduit bien sûr à un débat éthique, puis juridique
Le débat éthique
En France, la loi de bioéthique de 1994 interdit la recherche sur l'embryon. Alors que celle-ci est autorisée, sous plusieurs conditions, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède et au Danemark.
En France, dans son avis du 11 mars 1997, le Comité consultatif national d'éthique s'est déclaré favorable à l'autorisation des recherches sur l'embryon : "Compte tenu des importantes perspectives dans les recherches thérapeutiques ouvertes par l'établissement de lignées de cellules E.S. à partir de blastocytes humains obtenus par fécondation in vitro et cultivés in vitro, des dispositions nouvelles prises dans le cadre de la révision de la loi devraient permettre de modifier l'interdiction résultant de l'interdiction de l'article L 152-8 du Code de la santé publique.
Dans ce but, seuls pourraient être utilisés à fins de recherche les embryons congelés provenant de dons des couples qui, par consentement écrit, ont abandonné leur projet parental et décidé de l'arrêt de la conservation. "
Par un avis du 23 juin 1998, l'Académie de médecine s'est également prononcée pour l'autorisation de la recherche sur l'embryon, mais dans le but d'améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation.
Enfin, dans un avis du 2 Juillet 1999, la Commission nationale consultative des droits de l'homme s'est également prononcé pour la modification du régime fixé en 1994 "dans le cas où la recherche se justifierait par une finalité médicale et éthiquement défendable ".
Les termes du débat
Tels sont les termes du débat, qui invite à concilier deux principes éthiques essentiels.
D'un côté, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, qui, dans son acceptation la plus stricte, conduit à l'interdiction des recherches sur l'embryon in vitro.
De l'autre côté, le droit des personnes atteintes de maladies très graves à ce que la recherche médicale progresse de manière déterminante pour leur venir en aide.
Dans un rapport du 25 novembre 1999, le Conseil d'Etat propose d'aménager les dispositions de la loi de 1994 qui interdisent les recherches sur l'embryon, sans renoncer pour autant au principe de respect de l'être humain dès le commencement de sa vie et à la conception selon laquelle un embryon ne saurait évidemment être considéré comme une chose susceptible d'instrumentalisation, étant une personne humaine potentielle.
Le Conseil d'Etat propose donc un régime d'autorisation des recherches sur l'embryon in vitro qui reposerait sur les 3 principes suivants :
1°) Seuls les embryons in vitro congelés qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui ne sont pas susceptibles d'être accueillis par une autre couple, et les embryons jugés d'emblée non viables, pourraient faire l'objet de ces recherches.
2°) Il convient de poser comme condition à ces recherches qu'elles ne puissent pas aboutir à l'implantation de l'embryon en ayant fait l'objet.
3°) Ces recherches sur l'embryon devraient être strictement encadrées et n'être autorisés que dans le cadre d'une procédure spécifique d'autorisation préalable. Celle-ci pourrait être accordée par une Autorité créée à cet effet : l'Agence française de médecine de la reproduction.
Cette nouvelle Autorité, qui pourrait être dotée du statut d'établissement public administratif, devrait être composée de membres réunissant des compétences scientifiques, médicales et éthiques nécessaires pour juger d'un projet de recherche dans toutes ses dimensions.
Le ministère de la recherche et les autres ministères concernés (Justice, Emploi et solidarité, Santé) sont en train d'étudier ces différents avis, qui contribuent très utilement à leur réflexion.
A ce stade, leur position n'est pas encore arrêtée. Quand elle le sera, elle fera l'objet d'un débat devant le Parlement dans le cadre de la révision des dispositions des lois de bioéthique de 1994 prévue par celles-ci.
Bien sûr, les analyses de ce Colloque sur les cellules souches contribueront aussi à nous éclairer dans ces choix difficiles.
COLLECTIONS D'ECHANTILLONS BIOLOGIQUES D'ORIGINE HUMAINE
Deuxième thème de ce colloque : la constitution de collections d'échantillons biologiques d'origine humaine, également appelées banques scientifiques ou centres de ressources biologiques.
Le champ d'utilisation de ces banques de données est immense, puisqu'il est hors du temps, depuis la conception jusqu'après la mort, et ce à partir de n'importe quel tissu.
Des grandes inquiétudes se font jour quant à une possibilité d'utilisation abusive de ces tests génétiques sur le marché de l'assurance et de l'emploi.
Mais, en revanche, la connaissance scientifique peut grandement bénéficier de ces données de séquence qui doivent être libres pour les chercheurs. Il faut favoriser cette liberté de la recherche.
Ces collections biologiques étant sans ambiguïté des produits du corps humain, elles doivent selon moi rester en dehors de tout circuit marchand. Elles ne doivent pas en tant que telles être vendues ni brevetées.
Par ailleurs, sur le plan éthique et juridique, le principe de non discrimination entre les personnes en raison de leur patrimoine génétique s'affirme dans le droit international. Ce principe montre, d'ailleurs, que, parallèlement aux avancées scientifiques, il est nécessaire qu'une réflexion éthique émerge et s'affirme. Loin d'être un frein, la réflexion éthique doit également permettre d'élaborer un droit nouveau et c'est le rôle des Etats que de favoriser son émergence.
BREVETS ET GENOME HUMAIN
Troisième thème de votre colloque : brevets et génome humain.
L'achèvement du séquençage
Je souhaite, tout d'abord, adresser mes félicitations les plus vives à l'ensemble des chercheurs qui ont rendu possible le séquençage du génome humain. L'achèvement de ce " working draft ", de cette ébauche, devrait faire l'objet d'une annonce officielle en début de semaine prochaine.
Ce décodage du génome humain, ce décryptage du " livre de la vie ", touche donc aujourd'hui à son terme grâce surtout au consortium international public HGP (Human Genome Project), qui rassemble Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Japon et Chine.
Il est hautement symbolique que cet achèvement ait pu être atteint plus rapidement qu'initialement prévu grâce à une coopération internationale exemplaire.
Au sein de ce consortium Projet Génome Humain, le Génoscope-Centre national de séquençage d'Evry, dirigé par Jean Weissenbach, a joué un rôle important. Il se situe aujourd'hui au 7ème rang des grands centres mondiaux.
Ce décodage du génome humain ouvre des perspectives considérables pour la prévention et le traitement de certaines maladies, jusqu'ici incurables, et pour l'invention de nouveaux médicaments.
Nous passons donc maintenant au " post-génome " ou à " l'après-séquençage ", c'est-à-dire à la recherche des applications susceptible d'être tirées de ces nouvelles connaissances génétiques.
Ce qui pose la question des brevets.
A cet égard, il existe un débat sur la transposition de la directive européenne du 6 juillet 1998 sur la protection juridique des inventions biothechnologiques.
Il importe donc de mieux circonscrire.
Il importe de mieux circonscrire les points d'accord, ceux sur lesquels il existe un consensus, d'une part, et, d'autre part, les points sur lesquels subsistent encore des divergences ou des interrogations.
Les données brutes du séquençage doivent être accessibles à tous
Les données brutes du séquençage humain doivent être mises dans le domaine public. Elles doivent être librement accessibles aux scientifiques du monde entier.
Le génome humain constitue le patrimoine commun de l'humanité. Sa connaissance ne peut être appropriée par certains ; elle doit appartenir à tous.
Les prétentions de tel organisme privé de recherche américain, comme Clera genomics, de breveter les séquences brutes du génome humain sont donc irrecevables au plan éthique. Elles doivent l'être également au plan juridique.
C'est la position exprimée dans la Déclaration universelle sur le génome humain de l'UNESCO. C'est la position prise par la France depuis 1998 et rejointe depuis par la déclaration Blair-Clinton du 14 mars 2000. C'est aussi la règle posée par l'article 5-1 de la directive européenne : les séquences brutes, dites généralement séquences " nues ", du génome humain ne sont pas brevetables.
Comme le souligne le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son avis du 13 juin 2000 : " La connaissance sur le génome humain est à ce point liée à la nature de l'être humain, à ce point fondamentale et nécessaire à son bien-être, qu'elle ne peut être en aucune manière appropriée. Elle doit être ouverte à la communauté des chercheurs ; elle doit rester disponible pour l'humanité dans son ensemble."
La simple découverte n'est pas brevetable
Second point d'accord : la simple découverte n'est pas brevetable.
C'est ce que rappelle la directive européenne à son 16ème considérant : " Une simple découverte ne peut faire l'objet d'un brevet. "
C'est la destination classique en droit des brevets entre découverte, non brevetable, et invention véritable.
A son 23ème considérant, la directive européenne comporte une autre précision, très utile : " Une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique ; elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable. "
Comme le rappelle le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) dans son avis du 13 juin 2000, " la protection de l'inventeur ne s'étend pas à la découverte de ce qui existe à l'état naturel. Cette distinction entre découverte et invention est établie dans le droit des brevets lui-même. "
En revanche, on peut légitimement s'interroger sur la brevetabilité des séquences d'ADN dont la fonction a été caractérisée et/ou les applications techniques ont été déterminées.
Peut-on déposer des brevets sur des inventions à partir des gènes quant les inventions remplissent les 3 conditions classiques de la brevetabilité : c'est-à-dire la nouveauté, l'inventivité et l'applicabilité industrielle ?
Où fixer la barre dans cette activité inventive, qui peut s'exercer à trois niveaux : la simple annotation d'une séquence, réalisée " in silico " par ordinateur, l'identification précise de la fonction d'un gène, démontrée par méthode expérimentale et, enfin, la mise au point d'outils diagnostiques ou de moyens thérapeutiques issue de cette identification ?
La simple annotation n'est pas brevetable
Il semble y avoir consensus pour estimer que la simple annotation ne doit pas être brevetable.
On ne doit pas pouvoir breveter ce qui résulte de simples comparaisons informatiques entre des éléments de séquence du gène visé dans le brevet et la séquence d'autres gènes dont la fonction est connue.
Comme l'écrit le CCNE, " les organismes de séquençage d'ADN ont aujourd'hui des programmes informatiques qui leur permettent de faire automatiquement de telles comparaisons de séquences grâce à toutes les données de base accessibles. "
L'identification de la fonction d'un gène
L'identification, la caractérisation de la fonction d'un gène doit-elle être brevetable ?
Beaucoup de chercheurs répondent oui, à condition que cette fonction ait été déterminée expérimentalement, par une méthode expérimentale.
L'application industrielle
D'autres chercheurs estiment que l'identification de la fonction d'un gène n'est pas à elle seule brevetable et qu'elle doit s'accompagner en outre de la détermination des applications potentielles à des fins diagnostiques ou thérapeutiques. C'est la question de l'applicabilité.
Il faudrait donc mettre au point des tests diagnostiques ou des outils thérapeutiques - par exemple un gène utilisé comme médicament, définir et mettre au point les effets diagnostiques ou les effets thérapeutiques de ce gène pour pouvoir déposer un brevet.
Cela dit, certains chercheurs font observer qu'entre la phase 2 -identification de la fonction d'un gène - et la phase 3 -mise au point d'un médicament par exemple - la distance intellectuelle est réduite.
Une fois la fonction caractérisée, l'essentiel du travail d'invention est fait et le passage à la mise au point d'un médicament nouveau s'en déduit, même se celle-ci peut être longue.
Par exemple, une fois identifiée la fonction de l'insuline, hormone pancréatique élaborée dans les îlots de Langherans, la mise au point de médicaments contre le diabète s'en déduit. La part d'inventivité supplémentaire est limitée.
Il y a donc débat entre les scientifiques, sur le point de savoir si la caractérisation de la fonction d'un gène, démontrée expérimentalement, doit permettre le dépôt d'un brevet ou si elle doit s'accompagner, en outre, de la mise au point de ses applications diagnostiques ou thérapeutiques.
La directive européenne et l'avant-projet de loi portant transposition paraissent retenir la solution la plus exigeante. D'une part, en effet, l'article 5 de la directive comporte un alinéa 3 qui semble ajouter une condition cumulative à l'alinéa 2 en précisant : " L'application industrielle d'une séquence ou d'une séquence partielle d'un gène doit être concrètement exposée dans la demande de brevet. " D'autre part, l'avant-projet de loi à son article 3 reprend cette condition en précisant en outre, très légitimement, que la demande de brevet doit préciser " quelle fonction assure la séquence ".
Les effets réels de la brevetabilité
Comme le CCNE, nous sommes très attachés à trois principes éthiques fondamentaux :
le principe de la non-commercialisation du corps humain ;
le principe du libre accès à la connaissance du gène ;
le principe du partage de cette connaissance.
Le dépôt d'un brevet, dans les conditions précisées ci-dessus, fait-il obstacle à l'application de ces principes ? Je ne le pense pas car, en réalité, les effets de la brevetabilité sont plus limités qu'on ne le croit généralement.
Un brevet ne constitue ni une appropriation matérielle ni une appropriation intellectuelle.
D'une part, un brevet sur une invention à partir d'un gène n'implique nullement l'appropriation matérielle et la patrimonialité du gène qui a été à l'origine de l'invention. Le brevet confère à son titulaire un droit sur l'invention et non pas un droit d'appropriation matérielle sur le gène.
Comme le rappelle le CCNE, " la jouissance d'un brevet n'est pas synonyme d'un droit de propriété sur la réalité brevetée ".
D'autre part, le brevet sur une invention à partir d'un gène n'est une "confiscation du savoir génétique". Le brevet donne un droit exclusif d'exploitation de l'invention. Il n'empêche pas l'utilisation de l'invention pour faire de la recherche. C'est l'exception recherche, classique en droit des brevets. Le brevet n'emporte pas l'appropriation intellectuelle par l'inventeur du gène : celui-ci reste évidemment accessible pour la connaissance ou pour d'autres champs d'application accessible pour la connaissance d'autres champs d'application.
En réalité, le brevet ne fait pas obstacle au libre accès à la connaissance.
Ce titre, délivré par les pouvoirs publics, confère un monopole temporaire d'exploitation (20 ans) sur une invention à celui qui la révèle et en donne une description suffisante et complète.
Le CCNE le reconnaît lui-même : " Certes l'existence d'un brevet ne soustrait pas la réalité brevetée à toute recherche ".
Au demeurant, le brevet doit être publié, ce qui assure la diffusion de l'invention brevetée dans la communauté scientifique.
Le dépôt de brevets sur de véritables inventions biothechnologiques à partir de gènes, sur l'identification de la fonction d'un gène débauchant sur la mise au point de nouveaux outils diagnostiques ou thérapeutiques, me semble donc pas contredire les principes éthiques de non-commercialisation du corps humain, de libre accès à la connaissance et de partage de cette connaissance.
De plus, le dépôt de brevets à l'avantage de protéger et donc d'encourager l'activité inventive des chercheurs qui mettront au point de nouveaux médicaments ou tests diagnostiques.
Guérir davantage de patients, mieux les soigner, améliorer la santé humaine, n'est-ce pas aussi un grand enjeu éthique ?
Mesdames et Messieurs,
Le siècle nouveau qui va commencer en 2001, sera plus que jamais celui de la science.
Nous voulons que cette science soit humaine. Nous voulons qu'elle respecte les grands principes éthiques de l'humanité. Nous voulons qu'elle permette un nouvel humanisme adapté à la révolution scientifique de notre temps.
C'est ici, ensemble, à Bordeaux, la volonté commence qui nous anime : faire vivre et progresse la science au service de l'homme.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 juin 2000)