Texte intégral
C'est avec plaisir que je réponds à l'invitation du groupe en cette veille de session parlementaire.
Tous les groupes sont ainsi réunis. Hier j'étais l'invité du groupe communiste et ce matin j'entendais, avec un sourire le président du Groupe U.D.F. parler de la nécessaire rupture avec le socialisme !
Pour l'instant, il me semble que l'opposition s'enlise dans un débat sur la cohabitation entre le président et l'Assemblée qui a pour premier mérite de faire éclater les contradictions entre Barre, Giscard et Chirac !
La solution à leur problème me semble pourtant simple : c'est la reconduction d'une majorité de gauche !
L'opposition semble redouter les pièges que nous lui tendrions. Eh bien, il me semble qu'il n'existe qu'un seul piège. C'est notre réussite collective qui scellera l'échec de l'opposition !
Et d'ailleurs, en matière de pièges, pour reprendre le vocabulaire de l'opposition, il me semble que nos adversaires ne sont pas avares. Je n'en veux pour preuve que cette déclaration du 25ème anniversaire de la Ve République à l'Hôtel de Ville de Paris avec Chirac et Giscard.
Chirac s'est étonné de l'absence du gouvernement. Si j'ai décliné cette invitation, c'est pour une raison simple. Chacun se souvient des controverses qui ont accompagné la naissance de la Ve République. Le pays a été divisé.
A l'inverse, le scrutin présidentiel de 1981 a permis d'obtenir l'adhésion de toute la nation aux institutions. Nous devons donc prendre soin de préserver cette situation en évitant d'utiliser les institutions dans les controverses partisanes. Ce que tente manifestement l'opposition.
Afin d'éviter tout malentendu, le gouvernement a donc décidé de ne s'associer qu'à des cérémonies que ne puissent prêter à des interprétations partisanes.
Face à l'opposition, nous devons donc être vigilants et fermes mais en faisant toujours preuve de sang-froid.
La politique de rigueur consiste en réalité à trouver un équilibre entre trois impératifs :
1°) Poursuivre la transformation de la société française pour laquelle nous avons été mandatés. Nous devons continuer de mettre en oeuvre les réformes que nous avons promises au pays.
2°) Garantir la solidarité et donc assurer une authentique justice sociale.
3°) Assurer la permanence du pouvoir et donc régler, comme je vous le disais, le problème de cohabitation que pose l'opposition. Le régler par notre succès en 1986.
Pour trouver l'équilibre indispensable entre ces trois impératifs, nous devons adopter une démarche mesurée et prendre garde à ce que telle ou telle option n'entre pas en contradiction avec l'un de nos objectifs.
J'illustrais cette préoccupation tout à l'heure, à propos du budget de 1984.
J'attire toutefois, dès à présent, votre attention sur un point central. N'oubliez jamais que, chaque fois qu'en 1984, vous donnerez un avantage, vous n'en disposerez plus en 1985 !
Notre objectif central doit donc être d'assurer notre réussite future en confirmant, en 1984, l'assainissement engagé par le plan de rigueur adopté en juin 1982 et qui s'achève à la fin de l'année.
Pour la première fois dans notre histoire, la loi de finances et le Plan ont été croisés afin que les deux démarches coïncident et s'épaulent mutuellement.
Je voudrais noter, à cet égard, que seuls deux plans ont pu être votés avant la date de leur début d'exécution. Il s'agissait du 1er plan, le plan Monnet et du 5ème plan, le plan Massé.
Le IXème Plan, à son tour, sera donc voté dans les délais. C'est le signe de l'importance que le gouvernement attache à la planification.
A propos de ce budget vous vous êtes posé trois grandes questions.
I – Frappons-nous trop les revenus du travail et insuffisamment ceux du capital ?
Je ne crois pas ce reproche fondé. Nous en sommes à notre troisième loi de finances et, chaque année, nous profitons de cette occasion pour faire progresser la justice fiscale.
En 1984, l'effort fiscal demandé aux revenus du capital sera, relativement, aussi important que celui qui est demandé aux revenus du travail. Et cela pour trois raisons :
Premièrement, la surtaxe progressive à l'impôt sur le revenu touche les revenus du capital comme ceux du travail. Les revenus professionnels (bénéfices non commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices industriels et commerciaux) d'une part, les revenus fonciers comme ceux des capitaux à risque – dividendes - d'autre part, entrent en effet dans le champ de l'impôt sur le revenu.
S'il est vrai que certains salariés seront assujettis à cette surtaxe progressive, ce sera aussi le cas des professions libérales et commerciales. Certains cadres paieront la surtaxe, mais des notaires, des pharmaciens, des commerçants la paieront aussi.
Je précise, à ce propos, que l'effort engagé en vue de mieux connaître les revenus non-salariés et de lutter contre la fraude est encore accentué cette année.
Une refonte de la fiscalité agricole est prévue qui permettra de mieux cerner la réalité des revenus.
La seconde raison qui explique que le capital est vraiment mis à contribution, c'est que le prélèvement proportionnel de 1 % sur les revenus imposables, destiné au financement de la sécurité sociale, sera étendu l'an prochain aux plus values boursières, aux profits réalisés sur des constructions et aux revenus tirés de placements à revenu fixe soumis aux prélèvements libératoires.
Je sais que certains proposent d'aller plus loin en relevant plus fortement les prélèvements libératoires sur les revenus des obligations.
Enfin, la troisième raison qui montre que le capital est vraiment mis à contribution c'est la réforme des droits de succession. Il s'agit d'une réforme particulièrement importante puisque nous prévoyons notamment de doubler les taux qui frappent les gros patrimoines, tout en allégeant l'impôt sur les héritages modestes.
Vous le voyez, non seulement les revenus du capital ne sont pas épargnés, mais un effort supplémentaire et significatif leur est demandé en 1984.
II- Faut-il remonter le seuil à partir duquel est prélevé la surtaxe progressive ?
Dès lors que nous ne pouvons attendre beaucoup plus des prélèvements sur les patrimoines, se pose le problème du seuil de la surtaxe progressive.
Ce seuil a été fixé par le gouvernement à 20 000 francs d'impôt, ce qui permet d'exonérer l'immense majorité des travailleurs actifs ou retraités.
Permettez-moi de vous rappeler qu'il existe dans notre pays 22 millions de foyers fiscaux. Il n'y en a que 1 870 000 qui seront concernés par la surtaxe progressive. C'est-à-dire moins de 9 %.
Ne nous laissons donc pas abuser par des campagnes excessives, qui, pour défendre une minorité, cherchent à affoler l'ensemble des Français.
Ne soyons pas dupes et ne relayons pas les campagnes actuelles contre l'impôt.
Regardons plutôt concrètement ce que signifie cette surtaxe progressive qui concerne, je le répète, moins de 9 % des contribuables français !
Sur les 1 870 000 foyers fiscaux qui devront l'acquitter, environ 750 000, ceux qui versent entre 20 et 30 000 francs d'impôt, seront assujettis à une majoration de 5 %.
Pour un ménage avec 2 enfants, le seuil de 20 000 francs d'impôt correspond, ainsi que je l'ai indiqué à la télévision, à un salaire mensuel net de 16 000 francs environ.
Je n'ai, bien sûr, jamais dit qu'avec 16 000 francs par mois on était riche. Mais je demande que l'on garde à l'esprit la réalité du niveau des salaires en France !
Une étude de l'INSEE vient de paraître sur cette question. Elle fait apparaître que le salaire moyen, dans notre pays est :
- de 4 600 francs pour un ouvrier ;
- de 4 900 francs pour un employé ;
- de 7 350 francs pour un contremaître ;
- de 7 650 francs pour un cadre moyen ;
- de 14 500 francs pour un ingénieur.
Telle est la réalité de la société française ! Elle est bien différente – hélas - de l'image artificielle véhiculée par de luxueux magazines qui, soit se comportent en porte-parole de catégories privilégiées, soit mènent ouvertement campagne contre le gouvernement !
Mais, je veux pousser cette question au fond, car il est vrai qu'elle est politiquement importante.
Il est exact – et vous l'avez souligné – que lorsque les deux conjoints travaillent, ils peuvent dépasser le seuil des 20 000 francs d'impôt sans que, pris séparément, ils fassent partie des titulaires de revenus élevés.
Un grand nombre d'entre vous ont souhaité un aménagement de la surtaxe progressive visant à effacer l'effet de ressaut autour du seuil de 20 000 francs d'impôt.
Nous réfléchissons à un dispositif qui, sans mettre en cause les principales caractéristiques de la surtaxe – seuils à 20 et 30 000 francs, taux de 5 à 8 %, permette un lissage de cet effet de seuil pour les contribuables situés dans la zone proche de 20 000 francs d'impôt. Ce lissage pourrait être obtenu par un mécanisme de décote qui aurait pour effet d'alléger en sifflet la charge des contribuables situés entre 20 et 25 000 francs d'impôt.
Pour tenir compte des situations des familles où les deux conjoints travaillent, elles pourront bénéficier, en 1984, d'une sensible augmentation des déductions pour frais de garde des jeunes enfants. La déduction passe en effet de 3 à 4 000 francs et l'âge des enfants concernés est porté de 4 à 5 ans.
Enfin, pour clore ce chapitre, je relèverai que le seuil retenu pour la surtaxe progressive est quatre fois supérieur au seuil fixé, en mars dernier, pour l'emprunt obligatoire.
On a parlé, à propos de ce budget, de “matraquage fiscal”. Les cadres ont été présentés comme les victimes du gouvernement.
Une telle présentation est scandaleuse et relève de la propagande et non de l'information.
Je prendrai un exemple : dans chacun des sept budgets présentés par MM. GISCARD D'ESTAING, CHIRAC, BARRE, il y a eu un alourdissement insidieux de l'impôt sur le revenu à travers une sous-indexation systématique des tranches du barème.
Nous n'avons pas, alors, entendu les dirigeants de la CGC protester avec la véhémence dont ils témoignent aujourd'hui.
Lorsque de 1975 à 1981, les 5ème et 9ème tranches du barème de l'impôt sur le revenu, c'est-à-dire les tranches concernant les cadres moyens ont été relevées de 13 % de moins que l'inflation ; ou lorsque, dans la même période, les 3 tranches supérieures du barème, qui concernent les cadres supérieurs, étaient relevées de 21 à 43 % de moins que la hausse des prix, qui parlait de “matraquage fiscal”? Qui accusait le gouvernement de s'en prendre aux cadres et du tarir l'initiative ?
A l'inverse, je n'ai pas entendu les dirigeants de la CGC rendre justice au gouvernement de gauche qui, depuis 3 ans, a intégralement et scrupuleusement indexé toutes les tranches du barème de l'impôt sur le revenu.
Subrepticement, la droite avait accru l'impôt sur le revenu à travers l'érosion du barème. C'est aussi ce que font, à l'étranger, les gouvernements conservateurs des principaux pays concurrents.
Nous avons choisi, depuis mai 1981, une autre voie.
Dans les trois budgets que nous avons présentés au pays, le relèvement de toutes les tranches du barème a été strictement égal à la hausse moyenne des prix.
En outre, la charge fiscale des petits contribuables a été systématiquement allégée.
Enfin, les majorations ou surtaxes exceptionnelles touchant les titulaires de hauts revenus ont été clairement isolées, de manière à faire apparaître nettement l'effort fiscal raisonnable demandé aux plus favorisés.
J'avoue être excédé de constater que le gouvernement est abusivement accusé de matraquage fiscal par ceux-là même qui ont alourdi, subrepticement, l'impôt sur le revenu pendant sept ans.
Le gouvernement continuera de préférer la clarté à l'anesthésie fiscale.
Les prélèvements les plus indolores, qu'il s'agisse de la TVA ou de la sous-indexation du barème de l'impôt sur le revenu, sont d'ailleurs socialement les plus injustes.
En matière fiscale aussi, le gouvernement parle un langage de justice, de vérité et de clarté.
Nous ne devons avoir aucune illusion : plus nous nous rapprocherons des élections législatives de 1986, plus s'affirmera cette bipolarisation et plus se manifestera cette radicalisation.
Nous devons nous préparer à des luttes politiques à la hauteur des enjeux.
Car la seconde leçon de ce scrutin sénatorial c'est que l'union de la gauche demeure notre arme principale. Une arme qui s'avère souvent décisive.
L'union de la gauche c'est le ferment de notre majorité.